La Première Commission adopte 24 projets de résolution relatifs aux armes nucléaires, dont 21 après mises au voix et 57 votes séparés
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La Première Commission (désarmement et sécurité internationale) a commencé aujourd’hui à se prononcer sur l’ensemble des 76 projets de résolution et de décision qu’il lui reste à adopter. Elle a adopté les 24 projets de résolution consacrés aux armes nucléaires. Signe des tensions actuelles, seuls trois projets ont pu être adoptés sans vote, tandis que 11 autres textes nécessitaient un total de 57 votes séparés avant d’être mis aux voix dans leur entier. L’an dernier, 7 des 20 projets de résolution sur le sujet avaient pu être adoptés sans mise aux voix.
Deux textes nouveaux
La Première Commission était appelée à se prononcer pour la première fois sur deux projets de résolution, visant respectivement à relancer la recherche scientifique sur les effets d’une guerre nucléaire et à étudier l’intérêt des zones exemptes d’armes nucléaires. Les deux textes, qui ont par ailleurs des implications budgétaires, ont dû être mis aux voix et ont fait l’objet de plusieurs votes séparés.
Aux termes du premier texte, intitulé « Effets d’une guerre nucléaire et recherche scientifique », qui a fait l’objet de trois votes séparés avant d’être adopté dans son ensemble par 144 voix pour, 3 voix contre et 30 abstentions, l’Assemblée générale déciderait de créer un groupe scientifique de 21 membres chargés d’étudier les effets d’une guerre nucléaire, nommés par le Secrétaire général à l’issue d’une procédure d’appel public à candidatures. L’Assemblée générale demanderait au groupe de consulter le plus large éventail possible de scientifiques et d’experts, et aux entités des Nations Unies et aux organismes compétents d’appuyer les travaux du groupe. Elle déciderait également que le groupe veille à recevoir les contributions du plus grand nombre possible de parties prenantes, notamment des organisations internationales et régionales, du Comité international de la Croix-Rouge, de la société civile, des communautés touchées et des peuples du monde entier.
L’Irlande, porte-plume de ce projet avec la Nouvelle-Zélande, avait préalablement fait remarquer que la dernière étude de ce type a été réalisée en 1989. Depuis lors, les progrès scientifiques ont été substantiels, a poursuivi le délégué, sans que l’ONU n’en tire un rapport. Elle a rappelé que le projet s’inscrit dans le sillage de la décision par consensus de tous les États, en 1978, pour que les Nations Unies publient davantage d’informations à ce propos afin d’éveiller les opinions publiques du monde entier.
Présenté dans un libellé révisé, le second texte soumis pour la première fois s’intitule « Étude complète de la question des zones exemptes d’armes nucléaires sous tous ses aspects ». Considérant qu’une nouvelle étude complète de la question des zones exemptes d’armes nucléaires (ZEAN) sous tous ses aspects contribuerait à leur renforcement, il invite l’Assemblée générale à prier le Secrétaire général de prendre les mesures administratives nécessaires à la mise en place d’un groupe d’au moins 25 experts au cours de sa quatre-vingtième session, et de solliciter les vues des ZEAN déjà établies, des organisations régionales, des organismes des Nations Unies dotés d’une compétence particulière en matière de désarmement et de non-prolifération, des instituts de désarmement et de paix et des organisations non gouvernementales compétentes.
Le projet de résolution a été adopté après 4 votes séparés, par 172 voix pour, 2 contre (Argentine et Israël) et 3 abstentions (Arménie, Fidji et République centrafricaine). S’ils ont voté en faveur du projet dans son ensemble, les États-Unis ont souhaité expliquer leur abstention sur certaines parties du texte qui ciblent expressément le Moyen-Orient, les estimant contreproductives en vue de progresser vers la création de nouvelles ZEAN.
Zones exemptes d’armes nucléaires et Moyen-Orient
C’est justement sur des zones exemptes d’armes nucléaires existantes -en Asie centrale, en Mongolie, et en Afrique– que portent les trois seuls textes adoptés sans vote.
En revanche, comme les années précédente, le projet de résolution concernant la « création d’une zone exempte d’armes nucléaires dans la région du Moyen-Orient » a dû être soumis au vote, notamment du fait de l’opposition d’Israël. Il a été approuvé par une nette majorité de 175 voix pour, 2 contre (Argentine et Israël) et 2 abstentions (Cameroun et États-Unis).
