Conseil de sécurité: la complexité de la dynamique de violence qui touche la Colombie nécessite une réponse multiforme, selon le Représentant spécial
Le Conseil de sécurité a entendu, cet après-midi, l’exposé trimestriel du Représentant spécial et Chef de la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie. Présent à cette réunion pour la première fois depuis son entrée en fonction en 2022, le Président colombien Gustavo Petro Urrego a promis de poursuivre la mise en œuvre de l’Accord final pour la fin du conflit et la construction d’une paix stable et durable, arguant que ce sont les fonds qui manquent le plus. Son engagement a été salué par plusieurs orateurs, y compris le représentant de la haute partie contractante auprès de la Commission de suivi, de promotion et de vérification de l’Accord final, lui-même ancien combattant des Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée populaire (FARC-EP).
Pour le Représentant spécial, la complexité de la dynamique de violence qui touche la Colombie nécessite une réponse multiforme. Ainsi, la mise en œuvre de l’Accord final doit aller de pair avec des stratégies complémentaires visant à désactiver les phénomènes de violence persistants, a plaidé M. Carlos Ruiz Massieu, saluant l’intention des parties signataires de formuler un « plan choc » à cette fin. Les communautés exigent la mise en œuvre des garanties de sécurité prévues dans l’Accord, ce qui suppose selon lui une présence accrue de l’État, complétée par des mesures de réduction de la violence convenues dans le cadre des initiatives de dialogue en cours.
S’agissant du dialogue entre le Gouvernement et l’Armée de libération nationale (ELN), M. Massieu Ruiz a encouragé les parties à répondre aux attentes de la société colombienne et à surmonter la paralysie des négociations en rétablissant une confiance mutuelle. Il a ajouté qu’en dépit d’avancées marquées par des mesures de développement territorial dans certaines régions, les pourparlers entre le Gouvernement et des entités de l’État-major central des Forces armées révolutionnaires de Colombie–Armée populaire (EMC FARC-EP) se heurtent à des défis importants en raison de la fragmentation du groupe.
Le Représentant spécial a néanmoins indiqué que le défi majeur demeure d’assurer la durabilité du processus de réintégration des anciens membres des FARC-EP sur le long terme. Un défi dont l’insécurité est le principal obstacle, a-t-il constaté, rappelant que, depuis la conclusion de l’Accord final en 2016, 421 signataires ont été assassinés. M. Massieu Ruiz a souligné à cet égard la place centrale qu’occupe la justice transitionnelle dans l’Accord final, avant de déplorer la persistance de divergences entre les signataires concernant la portée de certaines procédures de la Juridiction spéciale pour la paix.
Au sujet de l’Accord final, le Président Petro a observé qu’il n’a pas conduit à un pacte national, tout simplement parce que la population est divisée. À peine la moitié des Colombiens le soutiennent et le précédent Gouvernement n’a pas fait les efforts requis pour sa mise en œuvre, a-t-il regretté, non sans assurer que son administration s’emploie à inverser cette tendance, notamment en accélérant la réforme agraire prévue par l’Accord. C’est pourquoi il a proposé au Congrès colombien d’adopter une nouvelle procédure accélérée de modification des textes, une décision d’autant plus urgente que seulement 1% de la population possède 90% des terres fertiles du pays, lesquelles ne sont pas utilisées pour l’agriculture mais pour la culture de plantes proscrites.
Favorable à une prolongation de la période de mise en œuvre de l’Accord final de sept années supplémentaires, M. Petro a estimé à 50 milliards de dollars le coût des réformes nécessaires pour la consolidation de la paix par des investissements agraires et sociaux. Reconnaissant que la Colombie ne dispose pas de tels fonds du fait de l’encours de sa dette extérieure, il a appelé à « une sorte de plan Marshall » pour son pays. Mais en premier lieu, il a exhorté tous les partis et mouvements politiques et sociaux, ainsi que toutes les forces vives du pays à conclure un accord politique pour définir les réformes et ajustements institutionnels nécessaires.
Cet appel a été entendu par le représentant de la haute partie contractante auprès de la Commission de suivi, de promotion et de vérification de l’Accord final. Pour M. Diego Tovar, l’inauguration, dans la matinée, du Monument pour la paix en Colombie au Siège de l’ONU symbolise l’engagement ferme des signataires de l’accord de paix à respecter ce qui a été convenu depuis qu’ils ont déposé les armes. Il a cependant invité l’État à remplir ses obligations à leur égard. L’ex-combattant des FARC-EP a également regretté qu’en raison du niveau élevé d’impunité, l’Unité d’enquête spéciale du Bureau du Procureur n’ait pas encore produit de résultats probants. À ses yeux, le succès de la Juridiction spéciale pour la paix réside dans sa capacité à rendre justice aux victimes du conflit.
