Soixante-dix-neuvième session,
16e et 17e séances plénières – matin et après-midi
AG/SHC/4412

Troisième Commission: le Haut-Commissaire aux droits de l’homme exhorte à une réforme concrète de l’architecture financière mondiale, « une priorité en matière de droits humains »

(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)

« Nous vivons un moment crucial et très dangereux pour la vie humaine, pour les droits humains et pour la stabilité et la prospérité des États. »  C’est par ces mots que le Haut-Commissaire aux droits de l’homme a présenté son dernier rapport à la Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, qui entamait, aujourd’hui, l’examen de la promotion et de la protection des droits humains. 

Dans un monde où « les conflits s’intensifient, le droit international est bafoué, les promesses du Programme de développement durable sont en train de s’effondrer » et où « les changements climatiques s’accélèrent, la critique est criminalisée, et la haine progresse à grands pas », M. Volker Türk a appelé les États Membres à agir.

Il les a notamment exhortés à soutenir une réforme concrète de l’architecture financière mondiale, « une priorité en matière de droits humains », et à veiller à ce que leurs politiques économiques soient guidées par les normes des droits humains, afin, a-t-il précisé, de donner la priorité à la justice et à la dignité, réduire les inégalités et garantir les droits économiques, sociaux et culturels, les droits civils et politiques, ainsi que le droit au développement et le droit à un environnement propre, sain et durable.

Qualifiant en outre de profondément choquants les reculs en matière d’égalité des femmes –évoquant la situation en Afghanistan en particulier- M. Türk a averti par ailleurs que les droits de nos descendants sont déjà compromis par l’inaction face au développement incontrôlé des technologies numériques -notamment l’intelligence artificielle, la biotechnologie et les armes létales autonomes– et à la crise climatique.  De même, il a appelé à s’attaquer aux causes des conflits, prévenant du risque que le « cancer de la guerre » étende ses « métastases » aux générations futures.

Inquiétudes face au nombre de civils tués à Gaza

Déplorant une forte augmentation du nombre de civils tués dans les conflits armés en 2023, le Haut-Commissaire a constaté que le droit international était foulé aux pieds en toute impunité, s’alarmant notamment de la situation à Gaza et des « cycles répétés de haine, de mort et de destruction dans les territoires palestiniens occupés ». 

Affirmant que rien ne pouvait justifier les « horribles atrocités » commises le 7 octobre 2023 contre des Israéliens par le Hamas, il a rappelé que depuis un an, plus de 42 000 Palestiniens, principalement des femmes et des enfants, avaient été tués à Gaza, 1,9 million déplacés, et que l’« implacable » offensive militaire israélienne se poursuivait, accompagnée d’une aggravation de l’oppression en Cisjordanie occupée.

Saluant les prises de position claires des Nations Unies en faveur d’un cessez-le-feu immédiat et un accès sans entrave à l’aide humanitaire « dès le début » du conflit à Gaza, l’État de Palestine, rejoint par l’Algérie, a appelé à mettre fin aux violations massives des droits humains et à l’« immense crise humanitaire » qui frappe l’enclave, exhortant les États Membres à mettre fin aux massacres qui s’y poursuivent en toute impunité. 

Le Haut-Commissaire s’est également inquiété de la « spirale de violence » entre le Hezbollah et Israël, dénonçant en outre l’implication de l’Iran et d’acteurs non étatiques au Yémen et en Iraq, faisant « planer la menace d’une guerre plus vaste et plus terrible ».  Le Liban a dénoncé pour sa part une agression israélienne.

Ukraine, Soudan, Myanmar – les autres points chauds du globe

Dans son intervention, M. Türk s’est aussi préoccupé de l’augmentation inquiétante du nombre des victimes civiles en Ukraine depuis juillet 2024, atteignant des niveaux sans précédent depuis l’automne 2022.  Soulignant l’importance du travail du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) pour documenter les violations des droits humains commises suite à l’agression russe, l’Ukraine a demandé ce qui pouvait être fait pour que la Fédération de Russie accorde aux mécanismes internationaux de contrôle des droits humains un accès sans entrave à ses prisonniers de guerre et ses civils détenus illégalement.  Le HDCH est-il « un messager ou un acteur » ? a lancé la Russie, s’interrogeant sur le fait qu’il n’évoque pas les « actions terroristes menées depuis 2012 par le régime de Kiev contre les habitants du Donbass ».

Le Haut-Commissaire a également condamné les attaques à motivation ethnique et les violences sexuelles au Soudan, ainsi que les « sommets d’inhumanité » atteints au Myanmar, déplorant là encore des bilans humains parmi les plus élevés depuis le début de la crise en 2021. 

