Soixante-dix-huitième session,
38e & 39e séances plénières, matin & après-midi
AG/J/3708

La Sixième Commission entame sa reprise de session sur les crimes contre l’humanité en vue de l’élaboration d’une convention internationale

La Sixième Commission, chargée des questions juridiques, a amorcé aujourd’hui sa seconde reprise de session consacrée à l’examen du projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité, adopté en 2019 par la Commission du droit international (CDI), ainsi qu’à la possibilité d’élaborer une convention universelle sur cette question.  Elle se réunira toute la semaine et de nouveau le 11 avril prochain.

Le Président de la Commission, M. Suriya Chindawongse, de la Thaïlande, a indiqué que celle-ci aborderait ses délibérations sur la base de cinq groupes thématiques (clusters) regroupant l’ensemble des projets d’articles, à savoir les groupes 1 et 2, consacrés à la définition et aux obligations générales, le groupe 3 concernant les mesures nationales, le groupe 4 portant sur les mesures internationales, ainsi que le groupe 5, sur les garanties.

La Commission a tenu son premier cycle de délibérations sur ce point à son ordre du jour en avril 2023, lors de sa première reprise de session.

L’Assemblée générale avait décidé en décembre 2022 que la Sixième Commission reprendrait sa session à deux reprises afin d’échanger des opinions de fond, « notamment de façon interactive », sur tous les aspects du projet d’articles de la CDI.  L’Assemblée a également demandé à la Commission d’examiner plus avant la recommandation formulée par la CDI concernant l’élaboration, par elle ou par une conférence internationale de plénipotentiaires, d’une convention fondée sur ledit projet.

 S’agissant du premier groupe thématique, qui comprend le préambule et le projet d’article premier, l’Union européenne a constaté la persistance d’une lacune dans le cadre conventionnel international concernant les crimes contre l’humanité, lacune qu’un tel instrument permettrait de combler.  « Bien que les crimes de guerre et le crime de génocide soient inscrits dans des conventions universellement acceptées, les crimes contre l’humanité demeurent les seuls crimes internationaux majeurs qui ne disposent pas de leur propre traité », a-t-elle expliqué.

Néanmoins, a poursuivi la délégation européenne, rejointe par plusieurs délégations, dont celles de l’Afrique du Sud, l’Australie, le Mexique et les Pays-Bas, comme le rappelle le quatrième alinéa du préambule, l’interdiction des crimes contre l’humanité constitue déjà une norme impérative du droit international (jus cogens) applicable à tous les États, et à laquelle aucune dérogation n’est permise.  Une réalité reconnue non seulement par la CDI, mais aussi par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et plusieurs cours régionales des droits humains, a observé l’Autriche, contrairement à l’Inde, qui a jugé cette référence « insuffisante », et à la France, qui l’a considérée « prématurée ».

Au nom du Groupe arabe, l’Arabie saoudite a mis en relief ce qu’elle considère comme une application « sélective » du droit international et des « normes morales » internationales concernant les « crimes » perpétrés par l’occupation israélienne à l’encontre du peuple palestinien, en dénonçant, comme le Liban et la Syrie, les politiques de deux poids, deux mesures qui entravent l’universalité des règles du droit international.  Après l’attaque du 7 octobre dernier, « véritable crime contre l’humanité », Israël a appelé de son côté à poursuivre les discussions sur les projets d’articles.

Si les crimes contre l’humanité sont d’ores et déjà interdits au titre du droit international, l’absence de traité sur cette question porte préjudice à la prévention et la répression de ces crimes « abjects », a fait valoir la Suède, au nom des pays nordiques.  Cette « double portée » du projet d’article premier, qui vise à prévenir et à punir de tels crimes, a rencontré l’aval de la Lettonie, qui s’exprimait au nom des États baltes.  Un avis également partagé par l’Union européenne, qui a toutefois plaidé en faveur de l’inclusion d’une disposition précisant le champ d’application de la future convention.  En tout état de cause, a noté l’Autriche, toute question qui ne serait pas couverte par la convention resterait, dans une large mesure, régie par le droit international coutumier.

Tout en se félicitant de la décision de la Commission d’utiliser la définition du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) en tant que base matérielle de la définition des crimes contre l’humanité, la délégation suédoise a précisé, comme la Jordanie, qu’aucun État ne serait contraint de devenir un État partie à ce statut pour adhérer à la convention.  État hôte de la CPI, les Pays-Bas se sont félicités de la référence, au septième alinéa du préambule, à l’article 7 du Statut de Rome, lequel a servi de modèle pour la définition des crimes contre l’humanité.  Qui plus est, a relevé la République de Corée, les termes employés dans le préambule se retrouvent également dans les traités multilatéraux portant sur les crimes les plus graves, tels que la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.