Dans la même veine, le Royaume-Uni a encouragé la Colombie à recourir aux mécanismes de garantie de sécurité établis dans l’Accord final et a dit attendre avec impatience la mise en œuvre de la politique publique visant à démanteler les groupes armés illégaux. L’Équateur a, pour sa part, argué que les efforts du Gouvernement doivent s’accompagner de mesures visant à mettre fin à la violence qui continue d’affecter la sécurité de la population civile. Au nom des A3+ (Algérie, Mozambique, Sierra Leone et Gyuana), le Guyana s’est préoccupé de l’absence de mise en œuvre substantielle du chapitre ethnique de l’Accord final.
Il ne peut y avoir de justice sans les peuples autochtones et les Afrocolombiens, ont renchéri les États-Unis, qui ont par ailleurs rappelé que l’Armée de libération nationale (ELN), l’EMC FARC-EP et Segunda Marquetalia sont toujours inscrits sur leur liste de groupes terroristes. La délégation s’est également déclarée favorable au renouvellement du mandat de la Mission de vérification des Nations Unies, rejointe par le Japon, qui, en tant que coordinateur informel entre le Conseil de sécurité et la Commission de consolidation de la paix, a encouragé le premier à consulter la seconde avant la décision attendue en octobre.
(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)
LETTRES IDENTIQUES DATÉES DU 19 JANVIER 2016, ADRESSÉES AU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL ET AU PRÉSIDENT DU CONSEIL DE SÉCURITÉ PAR LA REPRÉSENTANTE PERMANENTE DE LA COLOMBIE AUPRÈS DE L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES (S/2024/509)
Déclarations
M. CARLOS RUIZ MASSIEU, Représentant spécial et Chef de la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie, s’est félicité que, pour la première fois, les deux parties signataires de l’Accord final pour la fin du conflit et la construction d’une paix stable et durable participent en personne à une réunion du Conseil de sécurité, ce qui rappelle la nature bilatérale de cet accord de paix en Colombie. L’intention des parties de formuler un plan choc pour accélérer la mise en œuvre de l’Accord final est selon lui encourageante. Le Représentant spécial a indiqué que le défi majeur demeure d’assurer la durabilité du processus de réintégration des anciens membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée populaire (FARC-EP) sur le long terme, en leur fournissant un logement adéquat, un accès à la terre, la sécurité et une protection contre la stigmatisation. Notant par ailleurs que la répartition inéquitable des terres est une des causes profondes du conflit, il a rappelé que l’Accord final inclut dans son premier chapitre sur la réforme rurale la fourniture et la formalisation de terres pour le bénéfice des paysans, des femmes rurales et des victimes. Bien que les progrès soient restés stagnants jusqu’à récemment, il a félicité le Gouvernement du Président Petro d’avoir donné la priorité au développement rural global, même si, à ses yeux, un nouvel élan est nécessaire pour atteindre l’objectif de 3 millions d’hectares fixé dans l’Accord final.
M. Ruiz Massieu a encouragé les autorités à rester concentrées sur l’application du chapitre ethnique, réalisation majeure de l’Accord final avec la reconnaissance de l’impact disproportionné du conflit sur les communautés. La mise en œuvre reste à la traîne, ce qui nécessite des efforts concertés entre les entités de l’État, ainsi que le soutien continu de la communauté internationale, a-t-il plaidé. Il a également relevé qu’après la signature de l’Accord final en 2016, l’absence de violence dans les territoires a été brève. En l’absence d’un effort déterminé de la part de l’État pour combler les lacunes laissées par le dépôt des armes de la Force alternative révolutionnaire du peuple (FARC), l’expansion progressive d’autres groupes armés a commencé. Une expansion qui se poursuit encore aujourd’hui, a-t-il déploré, tout en dénonçant des dynamiques de conflits complexes dans plusieurs domaines, lesquelles affectent la vie quotidienne des communautés, en particulier des communautés autochtones et afrocolombiennes. La lenteur de la mise en œuvre de l’ensemble des mesures de garantie de sécurité prévues dans l’Accord final a contribué à la persistance de phénomènes générateurs de violence, a expliqué le haut fonctionnaire.
