9789e séance – matin
CS/15905

Libye: le Procureur de la Cour pénale internationale demande l’aide du Conseil de sécurité pour l’arrestation des suspects dans les atrocités de Tarhouna

(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)

En présentant ce matin son vingt-huitième rapport sur les activités de son Bureau en Libye, le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), M. Karim Khan, a demandé l’aide du Conseil de sécurité pour l’arrestation des six suspects en lien avec le charnier de Tarhouna (ouest du pays), qui ne se trouvent pas dans le pays.  Il s’est par ailleurs félicité de la collaboration existant entre ses services et les autorités libyennes pour mettre en œuvre la résolution 1970 (2011), par laquelle le Conseil avait saisi la Cour de la situation régnant dans le pays depuis le 15 février 2011.

Grâce aux activités de traçage de son Bureau, en lien avec celui du Procureur général de Libye, un certain nombre d’individus soupçonnés d’avoir commis des atrocités à Tarhouna ont été localisés, a précisé M. Khan.

« Nous avons des mandats; il nous faut maintenant des procès », a martelé le Procureur, qui s’exprimait depuis Tripoli, où il effectuait son deuxième déplacement depuis son entrée en fonctions.  Le Procureur a expliqué s’être entretenu aujourd’hui avec les pères, les mères et les frères des victimes.  Il s’agit de donner enfin aux familles l’occasion de présenter leur témoignage devant un tribunal, a-t-il insisté. 

La CPI doit généraliser ces mandats d’arrêts et contacter les États qui hébergent ces suspects, membres du groupe armé Kaniyat, pour qu’ils coopèrent et « restituent ces suspects aux autorités libyennes », a exigé pour sa part le représentant libyen, estimant qu’il y va de la responsabilité de la branche judiciaire de son pays et de la compétence nationale.  De fait, a-t-il fait valoir, « nos enquêteurs ont été capables de mener des enquêtes sur ces crimes » commis sur le territoire national. 

« Nous encourageons ceux qui ont des informations sur la localisation de ces suspects à travailler avec les autorités libyennes et la CPI » pour qu’ils soient traduits en justice, a appuyé la délégation américaine.  Le moment est venu de rompre le cycle d’impunité, a ajouté le représentant américain.

Pour les États-Unis, qui ne sont pas parties au Statut de Rome de la CPI, la Cour « n’est pas une institution parfaite », mais ils entendent continuer de coopérer avec elle dans le dossier libyen.  Elle doit donc être soutenue dans les années à venir.  Les États-Unis ont en outre demandé aux autorités libyennes de veiller à ce que ceux qui font l’objet de mandats d’arrêt délivrés par la CPI, y compris parmi les anciens responsables du « régime Kadhafi », aient à rendre des comptes.

La CPI n’a rien fait pour trouver les coupables de l’assassinat de M. Kadhafi ni pour punir les militaires occidentaux responsables de la mort de nombreux civils libyens, a rétorqué la Fédération de Russie, déniant le droit au « pseudo-procureur », par ailleurs sous enquête pour « harcèlement sexuel », de juger des événements qui ne font pas partie de ceux ayant commencé en 2011 et qui sont constitutifs du dossier libyen.

Attaques russes contre le Procureur

Pour la délégation russe, il faut tout simplement retirer à la CPI les dossiers qui lui ont été confiés et les transmettre aux autorités des pays. 

Plusieurs autres délégations ont insisté sur la question de complémentarité à l’instar de la Chine et de l’Algérie, deux autres États qui n’ont pas non plus adhéré à la CPI. Pour l’Algérie, la CPI doit respecter le système judiciaire libyen dont elle doit compléter le travail et non s’y substituer.

Figurant parmi les 10 États membres du Conseil de sécurité qui sont parties au Statut de Rome, la France a au contraire insisté sur le rôle essentiel de la CPI dans la lutte contre l’impunité, et salué la nouvelle stratégie du Bureau relative à la situation en Libye, présentée en avril 2022, estimant qu’elle porte d’ores et déjà ses fruits. 

De fait, s’est enorgueilli le Procureur, son Bureau avance à grands pas sur les principales lignes d’enquête, notamment en ce qui concerne les crimes commis dans les centres de détention et d’autres crimes liés aux opérations menées entre 2014 et 2020. 

M. Khan a confirmé être sur la bonne voie dans la mise en œuvre de la feuille de route exposée dans son dernier compte rendu, en mai dernier, grâce à laquelle il a l’intention d’achever les activités d’enquête d’ici à la fin de 2025.  Aux termes de la nouvelle stratégie, ces dernières sont menées selon quatre axes: la guerre civile libyenne de 2011, les opérations militaires menées entre 2014 et 2020, les crimes commis dans les centres de détention et les crimes commis contre les migrants.

Sur ce dernier point, le Japon, point focal, avec la Suisse, pour les questions relatives à la CPI au sein du Conseil de sécurité, a constaté des progrès encourageants, à la faveur de ce qu’il a qualifié d’une « coopération efficace » avec les autorités nationales de pays tiers.  La Suisse a défendu l’importance de la société civile qui doit avoir une place à la table des négociations, en tant qu’épine dorsale de ce processus.

Président du Conseil pour le mois en cours et porte-plume sur la Libye, le Royaume-Uni a, quant à lui, salué la coopération renforcée entre le Bureau du Procureur et les autorités libyennes. 

