En cours au Siège de l'ONU

Soixante-dix-neuvième session,
16e & 17e séances plénières – matin & après-midi
AG/EF/3607

Agriculture, industrie: la Deuxième Commission offre des pistes pour un développement plus égalitaire et inclusif

(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)

Les conflits créent des incertitudes géopolitiques.  Ils détournent l’attention des besoins urgents des pays du Sud, où l’économie croît lentement et inégalement.  Le fardeau de la dette s’alourdit.  Et l’impact des changements climatiques, l’un des défis majeurs de notre époque, est supporté de manière disproportionnée par leurs populations. Par ces mots emplis d’inquiétude, le Président de l’Assemblée générale, Philémon Yang, s’est adressé aux délégués de la Deuxième Commission (questions économiques et financières), qui se penchaient aujourd’hui sur l’élimination de la pauvreté et les autres questions liées au développement. 

Pour réaliser les objectifs de développement durable (ODD) dans les temps impartis, une somme colossale de 4 000 milliards de dollars serait nécessaire chaque année pour les seuls pays en développement.  « Cela représente une augmentation de plus de 50% par rapport aux estimations d’avant la pandémie », a commenté le Président. 

Une élimination de la pauvreté en dents de scie

Les chiffres des rapports présentés ce matin, abondamment repris par les délégations, peuvent être interprétés de différentes manières.  En 2022 d’après le Département des affaires économiques et sociales (DESA), 712 millions de personnes vivaient dans l’extrême pauvreté à travers le monde, dont 60% en Afrique.  Si les tendances actuelles se poursuivent, 590 millions de personnes pourraient encore vivre dans cette condition d’ici à 2030.  Autrement dit, 122 millions de personnes sur terre sortiraient de la pauvreté en six ans.

Du côté des pays d’Asie, on a noté déjà des progrès spectaculaires: au Tadjikistan, le taux de pauvreté est passé de 83% en 2003 à un peu plus de 20% en 2023; au Cambodge, une prévision de croissance de 6% en 2024 met le pays sur la bonne voie pour réduire la pauvreté en dessous de 10% d’ici à 2028. 

Les déclarations ont souligné également que plus de 80% des personnes extrêmement pauvres du monde vivent dans des zones rurales, les concentrations les plus élevées se trouvant en Afrique subsaharienne.

Vers « une féminisation de la pauvreté » 

Le DESA a mis en lumière la nécessité urgente de changements systémiques pour affronter ce qu’il a défini comme la « féminisation de la pauvreté ».  En 2023, 1 femme sur 10 vivait dans l’extrême pauvreté, une situation qui devrait persister jusqu’en 2030 pour des millions d’entre elles.  Cette réalité est liée aux inégalités systémiques persistantes, qui affectent de manière disproportionnée les femmes, en raison d’obstacles tels que l’accès limité aux ressources économiques, la discrimination et l’absence de protection sociale adéquate.  Les femmes ne gagnent que 51% de ce que gagnent les hommes et les disparités sont encore plus marquées dans les pays à faible revenu. 

Appelant à accélérer les progrès pour la mise en œuvre du Programme d’action de Beijing, Mme Jemimah Njuki, d’ONU-Femmes, a demandé aux gouvernements de combler ces écarts en veillant à développer la protection sociale, où les écarts subsistent malgré des progrès.  En effet, 2 milliards de femmes et de filles n’ont toujours aucune protection sociale, les gains récents ayant profité davantage aux hommes qu’aux femmes. 

Pays le plus peuplé du monde, l’Inde, qui s’est enorgueillie d’avoir tiré 250 millions de personnes de la pauvreté, tente de réduire l’écart en déployant des infrastructures numériques publiques et en assurant leur caractère inclusif.  Le Mexique, qui tente de garantir un revenu suffisant pour tous et de répondre aux besoins essentiels tels que l’éducation, la santé et la sécurité, a aussi mis en avant l’égalité de genre comme une pierre angulaire de son développement: celui-ci passe par l’accès à la santé sexuelle et reproductive, par la lutte contre les multiples formes de discrimination et par la redistribution du lourd fardeau de travail non rémunéré.  Dotée d’une « politique étrangère féministe », la Colombie insiste pour sa part sur le fait que les ODD seront inatteignables tant que la moitié féminine de la population reste privée de la pleine garantie de ses droits. 

Les États-Unis ont rappelé que les femmes représentent près de la moitié de la main-d’œuvre agricole mondiale et que, dans certaines régions, elles produisent jusqu’à 80% de la nourriture.  Les obstacles systémiques les empêchent toutefois d’atteindre leur plein potentiel, a regretté la délégation.  Soutenant la résolution de l’Assemblée générale déclarant 2026 « l’Année internationale des agricultrices », les États-Unis ont dit avoir « investi des milliards de dollars » dans l’autonomisation des agricultrices, lesquelles doivent avoir accès au crédit, aux terres, aux technologies et à l’éducation pour transformer les systèmes alimentaires de manière inclusive et résiliente.

Développement agricole: les petits exploitants, maillon faible à renforcer

Concernant justement le développement agricole, le Groupe des États d’Afrique a préconisé d’accroître le financement climatique de l’adaptation pour les petits exploitants, les exploitations familiales et les zones rurales. La route est longue: pour l’instant, les petits exploitants ne reçoivent que 1,7% du financement climatique mondial pour l’adaptation, l’atténuation et la gestion des pertes et dommages. 

