SG/SM/22133

Au Conseil de sécurité, António Guterres s’alarme des liens dévastateurs entre faim et conflits, démontrés par des exemples de plus en plus nombreux

On trouvera, ci-après, le texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée lors du débat public de haut niveau du Conseil de sécurité sur les effets des changements climatiques et de l’insécurité alimentaire sur le maintien de la paix et de la sécurité internationales, à New York, aujourd’hui:

Je remercie le Gouvernement du Guyana de nous avoir réunis aujourd’hui pour examiner les effets de la crise climatique et de l’insécurité alimentaire sur la paix et la sécurité mondiales. 

Le chaos climatique et les crises alimentaires font peser des menaces de plus en plus graves sur la paix et la sécurité.  Il est donc tout à fait légitime que ces questions soient traitées par le Conseil de sécurité.  La crise alimentaire mondiale et son cortège de famines et de souffrances font vivre un véritable enfer à de nombreuses personnes parmi les plus pauvres de la planète. La crise climatique s’accélère avec une puissance meurtrière – l’année dernière a été la plus chaude jamais enregistrée.  Ces deux crises compromettent la paix. 

La famine favorise les troubles.  Au Portugal, nous avons un dicton qui dit que « quand il n’y a pas de pain à la maison, tout le monde se dispute et personne n’a raison ».  Les catastrophes climatiques et les conflits exacerbent les inégalités, mettent en péril les moyens de subsistance et obligent les populations à quitter leur foyer.  Cela peut créer des tensions, alimenter la méfiance et provoquer le mécontentement. Et la diminution des ressources et les déplacements massifs peuvent intensifier la concurrence. 

Des conflits peuvent éclater facilement lorsque les tensions sont fortes, les institutions faibles et les populations marginalisées.  Ce sont les femmes et les filles qui paient le plus lourd tribut.  Elles sont également les premières touchées lorsque la nourriture vient à manquer et que des catastrophes climatiques surviennent. 

Le climat et les conflits sont deux des principaux moteurs de la crise alimentaire mondiale.  Là où les guerres font rage, la faim prévaut – que ce soit en raison des déplacements de population, de la destruction de l’agriculture, des dommages causés aux infrastructures ou des politiques de déni délibérées. 

Dans le même temps, le chaos climatique met en péril la production alimentaire partout dans le monde.  Les inondations et les sécheresses détruisent les cultures, les changements océaniques perturbent la pêche, l’élévation du niveau de la mer dégrade les terres et les sources d’eau douce, et les variations climatiques ruinent les récoltes et favorisent l’apparition de nuisibles.  En 2022, le climat et les conflits ont été les premières causes d’insécurité alimentaire aiguë pour près de 174 millions de personnes.  Dans de nombreux cas, ces facteurs se combinent pour frapper deux fois plus durement les populations. 

Je suis consterné par les nombreux exemples illustrant le lien dévastateur qui existe entre faim et conflits dans le monde dans lequel nous vivons.  En Syrie, près de 13 millions de personnes se couchent le ventre vide après une décennie de guerre et un terrible tremblement de terre.  Au Myanmar, les conflits et l’instabilité politique ont entraîné un recul des progrès accomplis sur la voie de l’élimination de la faim.  À Gaza, personne ne mange à sa faim.  Parmi les 700 000 personnes qui souffrent le plus de la faim dans le monde, quatre sur cinq vivent sur cette minuscule bande de terre. 

Dans de nombreux endroits, les catastrophes climatiques ajoutent encore une dimension supplémentaire au problème.  Les 14 pays les plus menacés par les changements climatiques sont tous en proie à un conflit.  Treize d’entre eux font face à une crise humanitaire cette année.  En Haïti, les ouragans viennent aggraver la violence et l’anarchie pour engendrer une crise humanitaire qui touche des millions de personnes.  En Éthiopie, la sécheresse succède directement à la guerre.  On estime que près de 16 millions de personnes auront besoin d’une aide alimentaire cette année.  Les réfugiés du conflit au Soudan voisin font peser une pression supplémentaire sur des ressources déjà limitées.

Au Sahel, la hausse des températures provoque des tensions: elle entraîne l’assèchement des sources d’eau, la destruction des pâturages et la ruine des petites exploitations agricoles, composantes essentielles des économies locales. Dans un contexte d’instabilité politique durable, tout cela donne lieu à des conflits entre agriculteurs et éleveurs. 

