La Sixième Commission débat de la définition des crimes contre l’humanité et se divise sur la référence faite à celle figurant dans le Statut de Rome
Au deuxième jour de sa seconde reprise de session consacrée à l’examen du « projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité » devant mener à une future convention, la Sixième Commission, en charge des question juridiques, a poursuivi sa discussion du groupe thématique 2 relatif aux projets d’articles 2, 3 et 4, exposant à cette occasion ses divisions quant à la définition retenue à ce stade. La Commission a ensuite entamé son débat du groupe thématique 3, centré sur les projets d’articles 6, 7, 8, 9 et 10.
S’agissant du projet d’article 2, dédié exclusivement à la définition des crimes contre l’humanité, un grand nombre d’États se sont félicités qu’il prenne pour base la définition figurant dans le Statut de Rome, laquelle définit les crimes internationaux sur lesquels la Cour pénale internationale (CPI) a une compétence juridictionnelle. Les Pays-Bas ont jugé que cette définition, fruit d’années de pratique des États et de larges négociations, « reflète largement le droit international coutumier ». À l’instar de l’Autriche, qui y a vu un « point de départ raisonnable » pour de futures négociations, des pays tels que l’Argentine, l’Australie, la Colombie, la France, la Hongrie, le Japon, la Jordanie, Malte, la Roumanie ou encore la Slovaquie ont estimé que cette définition était consacrée par la jurisprudence et l’évolution du droit pénal international concernant les crimes contre l’humanité.
Bien que n’étant pas partie au Statut de Rome, les États-Unis ont approuvé cette définition calquée sur celle de l’article 7 du Statut de Rome. « L’accepter ne signifie pas que l’on souscrit au Statut ou que l’on reconnaît la compétence de la CPI », ont-ils souligné, avant de relever que la définition retenue pour le projet d’article 2 contient la liste la plus complète des crimes contre l’humanité en comparaison avec tous les instruments multilatéraux qui en ont une. La Suisse a, elle, souhaité que l’on ne s’écarte pas de la définition figurant dans le Statut de Rome, dans la mesure où la CPI est appelée à jouer un rôle central dans la poursuite des crimes contre l’humanité.
À l’inverse, le Cameroun, la Chine, l’Inde et le Pakistan se sont opposés à la reproduction de la définition du Statut de Rome au motif qu’elle n’est pas acceptée de façon universelle, plus d’un tiers des États Membres n’étant pas parties au Statut de la CPI. La délégation chinoise a aussi rappelé qu’il existe différentes définitions des crimes contre l’humanité dans la pratique internationale et qu’au moins 11 instruments et traités contiennent des définitions disparates, en particulier sur le fait de savoir si ces crimes ne sont commis qu’en temps de guerre. L’Inde a par ailleurs dénoncé l’exclusion d’actes constitutifs de crimes contre l’humanité, tels que le terrorisme et le recours aux armes nucléaire, tandis que la République islamique d’Iran a appelé de ses vœux une définition faisant référence aux conséquences des mesures coercitives unilatérales sur les populations civiles. Il conviendrait aussi de se pencher sur « le néonazisme et les changements anticonstitutionnels de régime », a ajouté la Fédération de Russie.
La République arabe syrienne a quant à elle regretté que le projet d’article 2 ne tienne pas compte des crimes commis de manière systématique par certains États à l’encontre d’autres, en particulier le blocus, l’utilisation de la famine et les sanctions unilatérales. Elle a recommandé d’ajouter de telles actions dans la liste de crimes contre l’humanité au motif qu’elles sont conformes à la définition du crime de persécution figurant à l’alinéa g) du paragraphe 2 du projet d’article. Elle a d’autre part appelé à préciser la notion de « population civile » afin d’éviter des pratiques contradictoires concernant les poursuites, rejointe à cet égard par Cuba et l’État observateur de Palestine, ce dernier insistant d’autre part sur la nécessité de prendre en compte la jurisprudence de la Cour internationale de Justice (CIJ) sur les crimes contre l’humanité.
Parmi les pays favorables à la définition proposée, l’Afrique du Sud, le Mexique et le Royaume-Uni, entre autres, ont plaidé à leur tour pour que d’autres crimes soient ajoutés à la liste des crimes contre l’humanité énumérés dans le projet d’article 2, notamment le mariage forcé, l’apartheid de genre et la traite négrière. À propos de ce dernier crime, le Nigéria a rappelé que le Groupe des États d’Afrique appuie de longue date son inclusion. Notant que ces crimes, « y compris le colonialisme et l’exploitation des ressources naturelles », ne sont reflétés dans aucune convention sur les crimes de guerre ou le crime de génocide, il a jugé que « l’histoire ne nous pardonnera jamais si nous ne les incluons pas dans une convention sur les crimes contre l’humanité », avec la garantie de réparations pour les victimes. Un point de vue soutenu par la Sierra Leone et El Salvador, tant pour ceux qui ont souffert directement des crimes contre l’humanité que pour les générations suivantes qui vivent avec les conséquences de ces crimes.
