Libye: le Procureur de la CPI présente au Conseil de sécurité sa feuille de route prévoyant la fin des enquêtes en 2025 avant le démarrage de la phase judiciaire
En présentant ce matin le vingt-septième rapport de la Cour pénale internationale (CPI) sur la situation en Libye, dont le Conseil de sécurité a saisi la Cour en 2011 (résolution 1970), le Procureur Karim Khan a esquissé les grandes lignes de son plan d’achèvement des activités d’enquête de son bureau en Libye et de lancement de la phase judiciaire qui pourrait démarrer en 2025. Si la majorité des délégations ont appuyé ce travail et encouragé la collaboration avec la Cour, des critiques ou des réserves ont été formulées, notamment face à la longueur du processus et au risque de politisation.
Le Procureur a commencé par se féliciter des progrès accomplis au cours des six derniers mois dans la mise en œuvre de la stratégie redéfinie de son bureau, qui date de 2022: plus de 18 missions ont été menées tandis que plus de 800 éléments de preuve ont été collectés. Si, pour des raisons de procédure, M. Khan a dit ne pas pouvoir fournir plus de détails à ce stade, il a indiqué prévoir d’introduire de nouvelles demandes de délivrance de mandats d’arrêt dans plusieurs des pistes d’enquête prioritaires. Son bureau entend également intensifier ses efforts en matière de stratégie d’arrestation, de recherche des fugitifs et de préservation des éléments de preuve. Tout ce travail ne peut toutefois se faire sans une coopération active entre la Cour et les autorités nationales.
Pour les États-Unis, cela signifie que les autorités libyennes doivent redoubler d’efforts pour appuyer l’application du principe de responsabilité et renforcer leur collaboration avec la CPI, notamment en veillant à ce que tous les individus visés par un mandat d’arrêt soient traduits en justice le plus rapidement possible, dont les anciens hauts fonctionnaires du régime Kadhafi. Les États-Unis ont également encouragé l’échange d’informations au sujet des crimes perpétrés contre les migrants.
Ce besoin crucial de coopération pour permettre à la Cour d’accomplir son mandat a été soulevé par la plupart des membres du Conseil. Ils ont pris note avec satisfaction de l’octroi de visas et des différentes visites et échanges substantiels qui ont eu lieu au cours de la période considérée avec les autorités libyennes. La rencontre entre la Procureure adjointe de la CPI et le Procureur général de la Libye a été saluée à cet égard.
La collaboration avec les autorités libyennes est d’autant plus nécessaire, a fait remarquer la Suisse, que la planification de l’achèvement des enquêtes ne signifie pas une diminution des activités du Bureau du Procureur, mais plutôt une intensification des efforts d’investigation. Elle a donc soutenu les efforts entrepris par le Bureau pour renforcer la collaboration avec les autorités libyennes selon le « principe de complémentarité », un principe invoqué à maintes reprises dans les interventions.
Au-delà du travail qui est fait en lien avec les autorités libyennes, la France et d’autres délégations ont rappelé l’importance de la coopération entre le Bureau du Procureur et les États tiers ainsi que les organisations internationales et régionales. La France, Malte et d’autres membres du Conseil ont aussi encouragé le Bureau à poursuivre ses efforts de coopération avec les groupes de victimes et les organisations de la société civile présentes en Libye.
Si la plupart des délégations sont tombées d’accord pour dire que la CPI ne peut accomplir le mandat sans un appui inconditionnel à la Cour en tant qu’institution judiciaire indépendante et impartiale, la Fédération de Russie a émis des réserves sévères. Le moment est venu d’évaluer sérieusement les activités de la CPI en Libye du point de vue de sa contribution au maintien de la paix et de la sécurité internationales, a estimé son représentant. Notant que le Procureur a l’intention de finaliser l’enquête sur la situation en Libye d’ici à la fin de 2025, il a constaté que celle-ci aura duré « pas moins de 14 ans ». À titre de comparaison, il a rappelé que les activités du Tribunal de Nuremberg avaient duré moins de deux ans.
Au cours de toutes ces années, a poursuivi le délégué russe, la CPI a transmis 26 rapports au Conseil de sécurité, « essentiellement pour expliquer les raisons de son échec », pendant que trois procureurs se sont succédé et qu’aucun mandat d’arrêt n’a été émis contre les rebelles. Pendant ce temps, les crimes commis par la coalition de l’OTAN n’ont pas davantage intéressé la CPI, a-t-il observé. « Après 13 années d’échecs, le Conseil devrait admettre que le renvoi du dossier libyen à la CPI a été une erreur et décider de l’annuler. » C’est la conclusion qu’a émise la Russie pour qui le Conseil à mieux à faire que d’écouter les rapports vides de sens du Procureur de cet « organisme fantoche ».
