En cours au Siège de l'ONU

Soixante-dix-neuvième session,
20e séance plénière – matin & après-midi
AG/EF/3609

Une transformation numérique plébiscitée par les chefs des commissions régionales devant la Deuxième Commission

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Alors que le monde fait face à des défis complexes et que le Programme de développement durable à l’horizon 2030 demeure hors de portée, la transformation numérique apparaît comme un vecteur d’espoir de plus en plus puissant pour la communauté internationale.  C’est ce qu’ont confirmé les cinq secrétaires exécutifs des commissions régionales de l’ONU ayant participé au dialogue annuel de la Deuxième Commission (questions économiques et financières) ce lundi. 

Orchestré par le Président de la Deuxième Commission Muhammad Abdul Muhith, le dialogue était centré sur l’objectif de « bâtir un avenir numérique inclusif et durable pour accélérer la réalisation des objectifs de développement durable (ODD), en mettant l’accent sur l’éradication de la pauvreté et l’égalité femmes-hommes », sous l’angle de « l’expérience des régions ». 

En préambule, M. Muhith a dit espérer que les commissions régionales, « qui restent aux commandes des programmes de développement dans les régions », tireraient parti du nouveau Pacte numérique pour l’avenir dans leurs efforts.

Disparités numériques

Si la transformation numérique progresse à pas de géant dans chaque région, de profondes disparités subsistent encore, notamment en termes de genre, de génération et de géographie.  Tout d’abord, au niveau de la planète, des millions de personnes, dont 1,3 milliard de travailleurs informels, n’ont pas les compétences nécessaires pour gagner leur pain dans l’économie numérique.  Dans la région Asie-Pacifique, où réside plus de la moitié de la population mondiale, 61,2% de la population est désormais connectée, mais les taux d’alphabétisation numérique plafonnent à seulement 4% dans certaines zones. 

La région de l’Amérique latine et des Caraïbes est, elle, toujours confrontée à de fortes inégalités en matière d’accès à Internet, en particulier le haut débit, dont l’accès reste limité, en raison des coûts élevés des infrastructures dans les zones rurales et de faibles investissements dans les réseaux de fibre optique.  Plus de 70% des micro, petites et moyennes entreprises d’Amérique latine et des Caraïbes n’ont pas de présence en ligne.

En Afrique également, les infrastructures numériques demeurent limitées: seulement 37% des Africains ont accès à Internet et il n’y a que 28% des zones rurales qui sont couvertes par le haut débit.  Mais la jeunesse du continent est une opportunité pour libérer le potentiel de l’Afrique, a promis Mme Hanan Morsy, Secrétaire exécutive adjointe et Économiste en chef de la Commission économique pour l’Afrique (CEA).  Avec un âge médian de 19 ans et plus de 500 millions de jeunes d’ici à 2030, l’Afrique devrait bénéficier de ce potentiel d’innovation et de croissance économique, « une chance immense » pour l’Afrique, selon Mme Morsy qui s’est appuyée sur ces chiffres: l’économie numérique de l’Afrique devrait atteindre 180 milliards de dollars d’ici à 2025, soit 5,2% du PIB africain, et 712 milliards de dollars d’ici à 2050, soit une croissance de 8,2% du PIB du continent. 

L’intelligence artificielle au service du public et du commerce 

Le rôle des commissions régionales dans ces questions a été démontré ce matin.  Tout d’abord, elles servent de pont entre les débats internationaux sur la transformation numérique et les réalités locales.  Elles aident ensuite à traduire les engagements mondiaux en politiques et stratégies régionales tenant compte de ces réalités.  De plus, elles peuvent aider à définir des principes clairs pour une utilisation éthique et responsable des technologies comme l’intelligence artificielle (IA), de manière à susciter la confiance, la transparence et le respect des droits humains, a observé le Secrétaire exécutif adjoint de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), M. Javier Medina Vásquez.

De fait, les commissions régionales ont montré qu’elles avaient saisi à pleines mains le potentiel de l’IA.   Pour le commerce, d’abord: la CEA soutient par exemple la plateforme numérique African Trade Exchange (ATEX), qui facilite le commerce et l’investissement en permettant aux entreprises et aux gouvernements d’effectuer des transactions et d’échanger des informations de manière sûre et efficace au sein de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). 

La Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique (CESAP) aide également les pays à numériser le commerce transfrontalier, a exposé sa Secrétaire exécutive adjointe, Mme Lin Yang.  Selon son analyse, l’informatisation du commerce transfrontalier pourrait réduire les coûts commerciaux dans la région de 13% et permettre dans le même temps aux micro, petites et moyennes entreprises de se lancer dans le commerce.  Cette informatisation permettrait aussi d’économiser 13 millions de tonnes d’émissions de carbone par an, a fait valoir Mme Yang.  Elle s’est donc félicitée que 13 pays aient déjà ratifié l’Accord-cadre de la CESAP sur l’informatisation du commerce transfrontalier.

