En cours au Siège de l'ONU

9844e séance – après-midi
CS/15973

Conseil de sécurité: face à la violence des gangs en Haïti, les appels à transformer la Mission multinationale d’appui à la sécurité en mission de paix de l’ONU se font plus insistants

Le Conseil de sécurité a entendu cet après-midi des appels de plus en plus insistants pour transformer la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) en une mission de paix de l’ONU afin d’endiguer la grave insécurité en Haïti. La transformation de cette mission, dont le financement repose sur des contributions volontaires, en une mission de paix permettrait de la renforcer sur les plans financier et logistique, ont estimé une majorité de délégations, tandis que d’autres ont exprimé quelques réserves.

« 5 600 personnes. »  Ce nombre des tués en Haïti l’année dernière en raison de la violence des gangs armés a été cité par plusieurs intervenants, dont le Danemark, pour illustrer la gravité de la situation sécuritaire en Haïti.  « Les défis que doit relever la Police nationale d’Haïti (PNH), appuyée par la MMAS, demeurent immenses », a reconnu Mme María Isabel Salvador, Représentante spéciale du Secrétaire général pour Haïti et Cheffe du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH). Elle a notamment mentionné le manque d’équipements et l’insuffisance des formations. 

La Représentante spéciale a néanmoins fait état de certains progrès, tels qu’une meilleure planification des opérations et la récente nomination d’un secrétaire d’État à la sécurité publique.  Le paysage politique en Haïti a également connu des évolutions positives, a-t-elle dit.  « La nomination d’Alix Didier Fils-Aimé au poste de Premier Ministre, le 11 novembre, a amélioré la collaboration entre le Gouvernement et le Conseil présidentiel de transition. »  Cette coopération a permis de faire avancer des dossiers clefs en matière de gouvernance, s’est-elle félicitée.

Malgré ces progrès sur le plan politique qui peuvent alimenter un espoir fragile, la transition demeure instable, a-t-elle déclaré, en estimant qu’une assistance internationale accrue à Haïti est capitale.  L’intervention la plus frappante a probablement été celle de la Directrice exécutive de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), Mme Ghada Fathi Waly, qui a détaillé les tentatives des différentes coalitions de gangs pour étendre leur contrôle sur des territoires stratégiques, tout en se livrant à des confrontations meurtrières avec la population et les forces de l’ordre. 

« Les gangs recourent à des tactiques de plus en plus brutales, comme en témoignent les massacres horribles, dont celui de 115 personnes par le gang Gran Grif, au mois d’octobre dernier, dans le département de l’Artibonite, ou encore l’exécution de plus de 200 personnes dans le quartier de Wharf Jérémie, au mois de décembre. »  La Directrice exécutive a également pointé le gang Viv Ansanm qui a intensifié ses attaques et pris le contrôle de zones clefs à Port-au-Prince et aux alentours. Malgré l’embargo, armes et munitions continuent d’affluer en Haïti et de tomber entre les mains des gangs, a-t-elle alerté.

Elle a donc réclamé le renforcement des capacités pour enregistrer, contrôler et tracer les armes et les munitions en Haïti, y compris les armes saisies et les stocks privés.  Elle a en outre demandé le renforcement des contrôles maritimes et terrestres entre Haïti et la République dominicaine, grâce à des équipements, des ressources humaines et un meilleur partage d’informations.  Des contrôles plus stricts sont nécessaires sur les navires qui quittent la Floride pour Haïti, mais aussi aux Bahamas et aux Îles Turques et Caïques, devenues points de transit. 