Aux termes de ce texte, identique en substance à la résolution 78/17 adoptée le 4 décembre 2023, l’Assemblée générale prierait instamment toutes les parties directement intéressées d’envisager sérieusement de prendre d’urgence les mesures concrètes voulues pour donner effet à la proposition tendant à créer une Zone exempte d’armes nucléaires et autres armes de destruction massive dans la région du Moyen-Orient (ZEANMO).
Porte-plume du projet, l’Égypte a estimé qu’une telle zone aurait évité à la région la prolifération des risques et des menaces actuels. L’Union européenne (UE) a réitéré son appui à ce projet de résolution, rappelant qu’il découle d’une conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), lequel reste la pierre angulaire du désarmement nucléaire. La représentante a en outre appelé tous les États de la région du Moyen-Orient à participer au processus de négociation, à New York, de la Conférence sur une ZEANMO. La France, également favorable au projet, a néanmoins tenu à récuser toute lecture qui induirait un lien avec le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), en particulier son paragraphe 8. Sa représentante a estimé que le texte devait être interprété comme se référant à l’architecture issue du TNP, dont la primauté et l’autorité ne sauraient être remises en cause.
Pour leur part, les États-Unis ont souhaité expliquer leur abstention sur ce projet de résolution, évoquant des divergences sur les manières de parvenir à une ZEANMO. Une telle zone ne peut être créée qu’à travers le dialogue de toutes les parties concernées, a estimé le délégué. S’il a assuré que son pays soutient l’objectif d’un Moyen-Orient exempt d’armes nucléaires, il a estimé improductive une campagne qui ne vise qu’un seul pays.
La question d’un traité sur les matières fissiles reléguée dans un projet de décision
C’est sous la forme d’un bref projet de décision qu’a été présentée cette année la question d’un possible futur traité majeur de la non-prolifération nucléaire, le « traité interdisant la production de matières fissiles pour la fabrication d’armes et autres dispositifs explosifs nucléaires ». Par ce texte, l’Assemblée générale, rappelant sa résolution 78/28 du 4 décembre 2023, déciderait d’inscrire à l’ordre du jour provisoire de sa quatre-vingtième session, au titre de la question intitulée « Désarmement général et complet », la question subsidiaire intitulée « Traité interdisant la production de matières fissiles pour la fabrication d’armes et autres dispositifs explosifs nucléaires ».
Porte-plume du projet, le Canada a estimé que certains États parties au TNP déploient déjà des mesures de contrôle qui s’apparentent à un traité sur les matières fissiles. Nous n’avons eu de cesse d’appeler à un début des négociations, a rappelé le délégué, qui n’a pu que déplorer un soutien insuffisant. C’est pourquoi, au lieu d’un projet de résolution, le Canada, appuyé notamment par les Pays-Bas et l’Allemagne, proposait cette année un simple et bref projet de décision. Estimant que la Conférence du désarmement est l’instance la plus appropriée pour négocier un tel traité, il a toutefois estimé que les blocages auxquels elle fait face suggèrent le recours à d’autres organes. Le Royaume-Uni, qui s’exprimait aussi au nom de la France, a soutenu le texte en soulignant qu’un un tel traité était essentiel, tout en évoquant un État qui se livrerait à la modernisation de son arsenal. Les deux pays soutiennent donc le projet de décision du même nom.
Le projet de décision a été adopté par 173 voix pour, 2 contre (Pakistan et République islamique d’Iran) et 8 abstentions dont la Chine, la Fédération de Russie, Israël et la République populaire démocratique de Corée (RPDC). Ces deux derniers pays avaient voté l’an dernier contre le projet de résolution sur le sujet.
Israël a jugé contestable la pertinence d’un tel traité pour faire face au non-respect des obligations des États. Ce traité pourrait faire partie d’un dispositif de sécurité auprès d’une zone exempte d’armes nucléaires (ZEAN), a considéré la déléguée, estimant toutefois que les prémisses ne sont pas réunies à cette fin. Quant à l’Iran, il a expliqué son opposition par le fait qu’une décision, à l’inverse des résolutions, a des effets délétères sur le multilatéralisme en matière de paix et de sécurité internationale.
Les textes visant à aller vers un monde exempt d’armes nucléaires restent très contestés
Deux anciens et longs projets de résolution fixant la voie à suivre vers un monde exempt d’armes nucléaires ont de nouveau divisé les délégations et n’ont été adopté qu’après de multiples votes séparés.