Sans aller aussi loin, l’Algérie a mis en garde contre toute politisation du travail pénal de la Cour, tout en rappelant que la responsabilité qui consiste à faire rendre des comptes et à mener des poursuites judiciaires est en premier lieu celle des autorités libyennes qui « coopèrent de manière sérieuse » avec la CPI. Il a donc demandé que les préoccupations, les priorités et les besoins des autorités libyennes soient prises en compte dans le cadre du principe de complémentarité.
La Libye elle-même a insisté sur le fait que la justice sur le sol libyen est « un devoir souverain », en faisant valoir la primauté de la compétence judiciaire nationale. La collaboration avec la CPI complète les efforts judiciaires nationaux et « ne les remplace jamais », a argué son représentant. Il a au préalable salué les efforts du Procureur dans le cadre de la coopération de son pays avec la CPI, notamment dans les enquêtes sur les atrocités commises de manière générale et les crimes commis à Tarhouna où des charniers ont été découverts.
Notant que le Bureau du Procureur envisage d’achever les enquêtes en 2025 avant de préparer un procès pour donner suite aux mandats d’arrêt émis, le délégué libyen a souhaité savoir si cela signifiait qu’« après toutes ces années, les Libyens ne verront aucun résultat concret à la hauteur des crimes avant la fin de l’année prochaine ». Il s’est interrogé à son tour sur la lenteur des progrès des travaux de la CPI en rappelant qu’après 13 ans d’enquêtes, 27 rapports, des dizaines de visites, des centaines de preuves, seul un nom a émergé et cet individu a été tué.
LA SITUATION EN LIBYE
Déclarations
Le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), M. KARIM KHAN, a fait savoir qu’il avait pu redynamiser le travail de son Bureau au cours des 18 derniers mois ainsi que jeter les bases de la réalisation des objectifs qu’il avait fixés dans sa stratégie redéfinie en avril 2022. Au cours des six derniers mois seulement, l’équipe commune pour la Libye a effectué plus de 18 missions et recueilli plus de 800 éléments de preuve, y compris d’importants documents (audio et vidéo), a-t-il dénombré. Il a aussi mis en avant des avancées significatives réalisées en ce qui concerne les crimes commis dans les centres de détention et les crimes liés aux opérations de 2014-2020, tandis que la CPI a continué à apporter un soutien concret aux procédures nationales portant sur les crimes contre les migrants. « Le travail de la Cour progresse à une vitesse sans précédent. » Le Procureur a aussi souligné que la Cour s’attache à répondre aux attentes légitimes de toutes les personnes touchées par les crimes internationaux. En outre, a-t-il indiqué, une nouvelle étape a été franchie dans les relations entre le Conseil de sécurité et la CPI puisqu’il est en mesure aujourd’hui de présenter une feuille de route pour l’achèvement des enquêtes dans le cadre du mandat qui lui a été confié.
Le magistrat a tenu à préciser que la présentation de cette feuille de route ne signifie pas un arrêt progressif du travail de la Cour, ni une acceptation du fait qu’elle ne peut tout simplement pas tenir ses promesses. Au contraire, la feuille de route est « une vision positive et dynamique » de l’accomplissement du mandat confié par le Conseil, a-t-il expliqué. Il a précisé que ce document détaille un ensemble ciblé d’activités qui seront mises en œuvre au cours des 18 prochains mois et au-delà, afin d’accroître de manière significative l’impact de l’action de la CPI sur la situation en Libye, à travers les principaux axes d’investigation définis il y a deux ans. Cette feuille de route est un travail collectif, a-t-il souligné en expliquant qu’elle résulte d’un processus de consultation notamment entre la Procureure adjointe de la Cour, Mme Nazhat Shameem Khan, et le Procureur général de la Libye, ainsi qu’avec des organisations de la société civile et des groupes de victimes lors de rencontres à Tripoli et à Tunis.
Les deux phases clefs de la feuille de route sont les suivantes: l’achèvement de la phase d’enquête jusqu’à la fin de 2025 avec des demandes supplémentaires de mandats d’arrêt, un soutien aux procédures nationales et le démarrage d’au moins un procès devant la Cour; et la phase judiciaire et de complémentarité, qui devrait commencer fin 2025. À l’issue de la phase d’enquête, le Bureau du Procureur mettra l’accent sur la localisation et l’arrestation, dans l’espoir de pouvoir mener plusieurs procès à la Cour dans le cadre de la situation en Libye. Parallèlement, la CPI a l’intention d’approfondir son engagement dans des activités de complémentarité tant avec les autorités libyennes qu’avec les autorités nationales d’autres États, conformément à sa nouvelle politique en matière de complémentarité et de coopération.
