Troisième Commission: « priorité nationale » de tous les États, la protection des droits de l’enfant est aussi le révélateur de profondes divisions
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La Troisième Commission, chargée des questions sociales, humanitaires et culturelles, a poursuivi aujourd’hui sa discussion générale sur la promotion et la protection des droits de l’enfant. Ce sujet, a priori consensuel, a été traité essentiellement sous l’angle des réalisations nationales, qu’elles soient législatives, juridiques ou programmatiques. Les interventions ont toutefois fait ressortir de profondes divisions en lien avec les tensions géopolitiques, récentes et anciennes, ou autour du rôle assigné à la famille.
Préoccupations face au sort des enfants en situation de conflit
À l’instar de nombreuses délégations arabes, l’État de Palestine a alerté sur le sort des enfants de Gaza, victimes innocentes d’une agression israélienne en forme de « vengeance barbare » contrevenant au droit international. « Sauvez les générations palestiniennes et israéliennes futures des fléaux des guerres israéliennes », a lancé la déléguée palestinienne, en appelant à mettre fin au transfert d’armes et de munitions vers Israël, à appliquer les ordonnances de la Cour internationale de Justice (CIJ), à demander des comptes aux auteurs d’atrocités et à soutenir les efforts de la Cour pénale internationale (CPI).
En appui de ce plaidoyer, l’Arabie saoudite a accusé Israël de vouloir « éliminer les enfants » par des « meurtres systématiques » à Gaza et au Liban. L’Algérie a estimé « injuste » de parler des droits et de la protection des enfants lorsque 16 000 enfants de Gaza ont perdu la vie et que 17 000 autres ont été condamnés à vivre sans parents, un avis partagé par le Sultanat d’Oman et le Koweït, ce dernier signalant des traumatismes durables chez les plus jeunes et l’aggravation du « fossé éducatif qui pèse sur l’avenir de la Palestine ». Les Émirats arabes unis ont, quant à eux, appelé à un environnement « stable, sûr et sain » pour les enfants du Moyen-Orient, rappelant leur « initiative pour l’espoir et la paix », qui prévoit la prise en charge médicale d’un millier d’enfants palestiniens de la bande de Gaza.
« J’appelle à reconnaître le sort de tous les enfants touchés par les conflits, y compris ceux en Israël », a rétorqué la déléguée de la jeunesse israélienne, rappelant le sort des 40 enfants enlevés par le Hamas le 7 octobre 2023. Ces enfants, dont certains ont été libérés depuis, ont été détenus dans des conditions difficiles, séparés de leurs frères et sœurs et de leurs parents, effrayés et torturés psychologiquement et physiquement, a dénoncé la déléguée qui a appelé à travailler ensemble pour qu’aucun enfant ne souffre des horreurs de la guerre, du terrorisme ou de l’endoctrinement à la haine.
De son côté, l’Iraq a attiré l’attention sur la situation des enfants qui croupissent dans le camp de Hol, dans le nord-est de la Syrie, au motif que leur famille est proche de militants de Daech. Le Gouvernement iraquien travaille au transfert de ces enfants vers le centre d’Al-Jada, dans la province iraquienne de Ninive, afin qu’ils y suivent une réhabilitation psychosociale et soient rendus à leur famille, a expliqué la délégation, non sans enjoindre aux États ayant des ressortissants à Hol d’« assumer leurs responsabilités ». Un appel entendu par le Kazakhstan, qui a dit avoir rapatrié des femmes et des enfants kazakhstanais de Syrie et d’Iraq et leur avoir procuré les moyens de se réintégrer dans la société.
Plusieurs États africains ont eux aussi exigé des efforts accrus en matière de protection des enfants vivant en situation de conflit armé. Les belligérants et la communauté internationale doivent tout faire pour les préserver de la violence, des abus, des déplacements et du recrutement par les groupes armés, a plaidé le Ghana, en réclamant davantage d’investissements dans les programmes de réinsertion. Les parties au conflit ont une responsabilité particulière, a renchéri le Mozambique, tandis que le Nigéria affirmait œuvrer à la fourniture d’un soutien psychosocial et de soins de traumatologie aux enfants touchés par la violence des conflits. Même dans ce type de contexte, les droits des enfants à l’alimentation et à la santé doivent impérativement être sauvegardés, a insisté la Zambie.
La guerre en Ukraine et son lot de souffrances pour les enfants ont également été évoqués, notamment par la Roumanie qui a fait état d’un dispositif d’accueil et de soutien des jeunes réfugiés ukrainiens mis en place en partenariat avec le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF). « En ouvrant nos écoles et nos communautés, nous offrons à ces enfants non seulement un refuge sûr, mais aussi les outils dont ils ont besoin pour reconstruire leur vie », a-t-elle souligné, précisant que des programmes adaptés en langue maternelle et en roumain ainsi qu’un soutien psychosocial aident ces enfants à progresser. Il est inacceptable de voir l’obligation de protection des enfants dans les conflits armés « bafouée de manière flagrante, non seulement par les groupes armés et les terroristes, mais aussi par un membre permanent du Conseil de sécurité », s’est indignée l’Islande.
