Conseil de sécurité: la RDC et le Rwanda se rejettent la responsabilité des crises sécuritaire et humanitaire dans les provinces congolaises orientales
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La situation au cours du mois écoulé en République démocratique du Congo (RDC) a continué d’être marquée par des tensions politiques et une insécurité persistante dans l’est de son territoire, a indiqué la Représentante spéciale du Secrétaire général pour ce pays, venue s’exprimer ce matin au Conseil de sécurité, à une semaine du renouvellement du mandat de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO), qu’elle dirige.
Mme Bintou Keita a salué les efforts du Gouvernement congolais qui, un an après les élections, a engagé des réformes de gouvernance en vue d’améliorer le pouvoir d’achat et de renforcer l’accès aux services sociaux de base et les appareils sécuritaires et de défense, tout en consolidant le système judiciaire et en promouvant une gestion saine des deniers publics et des ressources naturelles abondantes. Elle s’est dite toutefois inquiète des tensions suscitées par une possible révision de la Constitution congolaise, appelant les parties prenantes à faire preuve de coopération.
Dégradation de la situation sécuritaire en Ituri et au Nord-Kivu
La haute fonctionnaire s’est surtout attardée sur la crise sécuritaire qui secoue les provinces orientales de l’Ituri et du Nord Kivu, où le groupe rebelle armé M23, non signataire de l’accord de cessez-le-feu, a étendu son occupation civile et militaire. « Aujourd’hui, il contrôle un espace deux fois plus grand que celui occupé en 2012 », a constaté Mme Keita. Toutefois, ce sont les Forces démocratiques alliées (ADF) qui restent le groupe armé le plus meurtrier, a-t-elle dit, avec des centaines de civils tués à leur actif ces derniers mois. Et en Ituri, même si le nombre d’attaques visant les civils lancées par la CODECO et le groupe Zaïre ont diminué, la protection des civils reste le défi prioritaire auquel fait face le pays.
Mme Passy Mubalama, la fondatrice d’Action et initiatives de développement pour la protection de la femme et de l’enfant (AIDPROFEN), a confirmé « l’horreur quotidienne » que vivent les populations, en particulier les femmes et les enfants déplacés de guerre. Si elle a mis en cause l’appui logistique, financier et militaire extérieur, en particulier de la part du Rwanda, dont bénéficie le M23, elle a cependant jugé que la MONUSCO a démontré ses limites. « Si pendant plus de 20 ans, elle n’a pu contribuer à l’instauration de la paix et à la protection des populations civiles en RDC, que pouvons-nous encore en attendre? » s’est demandé l’activiste.
La Mission protège à l’heure actuelle près de 100 000 personnes déplacées, a fait valoir la Représentante spéciale, mais pour qu’elle puisse mieux s’acquitter de ses obligations, ses Casques bleus doivent bénéficier d’une liberté de mouvement totale et tous les acteurs sécuritaires coopérer avec elle. « Au Nord-Kivu, les activités de “spoofing” et de brouillage GPS doivent cesser immédiatement », a tranché la haute fonctionnaire, suivie sur ce point par plusieurs membres du Conseil, notamment la Slovénie et la Suisse, laquelle s’est également émue des campagnes de désinformation visant la MONUSCO. Au nom des A3+ (Algérie, Mozambique, Sierra Leone et Guyana), la Sierra Leone a exhorté toutes les parties à ne pas interférer avec le mandat de la Mission, blâmant l’appui apporté par les acteurs extérieurs aux groupes armés.
Pour la Ministre congolaise des affaires étrangères, cette situation résulte de la présence illégale sur le territoire de son pays de plus de 4 000 membres des Forces de défense rwandaises (RDF), qui mènent des offensives avec le soutien du M23. Au-delà des attaques meurtrières, Mme Thérèse Kayikwamba Wagner a dénoncé les déplacements prémédités de populations qui, combinés à la « nomination illégitime » d’autorités coutumières et territoriales imposées par le M23, traduisent, selon elle, une volonté claire de redessiner la composition démographique des territoires sous leur contrôle. « Ces pratiques, qui s’apparentent à une épuration ethnique, visent à établir un contrôle durable, tout en sapant les structures sociales et culturelles existantes et en exacerbant les tensions locales », a expliqué Mme Wagner.