Pour les victimes de crimes en Libye, cette feuille de route est une avancée significative de leur droit inhérent à la justice ainsi qu’une réalisation de la promesse collective que leur a faite le Conseil de sécurité et la CPI par le biais de la résolution 1970 (2011), a fait valoir le Procureur. Il a toutefois insisté sur le fait que sa mise en œuvre nécessite une coopération continue et améliorée de la part de la Libye. Il s’est félicité des développements positifs récents, avec la délivrance de visas d’entrée multiples à son équipe et l’achèvement d’une visite officielle de haut niveau de la Procureure adjointe, celle-ci ayant été particulièrement importante pour renouveler une vision commune des actions complémentaires dans une perspective de partage des charges entre son Bureau et les autorités libyennes. C’était également l’occasion d’entamer un dialogue sur les moyens par lesquels le Bureau du Procureur peut renforcer son soutien au bureau du Procureur général libyen et à d’autres autorités nationales par le biais de la fourniture d’une assistance technique. M. Khan espère que cette coopération se poursuivra et s’améliorera.
Il a conclu en demandant un engagement renforcé entre la Cour et le Conseil de sécurité, en arguant qu’au cours des prochains mois, ces deux instances auront la possibilité de faire un grand pas en avant dans la mise en œuvre de ce changement de paradigme, et de le faire d’une manière qui puisse être ressentie et perçue par les victimes comme une avancée significative dans leur quête légitime de justice. « Nous progressons bien, nous sommes sur la bonne voie nous disposons d’une plateforme pour mener à bien ce travail. Mais nous avons besoin de vous. Nous avons besoin de votre aide. »
La représentante de la Suisse s’est félicitée des progrès constants et significatifs accomplis dans la mise en œuvre de la stratégie redéfinie du Procureur relative à la situation en Libye. Elle a salué les « objectifs clairs et précis » fixés par le Bureau dans la feuille de route devant lui permettre d’achever la phase d’enquête. Dans ce contexte, la coopération est clef pour permettre à la Cour d’accomplir son mandat, a estimé la déléguée, en prenant note de l’octroi de visas et des différentes visites et échanges substantiels qui ont eu lieu au cours de la période considérée avec les autorités libyennes, et notamment avec le Procureur général de Libye. La déléguée a salué la coopération étendue du Bureau avec des États tiers, notamment en ce qui concerne les crimes contre les migrants, insistant sur l’importance de la collaboration effective et utile avec la société civile, les communautés touchées et les victimes. La représentante a appelé les États à s’abstenir d’exercer toute forme de pression, exigeant que cessent immédiatement toutes tentatives d’entrave, d’intimidation ou d’influence indues sur les fonctionnaires de la Cour: « Nous rappelons que de telles atteintes à l’administration de la justice sont interdites par le Statut de Rome. »
La représentante du Japon a salué les efforts d’enquête menés par la CPI dans le cadre du mandat que lui a confié la résolution 1970 (2011), tout en souhaitant qu’ils ne soient pas « sans fin ». Elle a jugé cruciale la réalisation des objectifs du mandat fixé par le Conseil de sécurité dans le paysage politique international actuel. À cet égard, elle s’est réjouie de l’adoption d’une feuille de route visant à achever la phase d’enquête sur la situation en Libye. Outre le soutien intensifié de la CPI aux multiples poursuites devant les tribunaux nationaux, cette feuille de route couvre également le rôle continu de la Cour dans les phases judiciaires et celles menées selon le principe de complémentarité, même après l’achèvement de l’enquête fin 2025, a-t-elle relevé.
La déléguée a ensuite jugé essentiel de veiller à ce que la CPI travaille en étroite collaboration avec les communautés affectées et approfondisse ses partenariats avec les États, la société civile et les organisations régionales et internationales pendant le processus d’achèvement de la phase d’enquête afin de garantir la responsabilisation. Elle a souligné l’importance d’un engagement continu avec ces groupes, y compris les victimes, au cours des prochaines phases des processus judiciaires afin d’obtenir justice, même dans le contexte d’impasse politique. Enfin, elle s’est félicitée de l’amélioration de la coopération des autorités libyennes, formant le vœu que les efforts de complémentarité iront en progressant, comme indiqué dans la feuille de route.
Le représentant du Royaume-Uni a réitéré son soutien à l’enquête en cours et a salué les progrès accomplis, prenant note du grand nombre de missions et du travail de terrain étendu effectué par le Bureau du Procureur au cours des six derniers mois. Il a salué la publication de la feuille de route qui trace une voie claire pour l’achèvement de la phase d’enquête, se félicitant du fait que le Bureau a activement recherché la contribution des partenaires de la société civile, des victimes et de leurs représentants et tenu compte de leurs points de vue lors de son élaboration. Afin d’atteindre les objectifs fixés par la feuille de route, la coopération active des autorités libyennes restera nécessaire, a souligné le délégué en se félicitant des améliorations dans la coopération et la collaboration avec la Libye au cours de cette période à l’examen. Saluant le projet de création d’un bureau de liaison à Tripoli, il a espéré que celui-ci soutiendra la transition de la phase d’enquête, facilitera le partage d’informations et consolidera davantage le partenariat entre la Libye et le Bureau du Procureur.
