Conseil de sécurité: la Représentante spéciale fait état d’une exacerbation des dynamiques du conflit dans l’est de la République démocratique du Congo
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La Représentante spéciale du Secrétaire général pour la République démocratique du Congo (RDC) a indiqué ce matin, devant le Conseil de sécurité, que malgré certains progrès, des défis considérables demeurent à être surmontés dans ce pays, précisant notamment que ces derniers mois, la compétition autour de l’exploitation et du commerce des ressources naturelles a exacerbé les dynamiques du conflit dans l’est de la RDC.
Venue faire le point sur la situation sécuritaire et humanitaire dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, Mme Bintou Keita n’a pas manqué de se féliciter de l’accord de cessez-le-feu conclu par la RDC et le Rwanda à l’initiative de l’Angola. Il existe aujourd’hui un « cadre actif de dialogue » entre la RDC et le Rwanda, a-t-elle affirmé, tout en soulignant que « la paix n’est pas gagnée ». L’Angola, dont le rôle central de médiateur de paix entre la RDC et le Rwanda a été unanimement salué par les intervenants, a signalé que depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le 4 août, des rencontres ministérielles à Luanda ont lieu, visant à sceller « un accord de paix définitif ». L’Angola a aussi déclaré œuvrer à la tenue d’un sommet des chefs d’État pour normaliser durablement les relations diplomatiques entre la RDC et le Rwanda.
Dans son intervention, la Cheffe de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) a souligné que la situation sécuritaire dans l’est de la RDC s’est encore dégradée au cours des derniers mois, l’intensification des violences des groupes armés étant due principalement à leurs coups de force pour s’emparer des zones d’exploitation minière. « Ces groupes armés sont devenus plus forts d’un point de vue militaire et financier depuis ma dernière intervention devant ce Conseil », a-t-elle admis, avant d’ajouter que l’élimination de la menace posée par les Forces démocratiques alliées (ADF), qui profitent du vide sécuritaire laissé par le déploiement des forces congolaises qui luttent contre le M23 pour intensifier leurs attaques contre les civils, restait une priorité de sa mission.
Elle a également a fait le point sur la crise sanitaire en RDC, épicentre de l’épidémie de variole simienne (mpox), expliquant que les personnes déplacées en raison du conflit trouvent refuge dans des camps surpeuplés, ce qui les rend d’autant plus vulnérables à la transmission du virus. Aussi a-t-elle appelé les pays à fournir davantage de vaccins et de seringues aux services de l’État congolais, à l’image de ce que font le Japon et le Royaume-Uni. La Sierra Leone, qui s’est exprimée au nom des A3+ (Algérie, Mozambique, Sierra Leone et Guyana), a réagi à ces propos en notant que seulement 200 000 doses sont disponibles alors que 10 millions sont nécessaires. La France, qui a appelé à ne pas « oublier » cette crise dans l’est de la RDC, a indiqué qu’elle participait à la réponse humanitaire à hauteur de plus de 22 millions d’euros cette année.
En écho à ces déclarations, le Japon a confirmé l’envoi, pas plus tard que le 18 septembre, de vaccins et d’aiguilles d’inoculation, tandis que le Royaume-Uni, qui a précisé que les enfants représentent 60% des cas de variole simienne « et 80% des décès », a expliqué qu’il finalise en ce moment un nouveau programme de vaccination en RDC. « Les femmes et les filles congolaises, qui sont les premières victimes de violences sexuelles dans le monde, sont particulièrement vulnérables dans le contexte de cette épidémie dont le virus se transmet sexuellement », a souligné le délégué britannique.
À ce propos, la représentante de la société civile a dressé un bilan particulièrement sombre de la situation, alertant que les violences sexuelles et sexistes ont pris une ampleur inquiétante avec plus de 90 000 cas de violences sexuelles recensés en une année. La représentante du Fonds pour les Femmes Congolaises a de plus mentionné le cas de 268 femmes et filles violées collectivement à la prison de Makala, à Kinshasa, lors de la tentative d’évasion massive du 2 septembre. « La communauté internationale a intérêt à écouter les cris de détresse de la population vivant dans la partie est de la RDC en état de désespoir indescriptible », a dit Mme Thérèse Nzale-Kove, qui a insisté sur la nécessité d’une protection accrue des civils pendant et après le retrait de la MONUSCO.
