Conseil de sécurité: sommée à nouveau de coopérer avec l’OIAC, la Syrie dénonce la « manipulation politique » du dossier sur ses armes chimiques
(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)
Le dernier rapport de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), transmis au Conseil de sécurité le 26 novembre, témoigne une fois de plus de l’absence de progrès véritable vers l’élimination du programme syrien d’armes chimiques. C’est en ces termes que le Japon a résumé, ce matin, le constat d’une majorité de membres du Conseil, à la suite de l’exposé mensuel de la Haute-Représentante pour les affaires de désarmement sur les dernières avancées du dossier relatif à l’utilisation présumée d’armes chimiques en République arabe syrienne.
Venue faire le point sur l’état de la mise en œuvre de la résolution 2118 (2013) du Conseil, relative à l’élimination du programme d’armes chimiques de la République arabe syrienne, Mme Izumi Nakamitsu a souligné que la pleine coopération de la Syrie avec le Secrétariat technique de l’OIAC est essentielle pour résoudre les questions encore en suspens. « Compte tenu des lacunes, des incohérences et des divergences identifiées et non résolues, le Secrétariat technique estime que la déclaration soumise par la Syrie ne peut toujours pas être considérée comme exacte et complète au regard de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques », a-t-elle déclaré, avant d’inviter une nouvelle fois les autorités syriennes à coopérer et à répondre d’urgence aux demandes qui lui sont faites.
Des questions portant sur de grandes quantités d’agents de guerre chimique
Mme Nakamitsu a rappelé qu’à ce jour, l’Équipe d’évaluation des déclarations de l’OIAC a identifié 26 questions en suspens, dont 19 irrésolues, parmi lesquelles celles récemment ouvertes concernant le développement et la production à grande échelle d’armes chimiques dans deux installations qui avaient été déclarées précédemment comme n’ayant jamais été en activité. Ces questions sont d’autant plus « préoccupantes » qu’elles concernent de grandes quantités d’agents de guerre chimique et de munitions dont le sort ne peut être entièrement vérifié par l’OIAC. Elles portent également sur des quantités potentiellement importantes d’agents de guerre chimique dont la production n’a pas été déclarée par la Syrie au Secrétariat technique de l’OIAC.
En réponse, la Syrie a assuré s’être acquittée de toutes ses obligations au titre de la Convention à laquelle elle a adhéré il y a plus de 11 ans. Elle a aussi réaffirmé son engagement à poursuivre sa coopération avec l’OIAC et son Secrétariat technique. À ce titre, la délégation syrienne a mentionné les trois derniers rapports mensuels soumis par l’autorité nationale syrienne, les éléments d’information et les explications scientifiques fournis au sujet des échantillons prélevés par l’Équipe d’évaluation des déclarations en mai dernier, ainsi que l’appui technique apporté à l’équipe d’inspection de l’OIAC qui s’est rendue dans des installations du Centre d’études et de recherches scientifiques. Sur cette base, elle a demandé qu’il soit mis fin à toute « manipulation politique » de ce dossier.
Sur cette même ligne, la Fédération de Russie a regretté que le Secrétariat technique de l’OIAC « continue docilement d’exécuter l’ordre occidental de dénigrer la Syrie » en promouvant des « thèses éculées » sur le prétendu non-respect par Damas de ses obligations au titre de la Convention sur les armes chimiques. On ne peut ignorer le fait que les Syriens continuent à coopérer de bonne foi avec l’OIAC, a argué la délégation. Un avis partagé par les membres africains du Conseil (Algérie, Mozambique, Sierra Léone), qui se sont félicités d’une « coopération fructueuse », tout en encourageant les parties à poursuivre sur cette voie pour clore le dossier de manière durable.
Elle aussi favorable à cette coopération, la Chine a cependant invité l’OIAC à la neutralité, l’appelant à veiller à ce que ses enquêtes garantissent la viabilité des preuves et la crédibilité de ses conclusions afin de préserver la nature technique de ses travaux.
La Syrie appelée à fournir des réponses plausibles et vérifiables
Ces arguments ont été battus en brèche par plusieurs autres membres du Conseil. Après 28 cycles de consultations entre l’Équipe d’évaluation des déclarations et l’autorité nationale syrienne, les questions en suspens ne portent pas sur des points de forme ou de procédure, a insisté la France. Si la Syrie veut retrouver ses droits et privilèges en tant qu’État partie à la Convention, elle doit fournir des réponses vérifiables et scientifiquement plausibles, tout en remplissant ses obligations vis-à-vis des résolutions de ce Conseil, a plaidé la Suisse.
