En cours au Siège de l'ONU

9648E SÉANCE - MATIN
CS/15721

Conseil de sécurité: l’Afrique centrale face à un enchevêtrement de crises

Le Conseil de sécurité a été informé, ce matin, de la situation en Afrique centrale marquée par des tendances encourageantes, à commencer par la détermination des États de la sous-région à œuvrer en faveur du retour à l’ordre constitutionnel au Tchad et au Gabon, mais aussi par l’enchevêtrement de multiples crises.

Le Représentant spécial du Secrétaire général pour l’Afrique centrale s’est notamment félicité de la tenue de l’élection présidentielle le 6 mai dernier au Tchad, ainsi que de la tenue, au Gabon, d’un dialogue national inclusif marqué par la création d’un Comité constitutionnel national chargé de rédiger un projet de constitution et un projet de code électoral.  Il a également salué les progrès réalisés à Sao Tomé-et-Principe dans la réforme des secteurs de la justice et de la sécurité avec l’accord signé entre les autorités et la Commission de consolidation de la paix. 

M. Abdou Abarry a cependant alerté que la menace des changements non constitutionnels de gouvernement reste toujours une inquiétude pour la région, évoquant notamment les récents événements en République démocratique du Congo (RDC).

Pour s’en prémunir, il a appelé les États de la sous-région à ouvrir l’espace politique et à garantir la liberté d’expression, la liberté de la presse et le libre exercice des activités politiques.  Il s’est également inquiété de la situation au Cameroun, où des groupes séparatistes ont tué plus de 14 personnes dans les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest, ainsi que dans la région des Grands Lacs, où les activités du groupe rebelle M23 ont ravivé les tensions entre le Burundi et le Rwanda, d’une part, et entre le Rwanda et la RDC, d’autre part.

L’« activisme persistant des groupes armés réfractaires aux processus de paix » a également préoccupé le Président de la Commission de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) qui a alerté que l’Afrique centrale est par ailleurs le théâtre d’une grande crise humanitaire causée à la fois par différentes situations d’insécurité, en particulier au Soudan et en Libye, et par les conséquences néfastes des changements climatiques, notamment des inondations. 

« Ces multiples crises enchevêtrées sont en train de remettre durablement en place le système des conflits qui a été à la base de la déflagration survenue dans la région des Grands Lacs au milieu des années 90 et dont nous ressentons encore les conséquences », a souligné M. Gilberto da Piedade Veríssimo, selon qui les processus de Luanda et de Nairobi ont permis de contenir ces crises sans toutefois les résoudre de manière définitive. 

Intervenant au nom des A3+ (Algérie, Mozambique, Sierra Leone et Guyana) l’Algérie a appelé tous les acteurs régionaux à travailler ensemble pour répondre à la résurgence des attaques dans le Bassin du lac Tchad et pour traiter les causes profondes de l’extrémisme et de la violence.  Préoccupée par les exactions du groupe Boko Haram, la persistance des attaques de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) ainsi que par les incidents dans le golfe de Guinée, la délégation a également exhorté les groupes armés à intégrer les processus de désarmement en cours en Afrique centrale. 

Alertant en outre le Conseil sur les effets des changements climatiques sur l’Afrique centrale sont une menace croissante pour la sécurité alimentaire et la paix dans la région, elle a souhaité que la communauté internationale investisse davantage dans la résilience et de développement durable de l’Afrique centrale. 

Les impacts des changements climatiques sont documentés.  Il faut maintenant s’atteler à la mise en œuvre de solutions concrètes sur le terrain, a exhorté la France qui a estimé que le travail du conseiller climat, paix et sécurité du Bureau régional des Nations Unies pour l'Afrique centrale (BRENUAC) et la coordination avec les organisations sous-régionales et les États de la région sont essentiels. 

La Fédération de Russie s’est toutefois opposée à l’idée selon laquelle il faudrait lier les questions liées aux changements climatiques à celles traitant de la paix et de la sécurité, comme l’y encouragent les missions politiques spéciales de l’ONU.  Ce sont les fonds et programmes de l’ONU qui devraient être impliqués dans les mesures visant à s’adapter et à surmonter les conséquences des changements climatiques, a-t-elle fait valoir.  La délégation russe s’est également dite convaincue que la prévention des crises et la résolution des conflits relèvent des États de la région eux-mêmes, exhortant à fonder l’aide de la communauté internationale sur les principes de non-ingérence dans les affaires intérieures et de respect de la souveraineté nationale.  « Il n’y a pas de place pour les pratiques coloniales dépassées et discréditées, ni pour leurs manifestations modernes. ».