Face à ces chiffres, le Cameroun a mis en place des mesures sectorielles et des politiques sociales de soutien ayant contribué à réduire les niveaux de malnutrition et d’insécurité alimentaire.  El Salvador a vanté le projet RECLIMA qui, en partenariat avec l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), renforce la résilience des petits agriculteurs face aux changements climatiques, ainsi que le programme « Rural Adelante », qui réduit la vulnérabilité socioéconomique dans 87 municipalités en se concentrant sur les femmes, les jeunes et les communautés autochtones.  Le Nigéria a aussi répondu présent, via son programme pour améliorer les structures agricoles, le développement rural et les soins de santé dans les régions reculées.

Pour la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP), l’agriculture durable signifie avant tout de garder ouvertes les voies commerciales agricoles. De même, du point de vue du Bélarus, il y a suffisamment de nourriture pour nourrir la planète.  Le problème, c’est l’accès des pays à cette nourriture et aux intrants qui la font pousser.  Or, les mesures coercitives unilatérales appliquées contre le Bélarus et la Fédération de Russie –« sans mandat de l’ONU »- ont bloqué le transport d’engrais et de céréales, « plongeant des millions de personnes dans la crise alimentaire », s’est désolé le Bélarus. Ce pays qui produisait 21% de l’engrais potassique dans le monde en 2021 n’en produit que 9% aujourd’hui. Pénurie, hausse des prix: les engrais deviennent hors d’accès pour les petits producteurs à faibles revenus. C’est « une catastrophe pour les pays à revenu intermédiaire », s’est indigné le Bélarus, qui, avec la Fédération de Russie notamment, a appelé à lever ces mesures coercitives unilatérales, illégales au regard du droit international.

L’Ukraine, qui a dénoncé l’agression russe sur son sol, qu’elle estime entièrement responsable des perturbations du commerce maritime, a dit rester engagée à soutenir la sécurité alimentaire mondiale y compris après le retrait de la Russie de l’Initiative de la mer Noire en juillet 2023.  Elle a notamment cité le programme humanitaire « Les céréales de l’Ukraine », qui a acheminé 228 960 tonnes de produits agricoles vers 10 pays d’Afrique et d’Asie, garantissant la sécurité alimentaire pour près de 8 millions de personnes.

Une céréale a spécialement été mise en avant par l’Inde: il s’agit du millet, pour lequel elle joue un rôle de premier plan dans les efforts pour le rendre plus résistant au dérèglement climatique.  La Chine, elle, a mis en avant son rôle dans la coopération Sud-Sud, notamment avec des initiatives telles que l’Initiative chinoise pour la réduction de la pauvreté agricole, qui a mobilisé 1 milliard de dollars et permis à plus de 40 millions de personnes de sortir de la pauvreté.

En Amérique centrale, El Salvador tente de parvenir à l’autosuffisance alimentaire via des solutions basées sur la nature, la restauration des écosystèmes et la lutte contre la dégradation des sols.

Touché par l’insécurité alimentaire qui affecte 16% de sa population, le Burkina Faso, pays éminemment agricole (74% de la population travaille dans le secteur qui représente 40% de son PIB), a mis en œuvre plusieurs politiques, notamment pour la fourniture d’intrants agricoles, la modernisation des équipements, la gestion de l’eau à travers des aménagements hydro-agricoles, et l’amélioration de l’accès au crédit pour les agriculteurs.  Le Gouvernement soutient également la transformation locale des produits agricoles pour créer de la valeur ajoutée.

Développement industriel 

La tendance à long terme, en cours depuis 1990, veut que les activités industrielles soient considérablement redirigées vers les économies en voie d’industrialisation.  Cette tendance a été menée par les pays à revenu intermédiaire, en premier lieu la Chine. Problème: les pays les moins avancés (PMA) ne tirent aucun bénéfice de cette tendance de fond, selon M. Ralf Bredel, de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI).  De 1990 à 2023, la part des pays à faible revenu dans la production industrielle a encore diminué, passant de 0,6 à seulement 0,3%.  En conséquence, la cible 2 de l’ODD no 9, qui prévoit le doublement de la part du secteur manufacturier dans le PIB et de l’emploi manufacturier dans les PMA d’ici à 2030, devient hors de portée. 

L’ONUDI a surpris en avançant qu’en termes de performance environnementale, l’industrie manufacturière se « découple » des émissions de dioxyde de carbone: alors que sa valeur ajoutée mondiale a augmenté de 42,9% entre 2010 et 2021, les émissions n’ont augmenté que de 2,8%.  Deux raisons à cela: les technologies à faibles émissions et la domination croissante des industries de haute technologie, moins intensives en carbone. 

Les vertus de la coopération pour le développement industriel n’ont pas échappé au Groupe de 77 et la Chine (G77), car ce développement joue « un rôle clef pour éliminer la pauvreté, en permettant de créer des emplois et de favoriser l’inclusion »  Le Groupe a invité les pays développés à soutenir les pays en développement dans l’élaboration et la mise en œuvre de leurs stratégies industrielles. 

Des investissements judicieux -dans la santé, l’éducation, l’énergie, l’agriculture, les infrastructures, la numérisation … -pourraient redynamiser la course aux ODD, a avancé le Président de l’Assemblée générale en début de journée. Pour financer au mieux le Programme 2030, il a également prôné de faire des économies dans d’autres domaines, notamment en réduisant les dépenses militaires. Le Pacte pour l’avenir –qui contient environ 25 mesures directement liées aux travaux de la Deuxième Commission– « nous offre une occasion historique de le faire », a appuyé le Président.

La Deuxième Commission poursuivra ses travaux demain, vendredi 18 octobre, à partir de 10 heures.

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