Compte tenu de ces progrès, M. Khan a estimé être en mesure de présenter une série de nouvelles demandes de mandats d’arrêt au cours de la prochaine période de référence, certains probablement sous scellés afin de préserver les possibilités d’arrestation. 

La guerre à Gaza s’invite dans le débat

Outre l’accent mis sur le rôle complémentaire de la CPI et la prééminence des juridictions de son pays, le représentant de la Libye s’en est pris à la Cour pénale internationale sur une tout autre question, qui met selon lui en jeu la crédibilité de la CPI.  Appuyé par le représentant de l’Algérie, il a dénoncé le silence et l’absence de mesures immédiates de la Cour et du Procureur à l’encontre des criminels de guerre s’agissant du « crime de génocide » commis selon eux à Gaza.

La CPI doit s’acquitter pleinement de son mandat en délivrant de toute urgence des mandats d’arrêt et en engageant des poursuites contre les criminels de guerre en Israël, a ainsi déclaré le représentant algérien.

 

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LA SITUATION EN LIBYE

Exposé

M. KARIM KHAN, Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), qui s’adressait au Conseil depuis Tripoli, a rappelé qu’il s’agissait de sa deuxième visite en Libye, avant de rendre compte de sa rencontre, aujourd’hui avec les familles des victimes de Tarhouna, où « chaque foyer compte une victime ». Ils ont payé le « prix de la vérité », selon leurs familles, a déclaré le Procureur. 

M. Khan a rappelé que la Chambre préliminaire I de la CPI avait levé les scellés sur les mandats d’arrêt concernant six personnes, membres du groupe armé Kaniyat, accusées d’être responsables des crimes commis contre la population de Tarhouna. 

Dans le cadre de ses enquêtes indépendantes, le Bureau a recueilli de nombreuses informations crédibles indiquant que les habitants de Tarhouna ont été victimes de crimes assimilables à des crimes de guerre au sens du Statut de Rome, notamment des meurtres, des atteintes à la dignité de la personne, des traitements cruels, des actes de torture, des violences sexuelles et des viols. Aujourd’hui, les mères, les pères et les frères des victimes demandent votre aide.  « Nous avons des mandats.  Il nous faut maintenant des procès », a plaidé le Procureur.

Grâce aux activités de traçage de son Bureau, en lien avec celui du Procureur général de Libye, un certain nombre d’individus soupçonnés d’avoir commis des atrocités à Tarhouna ont été localisés, a précisé M. Khan.  « Nous savons où ils se trouvent.  Nous avons besoin de l’aide des États, de votre aide », pour procéder à leur arrestation, a-t-il ajouté.  Il s’agit de donner enfin aux familles l’occasion de présenter leur témoignage devant un tribunal.

Pour le Procureur, avec la lueur d’espoir de justice qui est apparue à Tarhouna, un « nouveau paradigme de progrès » s’est amorcé.  Son Bureau avance à grands pas sur les principales lignes d’enquête, notamment en ce qui concerne les crimes commis dans les centres de détention et d’autres crimes liés aux opérations de 2014-2020.

Compte tenu de ces progrès, M. Khan a estimé être en mesure de présenter une série de nouvelles demandes de mandats d’arrêt au cours de la prochaine période de référence, certains probablement sous scellés afin de préserver les possibilités d’arrestation. 

M. Khan a ensuite mis l’accent sur la collaboration intensive engagée par ses services avec les autorités nationales dans la recherche de la responsabilité des crimes commis contre les migrants en Libye, y compris sous la forme d’une équipe conjointe.  Il a confirmé être sur la bonne voie dans la mise en œuvre de la feuille de route exposée dans son dernier compte rendu, grâce à laquelle il a l’intention d’achever les activités d’enquête d’ici à la fin de 2025.

Le Procureur s’est félicité de la collaboration avec les autorités libyennes pour mettre en œuvre la résolution 1970 (2011).  Il en a cité pour preuves les réunions tenues ces deux derniers jours, à la faveur de « l’excellente collaboration » avec l’ambassadeur récemment nommé à La Haye.

M. Khan a expliqué avoir rencontré pour la première fois, hier, le Procureur général de Libye, pour une discussion « constructive et directe » axée sur l’obtention de résultats pour les communautés touchées, notamment la localisation des suspects et le soutien à des actions concrètes sous forme de procès, à la fois devant la CPI et devant les tribunaux nationaux libyens.

Sur la base de ces discussions productives, le Procureur a confirmé au Conseil qu’un nouveau mécanisme sera mis en place pour soutenir la coordination de l’action entre son Bureau et le Bureau du Procureur général dans les domaines des enquêtes, des poursuites et de la complémentarité.

L’équipe du Procureur continue également de travailler avec les autorités compétentes de l’est de la Libye et M. Khan a fait part de sa volonté de se rendre à nouveau dans l’est du pays lors de sa prochaine mission.

Le Procureur a également informé le Conseil de ses premiers entretiens « extrêmement positifs » avec le Premier Ministre libyen, et le Président du Conseil présidentiel.  En parallèle de cet engagement renforcé avec les autorités nationales libyennes, il a évoqué une nouvelle intensification de sa collaboration avec la société civile libyenne.

Enfin, M. Khan a insisté sur le fait que l’achèvement de la phase d’enquête ne signifie pas que « nous nous arrêtons là ».  Son Bureau continuera à travailler de manière intensive et ciblée afin d’établir des pistes sur la base des mandats délivrés par la CPI, a-t-il assuré. 

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