En cours au Siège de l'ONU

Soixante-dix-neuvième session,
7e et 8e séances plénières – matin & après-midi
AG/SHC/4407

La Troisième Commission débat de la condition des femmes, de la quête d’une égalité réelle à l’institutionnalisation de l’apartheid fondé sur le genre

(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.

La Troisième Commission, chargée des affaires sociales, humanitaires et culturelles, a entamé, aujourd’hui, son examen de la condition des femmes sur un constat alarmant: la montée en puissance d’une réaction mondiale contre les droits des femmes et des filles et l’égalité des sexes.  Du recul des droits en matière de santé sexuelle et reproductive à l’institutionnalisation d’un véritable « apartheid sexiste » en Afghanistan, les principaux intervenants ont alerté les États Membres sur un mouvement de fond qui menace d’annuler des décennies de progrès dans la lutte contre la violence et la discrimination fondées sur le genre. 

Les droits des femmes – un recul croissant

Selon la Directrice exécutive adjointe d’ONU-Femmes, Mme Nyaradzayi Gumbonzvanda, l’inversion des progrès à laquelle on assiste aujourd’hui est la conséquence d’une opposition entre les valeurs politiques, religieuses et culturelles et les droits humains, mais aussi d’une tendance à autoriser, voire à justifier, la discrimination et des effets conjugués des crises économiques, de l’instabilité et des conflits.  Il en résulte une augmentation de la violence contre les femmes et les filles, notamment à travers la désinformation sexiste, la diffusion de discours de haine, le harcèlement sexuel et la violence physique, qui entraînent souvent des cas extrêmes de féminicide. 

Dans le même ordre d’idées, la Présidente du Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles a constaté un recul croissant des droits sexuels et reproductifs.  Un mouvement qui, d’après Mme Laura Nyirinkindi, se traduit par un rejet de l’éducation complète sur ces questions, des déclarations misogynes omniprésentes dans les médias, la montée du discours antigenre dans le domaine public et des attaques contre les défenseuses des droits humains.  Ce recul, a-t-elle souligné, peut atteindre l’ensemble des droits fondamentaux des femmes et des filles, comme c’est le cas en Afghanistan, où les décrets discriminatoires imposés par le pouvoir des Taliban constituent « un cadre institutionnalisé d’apartheid fondé sur le genre ». 

Plaidant pour l’inclusion du « crime d’apartheid sexiste » dans le nouveau traité en cours d’élaboration sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité, Mme Nyirinkindi a surtout appelé à réaffirmer le principe d’« égalité réelle » pour les femmes et les filles, ce qui nécessite non seulement d’assurer l’égalité de facto entre les femmes et les hommes, mais aussi de s’engager dans la transformation des éléments de la société, de la culture, de la politique et de l’économie qui créent des obstacles à l’égalité.  À cet égard, elle a salué les références faites à l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes et des filles dans le Pacte pour l’avenir en tant que condition préalable au développement durable, à la paix et à la sécurité et à la jouissance des droits humains. 

En écho à ce pacte adopté par les chefs d’État et de gouvernement le mois dernier, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes adoptera prochainement son projet de recommandation générale n°40 sur la représentation égale et inclusive des femmes dans les systèmes de prise de décisions, « dont l’exigence centrale est la parité », a indiqué sa Présidente.  Mme Ana Peláez Narváez a ajouté qu’outre sa dénonciation des violations institutionnalisées des droits humains des femmes en Afghanistan, le Comité a réagi à l’escalade du conflit au Moyen-Orient et au nombre élevé de femmes et d’enfants tués, blessés et déplacés par la guerre en appelant à des pourparlers de paix inclusifs avec une représentation égale des femmes.

« Plutôt que voir leur pleine participation facilitée et soutenue, les femmes sont punies et exclues des processus clefs », a déploré la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences, pour qui il est urgent de revoir la mise en œuvre collective de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing et de réfléchir à l’adoption d’un protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

La violence à l’égard des femmes et des filles dans le sport

Quant à son rapport, Mme Reem Alsalem a précisé s’être concentrée sur les obstacles structurels qui limitent la capacité des femmes et des filles à pratiquer des sports avec dignité, sécurité et équité, notamment le manque d’accès aux ressources, l’inégalité des salaires, le fardeau de la prestation de soins et la sous-représentation dans les postes à responsabilité.  Elle y dénonce aussi « l’intrusion croissante d’hommes dans les sports réservés aux femmes » et l’atteinte que cela porterait à l’intégrité et à la sureté des femmes et des filles dans le sport.  Pour garantir la participation inclusive de toutes les personnes, tout en maintenant les principes d’équité, de dignité et de sécurité des sports féminins, elle a recommandé la création de catégories ouvertes et le rétablissement du dépistage sexuel lorsque cela est nécessaire.  