Le représentant des États-Unis s’est félicité des progrès considérables accomplis au cours des six derniers mois dans les activités de coopération et les enquêtes menées par le Bureau du Procureur, y compris lors de nombreuses missions en Libye qui ont permis d’accélérer la collaboration avec les autorités nationales. Il a demandé à celles-ci de redoubler d’efforts pour appuyer l’application du principe de responsabilité et de renforcer leur collaboration avec la CPI, notamment en veillant à ce que tous les individus visés par un mandat d’arrêt soient traduits en justice le plus rapidement possible, dont les anciens hauts fonctionnaires du régime Kadhafi. Les États-Unis, a poursuivi le représentant, encouragent également l’échange d’informations avec les autorités nationales au sujet des crimes perpétrés contre les migrants.
Jugeant par ailleurs essentiel d’autoriser les victimes et les rescapés à participer aux processus judiciaires en cours, le délégué a insisté sur leur protection, notamment en dispensant un soutien psychosocial primordial lors des procès et ultérieurement. Il a également encouragé les organes de la Cour à faire preuve de davantage de transparence et à garantir la participation des victimes et des communautés concernées par son travail. L’application du principe de responsabilité joue un rôle important pour pallier l’instabilité chronique en Libye, a conclu le délégué.
Le représentant de la Slovénie a salué les progrès réalisés dans l’enquête de la CPI, en particulier s’agissant des crimes commis dans les centres de détention et les crimes liés aux opérations de 2014 à 2020. Il s’est réjoui de l’engagement significatif du Procureur auprès des associations de victimes et de la société civile, tout en prenant note de l’évolution positive des autorités libyennes en matière de coopération, conformément à la résolution 1970 (2011). Notant avec satisfaction que le Procureur a l’intention d’achever l’enquête sur la situation en Libye d’ici à la fin de 2025, le représentant s’est félicité du partage de la feuille de route en deux phases principales: la phase d’enquête et la phase judiciaire et de complémentarité. À cet égard, il a salué le fait que le Procureur prévoit de poursuivre son engagement auprès des victimes une fois l’enquête terminée. Avant de conclure, il a plaidé pour que des ressources financières et humaines adéquates soient garanties à la Cour et au Procureur afin de leur permettre de remplir leur mandat.
La représentante de la France, a demandé que le Bureau du Procureur puisse exercer ses prérogatives sans pression de l’extérieur, sans entrave ni obstruction, notant par ailleurs que la lutte contre l’impunité pour les crimes commis en Libye ne sera possible et effective que par une coopération active entre la Cour et les autorités nationales. À cet égard, la déléguée a salué les efforts entrepris par le Bureau pour renforcer et améliorer la coopération avec les autorités libyennes, y compris la visite officielle de la Procureure adjointe Nazhat Shameem Khan à Tripoli, le mois dernier. De même, elle a pris acte de l’engagement des autorités libyennes qui ont délivré des visas à entrées multiples à certains représentants de la Cour. Les crimes les plus graves commis en Libye depuis 2011 doivent tous faire l’objet d’enquêtes et de poursuites, y compris les crimes commis par Daech, ainsi que les crimes contre les migrants et les réfugiés, a-t-elle déclaré.
Se félicitant de l’achèvement de plus de 18 missions et la collecte de plus de 800 éléments de preuve, la représentante a salué le renforcement des relations de travail avec la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL) et la structuration de la coopération avec EUROPOL. Elle a appelé le Bureau du Procureur à poursuivre ses efforts dans sa coopération avec les groupes de victimes et les organisations de la société civile présentes en Libye en estimant qu’il est essentiel de continuer à veiller à ce que ces victimes puissent être réhabilitées par la CPI lorsque ces faits seront reconnus comme constituant des crimes relevant du Statut de Rome. La déléguée a souhaité avoir l’avis du Bureau du Procureur sur l’évaluation du degré de coopération des autorités libyennes, y compris sur la mise en œuvre du principe de complémentarité alors que la stabilité politique n’est pas effective en Libye. De même, il serait intéressant que le Procureur puisse développer les différents changements intervenus concernant la phase judiciaire dont la réussite dépend de l’arrestation des fugitifs.
