En cours au Siège de l'ONU

SG/SM/22427

Soudan: dans un pays « plongé dans le cauchemar », les parties belligérantes doivent immédiatement s’entendre sur une cessation des hostilités, exhorte le Secrétaire général

On trouvera, ci-après, le texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée lors de la séance du Conseil de sécurité consacrée au Soudan, à New York, aujourd’hui:

Je remercie le Conseil de me donner l’occasion d’évoquer ici la catastrophe humanitaire majeure qui frappe le Soudan.  Dix-huit mois se sont écoulés depuis que de violents affrontements ont éclaté entre les Forces armées soudanaises et les Forces d’appui rapide. 

Les souffrances s’aggravent de jour en jour, et près de 25 millions de personnes ont aujourd’hui besoin d’aide.  La population du Soudan est plongée dans le cauchemar de la violence: des milliers de civils ont été tués, et un nombre incalculable d’autres personnes sont victimes d’atrocités sans nom, notamment de viols et d’agressions sexuelles à grande échelle.  Ces derniers jours, nous avons entendu des informations choquantes faisant état de massacres et de violences sexuelles dans des villages de l’État d’Aj Jazirah, dans l’est du pays. 

Elle est aussi plongée dans le cauchemar de la faim: plus de 750 000 personnes sont en proie à une insécurité alimentaire catastrophique, et la famine s’installe dans les sites de déplacés du Darfour septentrional, tandis que des millions de personnes luttent chaque jour pour trouver de quoi s’alimenter. 

Elle est plongée dans le cauchemar de la maladie: choléra, paludisme, dengue, rougeole et rubéole se propagent rapidement.  Elle est plongée dans le cauchemar de l’effondrement des infrastructures: les systèmes de santé essentiels, les réseaux de transport, les systèmes d’assainissement et d’approvisionnement en eau, les filières de ravitaillement et la production agricole sont à l’arrêt. 

Elle est plongée dans le cauchemar des déplacements: nous assistons aujourd’hui à la plus grande crise de déplacement de population au monde, puisque plus de 11 millions de personnes ont fui depuis avril de l’année dernière, dont près de 3 millions ont gagné les pays voisins.  Elle est plongée dans le cauchemar des conditions météorologiques extrêmes: cet été, près de 600 000 personnes ont été touchées par des pluies torrentielles et des inondations.  Et une fois encore, le Soudan est en passe de sombrer dans le cauchemar des violences ethniques de masse, notamment dans le contexte de l’escalade tragique des combats à El-Fasher. 

Nous avons appelé maintes fois les deux parties à mettre fin aux hostilités et à s’asseoir à la table des négociations en vue d’apaiser les tensions. À l’heure où nous parlons, nous assistons au contraire à une escalade de l’action militaire.  Dans le même temps, des puissances extérieures jettent de l’huile sur le feu.  Ce conflit risque fortement de déstabiliser l’ensemble de la région, du Sahel à la mer Rouge en passant par la Corne de l’Afrique. 

La résolution 2736, adoptée en début d’année, a envoyé un signal fort.  Il est toutefois nécessaire d’agir sur le terrain. Dans cette résolution, le Conseil m’a demandé de formuler des recommandations en faveur de la protection des civils au Soudan, recommandations que je lui ai présentées la semaine dernière. 

Permettez-moi de souligner trois priorités essentielles.  Premièrement, les deux parties doivent immédiatement s’entendre sur une cessation des hostilités.  L’accord qui en résulterait devrait se traduire par des cessez-le-feu locaux et des pauses humanitaires, qui permettraient d’ouvrir de nouvelles pistes de dialogue et de jeter les bases d’un cessez-le-feu global. 

Dans le même temps, les efforts diplomatiques doivent être intensifiés pour, enfin, mettre un terme au conflit – notamment en soutenant la mise en œuvre des engagements pris dans la Déclaration de Djedda.  Mon Envoyé personnel, Ramtane Lamamra, travaille sans relâche à cette fin.  Il a réuni les parties à Genève en vue de trouver des moyens d’améliorer l’accès humanitaire et de renforcer la protection des civils au Soudan.  Il a également participé à la coordination des initiatives de médiation, en collaboration avec les partenaires régionaux, en particulier le Groupe de haut niveau de l’Union africaine. 

Je demande instamment au Conseil de continuer d’appuyer les travaux de mon Envoyé spécial et d’encourager l’établissement d’un dialogue efficace avec des partenaires régionaux tels que l’Union africaine, l’Autorité intergouvernementale pour le développement, la Ligue des États arabes et d’autres acteurs clés. 