Replaçant le dossier des armes chimiques syriennes dans le contexte de l’escalade en cours dans le nord-ouest de la Syrie, le Royaume-Uni a, pour sa part, relevé que, d’après des enquêtes internationales indépendantes, la Syrie aurait utilisé ce type d’armes au moins à 38 reprises depuis 2013. « Alors que les tensions restent vives au Moyen-Orient, les armes chimiques non déclarées de la Syrie représentent un risque inacceptable. » Dans la même veine, les États-Unis ont martelé que le programme d’armes chimiques de la Syrie n’est pas « une relique du passé » mais bien une menace pour la paix et la sécurité internationales. « Il ne peut pas y avoir d’impunité pour ceux qui utilisent ces armes », ont-ils fait valoir.
À son tour, la Türkiye, invitée par le Conseil, a déploré que Damas persiste à ne pas fournir un compte rendu complet et transparent de son programme d’armes chimiques. Au-delà des réponses attendues aux questions en suspens, elle a souhaité que l’élimination des armes chimiques syriennes s’accompagne d’un engagement réel à faire avancer le processus politique dans le pays.
Preuves irréfutables sur l’emploi d’armes chimiques
Dans ce climat tendu, la Fédération de Russie et la Syrie ont toutes deux critiqué le choix des intervenants de la société civile effectué par la présidence américaine du Conseil, y compris lors des deux dernières séances qui portaient sur la Syrie et sur les conséquences de la guerre en Ukraine sur les enfants. La délégation russe a dénoncé les interventions de « propagandistes », qui n’apportent rien au débat et « transforment le Conseil en cirque ».
Cette prise de position n’a pas empêché le Directeur général du Centre de documentation des violations chimiques de la Syrie de s’exprimer ce matin devant le Conseil. Il a indiqué que son organisme a recensé pas moins de 20 occurrences d’emploi d’armes chimiques en Syrie, pour un bilan évalué à plus de 14 000 morts parmi les civils. Les preuves sur l’utilisation d’armes chimiques sont selon lui irréfutables. « Nous avons identifié les responsables et reconstitué la chaîne de commandement », a-t-il souligné, indiquant que l’objectif poursuivi par le Centre de documentation est de garantir les droits des victimes et de renforcer les capacités des États parties à mettre en œuvre la Convention sur les armes chimiques.
Alors que le monde a célébré, voilà cinq jours, la Journée annuelle du souvenir dédiée à toutes les victimes de la guerre chimique, Mme Nakamitsu a appelé la communauté internationale à réaffirmer son engagement en faveur de la Convention, à mettre fin à l’impunité et à respecter l’engagement du Pacte pour l’avenir en faveur d’un monde exempt de telles armes. Elle a aussi exhorté les membres du Conseil de sécurité à s’unir et à faire preuve de leadership en démontrant que toute utilisation d’armes chimiques est inacceptable.
NOUVEAU - Suivez la couverture des réunions en direct sur notre LIVE
LA SITUATION AU MOYEN-ORIENT (S/2024/861)
Exposés
Mme IZUMI NAKAMITSU, Haute-Représentante pour les affaires de désarmement, a fait le point sur l’état de la mise en œuvre de la résolution 2118 (2013) du Conseil de sécurité, relative à l’élimination du programme d’armes chimiques de la République arabe syrienne, depuis son dernier exposé en date du mois dernier. L’Équipe d’évaluation des déclarations de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) a poursuivi ses efforts pour clarifier toutes les questions en suspens concernant la déclaration initiale et les déclarations ultérieures soumises par Damas. Le vingt-huitième cycle de consultations et de réunions techniques entre l’Équipe d’évaluation des déclarations et l’autorité nationale syrienne a eu lieu entre le 10 et le 18 septembre 2024, a indiqué la haute fonctionnaire de l’ONU. À la date du présent rapport, l’Équipe continue d’analyser les informations recueillies à cette occasion à partir des documents soumis par l’autorité nationale syrienne. Par une note verbale du 11 novembre 2024, l’autorité nationale syrienne a fourni des explications sur les résultats de l’analyse des échantillons prélevés en mai 2024, que l’Équipe examine actuellement. Par une autre note verbale datée du 1er novembre 2024, l’Équipe d’évaluation a demandé à l’autorité nationale syrienne d’identifier au plus tôt, parmi les plus de 1 000 pages d’informations soumises lors du vingt-huitième cycle de consultations, les éléments en rapport avec les explications qu’elle avait fournies, afin de progresser dans la résolution des questions en suspens, une demande à laquelle le Secrétariat technique de l’OIAC n’a pas reçu de réponse au moment de la rédaction du dernier rapport.
