Le Conseil de sécurité cherche à revitaliser le processus de paix dans la région des Grands Lacs, où perdurent les combats malgré un accord de cessez-le-feu
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L’Envoyé spécial du Secrétaire général pour la région des Grands Lacs, M. Xia Huang, a présenté ce matin devant le Conseil de sécurité le dernier rapport semestriel du Secrétaire général sur la mise en œuvre de l’Accord-cadre de 2013 pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo (RDC) et la région. Convaincu que la solution à la crise ne peut être que politique, et non militaire, le Conseil de sécurité s’est posé la question de savoir comment revitaliser un processus de paix aujourd’hui fragilisé. En effet, malgré un cessez-le-feu signé le 30 juillet entre la RDC et le Rwanda dans le cadre du processus de Luanda facilité par l’Angola, les combats se poursuivent entre les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et le groupe rebelle du Mouvement du 23 mars (M23) dans la province du Nord-Kivu.
Fort de son expansion continue, le M23 contrôle désormais davantage de territoires qu’en 2012, a observé M. Xia, ajoutant que les activités terroristes des Forces démocratiques alliées (FDA) se sont intensifiées dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu. Cette situation a des conséquences dévastatrices pour les populations civiles, faisant de la RDC le deuxième pays au monde comptant le plus grand nombre de personnes déplacées, soit près de 7 millions, après le Soudan. Elle produit également de nombreux morts, des violences sexuelles, des crises sanitaires, comme l’épidémie de mpox, et des problèmes de malnutrition dans les camps de déplacés, en plus d’une pression socioéconomique accrue.
Le représentant de la Sierra Leone, qui s’exprimait au nom des A3+ (Algérie, Guyana, Mozambique et Sierra Leone), a confirmé des niveaux élevés de violation des droits humains, de violence sexuelle et d’exploitation des femmes et des enfants, en particulier autour des camps de personnes déplacées.
Cette situation, a poursuivi l’Envoyé spécial, contribue à la dégradation des relations entre certains États de la région. Elle perpétue « une atmosphère régionale de tensions et de suspicion », comme en ont témoigné les échanges tendus entre la RDC et le Rwanda en fin de réunion. La RDC, représentée par sa Ministre des affaire étrangères, de la coopération internationale et de la francophonie, Mme Thérèse Kayikwamba Wagner, s’est ainsi dite victime d’une crise persistante « orchestrée et alimentée » par des forces extérieures, et a dénoncé la présence sur son sol de 4 000 soldats de la Force de défense rwandaise (RDF). Elle a également accusé son voisin de soutenir et d’armer le M23, tout en œuvrant à restructurer l’administration locale dans les zones occupées par ce dernier.
En réponse, le Rwanda a demandé à la RDC d’arrêter de le « blâmer » pour ses problèmes de sécurité, « qui existent depuis des décennies ». Pour preuve, a-t-il fait observer, selon un rapport publié en décembre dernier, 250 groupes armés locaux et 14 groupes armés étrangers sont actifs en RDC, tandis que le processus de désarmement, démobilisation, rapatriement et réintégration de ces groupes n’a pas été pleinement mis en œuvre. Or, ledit processus visait particulièrement les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), une milice responsable du génocide de 1994 contre les Tutsis, a-t-il rappelé, et qui continue d’agir depuis la RDC contre la minorité tutsie qui y réside. Cela constitue un obstacle majeur à la paix, a estimé le délégué rwandais.
Il s’agit là, a rétorqué la Ministre congolaise, d’un « prétexte d’altruisme » envers certaines minorités afin de justifier des violations répétées de la souveraineté congolaise, violations motivées avant tout par des intérêts économiques dans l’est du pays. « Une politique prédatrice », a-t-elle tranché. Quant à la neutralisation des groupes armés, la RDC a rappelé qu’elle avait, au fil des années, prouvé son engagement à cet égard, notamment par des opérations conjointes avec la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), et même avec le Rwanda. Celui-ci, en revanche, a-t-elle ajouté, s’est contenté d’une « simple promesse de retrait » sans garantie ni détails concrets. La RDC a ensuite tenu à clarifier les « véritables obstacles » qui freinent le processus de Luanda et l’adoption du projet d’accord de paix proposé par la médiation angolaise: la « mauvaise volonté » du Rwanda quant au processus de désengagement mutuel des forces, en plus de son refus de se soumettre à ses responsabilités ainsi qu’à la justice.
En ce qui concerne l’exploitation illégale de ses ressources naturelles, la RDC a demandé instamment l’imposition de sanctions sévères contre tous les acteurs de cette « chaîne de pillage », et a exhorté à la mise en place d’un mécanisme similaire au Processus de Kimberley pour gérer l’or en provenance des zones de conflit. Il s’agit là d’une polémique qui vise à « détourner l’attention des véritables causes du conflit », a martelé le Rwanda, pour qui la mise en place de réglementations et d’infrastructures est certes essentielle, mais ne saurait être un préalable à la paix.