La représentante de Malte s’est félicitée des progrès réalisés au cours des trois derniers mois en Libye par le Bureau du Procureur, qui a réussi à maintenir un processus consultatif significatif avant et après l’achèvement des enquêtes – un processus qui implique d’écouter les voix des victimes, des survivants, de leurs familles et des communautés affectées. « Par ailleurs, dans le cadre de la coopération avec les autorités libyennes, nous soulignons l’importance des mesures qui protègent les organisations de la société civile, afin de leur donner pleinement les moyens de mener à bien leurs activités », a-t-elle ajouté. La déléguée s’est dite toutefois préoccupée par l’incidence dans le pays des crimes sexuels et sexistes contre les migrants, des crimes contre les enfants, de l’esclavage, de la torture, de la détention arbitraire et des assassinats. Le Conseil de sécurité et la communauté internationale doivent redoubler d’efforts pour soutenir la Libye afin de garantir que les coupables présumés répondent de leurs actes, a-t-elle exhorté. Elle a ensuite appelé à la fourniture de services psychosociaux et de santé efficaces, complets et non discriminatoires pour les survivants, réaffirmant l’importance que ces services soient adaptés à l’âge, centrés sur les survivants et sensibles au genre.
Le représentant de la Chine a précisé que la position de son pays s’agissant du travail de la CPI en Libye reste inchangée. Rappelant que l’affaire sur la situation en Libye a été renvoyée à la Cour en 2011, il a pris note de la feuille de route pour l’achèvement de la phase d’enquête, formant le vœu que la CPI respectera entièrement le principe de complémentarité consacré par le Statut de Rome et maintiendra une position impartiale. Après avoir estimé que la paix et la stabilité constituent des conditions préalables à la justice en Libye, le délégué a appelé la communauté internationale à respecter le principe de souveraineté et d’intégrité territoriale de ce pays, ainsi que le processus de transition dirigé par les Libyens, tout en évitant les solutions externes.
La Chine, a poursuivi le représentant, est favorable à la répression des crimes les plus graves pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Lorsque l’on est confronté à des crises ou des défis majeurs, la CPI doit exercer ses pouvoirs en appliquant le droit international de manière cohérente et systématique, a revendiqué le délégué. Selon lui, la CPI doit aussi éviter de pratiquer le « deux poids, deux mesures » ainsi que tout exceptionnalisme en préservant l’équité et la justice internationales.
Le représentant de l’Algérie a pris note de la feuille de route proposée par le Procureur Khan pour commencer les procès, avant de réitérer que le principe de lutte contre l’impunité doit être « la boussole de la communauté internationale et de la CPI ». Ce qui se passe en Libye depuis plus de 13 ans relève d’une « responsabilité commune », a-t-il fait valoir en visant notamment les nations qui ont participé et qui participent aux conflits d’intérêt et d’influence sur le territoire libyen. À ce titre, il a évoqué les questions de flux illicites d’armes et de traite de personnes.
Le délégué a rappelé que la responsabilité qui consiste à faire rendre des comptes et à mener les poursuites judiciaires nécessaires est en premier lieu celle des autorités libyennes qui « coopèrent de manière sérieuse » avec la CPI. Il a donc demandé de prendre en compte les préoccupations, les priorités et les besoins des autorités libyennes dans le cadre du principe de complémentarité. Le délégué a appelé à ne pas politiser le travail mené en droit pénal. Il a conclu son intervention par un souhait: que le même soutien des membres du Conseil dont bénéficie la CPI sur ce dossier libyen soit apporté à la Cour sur le dossier de Gaza, en évitant absolument la politique du « deux poids, deux mesures ».
Le représentant de la République de Corée a pris note de l’amélioration de la coopération des autorités libyennes avec la CPI, qui a permis des progrès significatifs dans toutes les enquêtes en cours, allant de la collecte de preuves au soutien des procédures pénales nationales au cours des six derniers mois. Elle a exhorté la Libye à poursuivre et à renforcer cette coopération. La feuille de route du Bureau du Procureur pour l’achèvement de la phase d’enquête d’ici à la fin de 2025, si elle est menée à bien, transmettrait une fois de plus au monde le message selon lequel aucun auteur de crimes odieux ne sera impuni, a souhaité le délégué. Il a cependant estimé que le Bureau doit donner davantage d’explications sur la manière dont il entend mener à bien son enquête sur les crimes contre l’humanité en Libye. Comme indiqué dans le rapport du Procureur, a-t-il rappelé, les partenaires de la société civile affirment que l’enquête devrait s’étendre au-delà de 2025. Ces préoccupations ne doivent pas être négligées, a-t-il ajouté. Il est tout aussi crucial d’adopter une approche globale qui s’attaque aux causes profondes des crimes contre l’humanité les plus répandus. L’incapacité persistante à former un gouvernement unifié a non seulement aggravé la crise sécuritaire en Libye, mais a également permis aux réseaux de trafic d’êtres humains de prospérer, exposant les migrants et les détenus à des risques considérables, s’est alarmé le représentant.
