SOIXANTE-DEUXIÈME SESSION,
8E ET 9E SÉANCES PLÉNIÈRES, MATIN ET APRÈS-MIDI
SOC/4916

La Commission du développement social débat de la dimension sociale des cadres de développement et des moyens de promouvoir la justice sociale

À l’occasion de deux dialogues sur son thème prioritaire, l’un avec de hauts responsables du système des Nations Unies, l’autre avec différentes parties prenantes, la Commission du développement social s’est intéressée, aujourd’hui, aux moyens susceptibles de mieux intégrer les considérations sociales dans des cadres de développement plus larges et aux bonnes pratiques et solutions innovantes permettant de promouvoir la justice sociale. 

Centré sur les politiques connexes aux dispositifs sociaux, le premier dialogue a été marqué par l’avertissement lancé par le Directeur général de l’Organisation internationale du Travail (OIT) face au sous-investissement des États dans le renforcement des compétences et l’adaptation du marché du travail.  Il a appelé à corriger cette situation non seulement pour progresser vers l’éradication de la pauvreté, mais également pour aborder les trois grandes transitions de ce siècle, générées par la technologie numérique et l’intelligence artificielle, les changements climatiques et les défis démographiques.   

Alors que le monde souffre d’un taux de chômage de plus de 5% en moyenne, mais aussi d’un sous-emploi généralisé, qui affecte 435 millions de personnes, le Directeur général de l’OIT a estimé que la transition climatique pourrait être un créateur net d’emplois, moyennant des redéploiements.  La perte d’environ 6 millions d’emplois serait ainsi compensée par la création de 24 millions de nouveaux à l’échelle mondiale, a-t-il affirmé, reconnaissant toutefois des disparités selon les régions. 

Les régions, justement, ont fait entendre leur voix.  La Secrétaire exécutive de la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe (CEE-ONU) a alerté sur les risques que fait peser le vieillissement des populations sur les systèmes de retraite et de soins de santé, singulièrement en Europe et en Amérique du Nord, appelant à intégrer davantage cette problématique dans les programmes politiques nationaux et internationaux.  Reconnaissant des retards inquiétants dans la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) dans sa région, son homologue de la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique (CESAP) a, elle, exhorté les gouvernements à se concentrer sur la protection sociale des personnes handicapées, des seniors et des travailleurs informels. 

Tout aussi pragmatique, le représentant de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) a recommandé aux États africains de mieux gérer leur dette, d’accélérer leur transformation numérique et d’étendre la protection sociale de leurs populations, tout en appelant à des investissements plus durables pour créer des emplois et promouvoir une croissance inclusive.  Dans le même ordre d’idées, le représentant de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) a estimé qu’une augmentation annuelle moyenne de 0,1% du PIB allouée aux transferts de revenus de protection sociale non contributifs permettrait à la quasi-totalité de la population régionale de vivre au-dessus du seuil d’extrême pauvreté en 2030.     

Le second dialogue du jour a pris la forme d’un forum multipartite consacré aux solutions innovantes pour promouvoir le développement social et la justice sociale.  Mettant l’accent sur le sans-abrisme des femmes africaines, la Coordonnatrice nationale de l’ONG WorldWIDE Nigeria a estimé que garantir à ces dernières un accès à la terre, en révisant les lois coutumières qui les privent de droit à l’héritage et au logement, aiderait à réduire ce phénomène et permettrait aux habitants des établissements informels de régulariser leur statut.  De manière connexe, la Vice-Présidente de la Confédération syndicale internationale s’est prononcée pour la régularisation d’un milliard de travailleurs représentant la moitié de l’économie informelle mondiale. 

La justice sociale nécessite une mobilisation plus équitable des ressources nationales, via un impôt progressif, des stratégies de financement innovantes, des allégements de la dette et une augmentation de l’aide publique au développement, a plaidé, pour sa part, le Président du Club de Madrid.  De son côté, le Président et Directeur général de l’organisation National Cooperative Business Council CLUSA International a appelé à favoriser le développement des coopératives, qui contribuent à la justice sociale tout en aidant les États à réaliser les ODD. 

