Deuxième Commission: 15 projets de résolution adoptés mais de profonds désaccords au sujet des accords multilatéraux et du mode de négociation
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La Deuxième Commission, chargée des questions économiques et financières, a aujourd’hui adopté 15 projets de résolution sur six points de son ordre du jour, dont 6 à l’issue d’un vote, au cours d’une journée émaillée de vifs débats et de désaccords de fond.
À l’entame de la séance, la Fédération de Russie et l’Argentine sont intervenues pour se dissocier du consensus sur les textes faisant référence au Pacte pour l’avenir, adopté le 22 septembre 2024 lors du Sommet de l’avenir, « pour protéger les besoins et les intérêts des générations présentes et futures » dans un monde « en profonde transformation ». Un Pacte qui marque un jalon essentiel pour le multilatéralisme cette année.
Pacte numérique mondial, droit international: des références contestées
Pour autant, la Deuxième Commission a adopté par consensus un projet de résolution sur « les technologies de l’information et des communications au service du développement durable » (A/C.2/79/L.33/Rev.1), qui fait largement référence à la mise en œuvre du Pacte numérique mondial, figurant en annexe du Pacte pour l’avenir. Ce projet s’inquiète de la fracture numérique, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA), qui existe à l’intérieur des pays et entre les pays développés et les pays en développement.
La référence au Pacte numérique mondial n’a toutefois été ajoutée dans le libellé qu’à la fin des négociations, ont regretté l’Uruguay et la Colombie. Se plaignant de changements apportés après la fin de ces négociations, le Mexique y a vu des « irrégularités procédurales » et les États-Unis la rupture d’un équilibre délicat. Le Pacte est pourtant le texte déterminant en matière de gouvernance numérique, a fait observer la Suisse. Ce n’est pas l’avis de la Fédération de Russie, qui a déclaré ne pas accorder de force juridique contraignante au Pacte numérique mondial.
Outre ce point de friction, le long texte du projet de résolution a fait l’objet de deux amendements, tous deux rejetés à l’issue d’un vote. Le premier amendement, présenté par l’Union européenne (UE), visait à réintroduire la référence au droit international dans le texte final. Quant aux États-Unis, qui ont présenté un autre amendement, ils auraient voulu que le Forum sur la gouvernance d’Internet, figurant au paragraphe 34 du dispositif, soit qualifié de « principale enceinte multilatérale ».
Le commerce international, moteur de développement
Les délégations se sont ensuite penchées sur le chapitre consacré aux questions de politique macroéconomique. Les débats ont été tout aussi houleux, en particulier sur un projet de résolution intitulé « Commerce international et développement » (A/C.2/79/L.3/Rev.1), qui a été adopté par 129 voix pour, 2 contre (États-Unis et Israël) et 47 abstentions.
Ce texte réaffirme que le commerce international est le moteur d’une croissance économique sans exclusion et un moyen d’éliminer la pauvreté. Il souligne qu’un système commercial multilatéral universel, réglementé, ouvert, transparent, prévisible, inclusif, non discriminatoire et équitable doit contribuer à la réalisation des objectifs de développement durable (ODD).
Toutefois, plusieurs de ses paragraphes se font l’écho de préoccupations au sujet des « mesures économiques, financières ou commerciales unilatérales », voire demandent d’y mettre un terme. L’Union européenne a présenté un amendement visant à supprimer lesdits paragraphes, avec l’assentiment des États-Unis. L’amendement a cependant été rejeté à une large majorité des États Membres, qui s’inquiètent de telles mesures unilatérales.
Elles sont « arbitraires », « discriminatoires » et « utilisées exclusivement pour des raisons politiques pour punir des gouvernements gênants », s’est insurgée la Fédération de Russie. « Elles visent de façon aveugle tous les pays en développement », a renchéri l’Afrique du Sud en soulignant qu’elles empêchent ces pays de lutter contre les changements climatiques et qu’elles ignorent le principe de « responsabilité commune mais différenciée ».
Climat: un consensus ne cachant pas des intérêts divergents
En venant au sujet du développement durable, cœur des négociations de la Deuxième Commission et du Programme 2030, les délégations ont adopté, cette fois par consensus, un projet de résolution sur la « réduction des risques de catastrophe » (A/C.2/79/L.16/Rev.1). Le texte salue l’adoption, lors de la quatrième Conférence internationale sur les petits États insulaires en développement en mai 2024, du Programme d’Antigua-et-Barbuda, qui fait clairement de l’intégration de la réduction des risques de catastrophe une priorité.
