Conseil de sécurité: l’Envoyé spécial souligne les risques considérables de l’absence de processus politique en Syrie
« L’approche parcellaire qui est actuellement de mise en Syrie ne suffira pas à contenir la marée », a déclaré aujourd’hui devant le Conseil de sécurité, l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour la Syrie, M. Geir Pedersen, en déplorant la stratégie de cantonnement du conflit et l’absence de processus politique dans le pays. Lors de cette réunion consacrée à la situation politique et humanitaire en Syrie, le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence, M. Martin Griffiths, dont c’était la dernière intervention devant le Conseil, a également dressé un tableau bien sombre, 16,7 millions de personnes en Syrie ayant besoin d’une aide humanitaire.
D’emblée, l’Envoyé spécial a noté la crise profonde, de plus en plus enracinée, que connaît la Syrie. En l’absence d’un véritable processus politique, toutes sortes de tendances négatives sont en train de s’envenimer, porteuses de « terribles risques » pour les Syriens et la communauté internationale, a averti M. Pedersen. Il a ainsi noté « l’affolante myriade » d’acteurs locaux et internationaux engagés dans le conflit, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Syrie, dans de multiples théâtres.
L’Envoyé spécial a ainsi mentionné les frappes israéliennes contre la Syrie, les affrontements entre les forces progouvernementales, le groupe terroriste Hay’at Tahrir el-Cham et les forces d’opposition dans le nord du pays, ainsi que la menace posée par Daech dans le nord-est. Si ces dynamiques se poursuivent, il est inévitable que les souffrances des civils syriens s’accroissent, a déclaré M. Pedersen, en mettant également en garde contre une plus grande instabilité régionale.
« En l’absence d’un processus politique, nous courons le risque de voir les Syriens s’éloigner davantage et la souveraineté de la Syrie s’éroder encore plus. » La reprise des réunions de la Commission constitutionnelle permettrait de réunir les parties syriennes afin de formuler une réponse aux causes profondes du conflit, a estimé M. Pedersen. « Malgré mes plus grands efforts, les réunions n’ont pas repris », a-t-il déploré, tout en se disant ouvert à un autre lieu de discussion que Genève.
M. Pedersen a estimé que la stratégie de cantonnement du conflit et d’atténuation de ses conséquences ne suffira pas à stabiliser la situation en Syrie, qui reste « dangereuse et imprévisible ». Les conflits ne peuvent pas faire l’objet d’une gestion et d’un cantonnement éternels, a estimé l’Envoyé spécial, en soulignant la nécessité d’un horizon politique, conformément à la résolution 2254 (2015). Il a donc plaidé pour une désescalade de la situation sur le terrain, des mesures graduelles de confiance entre les parties et la reprise des réunions de la Commission.
Les délégations se sont divisées sur les raisons de l’impasse politique en Syrie. La France a ainsi jugé regrettable que le « régime de Damas » persiste à bloquer toute avancée du processus politique mené dans le cadre de la résolution précitée. C’est dans le cadre d’un tel processus que la communauté internationale se tient prête à explorer avec le régime syrien toutes les perspectives susceptibles de ramener la stabilité en Syrie, a déclaré son représentant.
Même son de cloche du côté des États-Unis, qui ont demandé aux membres du Conseil d’exercer des pressions sur le « régime d’Assad ». Ce régime doit cesser de se monter intransigeant et négocier avec l’opposition, a déclaré la délégation, en appelant, à l’instar de l’Algérie, à la reprise des réunions de la Commission. Pour sa part, le Royaume-Uni a noté que la réadmission de la Syrie au sein de la Ligue des États arabes n’a pas abouti à un changement de position du régime syrien. Le régime syrien doit changer d’attitude pour relancer le processus de réconciliation, a appuyé la Türkiye.
