Deuxième Commission: le numérique et l’évolution technologique, une source de progrès qui ne profite pas encore à tous
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Les progrès technologiques s’accélèrent, mais leurs fruits restent inégalement répartis. Aujourd’hui, la Deuxième Commission (économique et financière) a longuement examiné la fracture numérique et la question de la gouvernance des données, ainsi que leurs impacts sur la mondialisation et les migrations.
Tout le monde s’est accordé pour dire que les technologies de l’information et des communications (TIC) sont devenues une pierre angulaire du développement durable, transformant les économies, améliorant les prestations de services et offrant des possibilités dans le domaine des soins de santé, le secteur de l’éducation et le commerce, a souligné le Bangladesh. Cependant, plus de 2,7 milliards de personnes n’ont pas accès à Internet et les pays en développement sont à la traîne, par manque d’infrastructures et de ressources, a déploré le Groupe des 77 (G77). En Afrique, en 2023, seulement 37% de la population avait accès à Internet, contre une moyenne mondiale de 67%, a précisé le Burkina Faso. D’autres, comme le Bangladesh, ont aussi souligné les écarts de genre importants dans l’accès au numérique.
« La fracture numérique devient synonyme de fossé en matière de développement », a résumé le Pakistan. Face à ces inégalités, les appels à combler cet écart se sont faits plus pressants que jamais, afin de « ne laisser personne de côté », comme le prévoit le Programme de développement durable à l’horizon 2030.
Les pays en développement ont besoin d’un soutien d’urgence pour développer les infrastructures numériques et fournir à toute leur population un accès à Internet à un coût abordable, notamment par le biais de transferts des technologies et d’un renforcement des capacités, ont plaidé le Bangladesh et le G77. Leurs économies comptent également sur l’alphabétisation numérique et un accès favorable à des conditions de financement préférentielles.
Catalogue de bonnes pratiques
Plusieurs initiatives ont été mises en avant au cours de la séance. À commencer par le Pacte numérique mondial, adopté en septembre dans le cadre du Pacte pour l’avenir et salué comme une feuille de route pour relever les défis nouveaux. El Salvador, qui a participé de façon active aux négociations du Pacte, y voit un cadre essentiel pour renforcer la coopération numérique et garantir que les avantages des technologies émergentes bénéficient à tous les secteurs de la société.
D’ailleurs la France a annoncé qu’elle organiserait à Paris un sommet sur l’intelligence artificielle (IA) les 10 et 11 février 2025, réunissant chefs d’État, entreprises et société civile, afin de poursuivre les objectifs du Pacte et de contribuer à la réalisation du Programme 2030.
La transformation numérique à l’échelle de toute la société a aussi été placée au rang de facteur essentiel de développement dans le Programme d’Antigua-et-Barbuda pour les petits États insulaires en développement (PEID) adopté cette année, a loué la déléguée du Samoa, au nom de l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS).
Les mesures et programmes à l’échelle nationale ne sont pas à négliger. Par exemple, le numérique continue de façonner la trajectoire de développement du Nigéria. Le pays vise à doter 3 millions de Nigérians de compétences numériques d’ici à 2027. Il travaille sur l’IA et se veut un centre de recherche et développement dans ce domaine. En 2024, le Bahreïn a transformé 47% de ses 235 services gouvernementaux en services électroniques, ce qui a amélioré l’efficacité et la facilité d’accès aux services pour ses citoyens, tout en renforçant les compétences numériques des jeunes. Autre exemple, le Brunéi Darussalam, qui a pris des mesures pour devenir une nation intelligente et s’efforce de construire une société numérique inclusive.
Singapour a insisté sur la nécessité de promouvoir « l’inclusion numérique », en vantant ses initiatives dans ce domaine, telles que son programme national d’alphabétisation numérique et ses programmes pour les personnes âgées: l’objectif est d’améliorer les compétences numériques pour le quotidien, l’employabilité et l’éducation.
Pour leur part, les Philippines exploitent les technologies numériques pour aider les agriculteurs à accéder aux marchés et à s’adapter aux changements climatiques, tout en faisant progresser les services de santé en ligne pour les communautés isolées.
Sur une note discordante, le Cameroun a fait remarquer le rôle de plus en plus grand joué par les TIC dans les émissions mondiales de carbone, sous la forme d’importants volumes de déchets électroniques, générés par l’obsolescence technologique programmée, et avec une gestion des coûts lourde. A contrario, l’Union internationale des télécommunications (UIT) a souligné que l’IA pourrait contribuer à atténuer 10% des émissions mondiales de gaz à effet de serre d’ici à 2030.
Gouvernance des données, un enjeu existentiel
Le Chili, qui s’est doté d’une politique nationale d’IA, élaborée en consultation avec la société civile, a jugé fondamental de garantir que cette technologie soit développée et utilisée de manière « éthique, transparente et responsable », en évitant les partis-pris et en protégeant la vie privée des individus.
De fait, en 2023, la principale évolution dans la société de l’information a été l’émergence dans la sphère publique de l’IA générative, indique un rapport du Secrétaire général présenté par M. Juan José Martinez Badillo, de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED). Et la façon dont l’IA et d’autres innovations technologiques pourraient transformer certains aspects de la vie économique, sociale et culturelle est source à la fois d’intérêt et d’inquiétude.
