Conseil de sécurité: défavorables à la Conférence sur la paix en Ukraine, la Chine et la Russie renvoient à leurs propres « propositions de paix »
À l’initiative des États-Unis et de la Slovénie, porte-plume pour les questions politiques en Ukraine, le Conseil de sécurité s’est réuni cet après-midi pour discuter des développements récents, notamment de la Conférence de haut niveau sur la paix en Ukraine, que la Suisse a accueilli le week-end dernier à la demande de Kyïv. Si, à l’instar de la Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques et à la consolidation de la paix, la plupart des délégations ont salué ce premier pas vers la recherche d’une paix juste et durable, fondée sur les principes de la Charte des Nations Unies, la Chine et la Fédération de Russie ont renvoyé la communauté internationale à leurs propres « propositions de paix ».
Alors que les massacres et les destructions se poursuivent en Ukraine, et que d’autres parties du monde continuent de ressentir les conséquences économiques et politiques de ce conflit, Mme Rosemary DiCarlo a vu un motif d’espoir dans le fait que des discussions sur les « voies possibles vers la paix » se multiplient, à l’image de cette conférence organisée à Bürgenstock, en Suisse.
Ces discussions, a souligné la Secrétaire générale adjointe, ont eu lieu à la suite d’une forte escalade des hostilités et d’une augmentation effroyable du nombre de victimes civiles. Elle a précisé que, selon les chiffres du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH), au moins 174 civils ont été tués et 690 blessés en mai en Ukraine, soit le plus grand nombre de victimes civiles en un seul mois depuis juin 2023. Plus de la moitié d’entre elles se trouvaient dans la région de Kharkiv, cible de la nouvelle offensive de la Fédération de Russie lancée le 10 mai, a-t-elle indiqué, avant de condamner les attaques massives menées contre les infrastructures énergétiques, qui ont réduit la capacité de production électrique de l’Ukraine de 68%.
Dans ce contexte, les membres du Conseil ont majoritairement applaudi la tenue de la Conférence de haut niveau sur la paix en Ukraine, les 15 et 16 juin, en présence d’une centaine de pays du monde entier, d’organisations internationales et de représentants religieux. Organisatrice de ce « sommet », premier du genre, la Suisse a estimé que les échanges ont permis de « mieux comprendre les points de vue pour en dégager une vision commune », illustrée par la déclaration finale signée par près de 80 États et portant sur la sûreté nucléaire, la sécurité alimentaire et les questions humanitaires. La Slovénie s’est réjouie de cette « première étape » vers le rétablissement de l’intégrité de la Charte des Nations Unies, appelant de ses vœux l’ouverture à l’ONU de discussions de paix auxquelles la Fédération de Russie prendrait part.
La conférence de Bürgenstock a été l’occasion pour l’Ukraine de s’entendre avec un vaste ensemble de pays et d’organisations sur un cadre possible de règlement de paix avec la Russie, même s’il faudra réunir les deux parties pour entamer des négociations officielles, ont noté les États-Unis, tout en constatant que, en plus de deux ans de guerre, « le Kremlin n’a pas fait d’efforts de bonne foi dans ce sens ». Au contraire, « tandis que les participants au sommet évoquaient l’assistance humanitaire et la reconstruction de l’Ukraine, Putin se rendait en RPDC pour discuter de contrats militaires », a dénoncé la délégation américaine, rejointe par la République de Corée, soucieuse de savoir ce que Moscou va tirer de cette coopération et ce que Pyongyang obtiendra en retour, afin d’évaluer les risques pour la paix et la sécurité internationales.
Moscou a tout fait pour dénigrer le sommet sur la paix et dissuader les pays qui étaient invités d’y participer, se sont pour leur part indignés la France et le Royaume-Uni. « La Russie aura tenté de présenter ce dialogue pour bâtir la paix comme une tentative d’ultimatum à son égard, elle qui, à la veille de l’ouverture de la Conférence, a fixé comme condition à des pourparlers la reddition de l’Ukraine », a relevé la délégation française, selon laquelle « la paix ne peut être la capitulation de l’agressé ». Constatant également que « Putin ne demande pas à négocier mais exige que l’Ukraine dépose les armes », les États-Unis ont appelé à fournir à l’Ukraine « la position la plus forte possible » en vue d’éventuels pourparlers.
Sur une ligne plus médiane, le Mozambique a pris note du « cadre de paix » envisagé à Bürgenstock, avant de réitérer que seuls le dialogue et la diplomatie peuvent conduire à la désescalade, à la cessation des hostilités et à un éventuel règlement du conflit. Même son de cloche de la part de la Sierra Leone et de l’Algérie, cette dernière jugeant que toute solution doit être négociée et fondée sur les principes de la Charte ainsi que sur les préoccupations légitimes des deux parties en matière de sécurité.
