Conseil de sécurité: le point sur la situation en Libye
(Le résumé complet de la réunion sera disponible ultérieurement.)
Ce matin, le Conseil de sécurité examine la situation en Libye. Parmi les développements positifs signalés par le Secrétaire général dans son dernier rapport en date, on note le règlement de la crise de la Banque centrale et le succès des élections municipales, même si celles-ci ne « ne doivent pas être considérées comme un substitut aux élections nationales retardées depuis trop longtemps ». Le Secrétaire général se félicite en outre du soutien apporté par les autorités aux réfugiés soudanais, à Koufra et ailleurs dans le pays.
Il s’inquiète par ailleurs de la lutte prolongée pour le pouvoir au sein du Haut Conseil d’État, ainsi que du différend actuel entre la Chambre des représentants et la Cour suprême concernant les décisions sur les questions constitutionnelles. Autre question préoccupante: les violations généralisées et persistantes du droit international, notamment du droit international des droits de l’homme, commises par les acteurs de la sécurité.
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LA SITUATION EN LIBYE (S/2024/895)
Exposés
Mme STEPHANIE KOURY, Représentante spéciale adjointe du Secrétaire général chargée des affaires politiques et responsable de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL), a félicité le peuple libyen pour la tenue, le 16 novembre dernier, d’élections locales dans 58 municipalités du pays, avant celles qui se tiendront dans 60 autres le mois prochain. Par ailleurs, elle a jugé « intenable » le statu quo en Libye qui a toujours des structures parallèles et qui est encore morcelé du fait de l’impasse politique. Il est grand temps d’installer des institutions robustes, a-t-elle lancé, regrettant que les efforts de réconciliation nationale soient entravés par les dissensions politiques et la concurrence entre factions armées pour le contrôle des ressources et des territoires.
« Hier soir, j’ai présenté au peuple libyen un plan proposé par la MANUL pour sortir de l’impasse grâce à des élections nationales et la mise en place d’institutions légitimes. » Ce plan entend préserver la stabilité sur le terrain, a expliqué Mme Koury en souhaitant que les Libyens se l’approprient. Elle a précisé que le processus est appuyé par une approche graduelle et que les initiatives proposées pourront être ajustées par le prochain représentant spécial. Ce plan devrait entraîner la mise en place d’un comité consultatif chargé de tabler sur les questions en suspens et de préparer des élections nationales, a-t-elle encore informé, arguant que le cadre actuel ne semble pas approprié pour arriver à ces fins. Ce comité consultatif, qui devra établir une feuille de route, sera composé d’experts libyens représentant tous les groupes de la mosaïque sociale libyenne. Le Comité consultatif ne devrait pas prendre de décisions mais présenter des options pour les décideurs libyens, a encore précisé la Représentante spéciale adjointe.
Elle a ensuite salué, deux mois et demi après la crise de la nomination des responsables de la Banque centrale de Libye, la mise en place d’un nouveau conseil d’administration dont la priorité immédiate est d’appuyer les efforts de stabilisation de l’économie du pays.
Mme Koury s’est ensuite insurgée contre la poursuite des arrestations et détentions arbitraires, demandant que la MANUL ait accès à tous les centres de détention. Elle a déploré le décès de détenus et a souhaité que les responsables rendent des comptes. La situation de la protection des droits humains des réfugiés soudanais est également une préoccupation pour l’ONU, a-t-elle communiqué.
« Globalement, les armes se sont tues, mais il n’y pas de véritable paix ni de sécurité en Libye. » Rappelant l’implication des forces étrangères et les difficultés économiques que traverse le pays, Mme Koury a appelé la communauté internationale à aider la Libye à avancer vers la voie de la gouvernance démocratique. Elle a relevé que les processus politiques facilités par l’ONU nécessitent de la volonté politique et un engagement de la part des acteurs libyens. Elle a donc appelé ceux-ci à ne pas mener d’actions unilatérales susceptibles d’augmenter la polarisation. Le peuple libyen a démontré non seulement qu’il souhaitait le changement, mais aussi qu’il pouvait faire des compromis et tenir des élections, a-t-elle constaté. Selon elle, ce peuple a besoin du soutien uni du Conseil de sécurité pour avancer.
Le représentant du Japon, intervenant en sa qualité de Président sortant du Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1970 (2011) concernant la Libye (Comité 1970), a présenté les nouveaux développements entre le 10 octobre 2024 et aujourd’hui. Le Comité s’est réuni deux fois en consultations informelles et a mené des travaux supplémentaires en utilisant la procédure de silence, dans le but de faciliter la mise en œuvre des mesures de sanctions, a-t-il indiqué.
Lors des consultations informelles du 12 décembre, le Comité a rencontré, à sa demande, une délégation de l’Autorité libyenne d’investissement (Libyan Investment Authority), une entité inscrite sur sa liste, pour aborder les questions relatives au gel des avoirs, avec la participation également du représentant de la Libye. Lors des consultations informelles précédentes, le 5 décembre, le Comité a entendu un exposé du Groupe d’experts sur son rapport final présenté conformément à la résolution 2701 (2023). Le Comité était également saisi d’informations communiquées par le Groupe d’experts sur les individus qui répondent aux critères de désignation des sanctions. Le rapport final du Groupe d’experts a été soumis le 13 décembre au Conseil. Les membres du Comité examinent actuellement les recommandations que lui a adressées le Groupe d’experts en vue d’y donner suite éventuellement.