La représentante du Guyana s’est félicitée des progrès réalisés par la CPI dans le cadre du mandat que lui a conféré la résolution 1970 (2011), en dépit des difficultés liées à la situation politique et sécuritaire en Libye. Elle a salué l’établissement d’une feuille de route en vue de l’achèvement des activités d’enquête d’ici à 2025, avant de souligner l’importance de la coopération avec la Cour lors des phases d’enquête et de poursuites, ainsi que lors de la phase judiciaire. Saluant à ce sujet la coopération accrue entre des autorités libyennes et le Bureau du Procureur, elle a qualifié de louable le dialogue entre la Procureure adjointe et le Procureur général libyen.
Après avoir pris note des avancées réalisées dans la collecte et l’analyse des éléments de preuve, la déléguée a dit attendre avec intérêt l’entame de la phase judiciaire. S’agissant du fond des enquêtes, elle s’est déclarée particulièrement préoccupée par les crimes perpétrés contre des migrants, jugeant que l’appui du Bureau du Procureur aux autorités nationales est crucial pour ces investigations. Dans ce cadre, la représentante s’est réjouie du dialogue resserré avec les victimes, les rescapés, les témoins, les populations touchées et les organisations de la société civile. Enfin, après avoir rappelé que la CPI a besoin de ressources pour accomplir son mandat, elle a souligné la nécessité impérieuse pour la Cour de pouvoir opérer à l’abri des menaces et des intimidations.
Le représentant de la Sierra Leone s’est félicité de la stratégie d’enquête présentée par le Procureur de la CPI en avril 2022, ainsi que de sa nouvelle feuille de route visant à conclure la phase d’enquête sur la situation en Libye d’ici à 2025. Cette feuille de route peut permettre d’accomplir le mandat confié à la CPI par le Conseil de sécurité, a-t-il relevé. Conscient des défis auxquels la Cour est confrontée en Libye, notamment la complexité du paysage politique et les contraintes en matière de ressources, il a salué les efforts déployés par le Bureau du Procureur pour renforcer son rôle et s’engager auprès des autorités et de la population libyennes pour la collecte de preuves, la délivrance de mandats et le soutien aux victimes. À cet égard, il a réaffirmé le soutien indéfectible de la Sierra Leone à la Cour dans sa quête de justice et de responsabilité en Libye.
Tout en saluant les efforts déployés jusqu’à présent par la Cour, le délégué a demandé de préserver son impartialité et son indépendance. Pour lui permettre de s’acquitter efficacement de son mandat, il a appelé à la mise à disposition de ressources humaines et financières adéquates, à la hauteur des responsabilités et des fonctions de la juridiction. Notant que la coopération joue un rôle crucial dans l’accomplissement du mandat de la Cour, il a pris acte de l’interaction et de la coopération accrues entre celle-ci et les autorités libyennes. Il a plaidé pour un soutien aux capacités nationales libyennes en matière d’aide aux victimes, d’enquêtes et de poursuites, rappelant que ce sont les États qui ont la responsabilité première de rendre la justice et de rendre des comptes à leur population. En l’absence de capacités ou de ressources suffisantes, le représentant a encouragé la coopération avec les partenaires internationaux dans ce domaine. Il a réitéré l’importance de l’application du principe de complémentarité de la Cour, en soulignant son rôle essentiel dans la lutte contre les crimes odieux. Il a aussi soutenu un engagement bilatéral entre la Cour, les autorités libyennes, les États voisins et les groupes de la société civile en Libye. En outre, le représentant a encouragé un soutien régional et international accru, en particulier à la lumière de la situation politique complexe et évolutive en Libye.
Le représentant de l’Équateur s’est lui aussi félicité des progrès accomplis par le Bureau du Procureur dans ses enquêtes et sa coopération avec les autorités libyennes, accueillant favorablement la feuille de route présentée par le Procureur pour l’achèvement de la phase d’enquête jusqu’à la fin de 2025, et les activités de soutien qui auront lieu ultérieurement. Sa mise en œuvre exigera une interaction soutenue avec les autorités nationales, fondée sur le principe de complémentarité, a préconisé le délégué. Il est également nécessaire selon lui de maintenir et d’approfondir la coordination avec les États tiers et les agences internationales, dont le potentiel à produire des résultats positifs dans les enquêtes a été démontré.
