Conseil de sécurité: le Haut-Commissaire pour les réfugiés dénonce le non-respect croissant du droit international humanitaire et la « cacophonie » du Conseil
Cet après-midi, à l’occasion de son exposé semestriel devant le Conseil de sécurité, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a dressé un tableau très sombre de la situation de ceux, réfugiés et déplacés internes, qui sont contraints de fuir leurs foyers pour cause de guerre, de violence et de persécutions. Leur nombre devrait dépasser les 114 millions lors du prochain décompte attendu le mois prochain et les solutions continuent de faire défaut, a constaté M. Filippo Grandi, non sans déplorer une tendance croissante au non-respect du droit international humanitaire (DIH).
Ce non-respect signifie que, « de plus en plus et où que ce soit », les parties aux conflits ont « cessé de respecter les règles fondamentales de la guerre, et parfois ont même arrêté de prétendre le faire », a dénoncé le haut fonctionnaire. En conséquence, a-t-il souligné, les civils sont tués en nombre croissant, le viol et d’autres formes de violence sexuelle sont utilisés comme armes de guerre, les infrastructures civiles sont touchées et détruites, et les travailleurs humanitaires deviennent des cibles. Face à cette conduite brutale des hostilités, les civils n’ont « d’autre choix que de fuir par peur ».
Pour M. Grandi, ce qui s’est passé à Gaza depuis les attaques du Hamas, le 7 octobre dernier, et tout au long de l’offensive israélienne offre un « bon exemple » de ce non-respect du DIH. Après avoir ajouté sa voix à ceux qui appellent à un cessez-le-feu immédiat, à la libération des otages, à la reprise complète de l’aide humanitaire et à la relance d’un véritable processus de paix, il a évoqué les « événements atroces » de Rafah, où des centaines de milliers de personnes tentent d’éviter des attaques meurtrières en se déplaçant dans l’espace limité et contraint du sud de Gaza, assisté d’un simple « filet d’aide ». « Leur sécurité devrait être notre -et votre- préoccupation primordiale », a-t-il lancé aux membres du Conseil.
Du fait de la répartition des tâches avec l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) n’est pas opérationnel à Gaza, a rappelé M. Grandi. Il a néanmoins estimé que « le dilemme atroce de savoir si les Palestiniens devraient ou non quitter Gaza est une question qu’Israël a clairement la responsabilité d’éviter ». Si demander l’asile est un droit universel auquel répondent souvent les pays voisins de conflits, il y a surtout, dans ce cas précis, « l’obligation juridique internationale d’une puissance occupante de ne pas forcer la population civile à fuir le territoire qu’elle occupe », a-t-il insisté. Selon lui, un nouvel exode forcé des Palestiniens ne ferait que créer « un problème insoluble supplémentaire et rendrait impossible la recherche d’une solution à ce conflit qui dure depuis des décennies ».
La guerre à Gaza ne doit toutefois pas faire oublier d’autres crises non résolues, a poursuivi le Haut-Commissaire, en attirant l’attention du Conseil sur le sort des 5,6 millions de réfugiés syriens, qui résident dans des pays voisins, en particulier le Liban et la Jordanie, lesquels accueillent également des réfugiés palestiniens depuis des générations. Alors que certaines arrivées récentes de Syriens dans les pays de l’Union européenne ont suscité des propositions telles que leur renvoi vers des « zones de sécurité » en Syrie, il a réaffirmé que, pour le HCR, « le retour volontaire et sûr des réfugiés syriens dans leur pays est la meilleure solution ». Tout en considérant qu’il revient au Gouvernement syrien de créer des conditions favorables à ces retours, il a exhorté les pays donateurs à intensifier leur soutien aux activités de relèvement rapide, conformément à la résolution 2642 (2022) du Conseil.