Mais c’est bien la question de la transformation de la MMAS en mission de paix des Nations Unies qui a dominé les débats.  Le Suriname, au nom de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), a indiqué que la MMAS est en effet « sous-équipée, sous-financée et sous-armée », appuyant la transition vers une mission de paix de l’ONU avec un soutien accru et un financement durable.  « Cette transition est capitale pour permettre aux Haïtiens de reprendre le cours de leur vie sans peur et d’améliorer la confiance en l’État haïtien. » 

Cette mission n’a pas répondu aux attentes en raison principalement des contraintes financières, a expliqué la République de Corée, en pointant la dégradation de la situation sécuritaire.  Même son de cloche du côté d’Haïti, qui a souligné que la mission actuelle reste gravement sous-financée et sous-équipée, alors que la violence des gangs armés continue de faire peser « une menace existentielle ».  Le Ministre des affaires étrangères et des cultes d’Haïti a indiqué que la Mission ne dispose pas du support aérien nécessaire lors de ses opérations, sachant en plus que certains de ses équipements ne sont pas adaptés à la réalité. 

« Ces quelques limitations, sans être exhaustif, entravent sa capacité opérationnelle à répondre efficacement à l’intensité des défis sécuritaires que nous connaissons. »  À cette aune, le Ministre a demandé la transformation de la MMAS en une mission de maintien de la paix des Nations Unies, dotée d’un mandat clair, de ressources adéquates et d’une expertise renforcée.  « Cette transition n’est pas seulement une nécessité logistique, mais une exigence stratégique pour répondre aux menaces multiples qui pèsent sur notre pays. » 

Si plusieurs pays, dont la Grèce ou encore les États-Unis, ont dit attendre les prochaines recommandations du Secrétaire général, la France a plaidé en faveur d’un plus grand engagement des Nations Unies, convaincue que ces dernières peuvent apporter une expertise stratégique et opérationnelle, ainsi qu’un soutien logistique essentiel.  « Il nous faut répondre à la demande exprimée par Haïti de considérer une transition de la Mission multinationale vers une opération de maintien de la paix dès que possible », a déclaré la France, appuyée par le Panama ou encore le Kenya.  « Le Kenya est prêt à assurer un rôle de leadership et à déployer du personnel supplémentaire lors de cette transition », a dit son délégué.

« Le moment est venu pour l’ONU d’assumer un rôle plus efficace et plus direct dans le rétablissement de la paix en Haïti en accompagnant les autorités haïtiennes, c’est ce que le peuple haïtien et toute notre région attendent avec impatience », a renchéri le Ministre des affaires étrangères de la République dominicaine.  Le Pakistan n’a pas dit autre chose en rappelant que le Conseil est saisi de la situation en Haïti depuis près de trois décennies.  « De toute évidence, un plan d’action solide, complet et bien réfléchi, élaboré avec les dirigeants haïtiens, est nécessaire afin de répondre aux défis complexes d’Haïti », a tranché la délégation pakistanaise.

De son côté, la Fédération de Russie a appelé les donateurs à fournir ce qu’ils ont promis aux fins du déploiement complet de la MMAS.  « C’est seulement après avoir pleinement atteint le potentiel de la Mission multinationale qu’il sera possible d’évoquer toute adaptation de la présence internationale en Haïti », a argué la Russie.  Le Guyana, qui s’exprimait au nom des A3+, a également jugé crucial le déploiement intégral du personnel de la MMAS et appelé à honorer les engagements pris.

La Chine a dénoncé l’ingérence des États-Unis en Haïti, en estimant que ce pays a une responsabilité dans le sort actuel du pays et de son peuple.  « Les États-Unis ont été à l’initiative de la création de la MMAS, ils sont donc responsables au premier chef des obligations financières découlant de son mandat. »  L’ONU ne peut jouer qu’un rôle complémentaire et non pas déterminant pour régler la crise en Haïti, a tranché la Chine, en espérant que le Secrétaire général s’appuiera, pour ses recommandations, sur une analyse des racines profondes de la crise en Haïti.

La République de Corée a annoncé avoir donné 10 millions de dollars la semaine dernière au Fonds d’affectation spéciale en faveur de la MMAS.  La France a également augmenté ses contributions à hauteur de 10 millions de dollars dédiés en partie aux formations prédéploiement en français et en créole.  Enfin, le Ministre des affaires étrangères de la Colombie, appuyé notamment par le Pakistan, a rappelé que toute décision prise par le Conseil devra respecter la souveraineté et la volonté du peuple haïtien et des autorités haïtiennes.