La Commission du développement social poursuivra ses travaux lundi 12 février, à partir de 10 heures. 

 

SUITE DONNÉE AU SOMMET MONDIAL POUR LE DÉVELOPPEMENT SOCIAL ET À LA VINGT-QUATRIÈME SESSION EXTRAORDINAIRE DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

Thème prioritaire: Promouvoir le développement social et la justice sociale au moyen de politiques sociales, afin de faire progresser plus rapidement la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030 et d’atteindre l’objectif primordial de l’élimination de la pauvreté - (E/CN.5/2024/3/Corr.1)

Dialogue interactif sur le thème prioritaire avec de hauts responsables du système des Nations Unies

M. GILBERT HOUNGBO, Directeur général de l’Organisation internationale du Travail (OIT), a regretté que la plupart des pays et des agences de développement internationales n’aient pas suffisamment investi dans des domaines politiques et institutionnels cruciaux pour la justice sociale.  Il a appelé à corriger cette situation non seulement pour permettre à l’humanité d’atteindre l’objectif d’éradication de la pauvreté, mais également pour aborder les trois grandes transitions de ce siècle, en lien avec la technologie numérique et l’intelligence artificielle, les changements climatiques et les défis démographiques.  Chacune de ces transformations menace nos sociétés d’une forte augmentation des perturbations et des dislocations et, par extension, d’une expansion des inégalités, a-t-il alerté, exhortant les gouvernements à ajuster d’urgence leur modèle de croissance économique et de développement en vue d’augmenter la participation sociale. 

En ce qui concerne l’intelligence artificielle, le Directeur général de l’OIT a relevé qu’environ 10% à 20% de l’emploi total est exposé soit à l’automatisation, les femmes étant deux fois plus concernées que les hommes.  Face au risque que cela implique pour le marché du travail, il a invité les gouvernements à augmenter considérablement leurs investissements dans les compétences et les politiques actives liées à l’emploi.  À cet égard, M. Houngbo a indiqué que la transition climatique pourrait être un créateur net d’emplois important, moyennant un redéploiement des personnes sur le marché du travail.  Quelque 6 millions d’emplois seraient perdus et 24 millions de nouveaux créés dans le monde, a-t-il précisé, non sans reconnaître que certaines régions pourraient subir une perte nette.  Outre le chômage, qui atteint un peu plus de 5% globalement, le monde souffre aujourd’hui d’un sous-emploi généralisé, dont le taux dépasse 11%, soit 435 millions de personnes, a poursuivi l’intervenant, ajoutant que plus de la moitié de la population mondiale n’a même pas accès à l’un des sept domaines fondamentaux de protection sociale autres que les soins de santé. 

De fait, a-t-il dit, il ne suffit pas de se concentrer sur l’augmentation quantitative du PIB, il faut accorder la même importance aux politiques et institutions qui améliorent la qualité sociale de la croissance.  À cette fin, a-t-il signalé, l’OIT travaille avec le Fonds monétaire international (FMI) dans plusieurs pays pour renforcer le financement des systèmes de protection sociale, via des planchers de dépenses sociales, et a récemment approuvé la création d’une Coalition mondiale multipartite pour la justice sociale à laquelle plus de 100 gouvernements et organisations ont accepté de se joindre. 

Mme TATIANA MOLCÉAN, Secrétaire exécutive de la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe (CEE-ONU), a rappelé que le vieillissement de la population est l’une des grandes tendances contemporaines et que l’Europe et l’Amérique du Nord comptent la proportion la plus élevée de personnes âgées.  Si la longévité est un triomphe du développement humain, à mesure que la proportion de personnes âgées dans une société augmente, les systèmes de retraite sont de plus en plus remis en question, les secteurs de la santé confrontés à une demande et à des coûts accrus et les systèmes de soins de longue durée doivent répondre aux besoins croissants.  Le Plan d’action international de Madrid sur le vieillissement, adopté en 2002, reste notre principale boussole en la matière, a mentionné Mme Molcéan.  Depuis son adoption, de nombreux pays ont élaboré des politiques visant à améliorer la situation des personnes âgées et procédé aux ajustements nécessaires dans les domaines des retraites, de la santé et des soins de longue durée, de la formation tout au long de la vie et de l’accès aux marchés du travail. 

