9654e séance – matin
CS/15727

Conseil de sécurité: la feuille de route de l’ONU pour le Yémen au point mort dans un contexte marqué par des arrestations arbitraires et l’escalade en mer Rouge

Ce matin, le Conseil de sécurité s’est penché sur la situation au Yémen.  Dans leurs exposés, l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour le Yémen et la Directrice des opérations et de la communication du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) ont dressé un bilan sombre évoquant tour à tour une situation humanitaire, économique et militaire préoccupante dans un contexte marqué par le rétrécissement de l’espace de médiation et une situation régionale explosive.  Les deux hauts responsables se sont également inquiétés de la répression exercée par Ansar Allah contre la société civile yéménite, les organisations non gouvernementales et les Nations Unies. 

En effet, la semaine dernière, 13 membres du personnel des Nations Unies, ainsi que 5 membres du personnel d’ONG internationales, tous yéménites, et de nombreux autres membres d’ONG nationales et de la société civile ont été détenus arbitrairement par les houthistes.  Précisant que ces personnes sont détenues au secret, M. Hans Grundberg a exhorté les autorités houthistes de facto à les libérer immédiatement et sans condition. 

Les membres du Conseil ont unanimement soutenu cet appel et condamné dans les termes les plus fermes ces détentions arbitraires, même si la Fédération de Russie a appelé à faire la lumière sur les circonstances de ces arrestations avant de lancer des accusations contre qui que ce soit.  Le Japon et les États-Unis ont déploré de leur côté que les membres du Conseil n’aient pas pu s’entendre sur une déclaration à la presse dénonçant ces agissements, une position partagée par le Yémen. 

M. Grundberg a alerté en outre qu’au lieu de faire des progrès tangibles pour protéger les engagements pris et finaliser la feuille de route, les parties sont revenues à un jeu à somme nulle et opté pour des mesures qui, selon elles, renforceront leur propre position.  Cela risque de mettre en péril la viabilité des engagements pris précédemment, s’est inquiété l’Envoyé spécial, qui a expliqué que cette situation se fait particulièrement ressentir dans l’économie et le secteur bancaire, où la situation déjà insoutenable avec deux autorités monétaires concurrentes et deux monnaies est devenue encore plus compliquée suite à une série d’actions d’escalade. 

Exhortant les parties à mettre fin aux mesures économiques hostiles, Mme Wosornu a expliqué que, ces dernières semaines, les autorités houthistes de facto et le Gouvernement du Yémen ont publié des directives concurrentes et de plus en plus strictes interdisant aux particuliers, aux entreprises et aux institutions financières locales et internationales de traiter avec les banques dans des zones contrôlées par l’autre partie.  L’une d’elles vise à exclure les banques basées à Sanaa de l’utilisation du système bancaire SWIFT, ce qui empêcherait ces établissements de faciliter les transactions financières internationales. Ces évolutions ont des conséquences potentiellement catastrophiques, dans la mesure où elles compromettent la capacité du secteur privé à effectuer les transactions financières nécessaires à l’importation de produits alimentaires et d’autres biens essentiels, s’est alarmée la responsable.  De surcroît, a poursuivi Mme Wosornu, l’environnement bancaire de plus en plus volatile a aggravé une crise de liquidités existante, ce qui rend très difficile pour les organisations humanitaires de payer les salaires de leur personnel et les nombreux services dont elles dépendent pour leurs opérations.  Cette perspective a particulièrement inquiété le Royaume-Uni qui a relevé que 18,2 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire au Yémen, dont plus de la moitié sont des enfants.

Partageant le point de vue de l’Envoyé spécial selon lequel les efforts de paix au Yémen sont compromis par la militarisation croissante de la mer Rouge, la Russie a condamné à la fois les attaques des houthistes et la riposte « illégitime » de la coalition menée par les États-Unis.  De telles interventions militaires ne peuvent être justifiées ni par la résolution 2722 (2024) du Conseil, ni par une référence au droit de légitime défense, a estimé la délégation.  Pour remédier à la situation au Yémen et dans les eaux voisines, des efforts politico-diplomatiques globaux sont nécessaires, et non « les frappes agressives habituelles de l’Occident ». 

Il n’en reste pas moins que par ces attaques en mer Rouge, les houthistes portent la lourde responsabilité de l’escalade régionale, a tranché la France qui les a exhortés à y mettre fin et à libérer l’équipage du Galaxy Leader.  Les États-Unis se sont préoccupés pour leur part des liens entre les houthistes et les gardiens de la révolution iraniens qui leur fournissent des armes de pointe en violation flagrante de l’embargo sur les armes du Conseil.  La délégation a également estimé que la libération unilatérale de 113 détenus par les houthistes doit être accueillie avec scepticisme, cela pouvant représenter une tentative d’orienter les négociations de l’ONU et de faire oublier les attaques maritimes. 