Au cours du dialogue interactif qui a suivi les interventions des trois représentantes des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, plusieurs délégations, dont celles du Chili et d’Israël ont estimé que les athlètes femmes transsexuelles doivent être considérées comme des femmes.  À l’instar de l’Égypte, selon laquelle certains pays mettent en danger la sécurité des athlètes et l’intégrité du sport en autorisant des « compétitions sportives mixant les sexes », la Fédération de Russie a soutenu que seules les femmes doivent pouvoir participer aux activités sportives féminines.  Plus largement, elle s’est élevée contre les tentatives visant à imposer aux États des « concepts litigieux » en lien avec l’identité de genre.

Dans la même veine, le Saint-Siège a regretté que le gros du débat se focalise sur des politiques et programmes qui « nient la réalité physique de ce qu’est le fait d’être une femme ».  La délégation a demandé à Mme Alsalem si elle avait envisagé qu’il puisse y avoir un lien « entre la négation de l’existence d’une différence entre les sexes dans certains domaines, comme le sport, et la plus grande tolérance à l’égard de formes d’exploitations qui reposent sur ces mêmes différences, comme la prostitution, la pornographie et la servitude ». 

Dans sa réponse, la Rapporteuse spéciale s’est défendue d’avoir utilisé un libellé « humiliant » en faisant référence à des hommes qui s’identifient comme femmes, « puisque ceci est factuellement vrai ».  Appelant à s’appuyer sur des faits scientifiques, elle a relevé que les athlètes nés hommes affichent des performances sportives supérieures, notamment à partir de la puberté. 

Durant la première partie de ses travaux, la Commission a par ailleurs entendu l’appel de M. Ayman Abdelmohsen, Chef du service de santé sexuelle et reproductive au Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), en faveur d’une intensification de l’action engagée pour en finir avec la fistule obstétricale -grave lésion susceptible de survenir lors d’un accouchement et entraînant une incontinence urinaire, facteur de honte et d’exclusion sociale– en l’espace d’une décennie, avant de débuter sa discussion générale sur le point à l’ordre du jour. 

Inquiétudes au sujet de la mise en œuvre du Programme d’action de Beijing

Au cours de la discussion générale, la Grenade, au nom de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), a observé que les objectifs de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing ne sont pas atteints, pas plus que ceux de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, une sur trois continuant de subir des violences physiques ou sexuelles au moins une fois dans sa vie.  Partageant le même constat, l’Union européenne a appelé à mettre les lois et les pratiques nationales à la hauteur des engagements pris, avant de réitérer son attachement au droit de chacun de déterminer et choisir librement sa sexualité et de disposer de son corps.

Le Tchad, qui s’exprimait au nom du Groupe des États d’Afrique, a assuré que le Programme 2063 de l’Union africaine remédie aux lacunes des engagements de Beijing, notamment par le biais de programmes d’autonomisation économique, d’accès au crédit et de renforcement du leadership féminin dans l’entrepreneuriat.  Même autosatisfecit de la part de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), qui, par la voix de la Thaïlande, a mis en avant son cadre stratégique 2021-2025 pour l’intégration du genre.   

Reste que, 45 ans après l’adoption de la Convention afférente et 25 ans après celle de son Protocole facultatif, aucun État au monde n’est parvenu à éliminer toutes les discriminations à l’égard des femmes.  Pire, comme l’a noté le Kirghizstan, nombre des 189 États parties ont pris leurs distances avec l’article 2 de la Convention, qui leur enjoint de poursuivre une politique d’élimination de ces discriminations.  « De telles réserves de fond sont de nature à miner les progrès », a regretté la délégation. 

L’impact de la pénurie de ressources sur les organes conventionnels

Au cours de son exposé, la Présidente du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a par ailleurs alerté sur les effets des pénuries chroniques de ressources, en plus de la crise de liquidités que traverse actuellement l’ONU, sur le système des organes conventionnels.  « Ces restrictions imposent des limites à la protection des droits humains et empêchent les comités de mener pleinement à bien les activités qui leur sont confiées », a-t-elle dénoncé, avant d’appeler à un renforcement desdites ressources afin de refléter l’augmentation du nombre de ratifications, de rapports d’États parties, de communications individuelles et de visites d’information.  À toutes fins utiles, elle a aussi rappelé que, dans le Pacte pour l’avenir, les États Membres ont demandé au Secrétaire général d’évaluer la nécessité d’un financement adéquat, prévisible, accru et durable des mécanismes relatifs aux droits humains.

La Troisième Commission poursuivra ses travaux demain, mercredi 9 octobre, à partir de 10 heures.

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.