Afghanistan: au Conseil de sécurité, la Représentante spéciale souligne la volonté des Taliban de dialoguer
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En dépit de la reconnaissance que l’Afghanistan ne pourra atteindre la stabilité et la paix tant que les violations des droits humains persisteront, la Représentante spéciale et Cheffe de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) a tenu à mettre l’accent, au Conseil de sécurité ce matin, sur la volonté des autorités de facto à maintenir le dialogue sur la totalité des défis auxquels elles font face depuis leur retour au pouvoir, il y a trois ans. Les contacts avec les Taliban doivent être liés au dialogue sur les droits humains et à l’élaboration d’une feuille de route politique, comme le prévoit la résolution 2721 (2023), ont rappelé les États-Unis, tandis que la Fédération de Russie a insisté sur l’aide humanitaire insuffisante pour l’Afghanistan.
Si Mme Roza Otunbayeva a présenté le rapport du Secrétaire général sur la situation en Afghanistan en livrant les faits les plus préoccupants -les restrictions frappant les femmes et les filles s’additionnent pour former, d’après le délégué afghan, un véritable « apartheid de genre »-, elle a demandé au Conseil de tenir compte de la volonté réelle de dialoguer des Taliban. Le sort toujours plus inacceptable des femmes afghanes, souligné également par la société civile, l’insécurité que font peser la production et le commerce de la drogue et les groupes terroristes installés dans le pays, qu’a rappelée le Président du comité relatif au régime de sanctions contre l’Afghanistan, et la situation humanitaire critique décrite par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), n’ont donc pas été occultés.
Néanmoins Mme Otunbayeva l’a dit: cette volonté de communiquer doit être prise au pied de la lettre, le but visé étant la réintégration du pays dans le concert des nations. « Il faut empêcher que l’Afghanistan ne sombre dans l’isolement, ou pire, qu’il bascule de nouveau dans le conflit », a-t-elle averti, rappelant le rôle que joue chaque jour à cette fin la Mission à travers les réunions qu’elle organise sur le terrain et celles instaurées par l’ONU dans le cadre du processus de Doha. La Représentante spéciale s’est ainsi dite encouragée par un fait marquant: la participation de l’Agence nationale de protection de l’environnement des autorités de facto à la COP 29 à Bakou. Elle a fait remarquer à ce propos que les réserves naturelles d’eau de Kaboul, qui compte plus de 5 millions d’habitants, pourraient être épuisées dès 2030. « L’Agence est consciente de ce défi qui pourrait avoir les conséquences les plus graves pour la vie des femmes et des enfants. »
La nécessité de maintenir le dialogue, de privilégier une approche patiente et pragmatique au-delà des condamnations, a donné lieu aux déclarations les plus contrastées, de la part en particulier des membres permanents. Des membres non permanents du Conseil ont signalé les contributions qu’ils s’efforcent d’apporter pour financer un plan d’aide humanitaire piloté par l’OCHA, qui doit bénéficier à près de 24 millions d’Afghans. De leur côté, les pays de l’Asie centrale ont partagé leurs expériences en tant que partenaires économiques et voisins de bonne volonté de l’Afghanistan.
La Fédération de Russie et la Chine ont salué les efforts de rapprochement de la MANUA, laquelle signale « à juste titre » la volonté du « gouvernement intérimaire » de nouer des contacts réguliers avec ses services. En outre, pour ces deux pays, rien de ce qui doit être octroyé à l’Afghanistan en termes d’aide humanitaire ou de coopération technique internationales ne doit être soumis à des conditions impossibles à réunir, et il conviendrait de lever sans délais les sanctions « illégales » prises unilatéralement par certains pays. Sur ce dernier point, la Chine a estimé vital de sortir l’Afghanistan de l’isolement bancaire, isolement organisé par les États-Unis d’après la Russie et qui place le pays au bord du précipice économique.