Relance du processus de Luanda
La relance du processus de Luanda, une médiation engagée sous l’égide du Président de l’Angola, M. João Lourenço, mandaté par l’Union africaine pour aider à résoudre la crise diplomatique entre la RDC et le Rwanda, a été saluée à plusieurs reprises ce matin, notamment par la délégation angolaise qui a annoncé la tenue, le 15 décembre, d’un sommet tripartite Angola-Rwanda-RDC dans le but d’accélérer les efforts de stabilisation pour la paix dans l’est de la RDC. De son côté, Mme Keita a rappelé que le 5 novembre, le mécanisme de vérification ad hoc renforcé, mandaté pour surveiller le cessez-le-feu entré en vigueur le 4 août, avait été opérationnalisé à Goma. Composé de 18 experts angolais et de 3 experts congolais et rwandais, respectivement, ce mécanisme représentait une étape clef dans la concrétisation des engagements pris, a reconnu Mme Wagner. « Or, depuis sa création, les experts rwandais n’ont jamais assumé leurs fonctions. Cela fait donc 34 jours que le fonctionnement de ce mécanisme est entravé, ce qui met en doute la volonté du Rwanda de respecter ses engagements », a-t-elle déploré.
« Dépassons les discours simplistes et traitons des causes profondes », a rétorqué le représentant rwandais, qui a contesté que le M23 serait la cause majeure du conflit. Le problème de fond, a-t-il avancé, c’est la marginalisation de certaines minorités, notamment les Congolais tutsis, visés par des « discours de haine ». Jugeant erronée l’analyse de certains membres du Conseil, qui encourageraient ce faisant l’« intransigeance » du Gouvernement congolais, le délégué a déclaré que le rapport du Secrétaire général passe sous silence le fait que la paix prévaudrait davantage dans les zones sous contrôle du M23. Les FDLR, une milice composée d’anciens responsables du génocide des Tutsis au Rwanda, sont une préoccupation sécuritaire légitime pour le Rwanda, a-t-il souligné.
La question des ressources naturelles
« Le Rwanda n’est pas et ne sera jamais le gendarme de la région des Grands Lacs », a rétorqué Mme Wagner, en accusant les forces rwandaises d’avoir perpétré des massacres et des attaques visant les forces de la MONUSCO et de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et de se livrer au pillage des ressources naturelles de son pays, des faits documentés dans les rapports des Nations Unies. « Je le dis avec force, l’appréciation du Rwanda sur nos défis internes ne lui donne aucun droit d’intervenir en RDC. »
À l’argument qui voudrait que le M23 représente des communautés marginalisées, la Ministre congolaise a répondu par une question « simple »: depuis quand des massacres, des déplacements forcés et la réorganisation démographique de territoires sont-ils des moyens légitimes de répondre à des revendications ethniques ou sociales? La vérité, c’est que le M23 ne défend aucune cause, ni minorité, a-t-elle balayé, il cherche à contrôler les ressources de la RDC et à affaiblir sa souveraineté.
Trop souvent encore, « la carte des violences s’aligne sur celle des ressources naturelles », a d’ailleurs fait observer la Représentante spéciale, qui a signalé qu’au Nord-Kivu, à la suite de son offensive vers Pinga fin octobre, le M23 a pris le contrôle du gisement aurifère de Lubira. Aussi a-t-elle encouragé les pays de la région des Grands Lacs à coordonner leur lutte contre l’exploitation illicite des ressources naturelles et à renforcer les mécanismes de traçabilité pour affaiblir les groupes armés.
Affirmant que son pays recèle lui aussi de nombreux minerais, le représentant rwandais a dénoncé pour sa part les « récits trompeurs de l’exploitation minérale », qui ne serviraient qu’à détourner l’attention de la communauté internationale des causes réelles du conflit.