Parallèlement à cela, le monde risque de subir une nouvelle hausse du prix des denrées alimentaires à l’heure où l’accès au canal de Panama est restreint du fait des sécheresses et où la violence se répand en mer Rouge, ce qui sème la confusion dans les chaînes d’approvisionnement.

Si nous restons les bras croisés, la situation continuera de se dégrader.  Les conflits se multiplient.  La crise climatique ne peut que dégénérer à mesure que les émissions continuent d’augmenter.  L’insécurité alimentaire aiguë s’aggrave d’année en année.  Le Programme alimentaire mondial estime que plus de 330 millions de personnes ont été touchées en 2023.  Il a également mis en garde contre une grave détérioration de la situation dans 18 « foyers de famine » au début de cette année. 

Pour éviter cette multiplication des menaces contre la paix et la sécurité internationales, nous devons intervenir.  Et agir immédiatement pour rompre les liens funestes qui existent entre les conflits, le climat et l’insécurité alimentaire. 

Premièrement, toutes les parties à tous les conflits doivent respecter le droit international humanitaire.  Bien trop souvent, elles ne le font pas.  La résolution 2417 (2018) du Conseil de sécurité sur la protection des civils en période de conflit armé est claire: les biens essentiels à la survie des civils doivent être protégés.  Affamer des civils peut constituer un crime de guerre.  Et le personnel humanitaire doit pouvoir accéder librement aux civils dans le besoin.  Le Conseil de sécurité a un rôle essentiel à jouer pour ce qui est d’exiger le respect de cette résolution et d’amener ceux qui enfreignent ses dispositions à rendre des comptes. 

Deuxièmement, nous devons financer intégralement les opérations humanitaires afin d’éviter que les catastrophes et les conflits n’exacerbent encore la faim. L’an dernier, les opérations humanitaires ont été financées à moins de 40%.  Environ le tiers des fonds destinés à ces opérations a été préaffecté à la lutte contre l’insécurité alimentaire. 

Troisièmement, nous devons créer les conditions nécessaires au règlement des conflits et à la préservation de la paix, au sein des pays et entre eux.  L’exclusion, les inégalités et la pauvreté augmentent le risque de conflit.  La solution consiste à redoubler d’ardeur sur la voie de la réalisation des objectifs de développement durable, notamment de l’objectif visant à éliminer la faim. 

Nous devons investir massivement dans une transformation juste qui favorise des systèmes alimentaires sains, équitables et durables.  Les gouvernements, les entreprises et les sociétés doivent travailler de concert pour faire en sorte que ces systèmes deviennent une réalité. Aujourd’hui, nous constatons une disparité choquante entre la répartition des ressources et les besoins: au niveau mondial, près d’un tiers des denrées alimentaires sont gaspillées, alors que des centaines de millions de personnes se couchent chaque soir le ventre vide.  La consommation, la production et la distribution des denrées alimentaires sont responsables d’environ un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre. 

Nous devons mettre en place des systèmes alimentaires qui nourrissent l’humanité sans détruire la planète.  Cela signifie qu’il faut faire converger l’action climatique et la transformation des systèmes alimentaires, comme je l’ai demandé en juillet dernier à l’occasion du bilan à l’échelle des Nations Unies sur la transformation des systèmes alimentaires, afin de contribuer à garantir le développement durable et des moyens de subsistance décents et à assurer la bonne santé de l’humanité et de la planète. Pour ce faire, nous devons travailler main dans la main et faire participer toutes les populations –notamment les femmes, les jeunes et les communautés marginalisées– à la prise de décisions. 

Nous devons également mettre en place et financer des systèmes de protection sociale afin de protéger les moyens de subsistance et de garantir un accès minimum aux services et aux ressources.  Et nous devons renforcer et renouveler les cadres relatifs à la paix et à la sécurité mondiales. 

Il est essentiel que nous tirions le meilleur parti du Sommet de l’avenir qui se tiendra plus tard dans l’année, au cours duquel les États Membres examineront le Nouvel Agenda pour la paix.  Cet instrument présente une vision globale de la paix dans un monde en constante évolution, fondée sur la prévention et le droit international et ancrée dans les droits humains.  En outre, il tient compte des liens qui existent entre le développement durable, l’action climatique et la paix. 