« Comment l’Afghanistan pourrait-il retrouver la voie de la prospérité sans argent? » a demandé le représentant russe, qui a de plus accusé les bailleurs de fonds occidentaux d’honorer de manière si sélective leurs engagements que le Plan d’aide humanitaire de l’ONU demeure dramatiquement sous-financé. « La pression et le chantage ne mènent à rien », a-t-il clamé, répétant que l’approche punitive des Occidentaux, qui ont laissé derrière eux d’immenses quantités d’armes susceptibles de tomber entre les mains des groupes terroristes, empêche l’Afghanistan d’être un tant soit peu autonome et maître de son destin.
Pour leur part, les États-Unis, qui ont accusé les Taliban d’« effacer les femmes de la vie publique afghane », la France et le Royaume-Uni ont suggéré, à l’instar du Secrétaire général de l’ONU dans son rapport, que la loi sur la propagation de la vertu et la prévention du vice, promulguée peu après les réunions organisées à Doha du 30 juin au 2 juillet, avait rendu très difficile l’instauration d’un dialogue constructif entre les autorités de facto et la communauté internationale. Dans ce contexte, ces pays ont insisté sur la nécessité d’une réciprocité des Taliban.
À Doha, a dit la France, nous nous sommes réunis, nous avons échangé nos vues, nous avons écouté toutes les parties prenantes, y compris les Taliban, mais ces derniers n’ont fait preuve d’aucun progrès pour répondre à nos attentes et ils multiplient les provocations. « Les Taliban doivent démontrer des progrès significatifs dans le respect des obligations internationales de l’Afghanistan en matière de droits humains, d’inclusion politique et de lutte contre le terrorisme », a ajouté la délégation britannique.
Au représentant de l’Afghanistan à l’ONU, qui a réclamé l’inclusion aux discussions de Doha des forces démocratiques, des acteurs de la société civile et des femmes dirigeantes, les États-Unis ont assuré vouloir, avec leurs partenaires humanitaires, continuer de fournir une aide essentielle tout en incitant le pouvoir afghan à changer de cap. Si des contacts bilatéraux ont été noués, ils sont difficiles à justifier compte tenu de la profondeur des divergences sur les droits humains, a néanmoins reconnu la déléguée américaine. C’est pourquoi, elle a insisté sur le fait que tout contact établi avec les Taliban doit être lié au dialogue sur ces droits et à l’élaboration d’une feuille de route politique, comme le prévoit la résolution 2721 (2023) du Conseil de sécurité. « On ne peut permettre aux Taliban de dicter leurs conditions », a-t-elle encore martelé.
Les bailleurs de fonds occidentaux pointés du doigt par la Russie, comme la France et le Royaume-Uni, ont indiqué avoir versé, respectivement et au cours des trois dernières années, 160 millions d’euros et 200 millions de dollars d’aide humanitaire au bénéfice direct de la population afghane. De son côté, le Japon a déclaré avoir fourni, en octobre, plus de 7 millions de dollars d’aide par l’intermédiaire d’ONU-Habitat à environ 160 000 personnes vulnérables résidant dans les provinces de Kaboul et de Hérat. Par ailleurs, la composante « droits humains » de la MANUA étant essentielle pour documenter les violations, contribuer à garantir la responsabilité et préserver la dignité, la Suisse a fait savoir qu’elle a contribué à hauteur de plus de 2 millions de dollars pour soutenir ce travail « crucial ».
Pour leur part, les pays d’Asie centrale ayant pris la parole ont mis en avant l’appui qu’ils apportent à l’intégration économique régionale de l’Afghanistan, un appui, qui, comme l’a dit le Kazakhstan, « profite non seulement au pays mais aussi à la région et à la communauté internationale ». Relier le pays aux systèmes internationaux de commerce, de transport, de logistique et d’énergie est essentiel, a-t-il dit, car l’essor économique afghan ne peut qu’ouvrir la voie à des avancées politiques.