Je salue l’action menée par l’Union africaine et l’IGAD en vue d’instaurer un dialogue politique ouvert à toutes les parties au Soudan, qui offrirait aux populations civiles –y compris aux femmes– une tribune importante pour plaider en faveur de la fin de la guerre et faire entendre leur voix pour un avenir pacifique et démocratique. 

Ce qui m’amène à mon deuxième point: les civils doivent être protégés.  Nous avons besoin du soutien de ce Conseil pour protéger les civils, dans le respect des droits humains et du droit international humanitaire et conformément aux engagements que les parties elles-mêmes ont pris dans la Déclaration de Djedda.  Il incombe au premier chef aux parties au conflit de garantir la protection des civils et de s’asseoir à la table des négociations. 

Je suis horrifié par la poursuite des attaques perpétrées par les Forces d’appui rapide contre des civils à El-Fasher et dans les zones environnantes, où se trouvent des sites de déplacés qui connaissent aujourd’hui une situation de famine.  Je suis également horrifié par les informations faisant état d’attaques contre les populations civiles commises par des forces affiliées aux Forces armées soudanaises à Khartoum et par les pertes civiles considérables que des frappes aériennes menées semble-t-il sans discrimination continuent de provoquer dans des zones peuplées.  Les auteurs de violations graves du droit international humanitaire doivent être amenés à répondre de leurs actes. 

Les mécanismes nationaux et internationaux de surveillance et d’enquête en matière de droits humains doivent disposer de l’espace nécessaire pour documenter ce qui se passe sur le terrain.  La société civile et les journalistes doivent pouvoir faire leur travail en toute sécurité, sans craindre de subir des persécutions ou d’être la cible d’attaques. 

Le flux direct ou indirect d’armes et de munitions vers le Soudan, qui continue d’alimenter ce conflit, doit cesser immédiatement.  Diverses voix soudanaises, des organisations de défense des droits humains et d’autres acteurs ont appelé à un renforcement des mesures —y compris sous une certaine forme de force impartiale— pour protéger les civils. Ces appels reflètent la gravité et l’urgence de la situation à laquelle sont confrontés les civils dans le pays. 

À l’heure actuelle, les conditions ne sont pas réunies pour permettre le déploiement d’une force des Nations unies chargée de protéger les civils au Soudan. Le Secrétariat est prêt à engager le dialogue avec le Conseil et d’autres parties sur l’ensemble des modalités opérationnelles qui peuvent contribuer de manière significative à la réduction de la violence et à la protection des civils.  Cela pourrait nécessiter de nouvelles approches adaptées aux circonstances difficiles du conflit.

Troisièmement, l’aide humanitaire doit pouvoir être acheminée.  Malgré les difficultés persistantes en matière d’accès et de financement, l’ONU et ses partenaires ont apporté une aide humanitaire à près de 12 millions de personnes entre janvier et septembre de cette année. Cela va de l’eau potable, des systèmes d’assainissement et des abris, aux soins de santé et à l’éducation, en passant par la nutrition d’urgence. 

Mais c’est loin d’être suffisant.  Une grande partie des personnes assistées n’ont pu recevoir de l’aide qu’une seule fois. Plusieurs régions où les besoins sont les plus urgents restent totalement inaccessibles.  Il est impératif de garantir un accès humanitaire rapide, sûr et sans entrave par toutes les voies nécessaires – au-delà des frontières et à travers les lignes de conflit.  La réouverture du poste frontière d’Adré représente une étape importante – et ce poste doit rester ouvert.  J’exhorte les parties à faire en sorte que davantage d’aide vitale puisse être acheminée vers les zones les plus démunies et par les voies les plus efficaces. 

Nous avons besoin que le personnel humanitaire puisse se déplacer dans tout le pays rapidement et en toute sécurité.  Et nous avons besoin de fonds.  Notre appel de fonds pour l’aide humanitaire —à hauteur de 2,7 milliards de dollars— n’est financé qu’à 56%, et le niveau de financement du Plan régional d’intervention en faveur des réfugiés est encore plus insuffisant.  J’exhorte les donateurs à accroître leurs contributions et assurer un financement souple. 

Dans le même temps, je rends hommage à l’héroïsme des nombreuses initiatives soudanaises visant à fournir une aide vitale et salvatrice sur le terrain.  Les plus de 700 salles d’intervention d’urgence au Soudan sont un exemple admirable d’action humanitaire de proximité.  Par leur engagement, ces femmes et ces hommes nous montrent une autre facette du Soudan – le meilleur de l’humanité, dans un pays qui endure aujourd’hui le pire.  Leur mobilisation devrait être une source d’inspiration pour nous tous.

Comme je l’ai souligné dans le rapport présenté à ce Conseil, il est temps d’agir –d’agir avec détermination– en faveur de la paix pour le peuple soudanais. 

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