En ce qui concerne le gel des avoirs, aucune décision négative n’a été prise par le Comité concernant six notifications soumises par Bahreïn. Le Comité examine actuellement trois notifications d’exemption supplémentaires, deux de Bahreïn et une du Luxembourg. Il examine également des informations supplémentaires, fournies par Bahreïn, sur deux notifications précédemment soumises par ce pays ainsi qu’une demande de transfert de certains avoirs gelés d’une juridiction à une autre. De plus, il a répondu à une notification de la Belgique.
Le Comité est actuellement saisi d’une lettre de l’Autorité libyenne d’investissement sur l’état des notifications d’exemption de gel des avoirs, ainsi que d’une lettre de la Libye sur la correspondance du Comité. En outre, il poursuit l’examen d’une demande de radiation reçue par l’intermédiaire du point focal pour la radiation des listes créé par à la résolution 1730 (2006).
En ce qui concerne l’embargo sur les armes, le Comité a reçu un rapport sur l’inspection d’un navire menée par l’opération militaire de l’Union européenne en Méditerranée (opération IRINI) soumis conformément aux résolutions 2292 (2016) et 2733 (2024). Un membre du Comité a exprimé des opinions divergentes sur la question. Le Comité a également reçu un rapport sur une tentative d’inspection de navire par l’opération IRINI.
M. ALI OMAR, Directeur de Libya Crimes Watch, s’est présenté comme un militant libyen, défenseur des droits humains et ancien prisonnier d’opinion. S’exprimant depuis son lieu d’exil, il a indiqué que l’organisation qu’il dirige se consacre depuis plus de cinq ans à la surveillance et à la documentation des violations des droits humains en Libye. Depuis le début de cette année, a-t-il dit, Libya Crimes Watch a documenté 281 violations graves des droits humains perpétrées par les autorités de l’est et de l’ouest de la Libye: des cas de torture dans les prisons, des arrestations arbitraires, des disparitions forcées et des exécutions extrajudiciaires. Il s’agit selon lui d’actes « systématiques et récurrents », perpétrés et supervisés par des agences de sécurité et des groupes militaires affiliés à toutes les parties au conflit, notamment les forces armées libyennes, le Gouvernement d’unité nationale, le gouvernement approuvé par la Chambre des représentants dans l’est du pays et le Conseil présidentiel libyen.
Qualifiant de « phénomène dangereux et permanent » les prisons et les centres de détention non officiels, l’intervenant a expliqué que, dans ces lieux, « la dignité humaine est bafouée et les individus sont traités comme de simples numéros sans valeur ». En novembre 2023, Libya Crimes Watch a ainsi documenté la mort sous la torture de plusieurs détenus dans un centre de détention non officiel à Benghazi, dont une femme et deux adeptes de la secte soufie, l’une des minorités religieuses soumises à des violations systématiques depuis des années.
M. Omar a également souligné la répression systématique et l’intimidation continue auxquelles continue d’être confrontée la société civile en Libye. Rien que cette année, Libya Crimes Watch a documenté l’arrestation de plus de 50 militants, femmes et hommes, par les agences de sécurité et militaires dans l’est et l’ouest du pays sur la base d’accusations justifiées par des lois répressives telles que la loi anti-cybercriminalité, a-t-il relevé, ajoutant que de nombreux militants ont été contraints de fuir et d’opérer en exil. « À ce jour, la liberté d’expression en Libye reste un crime », a déploré le militant, avant de faire état de l’arrestation de manifestants qui exprimaient leur soutien à l’ancien régime ou qui dénonçaient la corruption et la négligence à l’origine de l’effondrement catastrophique des barrages de Derna en septembre 2023.
Alors que le Conseil de sécurité a donné mandat à la MANUL de superviser les élections, M. Omar a insisté sur la nécessité de garantir un environnement sûr et propice à ce scrutin, ce qui implique de protéger le droit à la liberté d’expression et l’implication de tous les groupes de la société. Il a toutefois souhaité que la responsabilité prime sur le processus électoral car « aucun processus politique ne peut réussir lorsque la justice est entravée et que l’impunité règne ». À cette aune, il a exhorté le Conseil à agir pour mettre fin au conflit prolongé et à la division politique en Libye, réclamant la création d’un mécanisme international indépendant pour enquêter sur les violations et demander des comptes aux auteurs. En outre, il a demandé au Conseil de renforcer le mandat de la MANUL en mettant davantage l’accent sur la protection des droits humains et la surveillance des violations. Il l’a enfin appelé à faire pression sur les autorités libyennes et toutes les parties au conflit pour qu’elles cessent les violations et les crimes internationaux en cours, protègent la société civile et mettent un terme aux campagnes de répression contre les défenseurs des droits humains et les militants.