De son côté, le Yémen a invité l’ONU et les organisations internationales à transférer leur siège dans la capitale provisoire d’Aden afin d’y trouver des conditions propices à leur travail.  Cela concerne notamment la Mission des Nations Unies en appui à l’Accord d’Hodeïda (MINUAAH), qui se voit imposer des restrictions dans les zones contrôlées par les houthistes, a ajouté le délégué qui a par ailleurs regretté que le Conseil ait passé sous silence les défaillances de la MINUAAH ayant permis aux houthistes d’utiliser la ville portuaire d’Hodeïda pour menacer la navigation maritime régionale.

(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse 
est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)

LA SITUATION AU MOYEN-ORIENT

Exposés

M. HANS GRUNBERG, Envoyé spécial du Secrétaire général pour le Yémen, s’est inquiété de la répression exercée par Ansar Allah contre la société civile yéménite, les organisations non gouvernementales et les Nations Unies.  La semaine dernière, 13 membres du personnel de l’ONU, dont l’un de ses collègues à Sanaa, ainsi que 5 membres du personnel d’ONG internationales et de nombreux autres membres d’ONG nationales et de la société civile ont été détenus arbitrairement par Ansar Allah.  Ils sont toujours détenus au secret, a-t-il précisé.  Cela s’ajoute aux quatre membres du personnel du Haut-Commissariat aux droits de l’homme et de l’UNESCO, qui sont détenus au secret depuis 2021 et 2023, respectivement. Il a exhorté Ansar Allah à libérer immédiatement et sans condition l’ensemble du personnel de l’ONU et des ONG, ainsi qu’à s’abstenir de détenir arbitrairement des civils.  Les Nations Unies sont présentes pour servir les Yéménites, leur a-t-il rappelé, et de telles détentions arbitraires ne sont pas le signal attendu d’un acteur qui cherche à trouver une solution au conflit par la médiation.  En outre, M. Grundberg s’est dit préoccupé par les jugements rendus par Ansar Allah le 1er juin, condamnant 45 personnes à la peine de mort, réitérant les appels des Nations Unies en faveur d’un moratoire sur la peine de mort partout dans le monde.

En dépit de cette situation difficile, l’Envoyé spécial a dit avoir poursuivi son engagement en faveur d’un cessez-le-feu et d’un processus politique inclusif permettant aux parties en conflit de régler leurs différends par des moyens pacifiques.  Mais depuis décembre dernier, lorsque les parties ont convenu d’une série d’engagements à mettre en œuvre par le biais d’une feuille de route des Nations Unies, la situation régionale a gravement compliqué ce processus, a-t-il concédé.  Évoquant l’escalade en mer Rouge, il a indiqué qu’au lieu de faire des progrès tangibles pour protéger les engagements pris et finaliser la feuille de route, les parties sont revenues à un jeu à somme nulle et ont opté pour des mesures qui, selon elles, renforceront leur propre position.  Cela risque de mettre en péril la viabilité des engagements pris précédemment, s’est inquiété l’Envoyé spécial. 

Il a expliqué que cette situation se fait particulièrement ressentir dans l’économie qui s’est fortement contractée à la suite de l’attaque contre les installations d’exportation de pétrole en octobre 2022, entraînant un arrêt complet des exportations de pétrole brut et affectant gravement les revenus du Gouvernement du Yémen. Dans le secteur bancaire, la situation déjà insoutenable avec deux autorités monétaires concurrentes et deux monnaies est devenue encore plus compliquée en raison d’un cycle d’actions d’escalade.  L’annonce en mars dernier par Ansar Allah de la mise en circulation de sa propre pièce de cent rials, pour remédier à la désintégration des billets de cent rials yéménites, a remis en question l’autorité monétaire de la Banque centrale du Yémen. Cette dernière a réagi en avril en demandant aux banques de transférer leur siège de Sanaa à Aden et a annoncé des mesures punitives à l’encontre des banques qui refusaient de le faire.  En réaction, la branche de la Banque centrale contrôlée par Ansar Allah a interdit à toutes les banques ayant leur siège à Aden d’opérer dans leur région.  Si les banques de Sanaa sont effectivement coupées des transactions financières internationales, cela aura un impact sévère pour l’économie, a-t-il averti.

Pour tenter d’éviter un tel scénario, il a écrit le 1er juin à M. Rashid Al-Alimi, Président du Conseil présidentiel, et à M. Mahdi Al Mashat, Président du Conseil politique suprême, pour les exhorter à s’abstenir de toute nouvelle escalade et les inviter à un dialogue, sans conditions préalables, sous les auspices des Nations Unies.  À ce jour, M. Grundberg n’a pas encore reçu de réponse positive. 