Ainsi, le projet « Vers un monde exempt d’armes nucléaires: accélération de la mise en œuvre des engagements en matière de désarmement nucléaire », présenté par l’Afrique du Sud au nom de la Coalition pour un nouvel ordre du jour, a-t-il fait l’objet de 10 votes séparés avant d’être adopté dans son ensemble par 130 voix pour, 34 voix contre et 17 abstentions.
Aux termes de ce texte, qui actualise la résolution 78/42 adoptée le 4 décembre 2023, l’Assemblée générale, accueillant avec satisfaction le Pacte pour l’avenir, à travers lequel les États Membres ont décidé de s’engager de nouveau à atteindre l’objectif de l’élimination totale des armes nucléaires, condamnerait sans équivoque toutes les menaces nucléaires, qu’elles soient explicites ou implicites et quelles que soient les circonstances. Elle demanderait à tous les États, en particulier aux États dotés, de rejeter toute normalisation de la rhétorique nucléaire. Elle prierait instamment l’Inde, Israël et le Pakistan d’adhérer rapidement au TNP et de placer toutes leurs installations nucléaires sous le régime des garanties de l’Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), et demanderait instamment à la RPDC de renoncer à toutes les armes nucléaires et à tous les programmes nucléaires existants.
Mais le document qui a suscité le plus de votes séparés -18 au total– a été, cette année encore, le projet de résolution présenté par le Japon et portant sur des « Mesures visant à établir un plan d’action commun pour l’avènement d’un monde exempt d’armes nucléaires », un texte qui comporte plusieurs dénonciations d’États détenteurs de l’arme nucléaire.
Par ce texte qui actualise la résolution 78/40 du 4 décembre 2023, l’Assemblée générale, se déclarant profondément préoccupée par la détérioration du climat de sécurité internationale, notamment par les atteintes à l’intégrité territoriale de l’Ukraine et par l’usage d’une rhétorique nucléaire irresponsable, demanderait aux États dotés d’honorer et de respecter les garanties négatives de sécurité auxquelles ils ont souscrit. L’Assemblée réaffirmerait également l’engagement pris de parvenir au démantèlement complet, vérifiable et irréversible de toutes les armes nucléaires et des programmes nucléaires existants, et des missiles balistiques de la RPDC, et confirmerait que cet État Membre ne peut pas avoir le statut d’État doté d’armes nucléaires au sens du TNP et ne l’aura jamais.
Parmi les pays appuyant le projet de résolution, le Japon et le Brésil se sont dits convaincus que des mesures concrètes et pratiques sont nécessaires pour relancer le désarmement nucléaire, cela par le biais de la pleine application du TNP et l’établissement de zones exemptes d’armes nucléaires. Pour sa part, l’Égypte, qui s’est abstenue, a constaté que le texte, dense, long et complexe, restait source de dissentions et a estimé qu’il commençait à être gagné par une politisation menaçant ses objectifs, toutefois louables. C’est pourquoi, nous ne pourrons le soutenir, a dit le délégué.
Le projet de résolution a finalement été adopté dans son ensemble par 145 voix pour, 6 voix contre (Chine, Fédération de Russie, Nicaragua, République arabe syrienne, République islamique d’Iran et République populaire démocratique de Corée) et 29 abstentions.
Enfin, le TIAN suscite toujours l’opposition des États dotés. Adopté par 122 voix pour, 44 voix contre et 14 abstentions, le projet de résolution annuel sur le Traité, destiné à en promouvoir l’universalisation, a, cette année encore, rencontré l’opposition des neuf États dotés officiellement ou non de l’arme nucléaire mais aussi celle de la plupart des États européens bénéficiant du « parapluie nucléaire » américain, ou encore du Japon et de la République de Corée. Le TIAN a été signé à ce jour par 94 États et ratifié par 73.
Outre ceux mentionnés plus haut, les projets de résolution suivants sur les armes nucléaires ont été adoptés après avoir fait l’objet d’un ou plusieurs votes: A/C.1/79/L.2, A/C.1/79/L.10, A/C.1/79/L.16, A/C.1/79/L.25, A/C.1/79/L.27, A/C.1/79/L.28, A/C.1/79/L.32, A/C.1/79/L.35, A/C.1/79/L.36, A/C.1/79/L.38/Rev.1, A/C.1/79/L.49, A/C.1/79/L.56, A/C.1/79/L.57 et A/C.1/79/L.67.
La Première Commission poursuivra ses travaux lundi 5 novembre à 10 heures, en commençant par entendre les délégations qui souhaitent expliquer après coup leur votes de ce jour.
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