Conseil de sécurité: la Russie subordonne sa « coopération constructive » dans les affaires internationales à la résolution du sabotage des gazoducs Nord Stream
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Un peu plus de deux ans après le sabotage des deux gazoducs Nord Stream en mer Baltique, le Conseil de sécurité a tenu aujourd’hui sa septième séance publique sur le sujet. Comme les précédentes, elle avait été demandée par la Fédération de Russie, qui a reproché aux États-Unis et à leurs alliés au Conseil d’empêcher le Conseil de se prononcer sur le sujet avant d’avertir: « il est très clair que si l’on n’établit pas la vérité sur cet attentat, nous ne pourrons pas revenir à une coopération constructive entre les grands acteurs internationaux » au sein du Conseil. Les membres occidentaux du Conseil ont estimé que la question n’était pas des plus urgentes et ont appelé à attendre patiemment les résultats de l’enquête « indépendante et impartiale » menée par l’Allemagne, sans exercer de pressions, ni politiser l’affaire.
C’est entre le 26 et le 29 septembre 2022 qu’avaient été découvertes, dans les eaux internationales de la mer Baltique -mais dans les zones économiques exclusives du Danemark et de la Suède– d’importantes fuites de méthane en provenance des deux gazoducs chargés d’alimenter l’Allemagne et une partie du reste de l’Europe en gaz russe. Les enquêtes menées par la Suède, le Danemark et l’Allemagne avaient rapidement mis en évidence que les deux gazoducs avaient été sérieusement endommagés par des explosifs apportés de l’extérieur. Le Danemark et la Suède ont mis fin à leurs enquêtes en début d’année et averti le Conseil de sécurité de l’absence de conclusions quant aux auteurs. L’enquête allemande est toujours officiellement en cours.
Depuis le début, la Fédération de Russie a demandé à être associée aux enquêtes, ce qui lui a été refusé par les différents pays enquêteurs. Elle a également demandé au Conseil de sécurité de décider d’une enquête internationale et présenté en ce sens un projet de résolution que le Conseil a rejeté le 27 mars 2023, faute d’un nombre suffisant de voix: outre la Russie, seuls la Chine et le Brésil avaient appuyé le texte.
Depuis lors, la Fédération de Russie tente de faire adopter par le Conseil une déclaration présidentielle. Son représentant a vivement reproché ce matin aux États-Unis et à leurs alliés au Conseil leur « absence de coopération quant à la possibilité d’un produit du Conseil de sécurité », opposant la « bonne foi » avec laquelle son pays « procède depuis plusieurs mois » à des consultations.
Le représentant russe a de nouveau qualifié le sabotage « d’attentat terroriste à l’explosif », ajoutant que l’affaire mérite l’attention du Conseil, car elle présente une menace pour la paix et la sécurité internationales, ainsi que pour la sécurité énergétique et écologique de l’Europe et pour le transport maritime dans la mer Baltique. Pour lui, deux ans après les faits, le moment est idoine pour dresser un bilan. Les coupables, qu’il s’agisse de pays, de groupes criminels ou d’individus criminels, doivent être sanctionnés conformément au droit international aussi pour éviter tout détournement d’infrastructures sous-marines internationales et pour que personne n’ait même l’idée de répéter ces actions, a-t-il martelé.
Le représentant a en particulier regretté que les enquêtes menées au Danemark et en Suède aient été closes après un an et demi de travail qui a démontré que les gazoducs ont été délibérément détruits avec l’aide d’explosifs, mais aussi que la poursuite d’une affaire pénale dans les juridictions danoises ou suédoises ne semblait pas possible. Stockholm et Copenhague s’en sont lavé les mains, a-t-il accusé.
Quant à l’enquête menée par l’Allemagne, le représentant a regretté que « deux ans après, Berlin ne présente toujours pas au Conseil de sécurité d’information concrète sur les résultats obtenus, même des résultats intérimaires ». Le représentant a également accusé l’Allemagne de jouer au « fauteur de troubles » en entravant les efforts de la communauté internationale visant à sanctionner les commanditaires comme les exécutants de l’opération. Il s’est étonné du fait que le Chancelier allemand, M. Olaf Scholz, a reconnu qu’il s’agissait d’un attentat qui méritait une enquête, mais refuse toujours de coopérer avec son pays.
« Si vous pensez que ces tentatives d’obstruction vont nous décourager quant à notre volonté de trouver les coupables, vous vous trompez: nous tirerons au clair la situation », a averti le représentant russe, qui a rappelé les différentes informations publiées dans les médias faisant notamment mention de l’implication de groupes de « plongeurs amateurs » sous le contrôle des Ukrainiens. « Sans appui d’un État, il aurait été impossible de procéder à cette explosion », a-t-il ajouté.