La numérisation des services publics a également été vantée.  La CEA, par exemple, collabore pour mettre en œuvre des programmes de délivrance de cartes d’identité numérique.  Dans la région arabe, des efforts sont menés pour intégrer les technologies de l’IA et la chaîne de blocs dans les services publics. Mme Rola Dashti, Secrétaire exécutive de la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (CESAO), a donné l’exemple d’un outil basé sur l’« IA Mustashar », qui transforme la façon dont les décideurs politiques accèdent aux données et les analysent. 

Au cours de son intervention, Mme Dashti a diffusé une vidéo dans laquelle son « avatar numérique » –un véritable double virtuel indiscernable à l’œil nu– présentait un site Internet conçu pour aider les décideurs de la région, nommé ISPAR.  Ce site est un simulateur de scénarios de croissance alimenté par l’IA.  Le logiciel conseille les dirigeants en s’alignant sur les ODD en s’appuyant sur les données recueillies sur chaque pays. Ces données sont promises à être mises à jour de manière très régulière et très fine, a expliqué la responsable de la CESAO. 

Même initiative en Afrique, où existe une base de données consultable sur les innovations (projets et start-ups) en matière d’IA dans divers secteurs.  Cette base de données est catégorisée par secteur, par région et par cas.  Elle donne des profils détaillés pour chaque innovation avec des mises à jour régulières, le tout sur une interface conviviale.  « Une plateforme vivante », a assuré Mme Morsy. Il faudrait maintenant une base de données centralisée sur les innovations en matière d’IA de l’Afrique, a-t-elle souhaité, reconnaissant que, pour l’instant, le continent peine à tirer pleinement parti de ces innovations étant donné la fragmentation de l’écosystème de l’IA du continent.

Parmi les pays qui ont commenté ces exposés, certains, comme le Bangladesh, ont mis en lumière le problème du « manque de données disponibles pour les pays en développement ».  La CESAP l’a confirmé: il n’y a toujours pas de données suffisantes pour la moitié des indicateurs des ODD.  « Nous devons continuer à renforcer les systèmes statistiques nationaux », a plaidé la délégation.

Gouvernance des données, utilisation de l’IA dans les statistiques officielles: tout cela nécessite davantage d’efforts, en particulier maintenant que nous avons le Pacte numérique mondial, ont relevé les intervenants. 

Fracture numérique, fracture de genre

Les recommandations de la matinée ont également inclus la problématique du genre.  En Afrique, seulement 32% des femmes utilisent Internet contre 42% des hommes, a observé la responsable de la CEA, qui y a vu une illustration des fractures -numérique et de genre- persistantes. Dans ce contexte, elle s’est félicitée des programmes de formation au codage des jeunes filles africaines parrainés par la CEA, qui tentent de faire coup double: réduire la fracture numérique en réduisant les inégalités de genre. 

Les quatre autres commissions ont également eu des choses à annoncer sur le sujet.  L’initiative « Women ICT Frontier (WIFI) » lancée en 2016 par la CESAP est devenue son programme de formation phare pour promouvoir l’entrepreneuriat féminin en Asie et dans le Pacifique.  Elle a permis de former plus de 14 000 femmes entrepreneures dans 22 pays.

Une autre initiative régionale, « Catalyzing Women’s Entrepreneurship (CWE) », a permis de débloquer près de 65 millions de dollars pour soutenir les entreprises dirigées par des femmes au Bangladesh, au Cambodge, aux Fidji et au Samoa.  En Mongolie, le Fonds de croissance des femmes entrepreneures, mis en œuvre par la CESAP, le Ministère des affaires étrangères du Gouvernement mongol et la Fédération internationale des femmes du commerce et de l’industrie de la Mongolie, a soutenu six entreprises technologiques pionnières dirigées par des femmes, en leur fournissant un financement pour le démarrage ainsi qu’une formation, un mentorat, un réseautage et une visibilité. 

« La connectivité n’est qu’un début: les véritables progrès ne se produisent que lorsque chaque personne possède les compétences numériques nécessaires pour s’épanouir », a résumé Mme Yang, de la CESAP.

