L’échec de la « guerre mondiale contre la drogue », la prolifération des drogues de synthèse et la cybercriminalité dominent les débats de la Troisième Commission
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L’attention de la Troisième Commission, en charge des questions sociales, humanitaires et culturelles, qui traitait aujourd’hui des questions liées à la drogue et la criminalité, s’est notamment portée sur trois sujets majeurs: l’échec de l’approche répressive en matière de stupéfiants, l’explosion du recours aux drogues de synthèse et la cybercriminalité.
Avant d’entamer cette discussion générale, la Commission a entendu la présentation du rapport annuel du représentant de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC). À cette occasion, le Directeur de la Division de l’analyse des politiques et des relations publiques à l’ONUDC s’est félicité de la finalisation, en août dernier, d’un projet de convention internationale générale sur la lutte contre l’utilisation des technologies de l’information et des communications à des fins criminelles. Il s’agit du premier projet de traité multilatéral de lutte contre la criminalité au sein des Nations Unies depuis plus de 20 ans, s’est-il félicité.
Inquiétudes face à la cybercriminalité et aux drogues synthétiques
À l’instar de plusieurs délégations, Singapour, qui intervenait au nom de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), s’est inquiétée de la croissance de la cybercriminalité depuis la numérisation massive des activités ayant suivi la pandémie de COVID-19, indiquant que le préjudice des seules arnaques en ligne s’élevait à 64 milliards de dollars pour ses États membres. L’ASEAN a créé un groupe d’intervention dédié aux urgences informatiques régionales, a indiqué Singapour, qui a ajouté qu’elle abritait un centre d’excellence de la cybersécurité.
De même, la cité-État a déploré la « rapide croissance du marché des drogues synthétiques » dans l’ASEAN, où les saisies ont atteint un montant record de 190 tonnes de méthamphétamine en 2023. Une inquiétude partagée par la Jamaïque, au nom de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), qui a notamment évoqué l’implantation de capacités de production de cocaïne et de méthamphétamine sur son territoire.
De son côté, la République islamique d’Iran a indiqué qu’au cours des six premiers mois de 2024, ses services avaient confisqué 220 tonnes de drogues diverses venues d’Afghanistan, en particulier des méthamphétamines, dont la production est en hausse significative dans ce pays et constitue une « menace mondiale émergente ». Elle a par ailleurs indiqué qu’elle avait effectué 90% des saisies mondiales d’opium, 70% de morphine et 20% d’héroïne. En tant que pays à l’avant-garde de la lutte contre la drogue, elle a réitéré ses demandes de soutien, notamment en termes de formation et d’équipements spécialisés à l’ONUDC.
Une consommation en hausse
« La guerre mondiale contre la drogue est un échec », a affirmé la Colombie, rejointe par la Suisse sur cette ligne. Citant le rapport du Secrétaire général à l’ordre du jour, l’État latino-américain a rappelé qu’en 2021, 296 millions de personnes avaient consommé au moins une drogue au cours des 12 derniers mois, soit une augmentation de 23% en 10 ans. S’appuyant sur la même source, le Cameroun a ajouté qu’on estimait à 39,5 millions le nombre de personnes souffrant de problèmes liés à la drogue dans le monde.
Constatant l’échec des approches prohibitives ou éradicatrices, la Confédération helvétique a appelé à un « changement de paradigme » donnant la priorité aux droits humains et à la santé publique plutôt qu’aux mesures répressives. Ces dernières ont pour effet la marginalisation de certaines populations, la surpopulation carcérale, l’exclusion de la société civile et l’application fréquente de la peine de mort, a-t-elle analysé.
Adoptant la même grille de lecture, l’Afrique du Sud et le Guatemala ont soutenu que le problème mondial de la drogue est une responsabilité partagée qui ne peut être combattue que par une coopération mettant l’accent sur les droits humains. L’Afrique du Sud a appelé à réfléchir au coût des médicaments, à leur accès, en particulier en Afrique où ils sont difficilement disponibles.
