Conseil de sécurité: la situation au Soudan du Sud examinée à la lumière des préparatifs des élections et de l’avancée de la période de transition
Ce matin, le Secrétaire général adjoint aux opérations de paix, M. Jean-Pierre Lacroix, a fait un compte rendu au Conseil de sécurité de son déplacement au Soudan du Sud, du 19 au 23 février, où il s’est entretenu avec le Président Salva Kiir et le Premier Vice-Président Riek Machar ainsi qu’avec d’autres dirigeants du Gouvernement d’unité nationale et des représentants de la société civile et du corps diplomatique.
Rappelant le caractère essentiel de la mise en œuvre de l’accord de paix revitalisé -le seul cadre dans lequel l’ONU soutiendra les parties pour aboutir à la paix et à la stabilité-, le haut fonctionnaire a insisté pour que les élections générales de décembre 2024 soient crédibles pour les Sud-Soudanais et pour qu’elles rassemblent plutôt que de diviser. Par conséquent, il a jugé important de faire preuve d’une ferme volonté politique pour mobiliser les ressources nécessaires à l’organisation de ces élections. Un appel que certains membres du Conseil ont conditionné à l’opérationnalisation des institutions électorales et à la bonne utilisation des ressources par le Gouvernement sud-soudanais. Il faut rattraper les retards accusés dans la mise en œuvre de l’accord de paix et de sa feuille de route de 2022, ont-ils aussi recommandé.
Si un certain nombre d’institutions électorales ont été mises sur pied, notamment la Commission d’examen de révision de la Constitution, la Commission électorale nationale et le Conseil des partis politiques, celles-ci ne sont pas dotées des ressources et de l’expertise requises pour pouvoir s’acquitter de leurs mandats respectifs à ce stade, a confirmé le Secrétaire général adjoint. Face à ce constat, la France a demandé la « montée en puissance » de ces institutions, alors que les États-Unis se sont interrogés sur la façon dont les ressources du Gouvernement sud-soudanais sont dépensées en se demandant si celles-ci sont bien consacrées aux préparatifs des élections. Reprochant au Gouvernement de transition de ne pas faire preuve de la volonté politique nécessaire pour créer les conditions propices au scrutin de décembre, la délégation américaine a estimé que lui accorder des ressources supplémentaires pour les préparatifs électoraux enverrait le mauvais message.
De son côté, la Suisse a insisté sur l’urgence de faire avancer la mise en œuvre des critères clefs de l’accord de paix, « tels que convenus par les parties elles-mêmes ». Une meilleure clarté sur le déroulement des élections et l’établissement d’un espace civique et politique « libre et sûr » restent la base pour que les élections soient crédibles et pacifiques, et les pierres angulaires d’une démocratie qui fonctionne, comme l’a souligné le Royaume-Uni. Ils ont également insisté sur la participation des femmes à ce scrutin, au moins à hauteur de 35%.
Au-delà des retards pris pour rendre les instances électorales opérationnelles, le Secrétaire général adjoint a attiré l’attention sur le processus d’inscription des électeurs, sur l’environnement sécuritaire extrêmement tendu et sur l’espace politique et civique restreint, sans compter les divergences entre les principales parties prenantes quant aux décisions et actions à prendre avant les élections. Si les dirigeants du Mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS) ont exprimé leur confiance dans le processus, l’opposition, et en particulier le Mouvement/Armée populaire de libération du Soudan-faction Agwelek, dont le Premier Vice-Président fait partie, insiste sur le respect de toutes les conditions de l’accord de paix et notamment sur le fait qu’il faut d’abord adopter une Constitution permanente et mener à bien les dispositions transitoires de sécurité, ce qui soulève des questions quant à la possibilité de respecter l’échéance de décembre. À ce propos, la Chine a fait valoir que les élections relèvent avant tout des affaires internes d’un pays et que la communauté internationale doit faire preuve de patience, en respectant la souveraineté du Soudan du Sud. La communauté internationale doit soutenir l’appropriation nationale du processus de transition politique sans insister sur des délais qui pourraient conduire à de nouvelles violences, a estimé la délégation chinoise.