Du côté positif, l’IA pourrait faire progresser la prospérité et le bien-être et contribuer au développement durable. Du côté négatif, les nouvelles technologies peuvent tomber entre les mains de criminels et poser des menaces existentielles si l’humain perd le contrôle de la prise de décisions dans des domaines importants de la gouvernance et de l’économie.
Il devient donc urgent d’élaborer des principes fondamentaux sur la gouvernance des données, ont souvent plaidé les délégations. La Commission de la science et de la technique au service du développement (CSTD) des Nations Unies a d’ailleurs créé un groupe de travail sur la gouvernance des données, a indiqué M. Badillo, ce dont le Pakistan s’est félicité.
Le Mexique a pour sa part promu le dialogue multilatéral pour que les TIC se transforment en moteur du bien-être partagé. Il copréside, avec la Finlande et Singapour, le Groupe des Amis des technologies numériques, qui propose de consolider un cadre stratégique pour la gouvernance numérique, guidé par une approche fondée sur les droits humains.
La Fédération de Russie a tenu à avertir du risque de « monopolisation » des TIC, un réel danger quand elle est aux mains de sociétés qui suivent leur propre intérêt. Elle a dès lors refusé que les gouvernements soient ne soient pas impliqués dans la gouvernance des espaces numériques.
La France a rappelé l’appel de Christchurch, lancé en 2019 par la Nouvelle-Zélande et la France, visant à collaborer avec les plateformes numériques pour un environnement en ligne plus responsable. L’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) a, elle, témoigné des fruits de ses initiatives en matière de gouvernance de l’IA, dont le Guide ASEAN sur la gouvernance et l’éthique de l’IA. Un autre guide, sur la gouvernance des données et l’éthique de l’intelligence artificielle, a été élaboré par Singapour en collaboration avec le Rwanda.
Les migrations: un moteur de développement
Les progrès des TIC et de l’IA ont été vus également comme créateurs de nouvelles possibilités dans le domaine migratoire: ils facilitent par exemple la mobilité de la main-d’œuvre et l’envoi de fonds, qui sont des ressources essentielles dans de nombreux pays, a souligné l’Indonésie.
Sur ce sujet, Mme Clare Menozzi, de la Division de la population du Département des affaires économiques et sociales (DESA), a présenté à la Deuxième Commission le rapport « Migrations internationales et développement ». Il vise à proposer des mesures durables, résilientes et innovantes qui permettraient de tirer parti des migrations internationales pour accélérer les progrès vers la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) au sein des pays et entre eux.
La Colombie a mis en avant trois axes principaux pour aborder la migration comme un catalyseur du développement: la régularisation des migrants, la lutte contre la traite des personnes et le trafic de migrants, et des corridors humanitaires pour le retour sûr des migrants vers leur pays d’origine.
En tant que présidente de la plateforme de soutien au Cadre régional intégré pour la protection et les solutions concernant le déplacement forcé, ainsi que du Forum mondial sur la migration et le développement, la Colombie a réaffirmé son engagement à coopérer avec les pays confrontés à diverses formes de migration et à partager son expérience de neuf ans en tant que pays d’accueil, de transit et de destination.
Le Maroc, au nom du groupe des champions du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (dit Pacte de Marrakech), a pour sa part dénoncé l’exploitation des travailleurs migrants, rappelant la nécessité de leur garantir des conditions de vie décente et d’éliminer la traite d’êtres humains. Il est nécessaire de redoubler d’efforts pour protéger les droits humains et le travail des migrants, en assurant de plus un recrutement équitable et éthique, quelle que soit la situation juridique des individus concernés, a renchéri le Myanmar. Quant à « l’accès aux soins de santé et aux services de base, ce n’est pas un privilège, mais une bouffée d’oxygène » pour ces migrants, a dit le Népal.
En amont, le Nigéria a recommandé à la communauté internationale d’examiner les causes profondes de la migration, telles que la pauvreté et le chômage. Ou encore les changements climatiques, qui pourraient provoquer le déplacement de 40 millions de personnes en Asie du Sud, a alerté le Bangladesh.
Un ordre économique bouleversé
Plus largement, l’ordre économique international actuel est bouleversé par des changements socioéconomiques rapides. Ainsi, le rapport du Secrétaire général intitulé « Vers un nouvel ordre économique international » fournit une vue d’ensemble des grands problèmes d’ordre économique et de politique générale à résoudre sur le plan international pour assurer une croissance économique soutenue et un développement durable qui soient équitables et partagés. La fracture numérique croissante et la perte de compétitivité commerciale sur des marchés de plus en plus concentrés menacent en effet de laisser les pays en développement encore plus à la traîne.
Le Chili a indiqué soutenir la mise en œuvre des réformes nécessaires pour construire un nouvel ordre économique inclusif et équitable, tandis que le Venezuela, au nom du Groupe des Amis de la Charte des Nations Unies, a rejeté toutes les pratiques commerciales protectionnistes qui ne vont dans l’intérêt que de quelques pays.
La Deuxième Commission reprendra ses travaux lundi 21 octobre, à 10 heures.