Parmi les délégations invitées, la Pologne a qualifié d’inacceptables les « conditions de paix » posées par la Fédération de Russie, lesquelles « ne servent que de justification inepte à la poursuite de la guerre ». Il revient à Moscou de faire preuve d’une volonté concrète de respecter la Charte des Nations Unies, a estimé l’Union européenne, satisfaite que le sommet en Suisse ait confirmé le fort soutien de la communauté internationale aux buts et principes de l’ONU. Au nom des États baltes, la Lituanie a préféré appuyer la formule de paix ukrainienne en tant que seule « feuille de route » vers une paix juste et durable fondée sur le droit international et la Charte.
De son côté, l’Ukraine a justifié l’absence de la Fédération de Russie à Bürgenstock par le fait que cette dernière « n’est toujours pas disposée à abandonner le langage des ultimatums et à accepter et mettre en œuvre le langage du droit international et de la Charte des Nations Unies ». Rappelant que les efforts visant à « apaiser l’agresseur » ont toujours échoué par le passé, « notamment en 1938-1939 », elle a exhorté tous ceux qui n’ont pas encore rejoint le processus initié ce week-end à s’y engager activement. Le communiqué conjoint du sommet reste ouvert à tous les États Membres, a-t-elle affirmé, soutenue par l’Italie, qui a encouragé les pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine à se joindre aux discussions.
La République tchèque a regretté quant à elle que plusieurs pays ayant l’ambition de jouer un rôle actif au niveau mondial n’aient pas été présents en Suisse ou ne se soient pas associés à la déclaration finale. L’un d’eux, la Chine, a fait valoir sa position constante en faveur d’un règlement politique qui respecte la souveraineté et l’intégrité territoriale de chaque État et tienne compte de ses préoccupations sécuritaires légitimes. Elle a également rappelé qu’elle est à l’origine d’une série d’initiatives qui s’inscrivent dans les efforts de paix de la communauté internationale, en particulier le plan en six points présenté avec le Brésil pour parvenir à un cessez-le-feu et jeter les bases de négociations. Elle a invité tous les États Membres à soutenir ce plan pour œuvrer de concert à la paix, avant d’enjoindre aux États-Unis de cesser leurs allégations à son encontre, qui alimentent l’escalade des tensions.
Après avoir exprimé son désaccord avec l’invitation à cette réunion du Conseil de huit délégations, dont six sont à la fois membres de l’Union européenne et de l’OTAN, la Fédération de Russie a, elle, accusé les soutiens occidentaux du « régime de Kiev » de vouloir réhabiliter la « conférence pseudo-pacifique et pseudo-mondiale de Bürgenstock », dont le seul but était, selon elle, de rassembler des « figurants » afin de lancer un ultimatum à la Russie, soi-disant au nom de la communauté internationale. Fort heureusement, s’est-elle félicitée, la majorité des invités ont vu clair dans cette supercherie et ont refusé d’y participer. Quant à ceux qui y ont pris part, certains ont jugé inutile de discuter de que quoi que ce soit sans la Russie.
Selon la délégation russe, les propositions de paix formulées par Moscou ne visent pas à « geler » le conflit, mais à « tourner cette page tragique de l’histoire » et à commencer progressivement de restaurer des relations de confiance et de bon voisinage entre la Russie et l’Ukraine. Cela nécessite toutefois un changement fondamental dans la « pensée des élites politiques occidentales », la renonciation à l’utilisation du « projet ukrainien » contre la Russie, l’arrêt des politiques militaristes agressives de l’OTAN et le retour à un dialogue sur l’ensemble des questions de sécurité mondiale. C’est le seul moyen d’éviter une nouvelle escalade, a-t-elle averti, invitant les Occidentaux à suivre cette voie « avant qu’il ne soit trop tard ».