Parmi les autres crises de réfugiés et de personnes déplacées dans lesquelles aucun progrès n’a été enregistré depuis son dernier exposé en octobre dernier, le Haut-Commissaire a évoqué le Myanmar, où plus de 1,5 million d’individus ont été déplacés en l’espace de six mois du fait des combats, notamment dans l’État rakhine, ce qui porte le total à plus de trois millions, dont beaucoup cherchent refuge dans les pays voisins. Réitérant son appel aux parties pour qu’elles assurent la protection des civils et des travailleurs humanitaires, il a également demandé aux pays voisins de permettre un accès sûr aux réfugiés qui fuient pour sauver leur vie et au Conseil de veiller à ce qu’un processus politique au Myanmar soit à nouveau inscrit à son ordre du jour avant que ce conflit et ses conséquences ne menacent davantage la stabilité de la région.
S’agissant de la République démocratique du Congo (RDC), M. Grandi a affirmé qu’« aucun autre endroit au monde n’est aussi dangereux pour les femmes et les enfants », compte tenu des exactions commises par les groupes armés, des problèmes ethniques insolubles, des ramifications régionales du conflit et du manque de respect du caractère civil des sites de déplacés. Jugeant « honteux » que la communauté internationale reste si inactive face à cette situation, il a assuré que les humanitaires s’efforcent de jouer leur rôle, notamment dans la recherche de solutions aux situations complexes de déplacements forcés à travers les frontières, principalement entre le Rwanda et la RDC. Mais sans un processus politique plus large, il sera difficile de progresser sur le plan humanitaire, a-t-il concédé.
Après avoir mentionné l’Ukraine, autre théâtre de guerre où le droit international humanitaire est « violé chaque jour », avec des attaques incessantes contre le réseau électrique et des déplacements internes qui augmentent à nouveau, M. Grandi a longuement abordé la situation au Soudan, où il s’est rendu en février et où les parties au conflit continuent d’entraver l’aide en raison de leur réticence à donner accès à certaines zones clefs. Pour les deux parties, la solution reste essentiellement militaire, a-t-il déploré, rappelant qu’il y a désormais neuf millions de personnes déplacées à l’intérieur du Soudan ou réfugiées dans des pays voisins comme le Tchad ou le Soudan du Sud, qui sont aux prises avec leurs propres fragilités. Malgré la gravité de la situation, le financement de l’aide reste très insuffisant, a regretté le haut fonctionnaire, avant d’appeler à concrétiser les plus de deux milliards de dollars de contributions annoncés lors de la conférence de Paris en avril. Actuellement, a-t-il précisé, les activités d’aide au Soudan sont financées à seulement 15% et les opérations en faveur des réfugiés à 8%.
De l’avis du Haut-Commissaire, le Soudan est un exemple frappant des conséquences du non-respect des règles de la guerre et de l’absence totale de responsabilité. Dans ces conditions effroyables, « comment ceux qui ont fui de telles horreurs peuvent-ils se sentir suffisamment en sécurité pour revenir? ». Il a jugé peu étonnant que l’on ait assisté à une augmentation de 500% du nombre de Soudanais arrivant en Europe au cours de l’année qui a suivi le déclenchement des violences. La plupart d’entre eux n’ont jamais voulu quitter leur domicile, mais la violence brutale les a contraints à fuir, a-t-il expliqué. Et l’insuffisance de l’aide dans les pays voisins les oblige à se déplacer à nouveau, notamment vers l’Afrique du Nord et au-delà, vers l’Europe.
Face à cette absence de respect du DIH, M. Grandi a regretté que la « cacophonie » du Conseil ait entraîné un chaos plus large à travers le monde. « Il est trop tard pour les dizaines de milliers de personnes déjà tuées à Gaza, en Ukraine, au Soudan, en RDC, au Myanmar et dans tant d’autres endroits, mais il n’est pas trop tard pour concentrer votre attention et votre énergie sur les crises et les conflits qui restent non résolus », a-t-il plaidé. Le Conseil doit tout faire pour intensifier l’aide destinée aux millions de personnes déplacées de force afin qu’elles rentrent chez elles volontairement, en toute sécurité et dans la dignité.