Le rôle de la famille
Plutôt que d’aborder la question des conséquences de ce conflit sur les enfants, la Fédération de Russie a préféré dénoncer la « manipulation » de certaines dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant, en particulier les tentatives des « États néolibéraux » visant à passer sous silence le rôle moteur des parents ou des représentants légaux dans l’exercice de ces droits. De telles approches sont contraires à la relation naturelle entre parents et enfants et créent les conditions préalables à une atteinte aux valeurs familiales et culturelles traditionnelles, a-t-elle fait valoir, rejointe par le Cameroun, pour qui « favoriser l’indépendance des enfants sans tenir compte de leur niveau de maturité et de leurs capacités en récusant les droits reconnus aux parents est irresponsable, voire dangereux ».
Sur cette même ligne, le Yémen a réaffirmé l’importance de la « famille naturelle », composée d’un homme, le père, d’une femme, la mère, et de leurs enfants, bien loin des « déviations sexuelles que proposent certains États ou organisations ». Le Sénégal a, lui, préconisé une approche holistique de la protection de l’enfance qui, outre la prévention des maltraitances et des abus, intègre aussi la nécessité d’améliorer le contexte global dans lequel vivent les enfants et leurs familles.
Accusés par la Fédération de Russie de nuire à la portée universelle de la Convention en refusant de la ratifier, les États-Unis ont aussi été fustigés par Cuba, qui a rappelé que le blocus que lui impose Washington n’épargne « aucun nourrisson ou adolescent » dans le pays. Chiffrant le coût du blocus pour l’achat d’appareils auditifs pour les enfants et adolescents handicapés, de fauteuils roulants électriques, de jouets et de matériel pédagogique pour les garderies, ou encore d’ordinateurs pour les centres éducatifs, la délégation cubaine a condamné une « politique criminelle » qui s’en prend au « secteur le plus noble et le plus innocent de la société ».
Santé mentale et pratiques traditionnelles nuisibles
Parmi les priorités listées par les intervenants, la santé mentale des enfants est revenue à plusieurs reprises, notamment par la voix du délégué de la jeunesse du Luxembourg, qui a parlé de « pandémie silencieuse » affectant un jeune sur sept âgé de 10 à 19 ans. Un tiers des troubles mentaux apparaissent avant l’âge de 14 ans, a-t-il relevé, ajoutant que le suicide est désormais la troisième cause de décès chez les 15-29 ans. Après avoir pointé le fait que le sous-investissement dans ce problème entraîne des pertes économiques évaluées à quelque 387 milliards de dollars par an, il a appelé à prioriser la prévention et à garantir un accès rapide et équitable aux soins dès les premiers signes.
Pour leur part, les délégations africaines ont mis l’accent sur les efforts visant à lutter contre des fléaux tels que la traite, le travail et le mariage des enfants. S’agissant de cette dernière pratique, la République du Congo a appelé à bannir les « coutumes sociales rétrogrades » et à éduquer les jeunes pour mettre fin aux unions précoces et forcées. « Éduquer une femme, c’est éduquer une nation », a-t-elle résumé, se prononçant pour une éducation sexuelle des jeunes filles « dès le plus jeune âge et en famille » et pour l’adoption de lois assorties de sanctions. Sur ce même sujet, l’Éthiopie a annoncé que sa stratégie de lutte contre les pratiques traditionnelles nuisibles avait débouché sur l’abandon par 4 700 villages des mutilations génitales féminines et du mariage précoce, ce qui a valu au pays le prix annuel du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP).
Opposées aux gouvernements de facto au pouvoir dans leur pays respectif, les délégations de l’Afghanistan et du Myanmar ont toutes deux dénoncé des violations multiples des droits de l’enfant sur leur territoire national. La première a rappelé que 14 millions d’enfants afghans sont aujourd’hui privés de leurs droits fondamentaux à l’éducation, à la santé et à la protection, une situation particulièrement alarmante pour les filles qui sont exclues d’un système éducatif de plus en plus restrictif et prônant un islam radical. La seconde s’est alarmée de ce que les enfants soient la catégorie de population la plus durement affectée par l’escalade du conflit au Myanmar, le coup d’État militaire de 2021 ayant forcé 1,3 million d’entre eux à quitter leurs foyers, dans un contexte de crise humanitaire aiguë.
Plusieurs délégations, dont la Fédération de Russie, l’Iran, Israël, la République populaire démocratique de Corée, la République de Corée et la Syrie, ont exercé leur droit de réponse.
La Commission a ensuite poursuivi sa discussion générale sur la promotion des femmes entamée le 8 octobre.
La Troisième Commission reprendra ses travaux demain, mardi 15 octobre, à partir de 10 heures, en abordant la question des droits des peuples autochtones.