Le représentant de la Sierra Leone, toujours au nom des A3+, a souligné que la région des Grands Lacs possède d’importantes ressources minérales qui pourraient offrir aux pays des opportunités de transformer leurs économies et de construire « une zone de prospérité partagée ». Il a salué les efforts déployés par le Bureau de l’Envoyé spécial pour promouvoir le développement économique durable en tant que voie vers la paix dans la région afin de permettre aux centaines de milliers de jeunes hommes et femmes touchés par le conflit de tirer profit des ressources naturelles.
Observant que la compétition pour les ressources naturelles continue trop souvent à alimenter les conflits et l’instabilité, la Slovénie, à l’instar du Japon, de la France ou de la République de Corée, a appelé à son tour à des mesures renforcées pour une gestion transparente et efficace de ces ressources, par le biais du mécanisme de certification de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs.
Insistant sur le fait qu’il n’y a pas de solution militaire à la crise, les États-Unis ont rappelé qu’ils avaient contribué à l’effort humanitaire en 2024 à hauteur de 893 millions de dollars, et ont exhorté la communauté internationale à mobiliser des ressources supplémentaires. Se présentant comme un partenaire continu de l’Afrique, la Chine a également appelé la communauté internationale à combler le manque de financement humanitaire.
Cependant, la Directrice exécutive de Change Your World, une organisation non gouvernementale basée dans le Nord-Kivu, a interpellé les donateurs en leur demandant de ne pas se limiter à des réponses humanitaires immédiates et de s’orienter plutôt vers des initiatives de développement à long terme.
Venue ainsi témoigner devant le Conseil en tant membre de la société civile, Mme Sarah Kyabu Ntambwe a exposé la situation dramatique que vivent les populations de la région, mettant l’accent sur les violences subies par les femmes et les enfants. Elle a évoqué le cas poignant d’une femme de 40 ans, violée devant ses enfants, dont le mari a été assassiné, et qui n’est pas une exception mais « un symbole de la souffrance quotidienne dans cette région ». Elle a déploré que les populations locales, notamment les femmes, ne soient pas suffisamment intégrées dans les processus de paix, en particulier celui de Luanda, ce qui compromet, selon elle, l’appropriation locale et la durabilité des accords de paix futurs.
Dans son rôle de médiateur, l’Angola a mis en avant l’importance des initiatives régionales, comme le sommet quadripartite organisé en juin 2023 dans sa capitale, Luanda, par la Communauté de l’Afrique de l’Est, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs et la Communauté de développement de l’Afrique australe. Le délégué angolais a également salué les efforts des autres leaders régionaux, notamment le Président du Soudan du Sud, M. Salva Kiir, et de l’ancien Président du Kenya, M. Uhuru Kenyatta, qui ont facilité le processus de Nairobi. Enfin, il a souligné que le dialogue restait le principal outil politique pour résoudre la crise complexe des Grands Lacs, rappelant « qu’il n’y a pas de paix sans dialogue et qu’il n’y a pas de paix sans concessions de part et d’autre ».
« Le chemin vers une paix durable reste semé d’embûches », a prévenu l’Envoyé spécial, avant d’esquisser trois pistes pour y parvenir. Tout d’abord, il a insisté sur la nécessité de maintenir les efforts diplomatiques et de renforcer la confiance mutuelle entre les pays de la région, pointant que l’Accord-cadre de 2013 constituait un cadre pertinent pour s’attaquer aux causes profondes du conflit. Il est particulièrement important que les pays de la région arrêtent de soutenir les groupes armés illégaux, a-t-il noté. Ensuite, il a exhorté à inclure pleinement les femmes et les jeunes dans les processus de paix, soulignant l’importance de leur participation pour assurer le suivi et la mise en œuvre des résolutions adoptées. Enfin, il a rappelé l’importance de la stratégie des Nations Unies pour la région des Grands Lacs, dont le plan d’action pour 2024-2027 est en cours d’élaboration. Un appel soutenu à l’unanimité par les membres du Conseil de sécurité.
LA SITUATION DANS LA RÉGION DES GRANDS LACS (S/2024/700)
Exposés
M. XIA HUANG, Envoyé spécial du Secrétaire général pour la région des Grands Lacs, a présenté le rapport semestriel sur la mise en œuvre de l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération dans la République démocratique du Congo (RDC) et la région. Il a d’abord indiqué que la situation dans l’est de la RDC demeurait alarmante, notamment du fait de l’expansion territoriale continue du Mouvement du 23 mars (M23), qui contrôle actuellement davantage de territoires qu’en 2012. En outre, les activités « terroristes » des Forces démocratiques alliées (ADF) se sont intensifiées, a-t-il constaté, en particulier dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu.