Ce dernier point a été appuyé par la Chine qui a noté que plusieurs pays de la région se lanceront l’an prochain dans une transition politique, jugeant important d’appliquer le principe des « solution africaines aux problèmes africains », de soutenir les pays de la région dans leurs choix de développement et d’appuyer la coopération régionale.  La délégation a également enjoint à la communauté internationale de se mobiliser pour aider la région à faire face à la crise des moyens de subsistance, relevant en outre que le Tchad, la RDC et le Cameroun sont sous une pression immense pour répondre aux problèmes des réfugiés et l’insécurité alimentaire.  Dans ce contexte, les institutions financières internationales et les bailleurs de fonds traditionnels doivent honorer leurs engagements, combler les manques dans les fonds d’assistance d’urgence et aider les pays de la région à faire face à la charge de la dette, a-t-elle plaidé.

Pour en revenir aux processus de transition, les délégations ont dans l’ensemble félicité la tenue de l’élection présidentielle au Tchad et encouragé le Gabon à mettre en œuvre les recommandations du dialogue national inclusif.  Le Royaume-Uni a demandé au Tchad d’établir le calendrier pour les élections locales et législatives tandis que les États-Unis ont appelé à respecter les aspirations démocratiques des populations de la région.  La Slovénie a demandé l’ouverture de l’espace politique à tous, le respect de l’état de droit et un processus démocratique véritable, le Japon insistant pour sa part sur l’importance de la bonne gouvernance.

RÉGION DE L’AFRIQUE CENTRALE (S/2024/420)

Déclarations liminaires

M. ABDOU ABARRY, Représentant spécial du Secrétaire général pour l’Afrique centrale et Chef du Bureau régional des Nations Unies pour l’Afrique centrale (BRENUAC), a indiqué qu’au cours des six derniers mois, la région a été marquée par quelques tendances plutôt positives et encourageantes, saluant notamment la détermination des États de la sous-région à œuvrer en faveur du retour à l’ordre constitutionnel au Tchad et au Gabon.  Il s’est également félicité de la conclusion de la transition au Tchad, avec l’adoption d’une nouvelle constitution par référendum en décembre 2023 et la tenue de l’élection présidentielle le 6 mai dernier. Toutefois, il faut appuyer les autorités tchadiennes dans leur quête de stabilité, notamment dans les pourparlers avec les groupes politico-militaires non signataires de l’Accord de paix de Doha afin de renforcer les efforts de paix et de réconciliation entrepris par les autorités.

Au Gabon, a-t-il poursuivi, la transition a atteint un tournant important avec la tenue, en avril, d’un dialogue national inclusif à l’issue duquel les autorités gabonaises ont entrepris des actions concrètes pour un retour à l’ordre constitutionnel, avec la création d’un comité constitutionnel national chargé de rédiger un projet de constitution et un projet de code électoral.

Il a également indiqué que des progrès notables ont été réalisés à Sao Tomé-et-Principe dans la réforme des secteurs de la justice et de la sécurité avec l’accord signé entre les autorités et la Commission de consolidation de la paix.  Le texte prévoit notamment le déblocage de 2,5 millions de dollars par le Fonds de consolidation de la paix. 

Sur le plan socioéconomique, il a évoqué la levée des sanctions contre le Gabon, permettant ainsi son retour dans la CEEAC, notant en outre que lors du Sommet des chefs d’État et de gouvernement de la CEEAC du 15 mars dernier, les États d’Afrique centrale se sont penchés sur l’opérationnalisation du marché commun.

Cependant, la menace des changements non constitutionnels de gouvernement reste toujours une inquiétude pour la région, comme en témoignent, a-t-il dit, les récents événements en République démocratique du Congo (RDC).  Le Représentant spécial a donc appelé les États de la sous-région à ouvrir l’espace politique et à garantir la liberté d’expression, la liberté de la presse et le libre exercice des activités politiques.  Pour sa part, le BRENUAC organisera une conférence régionale sur la question des changements non constitutionnels de gouvernement les 1er et 2 juillet prochains à Sao Tomé-et-Principe.

Après avoir indiqué que les groupes armés et les extrémistes violents continuent de menacer la stabilité et le développement des pays de la sous-région, M. Abarry a touché mot de la situation au Cameroun, où le mois dernier, des groupes séparatistes ont tué plus de 14 personnes, dont des représentants de l’État, dans les régions du Nord-Ouest et Sud-Ouest.  Les autorités camerounaises ont réaffirmé leur volonté de résoudre elles-mêmes cette crise, a-t-il précisé.

Abordant la situation dans la région des Grands Lacs, il a signalé que les activités du groupe rebelle M23 et d’autres groupes et milices armés présents dans l’est de la RDC ont pris de l’ampleur ces derniers mois, entraînant plus de 7,2 millions de déplacés internes.  De plus, les exactions commises par les groupes armés dans l’est de la RDC et au Burundi ont ravivé les tensions entre le Burundi et le Rwanda et entre le Rwanda et la RDC, s’est-il inquiété.  Il a indiqué avoir effectué une mission conjointe au Burundi et au Rwanda avec l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour les Grands Lacs, M. Huang Xia, afin de proposer leurs bons offices face à cette montée des tensions.