Résumant les inquiétudes du Conseil, le Japon a mis en garde contre le fait que l’absence d’élections libres, équitables, crédibles et pacifiques pourrait entraîner un refus d’accepter les résultats des élections et conduire à une résurgence des conflits. Étant donné le peu de temps qu’il reste d’ici aux élections, il a demandé au Gouvernement de transition de renforcer son engagement auprès des autres forces politiques en vue de résoudre le plus rapidement possible les problèmes subsistants et d’allouer des ressources adéquates aux institutions concernées pour qu’elles deviennent pleinement opérationnelles. Les A3+1 (Algérie, Mozambique, Sierra Leone et Guyana) ont en outre appelé les parties non signataires de l’accord de paix à choisir la voie de la paix et à s’engager de bonne foi dans un dialogue authentique, responsable et constructif avec le Gouvernement sud-soudanais. Ils ont annoncé une visite ministérielle dans le pays des membres du Comité ad hoc de haut niveau de l’Union africaine pour le Sud-Soudan (C5) pour faciliter la mise en œuvre réussie de l’accord.
M. Lacroix n’a pas manqué de plaider pour une harmonisation de la position de l’ONU sur les questions politiques essentielles avec celles de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et de l’Union africaine, qui ont toutes deux exprimé leur soutien en faveur des élections au Soudan du Sud. Il convient cependant de prendre note du fait que l’ONU ne peut pas se prononcer sur la nécessité de tenir ou non des élections au Soudan du Sud. Elle peut seulement évaluer si le Gouvernement de transition a réuni l’architecture requise pour que ces élections se déroulent de manière pacifique et crédible, conformément à l’accord de paix, a expliqué M. Lacroix. En l’état actuel des choses, ce n’est pas le cas, a-t-il estimé en relevant qu’il reste beaucoup à faire. Toutefois, avec de la volonté politique et les ressources nécessaires, des élections crédibles peuvent selon lui avoir lieu avant la fin de la période de transition.
Pour cela, il faut que les conditions sécuritaires propices soient réunies à la tenue d’élections sûres, ce qui passe par la pleine mise en œuvre des dispositions transitoires de sécurité, ont argué la plupart des membres du Conseil en s’inquiétant des affrontements intracommunautaires récents, notamment dans l’État de Ouarrap, et des violences que connaît toujours le Soudan du Sud. La France, parmi d’autres, a mis en avant l’importance de l’entraînement et du redéploiement des forces nécessaires unifiées à cet égard. Garantir l’autosuffisance d’une force armée nationale unifiée est la clef du succès du processus politique au Soudan du Sud, a renchéri la Fédération de Russie.
À l’instar des A3+1 et de la Chine, elle a argué que l’un des obstacles les plus importants à la réalisation de cet objectif prioritaire est le régime de sanctions en vigueur contre le Soudan du Sud, qui complique le déploiement et l’équipement de l’armée ainsi que le renforcement des structures de sécurité de l’État. La Russie s’est également élevée contre la décision de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) d’interdire l’utilisation d’hélicoptères de fabrication russe, ce qui rend cet équipement indisponible pour la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS).
La situation humanitaire extrêmement difficile au Soudan du Sud, qui s’explique en partie par les répercussions du conflit au Soudan et l’augmentation du nombre de réfugiés et de rapatriés de ce pays (plus de 560 000 personnes), n’a pas manqué de susciter des préoccupations. L’une des expressions de solidarité pour soutenir ces civils a été l’annonce par la France de l’organisation, avec l’Union européenne et l’Allemagne, d’une conférence humanitaire pour le Soudan et les pays voisins, prévue à Paris le 15 avril prochain, afin de répondre aux besoins des populations concernées.
Faisant observer que « l’édification d’une nation n’est pas une tâche facile », le Soudan du Sud a souhaité que la participation de la communauté internationale à ces efforts se concentre sur le soutien à la stabilité et sur les défis complexes auxquels le pays est confronté. Pour protéger la paix, la délégation a demandé aux Nations Unies de fournir un soutien ciblé en matière de renforcement institutionnel, de réforme du secteur de la sécurité et de développement économique.
Le Soudan du Sud a également exhorté la communauté internationale à continuer de lui fournir une aide humanitaire, des soins de santé et des services d’éducation, tout en contribuant à améliorer la résilience des communautés. Il a d’autre part appelé à des efforts soutenus pour guérir les traumatismes, promouvoir des processus de vérité et de réconciliation, et appuyer le dialogue politique. Le Soudan du Sud a dit compter sur le soutien de l’ONU pour garantir des élections transparentes et crédibles, encourager la participation politique de tous les groupes et permettre l’engagement de la société civile.