Le représentant de la Fédération de Russie a estimé que le moment est venu d’évaluer sérieusement les activités de la CPI en Libye du point de vue de sa contribution au maintien de la paix et de la sécurité internationales. Notant que le Procureur a l’intention de finaliser l’enquête sur la situation en Libye d’ici à la fin de 2025, il a constaté que celle-ci aura duré « pas moins de 14 ans ». À titre de comparaison, il a rappelé que les activités du Tribunal de Nuremberg, chargé d’enquêter sur les crimes les plus massifs et les plus horribles de l’histoire de l’humanité, avaient duré moins de deux ans. Au cours de ses années d’enquête en Libye, a-t-il relevé, la CPI a transmis 26 rapports au Conseil de sécurité, essentiellement pour expliquer les raisons de son échec, et le Conseil leur a consacré 26 séances. Dans le même temps, trois Procureurs de la CPI se sont succédé. Après avoir rappelé que le Conseil a renvoyé la situation en Libye devant la CPI en 2011, au plus fort du conflit, le représentant a observé que la Cour a compensé le manque d’informations vérifiées en utilisant des « faux » lors de la formulation des accusations. De plus, a-t-il poursuivi, pas un seul mandat d’arrêt n’a été émis contre les rebelles tandis que les crimes commis par la coalition de l’OTAN n’ont pas davantage intéressé la CPI.
De fait, a martelé le délégué, la CPI s’est rendue complice de la destruction de l’État libyen et de l’impunité de ceux qui ont commis ce crime, ce qui a eu de graves conséquences pour la paix et la sécurité de toute la région. De même, a-t-il avancé, c’est pour éviter d’admettre que ses activités se sont depuis pratiquement arrêtées que la CPI a informé le Conseil qu’elle enquêtait sur d’éventuels crimes contre l’humanité commis contre des migrants et des réfugiés. Or, a-t-il fait valoir, la raison de l’afflux de migrants en provenance de ce pays est justement la destruction de l’État libyen. De surcroît, aux dires mêmes d’ONG occidentales, la principale responsabilité des crimes contre les migrants incombe aux États de l’Union européenne et de l’agence Frontex, qui organisent l’interception des demandeurs d’asile en mer Méditerranée et leur retour forcé en Libye, a-t-il poursuivi, accusant la CPI de n’être, dans le cadre de cette enquête, qu’un « organisme d’assistance technique pour les pays riches ». Rappelant qu’il s’agit de la mort de milliers de personnes, de cas de violences et d’enlèvements, et surtout de « l’inaction délibérée des États européens à l’égard des navires transportant des migrants en détresse », il a dit ne pas être surpris que cette enquête, qui dure depuis sept ans, « n’ait donné aucun résultat ».
Le représentant a ensuite dénoncé le fait que, l’an dernier, quatre mandats d’arrêt secrets aient été émis concernant la situation en Libye. Selon lui, la CPI pourrait présenter un rapport confidentiel aux membres du Conseil de sécurité ou au moins fournir ces informations lors d’une réunion à huis clos. Il a ajouté que cette « obsession » de la CPI pour les « mandats secrets » menace la garantie d’un procès équitable, les noms des personnes recherchées n’étant souvent connus qu’après leur mort. Quant au manque de financement pour le dossier libyen, dont se plaint le Procureur Khan, le délégué a voulu savoir ce que sont devenus les dizaines de millions de dollars que les pays occidentaux ont promis à la CPI. Ces fonds pourraient avoir servi à financer « l’enquête illégale sur l’Ukraine », a-t-il avancé, se demandant par ailleurs si la contribution volontaire des États-Unis a été utilisée pour enquêter sur la situation en Palestine. Pour le délégué, le « deux poids, deux mesures » et la politisation imprègnent toutes les activités du CPI, au point que celle-ci est devenue un « instrument politique entre les mains de l’Occident ». Dans ces conditions, après 13 années d’échec, le Conseil devrait selon lui admettre que le renvoi du dossier libyen à la CPI a été une « erreur » et décider de l’annuler. Cela concourrait au processus politique fondé sur un consensus national de toutes les forces sociopolitiques libyennes, a-t-il fait valoir, jugeant que le Conseil à mieux à faire que d’écouter les rapports vides de sens du Procureur de cet « organisme fantoche ».
Le représentant du Mozambique a salué les progrès significatifs décrits dans le rapport du Procureur de la CPI, ainsi que la feuille de route esquissée pour l’achèvement de la phase d’enquête des activités de la Cour relatives à la situation en Libye, d’ici à la fin de 2025. Conscient de la complexité des enquêtes sur les crimes internationaux, il a souligné la nécessité pour la CPI d’accélérer ses efforts afin d’obtenir des résultats tangibles pour le peuple libyen. Il faut que le Bureau du Procureur mène à bien ses enquêtes et défère devant la Cour les auteurs présumés des crimes pour aboutir à des procès équitables, indépendants et impartiaux, a-t-il recommandé. Le délégué a estimé que le passage à la phase judiciaire avant la fin de l’année 2025, comme prévu dans la feuille de route, sera une étape importante vers la conclusion du cycle de responsabilité.