Ainsi, le système des Nations Unies et les gouvernements européens ont réalisé de nombreux progrès dans l’institutionnalisation de la perspective de genre, s’est félicitée la Secrétaire exécutive.  Nous avons élaboré des orientations visant à promouvoir l’intégration du vieillissement dans tous les domaines politiques concernés et à tous les niveaux de gouvernement.  Mais comment améliorer encore davantage l’intégration dans nos programmes politiques nationaux et internationaux? s’est demandé l’experte.  Elle a commencé par souligner l’importance de l’engagement politique, en démontrant non seulement les avantages de l’action, mais également les conséquences de l’inaction, comme dans le domaine des changements climatiques.  Nous avons en outre besoin de davantage d’investissements dans la collecte et la diffusion de données, a poursuivi la haute fonctionnaire. 

La Secrétaire exécutive a ensuite plaidé pour une meilleure coordination entre gouvernements et parties prenantes et un renforcement des capacités d’intégration, auquel contribuent les lignes directrices de la Commission économique sur l’intégration du vieillissement.  Aussi la CEE-ONU a-t-elle développé une gamme de ressources pour soutenir l’intégration du vieillissement, notamment sous la forme de conseils techniques, de recommandations politiques adaptées, d’échange de pratiques optimales et d’apprentissage entre pairs. 

Mme ARMIDA SALSIAH ALISJAHBANA, Secrétaire générale adjointe et Secrétaire exécutive de la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique (CESAP), a reconnu des retards inquiétants dans la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) dans sa région. Selon une évaluation réalisée en 2023, à mi-parcours du Programme 2030, seulement 17% des objectifs mesurables ont été atteints et l’absence de progrès est particulièrement alarmante pour les ODD 1 (éliminer la pauvreté) et 2 (faim zéro).  De plus, a-t-elle relevé, la région enregistre un recul en matière d’égalité des sexes et fait face à des crises climatique, environnementale et sanitaire qui mettent à mal le tissu social. 

Constatant que les inégalités et les écarts existants en matière d’accès aux services de base tels que l’énergie, l’alimentation et la connectivité numérique sont souvent négligés, Mme Alisjahbana a appelé les gouvernements de la région à donner la priorité aux stratégies de développement inclusif, en se concentrant sur les programmes de protection sociale.  Elle a cependant fait état de tendances positives depuis la récente pandémie, comme la création en Indonésie et aux Maldives de régimes contributifs liés aux allocations de chômage, qui couvrent désormais des populations auparavant non éligibles, y compris les travailleurs informels.  Elle s’est également réjouie qu’au Bangladesh, les paiements numériques liés aux systèmes d’alerte précoce contre les inondations aient amélioré la sécurité alimentaire et réduit le risque d’endettement des ménages. 

Mais plus de la moitié de la population de la région reste sans protection, a déploré la Secrétaire exécutive de la CESAP, selon laquelle cette exclusion systématique affecte de manière disproportionnée les groupes vulnérables, notamment les personnes handicapées, les personnes âgées et les travailleurs migrants.  Combler ces écarts de couverture nécessite de répondre aux besoins de la population en âge de travailler, en particulier des 1,3 milliard de personnes qui exercent un emploi informel, a-t-elle préconisé, plaidant pour la mise en place d’un socle de protection sociale défini au niveau national, combinant des mécanismes non contributifs et contributifs pour garantir une sécurité sociale de base pour tous.  Une telle approche soutiendrait également les efforts d’adaptation et d’atténuation des changements climatiques, a estimé Mme Alisjahbana, avant de souligner l’importance de la collaboration régionale sur ces sujets, à l’image du Plan d’action adopté en 2020 par la CESAP pour renforcer la protection sociale en Asie-Pacifique. 