Poursuivant, l’Envoyé spécial a indiqué que la situation militaire n’est pas viable, même si elle est restée relativement stable le long des lignes de front depuis la trêve d’avril 2022.  Si les parties poursuivent l’escalade actuelle, la question n’est pas de savoir si elles reviendront à l’escalade sur le champ de bataille, mais quand, a-t-il dit. Il a fait état d’une augmentation progressive des combats au cours des derniers mois, notamment le mois dernier lorsque des affrontements ont été signalés à Dhale, Lahj, Maareb et Taëz.  Et en mer Rouge, Ansar Allah a intensifié ses efforts pour frapper des navires commerciaux et militaires, trois navires commerciaux ayant été endommagés au cours de la période considérée.  De son côté, la coalition dirigée par les États-Unis a poursuivi ses frappes aériennes dans les zones contrôlées par Ansar Allah à Hodeïda, Sanaa et Taëz.

Je suis frustré parce que nous avons vu les progrès dont les Yéménites ont désespérément besoin être dépassés par une situation régionale qui échappe à notre contrôle, a avoué l’Envoyé spécial qui s’est également préoccupé des mesures d’escalade et des discours des parties.  Passant ensuite aux développements positifs, M. Grundberg a cité l’ouverture de deux routes supplémentaires: l’une reliant la ville de Maareb à Sanaa via le district de Djouba, et l’autre, la ville de Taëz et la région voisine de Houban, permettant pour la première fois depuis plus de neuf ans aux civils de traverser la ligne de front.  Il a également évoqué la libération unilatérale de 113 détenus par Ansar Allah.  En ce qui le concerne, il a dit rester déterminé à réunir les parties sans conditions préalables, à discuter des questions qui se posent directement à elles, de l’économie, de la libération des détenus liés au conflit, de l’ouverture de nouvelles routes et, enfin, de la finalisation de la feuille de route.

Mme EDEM WOSORNU, Directrice des opérations et de la communication du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), a tout d’abord attiré l’attention du Conseil sur le sort de 13 employés de l’ONU et de 5 membres du personnel d’ONG internationales et d’autres travaillant pour des ONG nationales et des organisations de la société civile, tous ressortissants yéménites, arrêtés par les autorités houthistes de facto ces deux dernières semaines.  Affirmant ne pas savoir où ils se trouvent exactement, ni dans quelles conditions ils sont détenus, elle a indiqué que l’OCHA a demandé aux autorités houthistes de facto de pouvoir accéder à ces personnes et a réclamé leur libération immédiate.  Ces circonstances s’appliquent également aux quatre membres du personnel de l’ONU détenus depuis 2021 et 2023, a-t-elle ajouté, rappelant que le droit international interdit la privation arbitraire de liberté et exige que toutes les parties à un conflit armé respectent et protègent le personnel humanitaire contre tout harcèlement, mauvais traitement, arrestation ou détention illégale.  Ces actes mettent non seulement en danger le personnel de l’ONU et des ONG, mais ils retardent et entravent aussi la fourniture d’une aide vitale à des millions de personnes, tout en exacerbant la désinformation à l’égard de la communauté humanitaire, a souligné la responsable onusienne. 

Mme Wosornu a ensuite alerté le Conseil sur le fait que, ces dernières semaines, les autorités houthistes de facto et le Gouvernement du Yémen ont publié des directives concurrentes et de plus en plus strictes interdisant aux particuliers, aux entreprises et aux institutions financières locales et internationales de traiter avec les banques dans des zones contrôlées par l’autre partie.  L’une d’elles vise à exclure les banques basées à Sanaa de l’utilisation du système bancaire SWIFT, ce qui empêcherait ces établissements de faciliter les transactions financières internationales.  Ces évolutions ont des conséquences potentiellement catastrophiques, dans la mesure où elles compromettent la capacité du secteur privé à effectuer les transactions financières nécessaires à l’importation de produits alimentaires et d’autres biens essentiels, s’est alarmée la responsable.  Elles limitent ainsi la disponibilité des produits de base et font monter les prix, perturbant en outre le flux des envois de fonds dont dépendent de nombreuses familles au Yémen.  Ces facteurs vont probablement aggraver la pauvreté, l’insécurité alimentaire et la malnutrition, et accroître le recours à l’aide humanitaire, a-t-elle averti. 

De surcroît, a poursuivi Mme Wosornu, l’environnement bancaire de plus en plus volatile a aggravé une crise de liquidités existante, ce qui rend très difficile pour les organisations humanitaires de payer les salaires de leur personnel et les nombreux services dont elles dépendent pour leurs opérations.  De fait, si les banques de Sanaa et d’autres zones contrôlées par les autorités houthistes de facto sont coupées des institutions et des réseaux financiers internationaux, nous perdrons la capacité de transférer les fonds nécessaires au maintien des opérations humanitaires, a-t-elle souligné. Une perspective particulièrement préoccupante alors que l’épidémie de choléra s’aggrave et que l’insécurité alimentaire atteint des niveaux élevés.  Il est donc urgent que les parties donnent la priorité aux intérêts du peuple yéménite et mettent fin aux mesures économiques hostiles, a plaidé la responsable de l’OCHA. Elle a conclu son exposé en présentant ses condoléances aux familles d’au moins 49 migrants qui ont perdu la vie lorsque leur bateau a chaviré alors qu’il faisait route de la Somalie vers le Yémen lundi dernier. 

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