Le peuple libyen mérite de savoir que la communauté internationale est à ses côtés dans sa quête de vérité, de justice et de réparation, a-t-il fait valoir en soulignant que la coopération joue un rôle essentiel à cet égard. Il a d’ailleurs salué l’engagement positif du Bureau du Procureur avec les autorités libyennes, citant le bon exemple de la récente visite de la Procureure adjointe de la CPI en Libye, où elle s’est réunie avec le Procureur général de Libye, d’autres autorités nationales, des groupes de victimes et des parties prenantes. Le délégué a également cité les réunions régulières que tient le Bureau du Procureur avec des organisations de la société civile et des défenseurs des droits humains, encourageant la poursuite de ces partenariats conformément au principe de complémentarité inscrit dans le Statut de Rome.
Le représentant de la Libye a rappelé qu’à plusieurs reprises, sa délégation a salué les efforts du Procureur dans le cadre de la coopération de son pays avec la CPI, notamment dans les enquêtes sur les atrocités commises de manière générale et les crimes commis à Tarhūnah où des charniers ont été découverts. Il a insisté sur le fait que la justice sur le sol libyen est un devoir souverain, en faisant valoir la primauté de la compétence judiciaire nationale. La collaboration avec la CPI, a-t-il souligné, complète les efforts judiciaires nationaux et « ne les remplace jamais ». Observant que le Bureau du Procureur envisage d’achever les enquêtes en 2025 avant de préparer un procès pour donner suite aux mandats d’arrêt émis, il a souhaité savoir si cela signifie qu’« après toutes ces années, nous ne verrons aucun résultat concret à la hauteur des crimes avant la fin de l’année prochaine »? « Les Libyens sont-ils maintenant contraints d’attendre aussi longtemps »? a demandé le délégué à M. Khan. « Pourquoi les progrès sont-ils si lents avec la Libye »? a-t-il insisté.
La question des charniers découverts à Tarhūnah est devenue l’une des pires atrocités en Libye, a déploré le représentant, qui a jugé regrettable que les auteurs de ce crime haineux n’aient pu être identifiés par la CPI en dépit du fait que l’équipe a visité le site à de nombreuses reprises et réuni des preuves. « Monsieur Kahn, vous avez présenté ces crimes comme relevant d’une priorité et pourtant dans votre dernier rapport, il n’en est pas question. Cela signifie-t-il que cette enquête est close et les enquêtes terminées »? a demandé le délégué libyen. Son pays s’interroge sur les résultats: après 13 ans d’enquêtes, 27 rapports, des dizaines de visites, des centaines de preuves, seul un nom a émergé et cet individu a été tué. « Nous avons dû attendre 14 ans et nous ne connaissons toujours pas les noms des suspects. » Si la situation en Libye est réellement si complexe et les preuves difficiles à obtenir, ne vaudrait-il pas mieux utiliser les ressources et les efforts de la CPI pour des questions plus faciles à trancher, comme la situation qui se déroule depuis sept mois à Gaza? s’est encore demandé le représentant.
Répondant à certaines questions soulevées au long de la séance d’aujourd’hui, le Procureur de la CPI, M. KHAN, a répondu d’abord au représentant de la Libye en soulignant que les renvois du Conseil de sécurité devant la Cour ne peuvent pas être une histoire sans fin et que la feuille de route qu’il a présentée a justement pour vocation d’achever la phase des enquêtes en Libye. Il a dit ne pas pouvoir se prononcer sur certains dossiers en cours à ce stade, tout en assurant que des actions claires ont eu lieu.
« À l’exception des victimes, personne ne souhaite plus de preuves concrètes que la CPI », a déclaré le Procureur arguant que sa nouvelle approche cherche précisément à faire cela, tout en précisant que l’ordre judiciaire ne lui permet pas, à ce stade, d’annoncer de nouveaux éléments. Il a dit avoir cependant bon espoir que les premiers procès commencent d’ici à la fin de 2025, prévenant que cela dépendra de la collaboration avec la Libye, avec le Conseil de sécurité et avec d’autres parties. S’il est conscient des préoccupations des familles des victimes de Tarhouna, où il s’est rendu, il doit respecter la procédure judiciaire et le droit international, a-t-il expliqué.
Revenant à l’intervention du représentant de la Fédération de Russie, il l’a rassuré: son bureau ou lui-même ne cèderont pas à des menaces. « Nous avons le devoir de défendre la justice et les victimes », a-t-il déclaré ajoutant: « nous sommes des fonctionnaires internationaux qui appliquent le droit en faisant preuve d’intégrité et d’indépendance ».