« Comment mieux intégrer les considérations sociales dans les cadres de développement? » s’est demandé Mme MEHRINAZ EL AWADY, Directrice et Chef de groupe, Justice de genre, population et développement inclusif à la Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie occidentale (CESAO), qui s’exprimait au nom de la Secrétaire exécutive de cet organe.  Elle a pris pour exemple le monde arabe, secoué par des crises multiples ces dernières années.  La haute fonctionnaire a commenté le cercle vicieux constitué par les « polycrises » et les inégalités.  Le seul domaine dans lequel les conflits n’aggravent pas le risque de crises est celui des changements climatiques, mais le réchauffement planétaire accroît les risques de conflits en intensifiant la concurrence pour des ressources naturelles limitées, a fait observer Mme El Awady. 

Pour répondre à cette situation, des outils politiques innovants sont nécessaires, a-t-elle préconisé, en citant le Social Expenditure Monitor (SEM), conçu pour fournir une cartographie complète des dépenses sociales publiques afin d’ajuster les réformes budgétaires.  La Directrice a également mentionné un outil d’assistance à l’indice de pauvreté multidimensionnelle (MAT), qui permet aux décideurs politiques de développer plusieurs scénarios pour leurs propres indices « en quelques minutes », ainsi que le Policy Gap Assessment Tool (PGAT), pour analyser dans quelle mesure les principes de justice sociale sont intégrés aux politiques publiques et aux programmes de développement.  L’intervenante a souligné l’importance pour les pays concernés d’investir dans les programmes de réforme de la protection sociale, qui ont des retombées positives sur le développement économique national, en privilégiant la cohérence des politiques mises en œuvre. 

Les pays africains sont confrontés au double défi de mobiliser davantage de ressources et de les aligner sur leurs priorités de développement durable, a diagnostiqué M. SAURABH SINHA, Chef de la Section de la politique sociale de la Division du genre, de la pauvreté et de la politique sociale de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), qui s’exprimait au nom du Secrétaire exécutif de la CEA.  Pour y parvenir, il a recommandé une meilleure gestion de la dette par ces États, une mesure d’autant plus urgente que la pandémie de COVID-19 et d’autres crises ont annulé des décennies de progrès en matière de développement sur le continent.  Confrontés au surendettement, plusieurs pays africains ont dû se résigner à contacter le Fonds monétaire international (FMI).  Les droits de tirage spéciaux (DTS) constituent cependant un moyen efficace de leur fournir des ressources supplémentaires, a relevé M. Sinha. Lancée au lendemain de la pandémie, l’Initiative de suspension du service de la dette a permis de suspendre 12,9 milliards de dollars de paiements au titre du service de la dette, libérant ainsi des ressources vitales pour les dépenses sociales et sanitaires.  En 2022, a-t-il noté, la dette publique de l’Afrique s’élevait à 66% du PIB et les paiements d’intérêts à 3,2% du PIB, contre 1,5% du PIB dans les pays développés. 

Bien qu’elle ait le moins contribué au réchauffement climatique, l’Afrique est le continent le plus vulnérable à ses impacts, a poursuivi M. Sinha.  Les « dommages collatéraux exponentiels » de ce phénomène posent des risques systémiques à son économie et à ses investissements dans les infrastructures, l’alimentation, la santé publique, l’agriculture et les moyens de subsistance de la population.  Or, l’analyse des contributions déterminées au niveau national (CDN) indique que les besoins de financement de l’adaptation du continent s’élèveront à près de 580 milliards de dollars entre 2020 et 2030, qui viendront exacerber les problèmes d’endettement. 