Sur ce dernier point, les États-Unis, qui ont annoncé la disparition du Congolais-Américain Dikembe Mutombo, ancienne star de la NBA qui était impliquée dans l’action humanitaire dans son pays d’origine depuis sa retraite sportive, a jugé vital que soient comblées les lacunes que la Mission a laissées dernière elle depuis son départ du Sud-Kivu, notamment en matière de protection des enfants. Ces tâches humanitaires doivent être transférées et assumées par les services de l’État, a insisté la représentante. La Fédération de Russie a relevé l’importance d’un retrait progressif de la MONUSCO, en évitant tout « vide sécuritaire »; la Chine, de son côté, encourageant d’ores et déjà l’ONU à aider la RDC à accroître ses capacités de développement autonome pour sortir du cercle vicieux de la violence et des conflits.
Le représentant de la RDC, après avoir assuré le Conseil de sécurité de la détermination sans faille du Gouvernement de son pays d’œuvrer à l’établissement d’une paix durable dans l’est et à promouvoir le développement socioéconomique et le bien-être des communautés meurtries par le conflit, s’en est pris violemment à son homologue du Rwanda en fin de séance. Il a accusé ce pays de justifier son « invasion » de la RDC par la présence des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Or, « ces plus de 4 000 troupes rwandaises bombardent des camps et commettent des violations flagrantes des droits de l’homme ». « Des femmes congolaises sont violées, des enfants congolais sont tués en raison de l’agression armée rwandaise en RDC », a-t-il lancé, ajoutant que la question des FDLR n’est qu’un leurre que brandit le Rwanda a chaque fois qu’il s’exprime au Conseil de sécurité: le problème, c’est le pillage de nos ressources, comme l’indique le contrôle, par les M23 appuyés par le Rwanda, de vastes zones d’exploitation minière, a-t-il dit.
Pour sa part, le Rwanda a dénoncé le soutien apporté par la RDC aux « forces responsables du génocide des Tutsis », qualifiant cette situation de « menace régionale directe ». Le représentant rwandais a regretté l’absence de réaction de la communauté internationale, de la MONUSCO et du Conseil de sécurité à cet égard.
Par ailleurs, le représentant de la Sierra Leone, intervenant en sa capacité de Président du Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1533 (2004) concernant la RDC a présenté le bilan formel d’activités des 12 derniers mois de cet organe chargé de surveiller l’application des mesures de sanction imposées par le Conseil de sécurité.
LA SITUATION CONCERNANT LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO (S/2024/689)
Exposés
Mme BINTOU KEITA, Représentante spéciale du Secrétaire général et Cheffe de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), présentant le rapport S/2024/689 du Secrétaire général, a salué l’instauration conjointe, le 30 juillet dernier, d’un cessez-le-feu par le Rwanda et la RDC, cela à l’initiative de l’Angola. Elle s’est félicitée de ce que, outre la poursuite des discussions au titre du processus de Luanda, l’existence de ce cadre actif de dialogue, d’une médiation tout à fait proactive et investie, d’un instrument opérationnel donnent enfin une perspective réelle de paix en RDC.
Après avoir salué l’adoption de la résolution 2746 (2024) autorisant la MONUSCO à soutenir l’action sécuritaire de la Mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe en RDC, Mme Keita a noté qu’à ce stade, les bailleurs de fonds ont versé 1 milliard de dollars d’aide humanitaire pour l’est du pays, ce qui, a-t-elle dit, « permet de sauver des millions de vie ». Néanmoins, le niveau record de financement anticipé pour cette année sera insuffisant, puisque ce sont près de 2,6 milliards de dollars qui demeurent nécessaires pour venir en aide à près de 9 millions de personnes dans le besoin.
La Représentante spéciale a ensuite mis l’accent sur l’état de la situation sécuritaire en Ituri, où l’intensification des violences des groupes armés est due pour l’essentiel à leurs opérations visant la prise de contrôle des zones d’exploitation minière. Ces groupes armés sont devenus plus forts d’un point de vue militaire et financier depuis sa dernière intervention devant ce Conseil, a concédé Mme Keita. Elle a souligné que l’élimination de la menace posée par les ADF en Ituri reste une priorité de la MONUSCO, ce groupe armé ayant intensifié ses attaques contre les civils au cours des derniers mois, exploitant le vide sécuritaire laissé par le déploiement des forces congolaises qui luttent contre le M23.
La Cheffe de la MONUSCO a également évoqué la situation sanitaire en RDC, épicentre mondial de l’épidémie de variole simienne. Les personnes déplacées trouvent abri dans des camps surpeuplés, propices à la transmission du virus, a-t-elle dit, appelant les pays à fournir en vaccins et seringues le Gouvernement, à l’image de ce que font le Japon et le Royaume-Uni.