Tout ceci a des conséquences humaines dévastatrices, faisant de la RDC le deuxième pays au monde avec le plus grand nombre de personnes déplacées, après le Soudan, et engendrant de nombreuses pertes en vies humaines, des violences sexuelles, des crises sanitaires et alimentaires dans les camps de déplacés, ainsi qu’une pression socioéconomique accrue. L’Envoyé spécial a aussi pointé que cette situation complexe a contribué à la dégradation des relations entre certains États de la région, perpétuant un climat de tension et de suspicion.
Toutefois, M. Xia a mentionné une « lueur d’espoir » grâce aux récentes discussions de paix, principalement dans le cadre du processus de Luanda. Le cessez-le-feu, signé sous les auspices de l’Angola le 30 juillet 2024, a apporté une accalmie relative, bien que des escarmouches persistent. L’Envoyé spécial a salué les efforts de médiation du Président angolais, M. João Lourenço, ainsi que ceux de la Communauté de l’Afrique de l’Est, notamment du Président du Soudan du Sud, M. Salva Kiir, et de l’ancien Président du Kenya, M. Uhuru Kenyatta. Malgré ces progrès, il a prévenu que le chemin vers une paix durable restait semé d’embûches, et a lancé un appel solennel au Conseil de sécurité, pour que cette crise ne soit pas oubliée.
L’Envoyé spécial a esquissé trois pistes pour y parvenir. Tout d’abord, il a insisté sur la nécessité de maintenir les efforts diplomatiques et de renforcer la confiance mutuelle entre les pays de la région, pointant que l’Accord-cadre de 2013 constituait un cadre pertinent pour s’attaquer aux causes profondes du conflit. Il est particulièrement important que les pays de la région arrêtent de soutenir les groupes armés illégaux, a-t-il noté. Ensuite, il a exhorté à inclure pleinement les femmes et les jeunes dans les processus de paix, soulignant l’importance de leur participation pour assurer le suivi et la mise en œuvre des résolutions adoptées.
Enfin, l’Envoyé spécial a rappelé l’importance de la stratégie des Nations Unies pour la région des Grands Lacs, dont le plan d’action pour 2024-2027 est en cours d’élaboration. Il a mentionné une initiative clef menée en collaboration avec la cellule opérationnelle du Groupe de contact et de coordination, qui a récemment facilité le désarmement et le rapatriement de combattants burundais des Forces nationales de libération (FNL) dans la province du Sud-Kivu.
En conclusion, M. Xia a exprimé l’espoir que les efforts pour lutter contre l’exploitation illicite des ressources naturelles, notamment l’or artisanal, porteraient leurs fruits. L’Envoyé spécial a décrit une initiative conjointe avec la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), menée avec l’appui de partenaires tels que la France, l’Organisation pour la coopération économique et le développement (OCDE) et le Secrétariat du Processus de Kimberley, pour renforcer la traçabilité des minerais stratégiques, dans le but de couper les liens entre ces ressources et les groupes armés actifs dans l’est de la RDC.
Mme SARAH KYABU NTAMBWE, Directrice exécutive de Change Your World, a dit porter la voix de cette maman qui l’a suppliée de l’aider à dire au monde que les femmes veulent la paix et qu’elles ne veulent plus jamais voir un enfant faire face à la souffrance, au traumatisme et à la violence. « Je suis ici devant vous, pour représenter toutes ces populations affectées par ce cycle de guerres et de violences dans la région des Grands Lacs », a-t-elle témoigné en soulignant qu’elle parle au nom de ses sœurs, ses mères courageuses et ses collègues de la société civile congolaise, rwandaise, burundaise et ougandaise. Pour faire cesser la guerre, elle a demandé que soient écoutées les premières victimes qui ont perdu leur famille, qui ont été violées, tuées, ou encore intégrées de force dans les groupes armés.
Mme Ntambwe a appelé les animateurs du processus de Luanda à explorer des solutions concrètes pour surmonter le défi de la représentation de la société civile. Elle a déploré « une déconnexion totale entre les populations et la diplomatie de haut niveau ». Une situation qui compromet l’appropriation locale et réduit les chances de mise en œuvre durable d’un futur accord de paix. S’adressant ensuite aux bailleurs de fond, elle leur a dit que, bien que nécessaire, « l’aide humanitaire n’est pas la réponse ». Elle a plaidé pour la création d’un « nexus » afin de s’assurer que les populations affectées puissent renforcer leur capacité de résilience, ce qui ne peut être fait qu’à travers des activités de développement. Ces activités, a-t-elle expliqué, ont des effets préventifs sur le recrutement des jeunes dans les groupes armés et réduiront la violence armée sur le long terme. Au-delà du discours et des promesses, l’intervenante a demandé au Conseil de sécurité de mettre en œuvre des actions concrètes centrées sur le bien-être, la dignité et la sécurité des populations affectées, mais également sur le développement et la cohésion régionale.