Mme Nakamitsu a rappelé qu’à ce jour, l’Équipe d’évaluation a identifié 26 questions en suspens concernant la déclaration de la Syrie, dont 19 irrésolues. Il s’agit notamment de celles récemment ouvertes concernant le développement et la production à grande échelle d’armes chimiques, potentiellement non déclarés, dans deux installations qui avaient été déclarées précédemment comme n’ayant jamais été en activité. La substance des 19 questions en suspens reste « très préoccupante », a concédé Mme Nakamitsu, parce qu’elles concernent de grandes quantités d’agents de guerre chimique et de munitions qui auraient été détruites ou consommées d’une autre manière avant l’adhésion de la Syrie à la Convention sur les armes chimiques, a expliqué la Haute-Représentante, et dont le sort ne peut être entièrement vérifié par l’OIAC. Il s’agit également de quantités potentiellement importantes d’agents de guerre chimique dont la production n’a pas été déclarée par la Syrie au Secrétariat technique de l’OIAC. La haute fonctionnaire a dit attendre le rapport du Secrétariat technique sur les inspections des installations de Barzé et Jamrayé du Centre d’études et de recherches scientifiques, qui ont eu lieu du 12 au 20 novembre 2024.
Après avoir assuré à nouveau que le Secrétariat technique reste pleinement engagé à vérifier le respect par la Syrie de ses obligations en vertu de la Convention, des décisions des organes de l’OIAC et des résolutions du Conseil de sécurité, Mme Nakamitsu a souligné que la pleine coopération de la Syrie avec le Secrétariat technique est essentielle pour résoudre toutes les questions en suspens. Compte tenu des lacunes, des incohérences et des divergences identifiées et non résolues, le Secrétariat technique estime que la déclaration soumise par la Syrie ne peut toujours pas être considérée comme exacte et complète au regard de la Convention sur les armes chimiques. Elle l’a donc invitée à coopérer avec le Secrétariat technique et à répondre d’urgence à toutes ses demandes.
Alors que le monde a célébré la Journée annuelle du souvenir dédiée à toutes les victimes de la guerre chimique la semaine dernière, la Haute-Représentante a appelé la communauté internationale à réaffirmer son engagement en faveur de la Convention, à mettre fin à l’impunité et à respecter l’engagement du Pacte pour l’avenir en faveur d’un monde exempt de telles armes. Elle a enfin exhorté les membres du Conseil de sécurité à s’unir et à faire preuve de leadership en démontrant que toute utilisation d’armes chimiques est inacceptable.
M. NIDAL SHIKHANI, Directeur général du Centre de documentation des violations chimiques de la Syrie, a dénoncé le terrifiant usage d’armes chimiques en République arabe syrienne, qui a plongé les habitants du pays dans un « enfer » et entraîné un « conflit politique et juridique » qui empêche d’éliminer totalement des arsenaux représentant toujours un péril de taille pour la paix et la sécurité internationales. Selon l’intervenant, plus de 20 occurrences d’emploi d’armes ont été recensées par le Centre. Il a également fait état de la mort de plus de 14 000 civils et rappelé les malformations à la naissance et les traumatismes psychologiques engendrés par ces armes, avant de saluer les efforts de l’OIAC depuis le début de sa mission en Syrie. Les preuves sur l’utilisation d’armes chimiques sont selon lui irréfutables. « Nous avons identifié les responsables et reconstitué la chaîne de commandement », a-t-il souligné, indiquant que l’objectif poursuivi par son organisme est de garantir les droits des victimes et de renforcer les capacités des États parties à mettre en œuvre la Convention sur les armes chimiques.
M. Shikhani a précisé qu’à la suite de l’adoption par le Conseil de la résolution 2118 (2013) sur l’élimination des arsenaux d’armes chimiques de la Syrie et la destruction de ses stocks, du chlore a été utilisé à plusieurs reprises et dans plusieurs lieux pendant cinq ans. Cet emploi, a-t-il dit, coïncidait avec les stocks déclarés de la Syrie. Accusant les autorités syriennes de manipuler l’OIAC et de faire preuve d’obstruction, il a estimé que leur déclaration ne peut être considérée comme exacte et complète. À ses yeux, l’opacité entourant les stocks syriens exige une action internationale urgente et ferme afin de garantir que le monde soit exempt d’armes de destruction massive. Pour l’intervenant, il importe également que les pays qui appuient le « régime syrien terroriste » cessent de le protéger. Il faut appliquer le principe de responsabilité et mettre un terme à l’impunité, a-t-il plaidé, appelant à la création d’une entité internationale indépendante et impartiale pour faire rendre des comptes aux auteurs de ces violations.