Le Représentant spécial s’est dit particulièrement préoccupé par la situation dans le département de Cauca, où les actions des acteurs armés sur la population civile se sont aggravées. Même dans les endroits où les cessez-le-feu ne sont pas en vigueur, les acteurs du conflit ont la responsabilité de respecter le droit international humanitaire, a-t-il rappelé. L’insécurité est clairement le principal obstacle à la réintégration et au succès du processus de paix, a observé M. Ruiz Massieu, rappelant que, depuis la signature de l’Accord final, 421 signataires ont été assassinés. Face à cette situation, il a réitéré l’appel du Secrétaire général à tous les acteurs armés afin qu’ils respectent la vie, le bien-être et les libertés des communautés et de ceux qui ont choisi de suivre le chemin de la paix.
M. Ruiz Massieu a souligné qu’au-delà de la vérification de la mise en œuvre de l’Accord final, l’ONU a répondu à l’appel des parties à accompagner les initiatives de dialogue en cours. S’agissant du dialogue entre le Gouvernement et l’Armée de libération nationale (ELN), il a encouragé les parties à répondre aux attentes de la société colombienne et à surmonter la paralysie des négociations. Pour y parvenir, il est selon lui essentiel de rétablir la confiance mutuelle. Il a ajouté qu’à la suite des échanges entre le Gouvernement et des entités du groupe connu sous le nom d’État-major central des Forces armées révolutionnaires de Colombie–Armée populaire (EMC FARC-EP), des mesures de développement territorial sont en cours d’élaboration dans certaines régions. Cependant, a-t-il observé, ces pourparlers se heurtent à des défis importants en raison de la fragmentation du groupe et d’une recrudescence de la violence dans d’autres régions. Il a enfin rappelé que la justice transitionnelle est au cœur de l’Accord final. Alors que la Juridiction spéciale pour la paix poursuit son travail crucial, des divergences persistent entre les signataires de l’Accord final concernant la portée de certaines de ses procédures, a-t-il déploré, avant d’inviter la communauté internationale et le Conseil de sécurité en particulier à continuer de soutenir la mise en œuvre de l’Accord final par le Gouvernement colombien.
Pour M. DIEGO TOVAR, Représentant de la haute partie contractante auprès de la Commission de suivi, de promotion et de vérification de l'Accord final, l’inauguration, ce matin, du monument pour la paix en Colombie symbolise l’engagement ferme des signataires de l’accord de paix de 2016 de respecter ce qui a été convenu depuis qu’ils ont déposé les armes. Cette responsabilité nous oblige à suivre de près l’état de la mise en œuvre de l’Accord final, au nom de tous ceux qui ont opté pour la paix, a souligné cet ancien combattant des Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée populaire (FARC-EP) en citant les victimes du conflit social et armé, les communautés afrocolombiennes et indigènes, les personnes LGBTIQ+, les dirigeants sociaux et les défenseurs des droits humains. Saluant l’ambitieuse politique de « Paix Totale » du Président Petro, dont le principal pilier est la mise en œuvre intégrale de l’Accord final, il a insisté sur l’impératif de renforcer la coordination institutionnelle et la présence de l’État dans les territoires. Selon lui, l’Accord final dépend, pour son application complète, du travail coordonné de 53 entités étatiques et de 15 instances qui, aujourd’hui, ne produisent pas les résultats escomptés.
Le représentant a ensuite constaté que les affrontements entre groupes armés illégaux, en dialogue avec le Gouvernement, génèrent de la violence dans les zones rurales et de sérieux obstacles à la mise en œuvre de l’Accord final. Le récent déplacement forcé des zones territoriales de formation et de réintégration de Miravalle dans le Caquetá, après l’ultimatum de dissidents du groupe autoproclamé EMC FARC-EP, est à ses yeux emblématique de l’absence de mise en œuvre des garanties de sécurité contenues dans l’Accord final, du manque de présence de l’État dans les régions et de la précarité du processus de réintégration. Pourtant, a-t-il affirmé, la haute partie contractante avait demandé que les protocoles convenus dans le cadre de la politique de Paix Totale avec les groupes armés qui dialoguent avec l’État soient définis avec clarté et force, afin de garantir la protection de la vie et de l’intégrité des signataires de l’accord de paix et de la population civile. Il a également regretté qu’en raison du niveau élevé d’impunité pour homicides et autres formes de violence, l’Unité d’enquête spéciale du Bureau du Procureur n’ait pas encore produit de résultats significatifs. Il a donc appelé l’État à remplir ses obligations sans tarder envers les femmes et les hommes qui ont déposé leurs armes dans le cadre d’une solution négociée.