Pour créer des emplois et promouvoir une croissance inclusive, les pays africains ont donc besoin d’investissements plus durables, a encore dit M. Sinha.  Il faut revoir les chaînes de valeur pour faire en sorte que le continent devienne plus compétitif à l’échelle mondiale.  Cela passe par le renforcement de ses capacités de production à travers les chaînes de valeur régionales et le développement de la production sur la base des ressources primaires.  À cette fin, le haut fonctionnaire a plaidé en faveur d’une réforme des politiques fiscales, commerciales et industrielles, tout en évitant la réglementation excessive. Selon lui, la transformation numérique, l’amélioration des compétences et une protection sociale étendue, en particulier à l’intention des personnes vulnérables, sont autant de moyens de remédier à la situation. 

Au nom du Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), M. RODRIGO MARTINEZ, Chargé principal des affaires sociales de la Division du développement social de la CEPALC, a expliqué que la Commission contribue aux processus décisionnels des États de la région en matière de politique sociale, par le biais de la coopération technique dans la conception de politiques et de programmes sociaux, ainsi qu’au renforcement de leurs capacités institutionnelles.  Elle concentre son activité sur la pauvreté, les inégalités et la protection sociale, en particulier dans les domaines de l’éducation, la santé, les retraites, l’inclusion au travail et les institutions sociales.  Ces dernières années, la CEPALC a mené des projets de recherche et de coopération technique avec diverses organisations de coopération régionale et internationale, notamment concernant la stratification et les classes sociales, les investissements et les dépenses sociales, le travail des enfants, la sécurité alimentaire, l’inclusion numérique et la cohésion sociale. 

La Conférence régionale sur le développement social de l’Amérique latine et des Caraïbes s’est intéressée en particulier à la matrice des inégalités sociales, a continué M. Martinez, en analysant les axes économiques, sociaux et culturels qui structurent et reproduisent les inégalités dans la région.  Face aux catastrophes et aux inégalités, M. Martinez a souligné la nécessité d’évoluer vers des systèmes de protection sociale universels et résilients, en lien étroit avec les systèmes d’atténuation des risques de catastrophe.  Selon lui, une augmentation annuelle moyenne de 0,1% du PIB allouée aux dépenses publiques consacrées aux transferts de revenus de protection sociale non contributifs permettrait à la quasi-totalité de la population régionale d’atteindre un niveau de revenu égal ou supérieur au seuil d’extrême pauvreté en 2030.  Au cours des prochains années, la Commission compte contribuer aux politiques sociales de la région en travaillant de concert avec les États pour préparer une feuille de route en vue du Sommet social mondial de 2025 et en élargissant la vision du développement social inclusif, tout en intensifiant la coopération régionale, sous-régionale et Sud-Sud pour promouvoir des politiques sociales de qualité. 

Dialogue interactif 

L’Égypte a donné le coup d’envoi d’une brève discussion interactive, soulignant l’importance des politiques fiscales pour mobiliser davantage de ressources au niveau national.  Certaines des causes profondes peuvent être communes à de nombreux pays, mais la contextualisation doit jouer un rôle, compte tenu des besoins spécifiques de chacun, ce qui, selon la délégation égyptienne, disqualifie par principe la notion de solution unique. 

La représentante de la République islamique d’Iran a pour sa part dénoncé l’imposition de mesures coercitives unilatérales à l’encontre de certains pays, dont le sien, qui vont totalement à l’encore du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme, et compromettent le développement social des nations et la capacités des États à éliminer la pauvreté.  Son homologue de l’Union européenne a estimé que la priorité doit être accordée à la justice sociale, qui doit figurer au cœur de la réalisation des ODD. À cette fin, a-t-elle dit, l’UE promeut de manière coopérative la justice sociale dans le cadre du socle européen des droits sociaux et de son plan d’action, un ensemble de principes et de droits essentiels pour doter l’Europe du XXIe siècle de marchés du travail et de systèmes de protection sociale équitables et qui fonctionnent bien.  L’ONG Congrégation de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur s’est, elle aussi, prononcée en faveur de mesures sociales plus vigoureuses.

Forum multipartite sur le thème prioritaire: Bonnes pratiques et solutions innovantes pour promouvoir le développement social et la justice sociale. 