Les membres occidentaux du Conseil ont veillé à minimer l’affaire et appelé à s’abstenir de toute pression politique sur les enquêtes en cours. Cette question des gazoducs Nord Stream ne fait pas partie des sujets urgents dont le Conseil est saisi, ont ainsi affirmé les États-Unis, qui ont de nouveau nié toute implication dans le sabotage des gazoducs.
Critiquant la volonté de la Russie de détourner l’attention et les ressources du Conseil, la France a estimé qu’en multipliant les initiatives sur ce dossier au Conseil, Moscou cherche à instiller le doute sur le sérieux des enquêtes nationales, conclues ou en cours, et à faire pression sur les enquêteurs allemands, ce qui est « inacceptable ». Pour la France, le fait que la Russie insiste sur la qualification « d’acte de terrorisme par explosif » démontre que la Russie préjuge du résultat de l’enquête puisque la nature de la qualification utilisée nécessite la présence de certains faits qui n’ont pas été établis. Cette remarque a provoqué la réaction du représentant russe, qui a demandé à son homologue français les raisons pour lesquelles il rejette le terme d’attentat terroriste. « La meilleure façon de procéder consiste à attendre patiemment les conclusions de l’enquête menée par la justice allemande, en laquelle la France a toute confiance. Une fois que ces conclusions seront rendues, ce Conseil pourra à nouveau se réunir », a répondu le délégué français.
C’est également la position adoptée par plusieurs autres délégations. Ainsi, Malte a exhorté les membres du Conseil à éviter toute forme de pression sur les enquêtes en cours ou toute action susceptible de nuire à leur déroulement, notamment en qualifiant prématurément l’acte ou en diffusant des informations non confirmées venues des médias. La Slovénie a estimé que les efforts d’investigation des autorités allemandes progressent; elle les a félicitées pour leur dévouement à mener une enquête complète et impartiale. La République de Corée a dit « attendre avec impatience la conclusion de l’enquête menée par les autorités allemandes de manière indépendante et impartiale » soulignant en outre l’importance du soutien du Conseil de sécurité à l’enquête en cours, sans préjugés ni spéculations. Estimant qu’il n’est pas utile pour le Conseil de préjuger du résultat de l’enquête en cours, de dicter comment elle doit être menée ou d’essayer de politiser la question, le Royaume-Uni a, lui aussi, insisté sur l’importance de soutenir le processus sans spéculations inutiles, ni tentatives de le discréditer.
D’autres membres du Conseil ont fait preuve de moins de patience. La Sierra Leone a fait observer que, deux ans après les faits, aucune conclusion claire, indépendante et vérifiable n’a encore été établie, malgré les enquêtes par le Danemark et la Suède qui ont confirmé un sabotage délibéré. Le représentant de ce pays s’est étonné qu’aucun responsable n’ait été désigné et que l’enquête allemande est toujours en cours, avant d’estimer que des retards dans la publication des résultats de l’enquête risquaient d’affaiblir les efforts du Conseil pour maintenir la paix et la sécurité internationales. La communauté internationale ne peut pas se permettre de laisser l’attaque des gazoducs sans résolution, en particulier dans un paysage géopolitique déjà instable, a averti le Mozambique réitérant que l’impunité ne peut être une option pour une violation aussi flagrante du droit international.
La Chine s’est interrogée sur l’existence d’un « dessein » derrière cette opposition initiale à des enquêtes internationales. « Des éléments de preuve ont-ils été détruits au cours des deux dernières années? » s’est demandé le représentant, qui a salué les ajustements apportés par la Russie à son projet de déclaration présidentielle, jugeant que ce dernier présente les faits de façon objective et reflète les préoccupations de toutes les parties. La Chine souhaite donc un accord dans les meilleurs délais sur le projet de texte, afin que le Conseil puisse envoyer un signal clair au monde extérieur. L’Équateur a estimé que l’enquête allemande devait désormais parvenir à une conclusion rapide et a ajouté qu’en attendant, le Conseil de sécurité devait continuer à recevoir des informations substantielles sur le sujet.
Les États-Unis, la France, le Royaume-Uni ou encore le Japon ont par ailleurs dénoncé l’hypocrisie de la Fédération de Russie, qui dénonce dans les attaques contre les deux gazoducs une atteinte à la sécurité énergétique, alors même qu’elle s’attèle à détruire les infrastructures énergétiques de l’Ukraine. Le représentant britannique a rappelé que ces attaques russes avaient causé la mort de milliers de personnes et infligé un coût humain terrible. Elles doivent cesser immédiatement.