Le Kirghizistan a dit participer activement au processus de Doha, avant d’avancer que tant que durera l’isolement de l’Afghanistan, les perspectives de croissance économique resteront limitées. Aussi le représentant a-t-il plaidé pour le déblocage des avoirs afghans. C’est également ce qu’a souhaité l’Iran, son délégué appelant à supprimer les sanctions qui entravent le redressement économique de l’Afghanistan. En matière de sécurité, Iran et Pakistan ont exhorté d’une voix les autorités de facto à lutter efficacement contre les groupes terroristes. Enfin, l’Inde a défendu son bilan humanitaire en Afghanistan, demandant à ce propos aux donateurs et acteurs internationaux du secteur de continuer de faire de l’Afghanistan « une priorité mondiale partagée ».
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LA SITUATION EN AFGHANISTAN (S/2024/876)
Exposés
La Représentante spéciale du Secrétaire général et Cheffe de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA), Mme ROZA OTUNBAYEVA, a noté que, depuis son dernier exposé en septembre, les autorités de facto ont continué d’imposer des restrictions sans précédent aux femmes et aux filles. Cela fait maintenant près de 1 200 jours que les filles n’ont pas accès à l’éducation au-delà de la sixième, a-t-elle dit. Ajoutant qu’au début du mois, les Taliban ont annoncé que les étudiantes seraient bientôt interdites de fréquenter les instituts de médecine et les cours d’enseignement supérieur, elle a jugé que si cette mesure était pleinement mise en œuvre, elle aurait pour conséquence dramatique de priver le pays d’un système de santé efficace et ouvert à tous. J’ai vivement exhorté les autorités de facto à reconsidérer leur décision, a-t-elle indiqué.
Sur la question sanitaire, Mme Otunbayeva a également révélé que la ségrégation toujours plus stricte des femmes dans les activités commerciales a pour effet délétère tant de limiter l’accès à leurs moyens de subsistance que d’affecter leur santé mentale, ce qui a de graves conséquences pour leur famille, en particulier pour les enfants.
Après avoir rappelé l’instabilité politique et l’insécurité qui continuent de régner en Afghanistan, elle a assuré que la MANUA maintient « dans ce contexte compliqué et difficile » l’approche cohérente qui est la sienne: montrer au peuple afghan et à leurs dirigeants les avantages de la réintégration de leur pays dans la communauté internationale . C’est ce que la MANUA et d’autres entités du système des Nations Unies en Afghanistan s’efforcent de faire chaque jour, notamment par le biais de réunions des envoyés spéciaux avec les autorités de facto sur la lutte antidrogue, les droits humains ou encore la microfinance, a-t-elle dit aux membres du Conseil.
En ce qui concerne les questions climatiques et environnementales, Mme Otunbayeva s’est dite encouragée par le fait que des membres de l’Agence nationale de protection de l’environnement des autorités de facto aient participé en tant qu’observateurs à la COP 29 à Bakou. Les réserves naturelles d’eau de Kaboul, qui compte plus de 5 millions d’habitants, pourraient être épuisées dès 2030, et l’Agence nationale est consciente de ce défi qui pourrait avoir les conséquences les plus graves pour la vie des femmes et des enfants, a-t-elle ajouté.
Pour la Représentante spéciale, le Conseil de sécurité doit tenir compte du fait qu’en dépit du manque de confiance tout à fait fondé qu’inspirent les Taliban au reste du monde extérieur et des pressions internes, il existe de leur part une volonté réelle de discuter avec l’ONU et ses partenaires. Aussi a-t-elle estimé important que cette volonté de communiquer soit prise au pied de la lettre, le but visé étant à terme la réintégration du pays dans le concert des nations. « Il faut empêcher que l’Afghanistan ne sombre dans l’isolement, ou pire, qu’elle bascule de nouveau dans le conflit », a-t-elle averti, rappelant enfin que partout dans le pays les gens demandent à l’ONU de maintenir le dialogue avec les autorités de facto pour que leur quotidien s’améliore.