En mettant en lumière les obstacles systémiques et les préjugés sociétaux, la justice sociale favorise l’inclusion au sein de nos sociétés, a assuré la modératrice et Présidente du Comité des ONG sur le développement social, Mme JEAN QUINN, en donnant le coup d’envoi à la discussion. 

Pour ne laisser personne de côté, la Vice-Présidente de la Confédération syndicale internationale, Mme CATHY FEINGOLD, a jugé urgent que les gouvernements s’orientent vers un nouveau contrat social fondé sur les droits, l’égalité et le travail décent.  Cette nouvelle entente devrait selon elle s’appuyer sur six piliers, à savoir l’emploi, les droits, le salaire minimum vital, la protection sociale, l’égalité et l’inclusion.  Elle a attiré l’attention sur l’économie informelle, notant qu’un taux élevé d’informalité est un facteur majeur d’inégalités qui affecte de nombreux migrants et travailleurs domestiques, ainsi que les femmes.  Pour améliorer leurs conditions de travail et de vie de ces travailleurs, il est à ses yeux essentiel de combler les lacunes réglementaires.  C’est pourquoi les syndicats réclament qu’un milliard de travailleurs informels, représentant la moitié de l’économie informelle mondiale, soient formalisés d’ici à 2030.  Il a été démontré que les augmentations du salaire minimum légal ont un effet positif sur les moyens de subsistance des travailleurs informels, en plus d’accroître l’attractivité du marché du travail formel.  Des mécanismes transparents de reconnaissance des qualifications dans les pays d’origine et de destination sont également nécessaires pour favoriser l’accès des migrants aux emplois formels.  Pour être équitable, le financement de la protection sociale doit reposer sur une fiscalité progressive, a conclu Mme Feingold. 

Ces considérations se trouvent au centre des préoccupations du Club de Madrid, a expliqué son Président et ancien Président de la Slovénie, M. DANILO TÜRK.  Regroupement d’anciens présidents et premiers ministres démocrates du monde entiers, le Club aspire à une « société partagée », caractérisée par la cohésion sociale et l’égalité des chances.  Dans cette optique, il a souligné qu’aucun progrès ne sera possible en matière de développement social si nous n’évoluons pas d’abord vers l’égalité des sexes et la pleine conscience des considérations environnementales.  À l’issue du Dialogue politique 2023 du Club de Madrid, consacré au réexamen du développement social pour les personnes et la planète dans le cadre d’un contrat écosocial, ses membres ont appelé les gouvernements et institutions multilatérales à favoriser un environnement propice au « changement de système », fondé sur des stratégies de croissance de la main-d’œuvre et de renforcement des capacités.  Il a également préconisé de rendre la mobilisation des ressources nationales plus équitable, en donnant la priorité à l’impôt progressif sur les personnes morales et physiques, et d’établir des pactes fiscaux et financiers mondiaux équitables, par le biais notamment de l’allégement de la dette et d’une augmentation de l’aide publique au développement.  L’amélioration des stratégies de financement, la conclusion de partenariats mondiaux, le renforcement des institutions et l’inclusion de tous les acteurs sociaux doivent également être pris en compte. 

En tant qu’entités démocratiques permettant aux communautés de prendre en main leurs propres processus décisionnels, les coopératives favorisent le développement social inclusif et la justice sociale tout en aidant les États à réaliser les ODD, a fait valoir M. DOUG O’BRIEN, Président et Directeur général du National Cooperative Business Council CLUSA International (NCBA CLUSA).  Depuis longtemps, les femmes ont recours aux coopératives pour s’émanciper de la pauvreté et obtenir davantage de pouvoir au sein de leurs communautés et entreprises locales, a-t-il noté.  Ainsi, la Cooperatíva Café Timor (CCT) est devenue, depuis sa création en 1994, la plus grande coopérative du Timor oriental, établissant quelque 32 cliniques de santé rurales, ce qui en fait le plus important prestataire de soins de santé privé du pays.  Or, pour que les coopératives puissent faire progresser les ODD, elles doivent évoluer dans un environnement politique et des cadres juridiques favorables.  Grâce au financement de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), NCBA CLUSA s’efforce d’améliorer l’environnement politique avec les parties prenantes et les gouvernements du monde entier, notamment en aidant les États à actualiser leur législation en la matière. 