Quatrièmement, nous devons maîtriser la crise climatique afin de limiter la hausse de la température mondiale à 1,5 degré Celsius.  Parce qu’agir pour le climat, c’est agir pour la sécurité alimentaire et agir pour la paix. 

Les nations du G20 doivent montrer la voie en direction de l’abandon progressif et juste des combustibles fossiles à l’échelle mondiale, conformément au principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux contextes nationaux différents.  D’ici à 2025, tous les pays doivent élaborer de nouveaux plans d’action nationaux pour le climat, ou fixer de nouvelles contributions déterminées au niveau national, en faisant preuve d’ambition et en veillant à être en phase avec la limite de 1,5 degré. 

Nous devons également nous pencher sérieusement sur la question de l’adaptation: il faut que chaque personne sur terre soit protégée par un dispositif d’alerte rapide d’ici à 2027, et que les alertes rapides donnent lieu à des interventions rapides; et il faut financer l’adaptation comme il se doit. 

Les pays développés doivent préciser de quelle manière ils prévoient d’honorer leur promesse d’allouer 40 milliards de dollars par an au financement de l’adaptation d’ici à 2025.  Ils doivent aussi expliquer comment le déficit de financement sera comblé.  Nous avons également besoin de contributions substantielles au nouveau fonds pour les pertes et les préjudices, établi à la COP28.  Et nous devons aider les institutions locales à prendre l’initiative de réduire les risques de catastrophe dans leur région. 

Cinquièmement, nous devons agir en matière de financement.  La réalisation des objectifs de développement durable représente sans conteste le meilleur moyen de prévenir les conflits.  Mais cela demande des investissements.  Aujourd’hui, accablés par la crise du coût de la vie et des niveaux d’endettement insoutenables, de nombreux pays en développement ne peuvent tout simplement pas se permettre d’investir dans l’action climatique, dans des systèmes alimentaires résilients ou d’autres priorités en matière de développement durable. 

J’ai proposé un plan de relance des objectifs de développement durable –à hauteur de 500 milliards de dollars par an– pour un financement abordable et à long terme du développement durable et de l’action climatique.  Pour cela, il faut prendre des mesures urgentes en matière de dette – en accordant du répit aux pays qui devront faire face à des remboursements écrasants au cours des trois prochaines années. 

Il faut également recapitaliser les banques multilatérales de développement et changer leurs modèles économiques afin de leur permettre de mobiliser bien plus de financements privés à un coût raisonnable pour les pays en développement.

Dans le même temps, les pays en développement doivent donner la priorité aux dépenses relatives à la réalisation des objectifs de développement durable.  Il est affligeant de voir des gouvernements dépenser sans compter dans l’armement, tout en réduisant en peau de chagrin les budgets consacrés à la sécurité alimentaire, à l’action climatique et au développement durable en général. 

Enfin, nous devons cibler les points de convergence entre l’insécurité alimentaire, le climat et les conflits.  Nous devons créer des partenariats, des politiques publiques et des programmes qui permettent de répondre à ces enjeux de façon simultanée.  Par exemple, en prenant en compte les risques climatiques et la sécurité alimentaire dans la consolidation de la paix, ou en investissant dans des programmes d’adaptation climatique qui aident les populations à gérer les ressources communes. 

Le Mécanisme de sécurité climatique des Nations Unies a été conçu pour prendre en compte les liens entre le climat, la paix et la sécurité dans notre travail. L’initiative Convergence a été lancée l’année dernière pour aider les pays à associer l’action climatique et la transformation des systèmes alimentaires. 

Nous devons également veiller à ce que le financement de l’action climatique atteigne les personnes et les lieux en proie à des conflits.  Le Fonds pour la consolidation de la paix peut servir de catalyseur afin de mobiliser d’autres partenaires et faire de cette ambition une réalité.  Et je demande au Conseil de sécurité de réfléchir à la meilleure façon de faire face aux menaces interdépendantes sur le climat, la sécurité alimentaire et la paix et la sécurité internationales. 

Le message est clair: nous pouvons briser le lien funeste qui existe entre la faim, le chaos climatique et les conflits.  Et conjurer la menace que ces calamités font peser sur la paix et la sécurité internationales.  Il est temps d’agir pour y parvenir et pour bâtir un avenir vivable et durable, dans lequel l’humanité sera débarrassée de la faim et du fléau de la guerre.

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