À l’instar de la Thaïlande qui a indiqué avoir adopté une politique visant à traiter les consommateurs de drogues comme des « patients », la Jamaïque, toujours au nom de la CARICOM, a estimé qu’il fallait envisager la criminalité et la violence comme des problèmes de santé publique afin de s’« attaquer aux causes profondes du crime ».
De son côté, la Colombie a appelé l’ONU à donner de la visibilité à toutes les composantes du système et à « faire preuve de cohérence », regrettant un cloisonnement et un manque de discussion entre New York, Genève et Vienne.
A contrario, le Bélarus a estimé que Vienne devrait rester le principal lieu de discussion sur les questions de prévention du crime et de justice pénale. À ses yeux, les travaux sur ces questions à New York ne devraient pas remplacer les efforts déployés dans les plateformes de fond, notamment ceux de la Commission des stupéfiants et de la Commission pour la prévention du crime et la justice pénale. Quant à lui, le Directeur de la Division de l’analyse des politiques et des relations publiques à l’ONUDC a affirmé que l’ONU parlait d’une seule voix, portée par son Organisation.
Présentant le rapport d’activité de l’ONUDC, M. Jean-Luc Lemahieu s’est par ailleurs félicité de l’inclusion dans le Pacte pour l’avenir, adopté il y a deux semaines, d’une action visant à prévenir et combattre la criminalité transnationale organisée et les flux financiers illicites associés. Un sujet évoqué par Israël qui a dénoncé l’implication du Hezbollah dans un éventail d’activités criminelles, comme le trafic de drogue et le blanchiment d’argent notamment en Amérique latine, générant une somme d’un milliard de dollars.
L’État hébreu a aussi dénoncé l’impact de la prolifération des drogues de synthèse, notamment du captagon, accusant la Syrie d’avoir fait de sa production « un des piliers de son économie ». Ces accusations ont été rejetées en bloc par la délégation syrienne.
Les liens entre le trafic de drogue et d’autres formes de criminalité
Pour leur part, le Mexique et la Jamaïque ont souligné l’importance des liens profonds entre trafic de drogue et trafic d’armes à feu, soulignant qu’il existait des « itinéraires partagés » facilitant les flux illicites de stupéfiants et d’armes à feu à travers les frontières.
« Si nous voulons arrêter le trafic de drogue, nous devons également arrêter le flux d’armes », a martelé le Mexique. Précisant qu’un demi-million d’armes entraient sur son territoire chaque année, la délégation mexicaine s’est préoccupée des failles créées par les différences en matière de législations nationales sur les armes. De son côté, le représentant de l’ONUDC a appelé les États Membres ayant signé la Convention contre la criminalité transnationale organisée, et son protocole sur les armes à feu, à adopter une approche unifiée.
Une autre convergence d’analyse entre États latino-américains s’est faite jour concernant un lien entre trafic de drogue et criminalité lié à l’environnement. Le Brésil a évoqué des canaux communs de blanchiment d’argent entre la drogue d’un côté, et l’industrie minière illégale ou le trafic d’espèces sauvages de l’autre, des crimes environnementaux qui rapportent plusieurs centaines de milliards de dollars par an selon un rapport de la Banque mondiale. La production de drogues provoque la déforestation de 500 000 hectares de forêt par an dans le monde, sans compter la pollution de l’eau et la dégradation du sol, a ajouté le Costa Rica, appelant à la mise en place d’activités de substitution comme l’écotourisme et l’agriculture biologique.
Le Costa Rica a également jugé essentiel d’intégrer une dimension de genre dans les stratégies de lutte contre la drogue, faisant état d’un écart notable entre les sexes pour ce qui est des taux de consommation et d’incarcération pour des délits liés au trafic de stupéfiants.
Alors que les hommes ont une prévalence plus élevée de consommation de drogues, les femmes se livrent davantage aux activités illicites, comme le transport ou la possession de drogues, a-t-il expliqué, une situation liée à leur plus grande vulnérabilité socioéconomique.
La Troisième Commission poursuivra ses travaux mardi 8 octobre, à partir de 10 heures.