De son côté, la Fédération de Russie a souligné la volonté de Damas de déplacer les réunions de la Commission constitutionnelle à Bagdad et espéré que l’Envoyé spécial pourra faire accepter cette option à l’autre partie syrienne. Selon le délégué russe, l’un des principaux facteurs déstabilisateurs en Syrie est la présence militaire illégale des forces armées américaines, d’autant plus que Washington tente, a-t-il accusé, de « blanchir » le groupe Hay’at Tahrir el-Cham, pourtant répertorié comme terroriste par l’ONU.
À l’instar de son homologue syrien, il a également appelé Israël à cesser ses actions militaires sur le territoire de la Syrie et de ses voisins, lesquelles sont lourdes de conséquences dans une région déjà déstabilisée. Malgré les appels répétés de la Syrie, ce Conseil n’a pris aucune mesure pour répondre aux actions illicites d’Israël en Syrie, a appuyé le délégué de la République islamique d’Iran. « Il ne les a même pas condamnées. » Mentionnant le récent massacre de civils à Gaza, le représentant iranien a invité le Conseil à cesser sa politique d’apaisement à l’égard d’Israël.
Sur le plan humanitaire, M. Martin Griffiths, qui prendra prochainement sa retraite, a déploré que les souffrances du peuple syrien perdurent, avec un nombre record de personnes -16,7 millions selon les dernières évaluations- ayant besoin d’une aide humanitaire, plus de 7 millions de personnes déplacées et des millions d’autres réfugiées dans les pays voisins et au-delà.
Le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence a néanmoins salué la récente décision de Damas de prolonger de trois mois supplémentaires, jusqu’au 13 août 2024, son autorisation pour l’utilisation des postes frontières de Bab el-Salam et de Raaï. Il a souhaité que le passage de Bab el-Haoua soit également prolongé au-delà du 13 juillet et que l’autorisation d’utiliser tous les passages soit accordée aussi longtemps que les besoins humanitaires persisteront.
M. Griffiths a répété que les convois d’aide à travers les lignes de front sont également un outil essentiel pour atteindre les personnes dans le besoin dans toute la Syrie, avant de regretter qu’aucune livraison n’ait pu se faire vers le nord-ouest du pays depuis près d’un an. Il a toutefois fait état de signes indiquant qu’une telle opération pourrait avoir lieu dans les prochains jours et espéré une reprise plus régulière des acheminements par ce biais.
Pour M. Griffiths, le sous-financement de la réponse humanitaire constitue l’une des plus grandes préoccupations pour les mois et les années à venir. Alors que les besoins continuent d’augmenter, il importe aussi de poursuivre les efforts de relèvement rapide, mais il faut pour cela un financement adéquat. Or, le financement du plan de réponse humanitaire est passé de 55% en 2021 à seulement 39% l’an dernier, a-t-il alerté, appelant à un décaissement rapide de toutes les promesses de dons faites il y a quelques jours lors de la huitième Conférence de Bruxelles.
Une position pleinement partagée par l’Algérie qui au nom, des A3+ (Algérie, Mozambique, Sierra Leone et Guyana), a demandé que les bailleurs de fonds s’acquittent de leurs engagements. Lors de ladite Conférence, la France a annoncé une nouvelle contribution de 300 millions d’euros d’aide, dont 150 millions de dons, pour 2024, tandis que la Suisse s’est engagée à verser plus de 65 millions de dollars pour l’année en cours. Tout en notant la « fatigue de l’aide » en raison de l’absence de processus politique, le Japon a, lui, décidé d’apporter une aide supplémentaire cette année pour un montant de 25 millions de dollars.
« Beaucoup de promesses ont été faites lors de cette conférence et comme c’est souvent le cas elles ne seront pas tenues », a réagi le délégué de la République arabe syrienne, en dénonçant des annonces faites pour les « médias ». Il a également demandé que l’aide humanitaire ne tombe pas entre les mains des terroristes. L’amélioration de la situation humanitaire passe par le retrait des forces étrangères présentes de manière illicite et la levée des sanctions, a tranché le délégué syrien. La Russie a également dénoncé la « pseudo-conférence humanitaire » de Bruxelles.