Poursuivant, le Représentant spécial a signalé que l’Afrique centrale a été confrontée à une augmentation des précipitations extrêmes induites par les changements climatiques, qui ont entraîné des conséquences dévastatrices sur les vies humaines, les infrastructures et la stabilité socioéconomique, notamment en Angola, au Burundi et en RDC.  Le Kenya et la République-Unie de Tanzanie ont également été touchés.  Ces catastrophes liées aux changements climatiques posent aussi des défis sécuritaires significatifs pour l’Afrique centrale. 

Par ailleurs, la crise soudanaise pousse encore plus de réfugiés au Tchad ainsi qu’en République centrafricaine.  En conséquence, les États membres de la CEEAC vont organiser une conférence humanitaire à Malabo, en novembre prochain.  L’Afrique centrale fait aussi face aux défis de la sécurité maritime dans le golfe de Guinée.  Elle a ainsi besoin des efforts de coordination de la lutte contre ce fléau entre la CEDEAO et la CEEAC avec le soutien des partenaires, a estimé le Représentant spécial.

M. GILBERTO DA PIEDADE VERÍSSIMO, Président de la Commission de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), a fait état d’une situation globalement stable dans l’espace de la CEEAC, en dépit d’une exposition au contexte politique, sécuritaire et économique international. Il s’est félicité qu’après trois années de transition politique, le Tchad ait tenu une élection présidentielle le 6 mai dernier, grâce à la coopération de tous les acteurs tchadiens et à la facilitation effectuée par le Président de la République démocratique du Congo (RDC) au nom de la CEEAC.  Il s’est d’autre part déclaré optimiste quant au processus de transition politique en cours au Gabon, le consensus dégagé dans le cadre du dialogue national inclusif ayant balisé la voie vers l’élaboration de la prochaine constitution du pays et sa présentation au référendum ainsi que l’organisation des élections censées mettre un terme à la transition en septembre 2025.  M. da Piedade Veríssimo a rappelé que le changement anticonstitutionnel opéré au Gabon le 30 août 2023 avait conduit la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEEAC à sanctionner la République gabonaise, notamment par sa suspension à la participation aux activités de la Communauté.  Les développements positifs enregistrés depuis lors expliquent la décision prise en mars 2024 par la même Conférence de lever cette sanction, sous la condition du respect strict du chronogramme de la transition présenté en décembre 2023.

Malgré ces avancées, l’Afrique centrale continue de faire face à des défis sécuritaires, a relevé le Président de la CEEAC, évoquant l’activisme persistant des groupes armés réfractaires aux processus de paix aussi bien en République centrafricaine que dans l’est de la RDC.  La région est également confrontée à la menace terroriste provenant de la zone sahélienne et de la région du bassin du lac Tchad, mais aussi de l’est de la RDC, a-t-il poursuivi, non sans préciser que les mouvements sécessionnistes restent aussi une menace sécuritaire dans la région, comme le témoigne la situation au Cameroun.  L’Afrique centrale est par ailleurs le théâtre d’une grande crise humanitaire causée à la fois par différentes situations d’insécurité, en particulier au Soudan et en Libye, et par les conséquences néfastes des changements climatiques, notamment des inondations.  À cela s’ajoutent les tensions diplomatico-sécuritaires entre la RDC et le Rwanda, d’une part, et le Burundi et le Rwanda, d’autre part. « Ces multiples crises enchevêtrées sont en train de remettre durablement en place le système des conflits qui a été à la base de la déflagration survenue dans la région des Grands Lacs, au milieu des années 90 et dont nous ressentons encore les conséquences », a souligné l’intervenant, selon lequel les processus de Luanda et de Nairobi ont permis de contenir ces crises sans toutefois les résoudre de manière définitive. 

En dépit des efforts régionaux et continentaux mobilisés pour répondre à ces défis, les groupes armés, les organisations terroristes, les mouvements sécessionnistes et les crises diplomatico-sécuritaires qui sévissent en Afrique centrale continuent de représenter une menace à la paix et à la sécurité internationales, a-t-il insisté.  Évoquant le retrait imminent de la Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), il a appelé le Conseil de sécurité à fournir tout l’appui nécessaire à la mission régionale déployée par la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) en RDC.  De même, il a invité le Conseil à renforcer son soutien aux processus de Luanda et de Nairobi, particulièrement en cette période où les tensions interétatiques semblent avoir atteint leur paroxysme dans la sous-région. 

(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.

 

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