Estimant que de nouvelles lignes rouges étaient franchies chaque semaine, le Haut-Commissaire a souligné que « cette violence n’a amélioré la sécurité de personne », alors que la guerre « alimente la machine atavique de la vengeance et du châtiment ».  En outre, à mesure que notre monde se militarise, la cohésion sociale s’effrite et les tendances autocratiques se multiplient.  Plusieurs délégations, dont le Liechtenstein, lui ont demandé comment il comptait lutter contre l’impunité, qui n’est « pas suffisamment prise en compte par les parties prenantes, notamment concernant les conflits au Soudan et à Gaza ».

S’agissant de la reddition des comptes, il a fait savoir qu’avec le Département des affaires politiques et consolidation de la paix, le HCDH a publié un guide pour analyser les médiations et les missions de paix.  Il y a souvent un malentendu sur la valeur des droits humains dans les processus de paix, mais c’est précisément dans ce contexte que les droits humains offrent des solutions efficaces, a-t-il affirmé, insistant sur l’importance d’accorder l’accès qu’on refuse aux observateurs dans de nombreux endroits. 

La clarté qui découle du travail de surveillance effectué par le HCDH permet l’alerte précoce, la prévention, la reddition de comptes et l’établissement d’une paix durable, fondée sur la justice, a estimé le Haut-Commissaire qui a par ailleurs rappelé la publication, l’an dernier par le HCDH, de la déclaration de principes « Droits humains: la voie à suivre. ». 

Au cours du dialogue interactif, l’Allemagne s’est inquiétée de la réduction de l’espace civique, suivie de l’Union européenne qui a regretté que les droits humains ne reçoivent que 5% du budget ordinaire de l’ONU.  Les États-Unis et l’Éthiopie ont voulu savoir comment le HCDH pouvait faire face à la multiplication des situations de crise alors que ses ressources restaient limitées.

Au nom du Communauté économique des États de l’Afrique centrale, le Rwanda, rejoint par le Cameroun, a voulu savoir quelles mesures avaient été prises par le Haut-Commissaire depuis l’adoption de la résolution 78/235 de l’Assemblée générale portant création du Centre sous-régional pour les droits de l’homme et la démocratie en Afrique centrale, à Yaoundé.  « Est-il prévu d’y injecter des ressources et de créer de nouveaux postes? » a-t-il demandé.

La crise de liquidité freine le déploiement des bureaux locaux du HCDH, notamment celui qui doit ouvrir à Yaoundé, a répondu M. Türk.  Le Haut-Commissaire a aussi regretté que le travail de son bureau se fasse dans des situations de plus en plus difficiles, rappelant que huit de ses membres étaient détenus au Yémen, jugeant cela inacceptable et appelant les États Membres à s’assurer de la sécurité des travailleurs humanitaires et des fonctionnaires des Nations Unies. 

S’exprimant au nom du Groupe des Amis pour la défense de la Charte des Nations Unies, le Venezuela, rejoint par Cuba et le Zimbabwe, a souhaité que le HDCH donne plus de visibilité aux effets des mesures coercitives unilatérales sur les droits humains.  Inversant la perspective, le Bélarus a affirmé que les droits humains servaient de prétexte à la mise en place de mesures coercitives unilatérales.  Le Venezuela a également rejeté le deux poids deux mesures que constitue selon lui l’examen spécifique des situations de certains pays par le HCDH, surtout quand ces derniers le refusaient. 

Présentation des rapports de trois autres organes de traité

Dans l’après-midi, la Troisième Commission a également dialogué avec les responsables de trois organes de traité venus présenter les rapports annuels de ces entités.

Présentant le premier rapport du Groupe de travail sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales, dont les travaux ont commencé en mai 2024, sa Présidente-Rapporteuse, Mme Geniève Savigny, a fait savoir que les nombreuses formes de discrimination à l’encontre des paysans sont systémiques, structurelles et croisées.  Le rapport constate par ailleurs que, bien que produisant jusqu’à 80% des cultures vivrières dans certains pays, les paysannes sont touchées de manière disproportionnée par la pauvreté et l’insécurité alimentaire, et sont souvent confrontées à une discrimination systémique, notamment pour l’accès à la terre et aux autres ressources productives, telles que l’eau, les semences et le crédit. 

Après avoir détaillé les activités du Comité des droits de l’homme sur la période de juillet 2023 à mars 2024, marquée par la tenue de dialogues constructifs avec plus de 20 États parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, sa Présidente, Mme Tania María Abdo Rocholl a appelé les États Membres à soutenir les organes conventionnels en défendant un financement adéquat par le budget ordinaire de l’ONU.

S’inquiétant elle aussi de la crise de liquidités et des contraintes financières chroniques qu’affrontent les organes conventionnels, la Présidente du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Mme Laura Craciunean-Tatu, a précisé que le Comité avait un arriéré de 188 communications individuelles en suspens qui justifie selon elle l’octroi de nouvelles ressources du Secrétariat.

Avant de lever la séance, la Troisième Commission, qui poursuivra ses travaux jeudi 17 octobre, à partir de 10 heures, a achevé sa discussion générale sur la promotion des femmes entamée le 8 octobre..

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