M. THOMAS FLETCHER, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, a constaté que l’Afghanistan reste aux prises avec une crise humanitaire d’une ampleur alarmante. L’économie est extrêmement fragile, près de la moitié de la population vit dans la pauvreté et les événements climatiques extrêmes de cette année ont fait perdre leur bétail, leurs récoltes et leurs maisons à des milliers d’Afghans. Dans ce contexte, plus de 33% de la population n’a pas accès aux services de santé, un Afghan sur trois souffre d’insécurité alimentaire et les taux de malnutrition continuent d’augmenter, a-t-il alerté, ajoutant que le retour continu d’Afghans –plus d’un million cette année– des pays voisins exerce une pression supplémentaire sur des services déjà surchargés. Au total, la moitié de la population a besoin d’aide, ce qui fait de l’Afghanistan la deuxième plus grande crise humanitaire au monde, après le Soudan, a-t-il signalé.
Faisant état d’informations selon lesquelles les autorités de facto ont interdit aux femmes afghanes de fréquenter les instituts médicaux et de passer leurs examens de fin de semestre, M. Fletcher a rappelé qu’il s’agissait du dernier secteur dans lequel les femmes afghanes pouvaient encore poursuivre des études supérieures. Il a averti que cette directive pourrait empêcher plus de 36 000 sage-femmes et 2 800 infirmières d’entrer sur le marché du travail dans les prochaines années, avec un risque de forte augmentation des taux de mortalité prénatale, néonatale et maternelle dans un pays où un tiers des femmes accouchent déjà sans assistance médicale professionnelle et où des complications maternelles évitables coûtent la vie à une femme toutes les deux heures. Cette « nouvelle inquiétante » fait suite à la promulgation, en août, de la loi sur la « promotion de la vertu et la prévention du vice », a-t-il indiqué, notant que, depuis l’adoption de cette législation, la proportion des travailleuses humanitaires afghanes déclarant avoir été empêchées de se rendre au travail est passée de 22 à 47% entre septembre et décembre. De même, la proportion des organisations humanitaires signalant que leur personnel, homme ou femme, a été contrôlé par la police des mœurs est passée de 18 à 40%.
Malgré ces défis, l’ONU et ses partenaires humanitaires ont apporté cette année une aide vitale à près de 18 millions de personnes à travers le pays, dont 5,1 millions de femmes et 8,3 millions d’enfants, a souligné le Secrétaire général adjoint, regrettant toutefois que le sous-financement de l’assistance humanitaire ait forcé la fermeture de centaines de centres médicaux, privant 3 millions d’Afghans de soins de santé. Selon lui, près de 6 millions de personnes ont perdu leurs distributions mensuelles de nourriture depuis mai et la taille des rations de beaucoup d’autres a dû être réduite de 50%. De plus, les tentatives des autorités de facto d’interférer dans la programmation de l’aide continuent de saper les opérations et de retarder la livraison de l’aide. Face à ces difficultés, l’exception humanitaire prévue par la résolution 2615 (2021) continue de jouer un rôle essentiel pour faciliter les dépenses et les paiements nécessaires à la fourniture de l’aide humanitaire, a expliqué M. Fletcher. Depuis le 15 août 2021, la résolution a facilité l’octroi d’environ 6,7 milliards de dollars d’aide humanitaire et de 3,2 milliards de dollars pour répondre aux besoins humains fondamentaux. Elle a ainsi contribué à une réduction de 14% de l’insécurité alimentaire, de 21% de la morbidité due aux maladies diarrhéiques et de 41% des victimes civiles grâce aux interventions de déminage.
Pour faire une différence significative, la résolution doit s’accompagner d’une fourniture humanitaire importante, a plaidé le Secrétaire général adjoint, non sans rappeler que 2,4 milliards de dollars seront nécessaires en 2025. Il a également appelé à un soutien international pour réduire l’interférence de l’aide et les mesures restrictives, en particulier celles visant les femmes. Enfin, il a souligné l’importance des investissements dans l’agriculture, les soins de santé et les services de base vitaux. « Dans cette période difficile, nous devons continuer à soutenir les Afghans, par solidarité internationale et par humanité », a-t-il conclu.