Le renouvellement du mandat de la MONUSCO
Tandis que les États-Unis ont demandé au Rwanda de retirer ses troupes du territoire congolais et de cesser son appui au M23, la France a estimé qu’il revient désormais aux parties de parachever la mise en œuvre de leurs engagements: « la neutralisation des FDLR pour la République démocratique du Congo, et le retrait de ses forces hors du territoire congolais pour le Rwanda ». Dans ce contexte sous haute tension entre les deux pays frontaliers, le Conseil de sécurité devra examiner dans les prochains jours la prorogation du mandat de la MONUSCO, dans la perspective aussi de son « retrait progressif, responsable et durable » à la fin de 2024, a ajouté la délégation.
Les membres du Conseil se sont tous dits conscients des enjeux, la Fédération de Russie jugeant inacceptable qu’un tel retrait soit « précipité », sous peine de créer un « vide sécuritaire », une inquiétude partagée par la Chine. Pour les États-Unis, désireux eux aussi d’éviter une telle situation, les autorités congolaises doivent transmettre tous les éléments d’information quant au rythme du retrait de la Mission. « La confusion et l’ambiguïté engendrent la désinformation, semant ainsi les graines de la discorde populaire, voire de la violence à l’encontre des soldats de la paix », a mis en garde la représentante américaine.
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LA SITUATION CONCERNANT LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
Rapport du Secrétaire général sur la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (S/2024/863)
Exposés
Mme BINTOU KEITA, Représentante spéciale du Secrétaire général pour la République démocratique du Congo (RDC), a noté que la période à l’examen a été marquée par des tensions politiques autour des appels à la révision de la Constitution, et par une insécurité persistante et croissante au Nord-Kivu et en Ituri, notamment en raison des activités des Forces démocratiques alliées (ADF), du M23, de la CODECO et du groupe Zaïre.
Près d’un an après les élections de 2023, et conformément à son programme d’action, le Gouvernement congolais a engagé des réformes de gouvernance pour améliorer le pouvoir d’achat, renforcer l’accès aux services sociaux de base et les appareils sécuritaires et de défense, consolider le système judiciaire et promouvoir une gestion saine des fonds publics et des ressources naturelles. Reste que la situation sécuritaire en Ituri et au Nord-Kivu est préoccupante. Le M23, non signataire de l’accord de cessez-le-feu, a consolidé son occupation civile et militaire au Nord-Kivu. Aujourd’hui, il contrôle un espace deux fois plus grand que celui occupé en 2012. Mais les ADF restent le groupe armé le plus meurtrier, avec des centaines de civils tués, ces derniers mois. En Ituri, même si le nombre d’attaques de la CODECO et des Zaïre, visant les civils, ont diminué ces trois derniers mois, la protection des civils reste un défi et une priorité absolue, a reconnu Mme Keita.
Dans cet environnement complexe, la MONUSCO protège environ 100 000 déplacés, mais afin de pouvoir mieux faire son travail, ses Casques bleus doivent avoir une pleine liberté de mouvement et tous les acteurs sécuritaires maintenir une coordination constructive avec la Mission. « Au Nord-Kivu, pour la sûreté et la sécurité des civils et des Casques bleus, les activités de ‘spoofing’ et de brouillage GPS doivent cesser immédiatement », a tranché la Représentante spéciale. Trop souvent encore, a-t-elle observé, « la carte des violences s’aligne avec celle des ressources naturelles ». Ainsi, au Nord-Kivu, à la suite de son offensive vers Pinga, fin octobre, le M23 a pris le contrôle du gisement aurifère de Lubira. Aussi la Représentante spéciale a-t-elle encouragé les pays de la région des Grands Lacs à coordonner leur lutte contre l’exploitation illicite des ressources naturelles, et à renforcer les mécanismes de traçabilité pour affaiblir les groupes armés.