(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)
MAINTIEN DE LA PAIX ET DE LA SÉCURITÉ DE L’UKRAINE
Exposé
Mme ROSEMARY DICARLO, Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques et à la consolidation de la paix, a rappelé que, le week-end dernier, de nombreux dirigeants du monde se sont réunis en Suisse pour « parvenir à un consensus sur les éléments d’une paix juste en Ukraine ». Ces discussions ont eu lieu à la suite d’une forte escalade des hostilités et d’une augmentation effroyable du nombre de victimes civiles, a-t-elle constaté, précisant que, selon le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH), au moins 174 civils ont été tués et 690 blessés en mai en Ukraine, soit le plus grand nombre de victimes civiles en un seul mois depuis juin 2023. Plus de la moitié de ces victimes se trouvaient dans la région de Kharkiv, cible de la nouvelle offensive de la Fédération de Russie lancée le 10 mai, a indiqué la haute fonctionnaire. Elle a ajouté que, au nord de Kharkiv, la ville frontalière de Vovchansk a été le théâtre de combats parmi les plus intenses du mois dernier et est aujourd’hui presque entièrement détruite. Il s’agit d’une répétition des ravages causés à Marioupol, Bakhmut et Avdiivka plus tôt dans la guerre, a-t-elle observé, faisant également état de bombardements meurtriers à Kryviy Rih et Kherson. Depuis février 2022, le HCDH a recensé 11 126 civils tués et 21 863 civils blessés en Ukraine, les chiffres réels étant probablement beaucoup plus élevés. Au cours de la même période, a relevé Mme DiCarlo, les autorités russes ont signalé qu’au moins 91 civils avaient été tués et 455 blessés en Fédération de Russie, principalement dans les régions de Belgorod, Briansk et Koursk, frontalières avec l’Ukraine.
Avant même l’escalade actuelle, a poursuivi la Secrétaire générale adjointe, une évaluation des dommages et des besoins, effectuée conjointement par l’Ukraine, l’ONU, le Groupe de la Banque mondiale et la Commission européenne, estimait à la fin de l’an dernier que la reconstruction et le redressement de l’Ukraine coûteraient quelque 486 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie. Saluant la solidarité qui s’est exprimée lors de la Conférence sur le redressement de l’Ukraine, la semaine dernière à Berlin, elle a indiqué que les attaques à grande échelle menées par la Fédération de Russie contre les infrastructures énergétiques ont réduit la capacité de production d’énergie de l’Ukraine de 68%. Les frappes périodiques mettant en péril l’alimentation électrique de la centrale nucléaire de Zaporizhzhia ont également continué, a-t-elle déploré, avertissant que, compte tenu de la poursuite des attaques, il sera difficile de réparer les installations endommagées avant l’hiver prochain. Cette intensification des hostilités s’ajoute à une situation humanitaire alarmante, a souligné la haute fonctionnaire, non sans regretter que le Plan de réponse humanitaire pour 2024 ne soit financé qu’à 27%. Après avoir exhorté les donateurs à maintenir leur soutien financier, elle a noté que pour environ 1,5 million de personnes ayant besoin d’une aide humanitaire dans les régions de Donetsk, Luhansk, Kherson et Zaporizhzhia sous occupation russe, le principal défi reste le manque d’accès.
Mme DiCarlo a ensuite rappelé que cette guerre touche des pays bien au-delà des frontières de l’Ukraine. Le dernier rapport mondial sur les crises alimentaires montre ainsi qu’en 2023, près de 282 millions de personnes dans 59 pays étaient confrontées à des niveaux élevés d’insécurité alimentaire aiguë, ce qui représente 24 millions de personnes supplémentaires depuis 2022. Cette augmentation est due aux conditions de récolte défavorables, aux dommages causés aux infrastructures de transport maritime et aux perturbations de la navigation dans la mer Noire et ailleurs, a expliqué la Secrétaire générale adjointe, pour qui il reste encore beaucoup à faire pour atténuer les risques des voies maritimes, réduire les coûts de transaction et apporter plus de stabilité aux marchés agricoles mondiaux.
Elle s’est d’autre part inquiétée de la situation des droits humains dans les régions d’Ukraine sous occupation russe, indiquant que des dizaines de personnes interrogées par le HCDH après avoir fui ces lieux ont fait état de pressions accrues pour obtenir des passeports russes liées au décret présidentiel russe du 27 avril 2023. Selon ce décret, les personnes sans citoyenneté russe vivant dans les zones occupées des régions ukrainiennes de Kherson, Zaporizhzhia, Donetsk et Luhansk seront considérées comme des « étrangers » après le 1er juillet 2024. Le droit international humanitaire interdit à une puissance occupante de contraindre la population d’un territoire occupé à lui prêter allégeance, a rappelé Mme DiCarlo. Elle s’est cependant félicitée de l’échange de prisonniers du 31 mai, au cours duquel 150 personnes ont été libérées, et a exhorté les parties à poursuivre et intensifier ces échanges.
Alors que les massacres et les destructions ne cessent pas, deux ans et demi après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Fédération de Russie, et que d’autres parties du monde continuent de ressentir les conséquences économiques et politiques du conflit, la Secrétaire générale adjointe a salué le fait que des discussions sur les voies possibles vers la paix se multiplient. En Suisse, a-t-elle indiqué, de nombreuses voix ont souligné ce week-end la nécessité de respecter les principes de la Charte des Nations Unies, qui sont aussi valables aujourd’hui qu’ils l’étaient en 1945.