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LA QUESTION CONCERNANT HAÏTI S/2025/28

Exposés

Mme MARIA ISABEL SALVADOR, Représentante spéciale du Secrétaire général pour Haïti et Cheffe du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), a rappelé que l’aéroport international de Port-au-Prince a été fermé après une attaque de gangs armés contre un avion de ligne le 11 novembre.  Peu après, les gangs armés ont lancé plusieurs attaques coordonnées dans la capitale, y compris dans des zones qui avaient été jusqu’alors épargnées par la violence.  Ce cycle de violence dans la capitale a fait au moins 220 morts et a causé le déplacement de près de 41 000 personnes.  Elle a également précisé qu’en décembre les gangs armés ont fait 207 morts lors d’une attaque dans la commune de Cité-Soleil.  Dans ce contexte, elle a signalé le déploiement de 217 policiers kenyans supplémentaires le 18 janvier, en sus de 150 éléments du Guatemala et de 8 soldats d’El Salvador. 

Elle a ensuite détaillé les progrès enregistrés par la Police nationale haïtienne (PNH), appuyée par la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), afin de répondre à la violence.  Les opérations contre les gangs sont mieux planifiées et la récente nomination d’un Secrétaire d’État à la sécurité publique est un signal positif, selon elle. La Représentante spéciale a également salué les 739 policiers, dont 213 femmes, frais émoulus de l’Académie nationale de police.  « Cependant, les défis que la PNH doivent relever demeurent immenses », a-t-elle reconnu, en mentionnant notamment le manque d’équipements et l’insuffisance de formations.  « Une assistance internationale accrue est capitale. »  Elle a également redit la détermination de l’ONU à renforcer sa présence dès que les conditions sécuritaires le permettront.

Le paysage politique en Haïti a connu des évolutions positives depuis ma dernière intervention devant ce Conseil, a-t-elle dit.  « La nomination d’Alix Didier Fils-Aimé au poste de Premier Ministre le 11 novembre a amélioré la collaboration entre le Gouvernement et le Conseil présidentiel de transition. »  Cette coopération a permis de faire avancer des dossiers clefs en matière de gouvernance, s’est-elle félicitée.  La Représentante spéciale a indiqué qu’une meilleure coordination entre le Conseil présidentiel de transition et le Gouvernement actuel a permis d’affiner et de cibler avec succès les « priorités des priorités » de la transition -« sécurité, élections et apaisement social »- et a contribué à faire avancer certaines décisions clefs de gouvernance qui étaient auparavant en suspens.  Elle a en outre salué la nomination des deux membres restants du Conseil électoral provisoire.  « Quatre des 9 membres sont désormais des femmes, une étape importante vers une plus grande inclusion du genre dans le processus électoral », s’est-elle réjouie. 

Malgré ces progrès sur le plan politique qui peuvent alimenter l’espoir, la transition demeure fragile, a-t-elle déclaré, en mentionnant les critiques formulées contre le Conseil présidentiel de transition.  Trois de ses membres sont en effet visés par de graves allégations de corruption.  Elle a ensuite détaillé l’acuité de la crise humanitaire en Haïti, plus de 6 millions de personnes, soit près de la moitié de la population, ayant besoin d’aide. L’insécurité alimentaire touche 48% de la population.

« En cette période cruciale, Haïti a plus que jamais besoin de votre soutien continu. »  Pour organiser un processus de révision constitutionnelle et des élections crédibles, participatives et inclusives dans ce contexte de crise, les acteurs haïtiens doivent surmonter leurs différences et collaborer, a-t-elle prié.  En conclusion, la Représentante spéciale a estimé qu’une solution durable nécessite des progrès simultanés sur les fronts politique et sécuritaire, « soutenus par une solidarité internationale constante ».