Après avoir évoqué les préoccupations au sujet du rétrécissement de l’espace démocratique dans le pays, Mme Keita est revenue sur un autre « fléau », celui des détenus parqués dans des prisons surpeuplées. Elle a ainsi rappelé que le 2 septembre, des milliers de prisonniers ont tenté de s’évader de la prison centrale de Kinshasa, cette tentative de masse s’étant soldée par la mort de 250 prisonniers et de nombreuses agressions de femmes incarcérées. Elle a appelé le Gouvernement et ses partenaires à créer un environnement propice à la restauration urgente de la cohésion nationale, un antidote selon elle à l’instabilité, laquelle profite à ceux qui appellent à la rébellion armée. Sur cet autre fléau que sont les violences sexuelles, Mme Keita a rappelé, qu’en 2024, 61 000 victimes ont été traitées par des partenaires humanitaires de la Mission, et que les violences sexuelles et de genre font 1 victime toutes les 4 minutes, « soit plus de 20 d’ici à la fin de cette séance ». Aussi a-t-elle demandé au Conseil de sécurité et à la communauté internationale de tout faire pour mettre fin au drame des violences sexuelles en RDC, dans le but d’atténuer les inévitables traumatismes qui risquent de grever l’ensemble du tissu social du pays pendant des décennies.
Enfin, Mme Keita a indiqué que la Mission et le Gouvernement de la RDC sont à l’œuvre pour définir les modalités de mise en œuvre des prochaines étapes du désengagement de la Mission. Ce travail, qui s’intensifiera dans les semaines à venir, visera à assurer que les principales leçons apprises du désengagement du Sud-Kivu ont été retenues, a-t-elle conclu.
Mme THÉRÈZE NZALE-KOVE, chargée de programme au Fonds pour les Femmes Congolaises (FFC), qui apporte un appui financier et technique aux organisations locales de promotion des droits de la femme, a exposé la situation « désastreuse » des femmes et des filles en République démocratique du Congo (RDC) et particulièrement dans sa partie est. Il y a, a-t-elle d’abord indiqué, plus de 7,3 millions de déplacés internes en RDC, dont 94% sont concentrés dans les provinces de l’Ituri, du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et du Tanganyika. Or, le plan de réponse humanitaire n’est financé qu’à 37%, ce qui limite gravement les possibilités d’actions.
Les violences sexuelles et sexistes ont pris une ampleur inquiétante, a fait observer Mme Nzale-Kove. Plus de 90 000 cas de violences sexuelles ont été recensés en une année, violences incluant le viol, la torture, le mariage forcé et l’esclavage sexuel, a détaillé la militante, citant comme exemple le cas de 268 femmes et filles violées collectivement à la prison de Makala, à Kinshasa.
Cette violence est aggravée par le fait que les survivantes ont le plus grand mal à accéder aux services essentiels, en raison de la stigmatisation et du manque de ressources du système de santé. En outre, des milliers d’enfants déplacés n’ont pas accès à l’éducation, et plus de 3 700 violations graves à leur encontre, telles que des meurtres et des recrutements dans des groupes armés, ont été signalées.
Concernant la participation des femmes aux processus de paix, l’intervenante a noté que leur impact est visible, malgré une reconnaissance insuffisante. Elle a cité comme exemple d’action concrète le groupe de réflexion « Synergie des femmes pour la paix et la sécurité », constitué sur l’initiative du FFC. Cependant, leur rôle reste marginal dans les négociations de paix, malgré la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité.
« La communauté internationale a intérêt à écouter les cris de détresse de la population vivant dans la partie est de la RDC en état de désespoir indescriptible », a poursuivi Mme Nzale-Kove en insistant sur la nécessité d’une protection accrue des civils pendant et après le retrait de la MONUSCO. Elle a souligné l’importance d’évaluer les systèmes de protection des droits humains ainsi que les inégalités sociales, particulièrement dans les provinces quittées par la mission onusienne. Elle a plaidé pour l’implication des organisations féminines dans ce processus afin de garantir la continuité des efforts de protection des civils.
Pour conclure, elle a appelé à des mesures contraignantes à l’égard de toutes les parties au conflit armé en RDC et à l’accélération de la mise en œuvre intégrale de la feuille de route de Luanda. Elle a demandé que soient prises des actions concrètes avec le Gouvernement congolais pour contrer le fléau des violences sexuelles et sexistes. Enfin, elle a exhorté la MONUSCO et le Gouvernement de la RDC à consulter régulièrement et de manière significative les organisations féminines de la société civile, à tous les stades de la transition. « La protection des femmes et des enfants n’est pas négociable », a-t-elle finalement lancé.