Signalant que l’insécurité continue d’aggraver de manière alarmante la situation humanitaire, elle a indiqué que selon l’OCHA, près de 6,4 millions de personnes sont actuellement déplacées en raison de conflits armés et de catastrophes naturelles dans le pays. Elle a toutefois fait valoir un point positif: début décembre, le Plan de réponse humanitaire de 2024 était financé à hauteur de 50,2%, avec 1,28 milliard de dollars décaissés sur 2,6 milliards, soit une amélioration significative par rapport au financement total de 940 millions reçu en 2023. Nos partenaires humanitaires ont donc été en mesure de fournir une assistance vitale à 5,8 millions de personnes entre janvier et octobre 2024, s’est-elle félicitée. Mais les chiffres concernant les violences sexistes et l’exploitation sexuelle restent « effroyables », a reconnu Mme Keita, avec plus de 90 000 cas recensés depuis le début de l’année, dont 39 000 dans le seul Nord-Kivu.
Le Conseil de sécurité, a poursuivi Mme Keita, se prépare à formuler le nouveau mandat de la MONUSCO, lequel donne actuellement la priorité au soutien à la protection des civils ainsi qu’aux processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) et de réforme du secteur de la sécurité (RSS). S’appuyant sur les leçons tirées du Sud-Kivu, le Gouvernement congolais et la MONUSCO travaillent conjointement sur une approche de désengagement adaptée à la dynamique de sécurité territoriale et aux besoins de protection des civils.
Encouragée par l’engagement du Gouvernement congolais à fournir 30 millions de dollars sur les 57 millions nécessaires à la mise en œuvre de la première année du plan de transition au Sud-Kivu, la Représentante spéciale a cependant exhorté la RDC et ses partenaires à éviter les déficits de financement et à accélérer le renforcement des institutions. Enfin, a-t-elle constaté, la signature la semaine dernière du nouveau Plan-cadre de coopération des Nations Unies pour le développement durable pour la période 2025-2029 contribuera également à la reconfiguration de la présence de l’ONU en RDC, dans le contexte du désengagement de la MONUSCO. Mme Keita a encouragé les États Membres à apporter leur plein soutien à sa mise en œuvre.
Mme PASSY MUBALAMA, fondatrice d’Action et initiatives de développement pour la protection de la femme et de l’enfant (AIDPROFEN), a dit prendre la parole, non seulement comme directrice d’une organisation et d’une radio qui donne la voix aux femmes en RDC, mais aussi comme témoin direct de l’horreur quotidienne que vivent les populations, en particulier les femmes et les enfants déplacés de guerre. Elle a notamment raconté l’histoire de Zawadi, une maman de neuf enfants, mais qui ne connaît pas le père de son huitième enfant. « Elle a été violée, pendant qu’elle fuyait les affrontements lors de la guerre du M23 dans le territoire de Rutshuru. » Une autre femme déplacée dans le camp de Lushagala a, elle, été violée par des hommes armés, qui ont pointé une arme sur la tête de son mari, devant sa famille, son mari et ses enfants.
Le M23, bien que présenté comme un groupe rebelle local, bénéficie d’un appui logistique, financier et militaire extérieur, en particulier de la part du Rwanda, a-t-elle affirmé. Elle a rappelé que les 4 000 membres des Forces armées rwandaises se trouvant sur le sol congolais justifient leur présence par la traque des éléments des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). « Mais comment justifier une aussi forte présence militaire dans un autre pays membre de l’ONU? »
Elle a par ailleurs jugé évident que la MONUSCO a démontré ses limites dans le rétablissement de la paix en RDC. « Si pendant plus de 20 ans, elle n’a pas pu contribuer à l’instauration de la paix et à la protection des populations civiles en RDC, que pouvons-nous encore attendre de cette force? » Le maintien actuellement de cette force au Nord-Kivu avec son mandat actuel ne répond pas efficacement à la menace qui pèse sur les populations civiles de cette zone, a estimé Mme Mubalama.
Enfin, elle a appelé à lutter contre l’impunité, notamment en soutenant les enquêtes internationales sur les violations des droits humains et les crimes de guerre commis par le M23, et à exercer une pression diplomatique sur le Rwanda pour qu’il cesse tout soutien à ce groupe et s’engage sincèrement dans les efforts de paix.
Ce que nous vivons dans l’est du Congo est une blessure ouverte sur la conscience du monde, a-t-elle affirmé.