Le Président du Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1988 (2011), relative au régime de sanctions contre l’Afghanistan, M. ANDRÉS MONTALVO SOSA, de l’ Équateur, se référant au quinzième rapport de l’Équipe de surveillance du Comité, a souligné que trois ans après la prise de pouvoir par les Taliban, et bien que la situation sécuritaire se soit améliorée dans le pays et que les incidents violents aient largement diminué, les États Membres continuent d’exprimer leur inquiétude quant au fait que l’Afghanistan demeure une source d’insécurité pour l’Asie centrale et au-delà. M. Sosa a noté qu’en effet les Taliban continuent de tolérer la présence sur le territoire afghan de groupes terroristes, notamment l’EIIL-Province du Khorassan, qui profitent de la situation pour s’approvisionner en armes et installer de véritables bases opérationnelles. En outre, a-t-il poursuivi, les États Membres qui ont participé au rapport de l’Équipe de surveillance estiment que même si les Taliban semblent avoir réussi à contenir Al-Qaida, cette organisation poursuit ses activités dans ce qu’elle continue de considérer comme un véritable refuge.
En ce qui concerne la production et le commerce de drogues, le rapport indique qu’ils demeurent les principales activités économiques illicites en Afghanistan, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) signalant une augmentation de près de 20% de celles-ci et un élargissement en 2024 de la culture du pavot dans le nord-est. En outre, toujours selon le rapport de l’Équipe de surveillance, certains personnages clefs du régime des Taliban restent impliqués dans la production et le commerce de drogues, tandis que les agriculteurs afghans ont du mal à opter pour d’autres cultures.
Après avoir rappelé que les restrictions imposées aux femmes afghanes travaillant pour l’ONU et les ONG restent en vigueur -un nouveau décret ayant cette année restreint encore davantage le droit des femmes à la liberté de mouvement et de participation à la vie publique- M. Sosa a indiqué qu’en 2024, son comité avait approuvé, dans l’unique but de permettre l’atteinte d’objectifs humanitaires, 24 exemptions d’interdiction de voyager dans 8 pays à des Taliban inscrits sur la Liste.
Concluant son exposé, M. Sosa a souligné l’importance d’une coopération et d’un partage d’informations soutenus entre les États Membres et l’Équipe de surveillance, cette dernière dépendant, pour son bon fonctionnement et l’application des sanctions, des sources externes d’information qui lui sont fournies conformément aux résolutions 2255 (2015) et 2716 (2023).
Mme ROYA MAHBOOB, Directrice générale et cofondatrice du Digital Citizen Fund, a déclaré se tenir devant le Conseil de sécurité en tant que participante à la lutte contre la dérive de son pays vers l’apartheid sexuel. Témoin de l’arrivée au pouvoir des Taliban en 1996, elle a dit avoir vu le savoir et la liberté se réduire en cendres. « Ce moment a marqué le début de cinq années de ténèbres pour moi et ma famille », a-t-elle raconté, se souvenant d’un pays « pris au piège d’un régime oppressif qui nous refusait l’éducation, réduisait les femmes au silence et nous appauvrissait ». Après la chute du régime taliban en 2001, a poursuivi l’intervenante, les femmes ont obtenu le droit à l’éducation et au travail, obtenant ainsi la possibilité de contribuer à la société au-delà du foyer. Elles sont devenues médecins, ingénieures, décideuses politiques et entrepreneuses. Pour sa part, Mme Mahboob a étudié l’informatique, lancé une entreprise et dirigé une équipe de robotique qui a construit des respirateurs et des systèmes de désinfection par UV pendant la pandémie.