Des transports en mutation profonde

Le thème crucial des transports a été mis en avant par la région Europe.  Alors que les transports traversent une transformation numérique profonde, les réglementations doivent rattraper leur retard tout en étant clairvoyantes sur les réalités qui changent, a exposé M. Dmitry Mariyasin, Secrétaire exécutif adjoint de la Commission économique pour l’Europe (CEE). Pour la toute première fois, la CEE a présenté une réglementation sur les véhicules automatisés au Comité de la CEE sur les véhicules autonomes, a-t-il signalé.  Et depuis février 2024, pour la première fois également, les trois principaux modes de transport terrestres sont dotés de stratégies de décarbonation.  Cela reflète le programme de décarbonation ambitieux de la CEE, s’est enorgueilli M. Mariyasin.  Il a cité par exemple la règlementation des véhicules électriques, qui a demandé beaucoup de travail.

En Asie et dans le Pacifique, les systèmes de transport intelligents demeurent relativement nouveaux et fragmentés.  La CESAP explore donc une stratégie commune de coopération sur les systèmes de mobilité intelligents.  Dans le cadre d’un accord intergouvernemental sur le réseau ferroviaire transasiatique, de nouveaux principes généraux sur l’échange d’informations électroniques permettent un échange de données fluide le long des corridors ferroviaires, a détaillé Mme Yang.

La CEA n’est pas en reste: elle forme les agents de trois institutions de gestion des corridors et de huit pays (Burundi, Éthiopie, Kenya, Ouganda, République démocratique du Congo, Rwanda, Soudan du Sud et République-Unie de Tanzanie) à l’utilisation de ses outils numériques pour développer des infrastructures de transport terrestre pour différents corridors.

Répondant à une question du Turkménistan sur les effets négatifs sur l’emploi d’une transformation numérique mondiale échevelée, la responsable de la CESAP a reconnu « un manque de compétences » et la nécessité de créer de nouvelles possibilités d’intégrer les femmes sur les marchés du travail.  « Un travail analytique est nécessaire pour voir quelles sont les compétences transférables. »

M. Vasquez, de la CEPALC, est, lui, resté sur une ligne optimiste, selon laquelle la transformation numérique « permet vraiment de venir à bout des inégalités et des problèmes institutionnels ».  Il a ajouté qu’il fallait axer les efforts sur l’acquisition de compétences, notamment pour les femmes et les filles, ainsi que tous les groupes défavorisés, afin de réduire les inégalités.

Nouvelles technologies: les pays en situation particulière ne veulent pas rater le coche

Consacrée aux groupes de pays en situation particulière, la séance de l’après-midi fut l’objet de discussions autour de l’application des nouvelles technologies dans une voie qui leur serait spécifiquement bénéfique.

Mise sur pied en 2018 et basée en Türkiye, la Banque de technologies pour les pays les moins avancés (PMA) a été à l’honneur.  Depuis sa création récente, des bases solides ont été posées, a avancé M. Deodat Maharaj, son Directeur général, qui a cité le Népal, l’Érythrée, Cabo Verde et la Gambie comme principaux pays clients de ses services. Les évaluations des besoins technologiques -son produit phare- ont permis d’identifier avec succès des secteurs clefs (agriculture, santé, énergie, résilience climatique) dans lesquels des solutions technologiques peuvent contribuer à faire avancer les transformations.

De nombreuses délégations comme le Lesotho, le Népal au nom des PMA ou encore le Groupe des 77 et la Chine ont demandé davantage de soutien pour mettre en œuvre le Programme d’action de Doha (pour les PMA) ainsi que le prochain programme d’action pour les pays en développement sans littoral (PDSL).  Ils ont réclamé des « actions ciblées » de la part de la communauté internationale.  Questionné sur ce sujet, M. Maharaj a concédé que la Banque qu’il dirige ne disposait que de 16 millions de dollars de budget annuel, ce qui est insuffisant pour s’acquitter de l’ensemble de son mandat. 

Les États-Unis ont rappelé qu’ils avaient annoncé le mois dernier leur nouvelle stratégie pour le développement mondial, afin d’aider les partenaires des pays en développement à répondre à leurs besoins les plus urgents.  Dans le cadre d’un partenariat avec le G7, la délégation contribuerait à mobiliser collectivement 600 milliards de dollars d’ici à 2027 pour aider à combler le fossé avec les pays à revenu faible ou intermédiaire. Ce partenariat avec le G7 soutient également le développement du corridor de Lobito, qui relie la Zambie, la République démocratique du Congo et l’Angola aux marchés internationaux, grâce à l’infrastructure ferroviaire et aux investissements associés dans l’agriculture, la connectivité numérique et l’énergie propre. 

Sous l’Administration Biden-Harris, les États-Unis ont dépensé en aide publique au développement (APD) 24 milliards de dollars pour les PMA et plus de 14 milliards pour les PDSL, a ajouté le représentant américain. 

Les travaux de la Deuxième Commission reprendront ce vendredi, 25 octobre, à 10 heures.

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