Il passe en revanche sous silence le Pacte pour l’avenir, ce qui a encore une fois chagriné certaines délégations, à l’instar de l’Union européenne.
Autre sujet de discorde ce mardi au cours de la séance, celui de la « sauvegarde du climat mondial pour les générations présentes et futures » (A/C.2/79/L.21/Rev.1). Le projet de résolution a été adopté par consensus, mais après le rejet de deux amendements à l’issue d’un vote, le retrait d’un troisième et le vote sur un paragraphe du dispositif.
Le texte recommande à l’Assemblée générale d’engager toutes les Parties à l’Accord de Paris sur le climat à l’appliquer pleinement, mais la Colombie a déploré l’absence de volonté politique de certaines délégations pour soutenir et refléter l’accord de la COP28 à Dubaï. D’ailleurs, l’Union européenne a présenté, en vain, un amendement visant à rétablir un libellé relatif à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, convenu à la COP28 mais supprimé dans le projet de résolution.
Les Fidji ont remis les délégations face aux réalités: les petits États insulaires du Pacifique sont menacés par les effets des changements climatiques et vulnérables à l’élévation du niveau de la mer et aux phénomènes météorologiques extrêmes. « Nous devons être guidés par la science et nous montrer ambitieux, la défense d’intérêts propres ne faisant qu’affaiblir les objectifs communs », a souligné le délégué.
Dans la même veine, les États fédérés de Micronésie ont estimé que le libellé sur la transition énergétique n’est pas suffisant, car il ne dit pas clairement qu’il faut sortir des combustibles fossiles. L’Alliance des petits États insulaires (AOSIS) a renchéri, par la voix de la déléguée des Samoa, pour déplorer le manque de souplesse de certaines délégations et un projet de résolution transformé en « champ de bataille ». « Les pays développés doivent honorer leurs engagements financiers, cela doit être le fil rouge », a-t-elle martelé.
Les liens entre développement durable et environnement
Les discussions ont pris ensuite un tour plus apaisé, et plusieurs projets de résolution relatifs au développement durable ont été adoptés par consensus: « Application de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification dans les pays gravement touchés par la sécheresse et/ou la désertification, en particulier en Afrique » (A/C.2/79/L.17/Rev.1), « Application de la Convention sur la diversité biologique et contribution au développement durable » (A/C.2/79/L.19/Rev.1), qui fait référence à la seizième réunion de la Conférence des Parties à la Convention, organisée à Cali (Colombie) du 21 octobre au 1er novembre 2024, et encore « Harmonie avec la Nature » (A/C.2/79/L.39/Rev.1), qui s’inquiète de la dégradation rapide de l’environnement.
En faisant sien ce dernier texte, l’Assemblée générale prierait son président d’organiser une réunion de haut niveau sur le thème de l’harmonie avec la nature et du bien-être, le 22 avril 2025, à l’occasion de la Journée internationale de la Terre nourricière, avec la participation des peuples autochtones.
Autres questions économiques et financières
Le Chili a ensuite présenté un projet de résolution intitulé « La promotion de l’économie sociale et solidaire au service du développement durable » (A/C.2/79/L.22/Rev.1), adopté à l’issue d’un vote demandé par l’Argentine, qui s’est abstenue. Le délégué du Sénégal s’est dit déçu de la demande de vote sur cette résolution consensuelle, qui ne contient aucune formulation controversée ou orientée. L’économie sociale et solidaire place les personnes avant les profits et elle réduit les inégalités, a abondé l’Union européenne.
Dans l’après-midi, la Deuxième Commission a abordé le sujet de la mondialisation et de l’interdépendance. Elle a adopté par consensus un projet de résolution intitulé « Suivi et mise en œuvre des textes issus des Conférences internationales sur le financement du développement » (A/C.2/79/L.2/Rev.1) mais a dû voter pour adopter le texte consacré au « Rôle des Nations Unies dans la promotion du développement à l’heure de la mondialisation et de l’interdépendance » (A/C.2/79/L.31/Rev.1). La Chine a déploré qu’une poignée de pays ait joué la carte de la confrontation et du « deux poids, deux mesures » en demandant un vote sur un libellé, plutôt que de se ranger derrière le consensus.
Les États-Unis ont également déploré l’impossibilité de dégager un consensus sur ce projet de résolution, tandis que l’Union européenne a expliqué ne pas être en mesure de promouvoir la « coopération mutuellement gagnante », inscrite dans le projet de résolution, puisqu’il n’en existe pas de définition universellement acceptée.