Aujourd’hui, trois ans après le retour des Taliban aux commandes de l’Afghanistan, 60% de la population afghane a moins de 25 ans, mais 1,4 million de filles ne sont pas scolarisées, a dénoncé l’intervenante, pour qui les autorités de facto « mènent une guerre civile contre les femmes et, ce faisant, mettent en péril la sécurité nationale, régionale et mondiale ». Constatant que son pays est désormais gouverné par « un groupe d’hommes obsédés par la question de savoir si les femmes devraient être autorisées à aller dans un parc ou à avoir un salon de beauté plutôt que de se soucier de la manière de résoudre le problème de la faim et du sans-abrisme du peuple afghan », elle a fait observer que, selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), les restrictions imposées aux moyens de subsistance des femmes ont coûté à l’Afghanistan jusqu’à un milliard de dollars rien que l’année dernière, à une époque où 85% des Afghans vivent avec moins d’un dollar par jour.
À cause des Taliban, près de la moitié des femmes employées ont perdu leur emploi, a expliqué l’intervenante. De nombreuses femmes sont désormais obligées de mendier, mais les Taliban ont également interdit cette pratique, jetant les femmes en prison, où elles sont violées et maltraitées. En outre, les difficultés économiques et l’interdiction de l’école ont entraîné une augmentation de 25% des mariages d’enfants, tandis que les risques de mortalité maternelle ont augmenté de 50%. Alors que la violence domestique s’aggrave, presque toutes les filles et les femmes souffrent de dépression, d’anxiété et d’isolement. Leur pouvoir de décision au sein du foyer diminue et les décès et tentatives de suicide continuent d’augmenter. Pour la représentante, cette oppression systématique des femmes et des filles afghanes, cette entrave à leur plein développement, ces préjudices corporels et mentaux, et cette privation de leurs droits et libertés fondamentales relèvent de l’apartheid sexuel.
En excluant les femmes du marché du travail et de l’éducation, a-t-elle ajouté, les Taliban paralysent l’économie afghane, ce qui constitue en soi un risque pour la sécurité, car les communautés désespérées deviennent plus vulnérables à l’exploitation par les réseaux criminels et les groupes extrémistes qui opèrent au-delà des frontières. « Ils ne font pas que nuire aux femmes, ils créent également un environnement où les enfants et les jeunes risquent de se radicaliser ». Face à cette situation où la crise économique et la pensée patriarcale sont exploitées par des groupes extrémistes que les Taliban « combattent, protègent ou tolèrent », « l’éducation est la solution », a souligné la représentante, expliquant avoir lancé le Digital Citizen Fund pour enseigner à des milliers d’étudiants le codage, la littératie financière et les sciences, avant de créer l’Afghan Girls Robotics Team, où des filles âgées de 12 à 18 ans ont appris la robotique et ont concouru à l’échelle mondiale.
Celle qui rêvait d’une nation « définie par le progrès et le potentiel » a demandé aux membres du Conseil de penser aux effets cumulés des interdictions imposées par les Taliban. Elle les a aussi exhortés à réfléchir au message qu’ils envoient lorsqu’ils rencontrent les Taliban à Doha en l’absence des femmes et de la société civile. « Vous les aidez, vous aidez l’apartheid sexuel. » La représentante a donc appelé le Conseil et l’Assemblée générale de l’ONU à soutenir la création d’un tribunal spécial chargé d’enquêter sur les crimes commis par les Taliban et de rendre justice aux victimes de violences sexistes et de violations des droits humains. Elle leur a aussi demandé de conditionner tout engagement des Taliban à des progrès concrets en matière de droits des femmes, notamment une participation significative –et non symbolique– des femmes afghanes et de la société civile aux forums politiques. Il faut investir dans l’éducation clandestine et à distance, les bourses internationales, les plateformes d’apprentissage en ligne et les entreprises dirigées par des femmes, a-t-elle plaidé, appelant le Conseil à se tenir aux côtés des femmes et des filles afghanes contre l’apartheid de genre.