La Directrice exécutive de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), Mme GHADA FATHI WALY, a indiqué que les différentes coalitions de gangs tentent toujours d’étendre leur contrôle sur des territoires stratégiques, tout en se livrant à des confrontations meurtrières avec la population et les forces de l’ordre. Les gangs recourent à des tactiques de plus en plus brutales, comme en témoignent les massacres horribles, dont celui de 115 personnes par le gang Gran Grif, au mois d’octobre dernier, dans le département de l’Artibonite, ou encore l’exécution de plus de 200 personnes dans le quartier de Wharf Jérémie, au mois de décembre. 

L’expansion territoriale de ces gangs résulte d’une action calculée, plutôt que d’une violence arbitraire, dans le but de contrôler les ressources, en collaboration avec les élites politiques et économiques.  Aujourd’hui, ces gangs se partagent environ 85% de Port-au-Prince et leur emprise sur le pays est facilitée par le trafic illicite d’armes, de drogues et autres ainsi que par la corruption et le blanchiment d’argent, comme le démontre le sixième rapport de l’ONUDC. 

Parmi les développements les plus notables, la Directrice exécutive a pointé le gang Viv Ansanm qui a intensifié ses attaques et pris le contrôle de zones clefs dans et autour de Port-au-Prince.  Malgré l’embargo, armes et munitions continuent d’affluer en Haïti et de tomber entre les mains des gangs.  L’itinéraire de ce trafic change.  Au cours de la période considérée, les saisies d’armes ont été principalement signalées à Port Everglades, et non à Miami, alors qu’en Haïti, la plupart de ces saisies ont été signalées à Cap-Haïtien, et non à Port-au-Prince. 

L’ONUDC réclame donc le renforcement des capacités pour enregistrer, contrôler et tracer les armes et les munitions en Haïti, y compris les armes saisies et les stocks privés.  Il réclame aussi le renforcement des contrôles maritimes et terrestres entre Haïti et la République dominicaine, grâce à des équipements, des ressources humaines et un meilleur partage des informations.  Des contrôles plus stricts sont nécessaires sur les navires qui quittent la Floride pour Haïti, mais aussi aux Bahamas et aux Îles Turques et Caïques, devenus points de transit.

Au cours des dernières décennies, Haïti est devenue une plaque tournante du trafic de drogue, et les preuves suggèrent qu’un petit groupe d’individus conserve une influence considérable sur ce commerce depuis les années 80. Il s’agirait d’anciens militaires haïtiens, d’agents des forces de l’ordre, de membres du Parlement et d’hommes d’affaires, opérant en Haïti et aux États-Unis, ainsi que dans d’autres pays de la région.  Pour l’ONUDC, il est impératif de démanteler ce réseau profondément enraciné et selon certains rapports, des personnalités politiques et du secteur privé utiliseraient l’industrie de l’anguille et autres espèces sauvages pour blanchir les revenus de la drogue.  Les autorités haïtiennes ont besoin d’aide pour s’attaquer à ce problème, a souligné la Directrice exécutive. 

L’insécurité, l’instabilité et les difficultés économiques continuent de pousser les gens à fuir Haïti.  La fermeture de l’espace aérien, les politiques anti-migratoires strictes de la région et la fermeture de l’aéroport international de Port-au-Prince incitent les Haïtiens à prendre plus de risques pour s’échapper, s’appuyant sur les passeurs clandestins qui empruntent des routes dangereuses vers la République dominicaine, les Bahamas, la Jamaïque ou les Îles Turques et Caïques, pour chuter aux États-Unis et au Canada. 

Haïti vit également une augmentation alarmante de la traite des êtres humains, et en particulier de la traite des enfants par les gangs.  Les lois doivent être appliquées de manière plus efficace par des forces de l’ordre formées et équipées.  Sur une note positive, la Directrice exécutive a signalé qu’au mois de décembre, Haïti avait franchi une étape importante dans la lutte contre la corruption, avec la création d’un groupe de travail interinstitutionnel soutenu par l’ONUDC, en partenariat avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et l’Organisation des États américains (OEA).

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