Le projet de résolution consacré à la question « Migrations internationales et développement » (A/C.2/79/L.29/Rev.1), adopté par consensus, estime qu’il faut renforcer les synergies entre les migrations internationales et le développement à tous les niveaux, en rappelant le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières adopté en 2018.
Ce texte a suscité nombre d’échanges. La Türkiye, qui soutient le Pacte, a regretté que le libellé simplifie à outrance le lien entre changements climatiques et migrations, en négligeant d’autres grands moteurs du phénomène, comme le sous-développement. Si le Saint-Siège s’est félicité de la référence à la création d’emplois dans les pays d’origine, il a cependant regretté que la protection des droits des migrants ait encore été oubliée.
La Deuxième Commission a adopté par consensus les projets de résolution intitulés « Suivi de la troisième Conférence des Nations Unies sur les pays en développement sans littoral » (A/C.2/79/L.36/Rev.1) et « Activités relatives à la troisième Décennie des Nations Unies pour l’élimination de la pauvreté (2018-2027) » (A/C.2/79/L.26/Rev.1).
Les femmes et le développement: trois amendements adoptés
En fin d’après-midi, le projet de résolution consacré à la « Participation des femmes au développement » (A/C.2/79/L.32/Rev.1) a été adopté tel qu’amendé et l’un des plus discutés. Ce texte note avec une vive préoccupation qu’au rythme actuel des progrès, le monde n’est pas en voie d’atteindre l’égalité des genres et l’avancement de toutes les femmes et de toutes les filles comme convenu dans le Programme 2030. Il engage les États à redoubler d’efforts pour favoriser le passage des femmes de l’emploi informel à l’emploi formel, et notamment améliorer l’accès des femmes au travail décent, à une meilleure rémunération, à la protection sociale et à des services de garde d’enfants de qualité d’un coût abordable.
Trois amendements, présentés par le Mexique et le Royaume-Uni, ont été adoptés à l’issue d’un vote. Au nom de l’UE et d’autres pays, la Belgique a, d’un côté, reproché à certains pays d’avoir affaibli le texte et, de l’autre, loué les amendements mexicain et britannique visant à réintroduire les concepts relatifs au Programme 2030, au Programme d’action de Beijing ainsi que les passages relatifs à la « santé sexuelle et procréative » qui avaient été supprimés dans la version finale. Dans la même veine, le Mexique a regretté le retrait du libellé de 2022 de ce projet de résolution biennal, estimant que l’éliminer dans la version 2024 est « inacceptable » et constitue « un recul ».
L’Indonésie, l’Égypte, le Pakistan et la Malaisie se sont en revanche opposés aux éléments introduits par les amendements, notamment à l’ajout des « formes multiples et intersectionnelles de discrimination », qui « divisent plus qu’ils n’unissent ». Au sujet des questions intersectionnelles, l’Uruguay a, au contraire, estimé que toutes les formes de discrimination sont des facteurs pouvant aggraver les inégalités au détriment des femmes et des filles.
Pour sa part, le Cameroun a réitéré la place centrale de la femme dans son processus national de développement avant de regretter l’insertion de formulations non consensuelles, comme l’expression de « santé sexuelle et reproductive », qui ne saurait en aucun cas valoir droit à l’avortement. De même, le Yémen, la Libye et le Nicaragua ont regretté les termes « ambigus » et « non consensuels » figurant dans le texte.
Sécurité alimentaire et développement agricole
Enfin, la Deuxième Commission a terminé sa journée par l’adoption, par consensus, du projet de résolution intitulé « Développement agricole, sécurité alimentaire et nutrition » (A/C.2/79/L.25/Rev.1). Il compte de nombreux ajouts par rapport à la résolution homonyme de 2023. En faisant sien ce texte, l’Assemblée prendrait note en particulier des travaux en cours à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui visent à revoir l’indice de couverture des services en vue de la couverture sanitaire universelle, et envisagerait d’inclure un indicateur de suivi de la nutrition. La mise en œuvre des programmes d’alimentation scolaire saine, nutritive et suffisante, ainsi que les investissements des États Membres dans des infrastructures durables de production alimentaire, de réduction des pertes et des déchets après récolte, figurent parmi les préoccupations exprimées dans ce texte.
Demain, mercredi 27 novembre, la Deuxième Commission adoptera ses derniers projets de résolution avant de clôturer les travaux de sa soixante-dix-neuvième session.
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