Bien que la future convention ne soit liée ni à la CPI ni au Statut de Rome, la Suisse a jugé essentiel qu’elle s’intègre correctement au droit international existant.  Dans la même veine, le Canada a souligné l’importance d’inclure une référence au droit international coutumier dans le projet d’alinéa 7 du préambule, car il constitue la principale source de droit concernant les crimes contre l’humanité, tout en conservant la référence existante au Statut.

Évoquant les préoccupations légitimes soulevées par certaines délégations lors de la partie principale de la session de la Sixième Commission, qui s’est tenue à l’automne 2023, le Groupe des États d’Afrique a réitéré, par l’entremise de l’Ouganda, ses préoccupations concernant la décision de la CDI de « réviser » certaines dispositions découlant d’autres instruments juridiquement contraignants, ainsi que la nécessité de tenir compte des conséquences des « drames antérieurs », tels que l’esclavage, sur les personnes d’ascendance africaine.  Face à de tels crimes, la solution ne devrait pas être une nouvelle fragmentation du droit international, a fait valoir la République islamique d’Iran, avant de rappeler, comme la Chine, l’absence de consensus sur l’identification du jus cogens.

Pour sa part, l’Inde a rappelé que 43 États Membres de l’Organisation ne sont parties ni au Statut de Rome ni à la Convention sur le génocide.  Par conséquent, toute nouvelle convention qui en découlerait ne saurait faire l’objet d’une adhésion universelle, a-t-elle argué, en mettant en garde contre l’imposition « de théories ou de définitions juridiques » dérivées de tels accords.  De plus, les acquittements prononcés récemment ont jeté selon elle une « ombre sur la crédibilité de la CPI » et semblent corroborer l’idée selon laquelle des situations lui sont soumises « pour des raisons politiques ».  De même, le Cameroun, l’Éthiopie et la Fédération de Russie ont rejeté toute référence au Statut de Rome.

Selon le Brésil, l’inclusion, dans le préambule, de dispositions concernant les principes de la Charte des Nations Unies relatifs à l’interdiction du recours à la force et à la non-intervention dans les affaires intérieures des États permettrait de répondre aux préoccupations exprimées par certaines délégations, tout en renforçant l’adhésion universelle à une éventuelle convention. Une idée à laquelle a souscrit le Mexique, qui a aussi proposé d’inclure une référence au principe de complémentarité, lequel s’inscrit pleinement dans l’approche adoptée par la communauté internationale en matière de lutte contre l’impunité par le biais de la justice pénale.  Plusieurs délégations, dont l’Algérie, la Nouvelle-Zélande, les Philippines et la Roumanie, ont rappelé à ce sujet qu’il incombe au premier chef à chaque État d’exercer sa juridiction pénale à l’égard de tels crimes.

En fin de journée, la Sixième Commission a entrepris son examen du groupe thématique 2 concernant les projets d’articles 2, 3 et 4.  L’Union européenne a reconnu d’emblée que le projet d’article 2, qui s’inspire de l’article 7 du Statut de Rome de la CPI, a été au cœur des discussions lors de la reprise de session d’avril 2023, certaines délégations estimant que la définition qui y est énoncée n’avait pas été universellement acceptée et ne reflétait pas le droit international coutumier.  Or, a-t-elle ajouté, le fait est que cette définition, adoptée en 1998 dans le cadre de négociations multilatérales auxquelles ont participé plus de 160 États, jouit d’un large soutien, repose sur quelque 75 années de pratique, et reflète bel et bien le droit international coutumier.

Comme l’a noté la CDI, la définition des crimes contre l’humanité figurant à l’article 7 du Statut de Rome est utilisée par de nombreux États dans leur législation nationale, a relevé la Finlande, au nom des pays nordiques, y compris des États qui ne sont pas parties au Statut de Rome.  Tout en estimant que la définition proposée dans le projet d’article reflète le droit international coutumier, elle a noté que celui-ci n’est pas une condition préalable aux futures négociations sur cette définition.

Enfin, au paragraphe 2 de l’article 2, la délégation européenne, comme celle des pays nordiques, s’est dite d’avis qu’une « attaque lancée contre une population civile » doit être « généralisée » ou « systématique », sans considération de « conditions cumulatives », une interprétation conforme selon elle à la pratique des tribunaux internationaux.  La Fédération de Russie s’est cependant interrogée sur les conséquences de la reconnaissance de la nature impérative de l’interdiction des crimes contre l’humanité pour des actes qui ne figurent pas à cet article, mais qui sont définis dans des traités bilatéraux ou encore dans la législation nationale des États.

La Commission poursuivra ses travaux demain, mardi 2 avril, à partir de 10 heures. 

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