Plusieurs États ont également appuyé la suppression de la définition du genre dans ce projet d’article. De l’avis du Brésil, il est préférable de laisser aux États Membres le soin d’interpréter le sens de ce terme conformément à leur législation nationale afin d’éviter des préoccupations susceptibles d’empêcher la ratification d’une future convention. Un avis partagé par le Canada, selon lequel cela permettait de « combler le fossé » entre les pays. En revanche, le Saint-Siège a déploré l’omission d’une définition du genre dans le texte examiné, alors qu’elle figure dans le Statut de Rome.
Autre proposition notable, celle du Liechtenstein en faveur d’un amendement au premier paragraphe du projet d’article 2 pour y incorporer une référence aux crimes de guerre, au génocide et au crime d’agression liés à la persécution. En effet, a fait remarquer la délégation, en vertu de l’article 7 du Statut de Rome, la persécution peut constituer l’acte fondateur d’un crime contre l’humanité lorsqu’elle est liée à l’un des autres actes susceptibles de constituer un tel crime ou à un crime relevant de la compétence de la CPI.
Pour ce qui est du projet d’article 3, qui traite des obligations générales, l’Italie, la Nouvelle-Zélande et la Roumanie se sont réjouies qu’il précise que les crimes contre l’humanité constituent des crimes au titre du droit international, qu’ils soient commis ou non en temps de conflit armé. Elles ont d’autre part appuyé, au paragraphe 3 du projet d’article 3, la disposition prévoyant qu’aucune circonstance exceptionnelle ne peut être invoquée pour justifier de tels crimes. Les États-Unis ont, pour leur part, applaudi le fait que ce projet d’article s’inspire de l’article 1 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, tout en souhaitant que son deuxième paragraphe soit étoffé pour préciser que les crimes contre l’humanité peuvent être commis par des acteurs étatiques comme non étatiques.
À propos du projet d’article 4, relatif à l’obligation de prévention, le Mexique a qualifié d’appropriées les références faites à l’adoption de mesures législatives, administratives et judiciaires. Globalement d’accord, les États-Unis ont jugé utile de préciser que cet article ne doit pas être considéré comme autorisant une utilisation ou un recours à la force qui ne serait pas conforme à la Charte des Nations Unies. Prudent, Singapour a dit comprendre ce projet d’article comme établissant « une obligation de conduite, non pas de résultat ». De son côté, le Portugal a fait valoir que les obligations de prévention et de sanction vont « main dans la main » et se renforcent mutuellement.
Après plusieurs « mini-débats » sur les contours des articles à l’examen, la Commission a ouvert en fin de journée la discussion du groupe thématique 3 concernant les projets d’articles 6 (incrimination en droit interne), 7 (établissement de la compétence nationale), 8 (enquête), 9 (mesures préliminaires lorsque l’auteur présumé de l’infraction se trouve sur le territoire) et 10 (obligation d’extrader ou de poursuivre).
L’Union européenne (UE) a d’emblée souligné l’importance des deux premiers paragraphes du projet d’article 6, dont l’idée maîtresse est d’obliger les États à adopter des lois criminalisant les crimes contre l’humanité dans leur système juridique national afin d’éviter les failles de l’impunité. Concernant les paragraphes 4, 5 et 6, elle a noté que l’immunité procédurale dont un représentant d’un État étranger peut bénéficier devant une juridiction pénale nationale continue d’être régie par les conventions et le droit coutumier. S’agissant du projet d’article 7, l’UE a salué le fait qu’il garantisse que les individus responsables de crimes aussi odieux subissent les conséquences de leurs actes, où qu’ils se trouvent. Enfin après avoir appuyé les projets d’articles 8 et 9, elle a jugé que le projet d’article 10 est un « incontournable » de toute convention combattant les crimes internationaux, car elle oblige les États, s’ils n’extradent pas l’auteur de l’infraction, à soumettre l’affaire aux autorités compétentes pour examiner si des poursuites seraient appropriées.
La Sixième Commission poursuivra ses débats demain, mercredi 3 avril, à partir de 10 heures.