Si le sans-abrisme, qui concerne 216 millions de personnes dans le monde, n’est pas explicitement mentionné dans les ODD, Mme IFEYINWA OFONG, Coordonnatrice nationale des femmes dans le développement et l’environnement au sein de WorldWIDE Network Nigeria, a vu dans ce phénomène une violation des droits humains et un indicateur d’extrême pauvreté et d’exclusion sociale.  Moins visibles en raison des barrières culturelles existantes, la réalité des femmes africaines sans-abri doit néanmoins être considérée à l’intersection d’autres facteurs, à commencer par les lois et normes coutumières délétères. En Afrique subsaharienne, la pauvreté élevée entrave par exemple la capacité des femmes à louer un logement ou encore à obtenir des prêts pour lancer des petites entreprises.  À ces facteurs s’ajoutent l’insécurité, les conflits et la mauvaise gouvernance, lesquels poussent des millions d’Africains dans le sans-abrisme, a poursuivi Mme Ofong.  Pour parvenir à un avenir socialement juste, elle a prôné la mise en place de politiques de logement social inclusives et de garanties d’accès des femmes à la terre, en dépit des normes coutumières en vigueur.  Réduire la pauvreté des femmes et augmenter leurs revenus implique en outre de mettre en œuvre des politiques d’autonomisation économique inclusives, sur la base de données fiables. 

Mme SHEA GOPAUL, Représentante spéciale de l’Organisation internationale des employeurs (OIE), a souligné l’importance de créer un environnement propice à l’épanouissement des petites et moyennes entreprises (PME), lesquelles constituent l’épine dorsale des économies mondiales.  Loin de se limiter aux multinationales, le secteur privé est composé à 90% de PME, qui comptent pour 70% des emplois à travers le monde.  Ces dernières sont donc essentielles pour assurer la croissance de l’emploi et l’essor du travail décent, a insisté Mme Gopaul.  Or, l’un des plus grands problèmes auxquels se heurtent les PME, c’est la bureaucratie, ce qui conduit la plupart d’entre elles à demeurer cantonnées dans l’économie informelle.  Par ailleurs, les compétences techniques risquant de devenir obsolètes dans un délai moyen de trois ans, il est indispensable de les renouveler.  Considérant qu’un multilatéralisme inclusif est essentiel pour permettre le développement à l’international de ces PME, l’experte a indiqué que toutes les parties prenantes doivent être incluses dans les négociations, les fédérations d’employeurs comme les organisations syndicales.  Mme Gopaul a d’ailleurs annoncé que l’organisation qu’elle représentante a rejoint un forum de partenariats pour permettre aux fédérations d’employeurs et aux coordinateurs résidents de l’ONU de coopérer au niveau local. 

Dialogue interactif 

En réponse à une question de l’Institut pour une synthèse planétaire, la Vice-Présidente de la Confédération syndicale internationale a insisté sur l’importance de disposer de données qualitatives et quantitatives exhaustives permettant d’élaborer des programmes sociaux porteurs de changement. Pour ce faire, la Représentante spéciale de l’OIE a insisté sur l’importance de collecter ces données au niveau local, avant de mener des analyses spécifiques à chaque pays, un projet auquel le secteur privé est attaché. 

Pour le Président du Club de Madrid, le Sommet social mondial de 2025 sera l’occasion de partager des solutions innovantes concernant le développement social, avec la participation de l’ensemble des parties prenantes.  À cet égard, le Président et Directeur général de NCBA CLUSA a fait valoir que les entreprises qui sont contrôlées et qui bénéficient aux personnes qui les utilisent plutôt qu’à des investisseurs externes constituent un exemple de bonne gouvernance.  En définitive, a conclu la Coordonnatrice nationale de WorldWIDE Network Nigeria, dès que nous aurons compris que « la pauvreté a un visage de femme », cette question saura trouver sa réponse.

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