De l’avis de M. Tovar, le succès de la Juridiction spéciale pour la paix réside dans sa capacité à rendre justice, au bénéfice des nombreuses victimes du conflit. Jugeant que cet effort doit s’accompagner de garanties de sécurité juridique pour les signataires de la paix, les membres de la force publique et les autres acteurs du conflit qui comparaissent devant la juridiction, il a déploré que ce ne soit pas encore le cas, comme l’a signalé la haute partie contractante aux membres du Conseil de sécurité et à l’État de Colombie. Sur une note plus positive, l’intervenant s’est félicité des progrès réalisés par l’État pour l’achat et l’attribution de terres dans le cadre de la réforme agraire et, récemment, de l’approbation par le Congrès de la juridiction agraire. Il a aussi salué la volonté de révision de la principale feuille de route pour la mise en œuvre de l’Accord final, précisant que la haute partie contractante a remis un plan d’action au Gouvernement colombien pour obtenir des résultats à court et à moyen termes. Nous sommes au service de l’État pour travailler sur ce plan d’action et, surtout, pour commencer à le mettre en œuvre, a-t-il conclu.
M. GUSTAVO PETRO URREGO, Président de la Colombie, a rappelé que l’Accord final de 2016 est un engagement pris par son pays. Selon lui, il n’y a pas de conflit national en Colombie, mais des conflits dans les mêmes régions depuis deux siècles. Il a parlé de la guerre comme d’une fatalité qui s’impose au pays et d’une violence générationnelle qui est devenue la norme pour les populations. Constatant que les inégalités, notamment raciales, font le terreau de ces conflits, il a noté que l’Accord final était justement censé réparer ces inégalités, notamment entre les très riches et les plus démunis. La réforme agraire commencée du temps des colons espagnols n’ayant jamais abouti, la société colombienne a hérité de dissentions depuis la période coloniale, a-t-il expliqué, non sans relever que 1% de la population possède 90% des terres fertiles du pays, lesquelles ne sont pas utilisées pour l’agriculture, mais pour la culture de plantes proscrites.
Au sujet de l’Accord final, le Président Petro a observé qu’il n’a pas conduit à un pacte national, tout simplement parce que la population est divisée. À peine la moitié de la population le soutient et le précédent gouvernement n’a pas fait les efforts requis pour sa mise en œuvre. Il a assuré que, depuis sa prise de fonction en 2022, il s’évertue à mettre en œuvre cet accord de paix, notamment son premier chapitre relatif à la réforme agraire. Trois millions d’hectares doivent faire l’objet de redistribution en vertu de l’Accord final, a-t-il affirmé, regrettant que seulement 70 000 hectares aient changé de propriétaire à ce jour. Pour accélérer la mise en œuvre de cette réforme, il faut selon lui changer les normes et lois. C’est pourquoi il a proposé au Congrès colombien d’adopter une nouvelle procédure accélérée de modification des textes. Il a indiqué qu’une autre loi prévoit la libération de quelque 35 000 producteurs de coca emprisonnés dans des conditions inhumaines, au motif qu’une précédente législation a criminalisé leur culture traditionnelle. Il a également évoqué une modification de la répartition des ressources afin de les orienter vers les zones rurales et un projet de système unique de vérité, justice, réparation et réconciliation pour tous les acteurs du conflit. Enfin, il a dit militer pour une prolongation de la période de mise en œuvre de l’Accord final de sept années supplémentaires.
Pour lancer ces projets, le Président colombien a invité la communauté internationale à soutenir le pays en troquant sa dette extérieure contre son action climatique marquée par la préservation forestière. Il a estimé à 50 milliards de dollars le coût des réformes nécessaires pour la consolidation de la paix par des investissements agraires et sociaux. Un montant dont la Colombie ne dispose pas du fait de l’encours de sa dette extérieure. Il a par conséquent appelé à « une sorte de Plan Marshall », à l’image de celui dont l’Europe a bénéficié après la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, la communauté internationale fournirait des fonds à la Colombie, qui, en retour, s’engagerait à mettre fin à la production de coca, offrant une solution idoine au problème de trafic de cocaïne qui affecte le monde entier. Avant de conclure, le Président Petro a appelé tous les partis, tous les mouvements politiques et sociaux, et toutes les forces vives du pays à conclure un accord politique visant à définir les réformes et les ajustements institutionnels nécessaires pour relever les défis qu’exige la paix.