Première Commission: les menaces dans le cyberespace amènent les délégations à se rallier à un projet unique de résolution sur la sécurité du numérique
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La Première Commission (désarmement et sécurité internationale) s’est consacrée aujourd’hui à son débat thématique sur les « autres mesures de désarmement et sécurité internationale », lesquelles comprennent notamment les questions liées aux technologies de l’information et des communications (TIC). Les délégations ont été nombreuses à se féliciter du fait que le thème de la cybersécurité soit désormais abordé à travers un projet de résolution unique, alors que les années précédentes avaient vu s’affronter deux projets concurrents.
La séance s’est ouverte avec un exposé du Président du groupe de travail à composition non limitée (GTCNL) sur la sécurité du numérique et de son utilisation (2021-2025), chargé d’examiner les progrès de l’informatique et des télécommunications dans le contexte de la sécurité internationale, M. Burhan Gafoor, qui est aussi le représentant de Singapour. Celui-ci s’est félicité de l’adoption par consensus du troisième rapport d’activité annuel de son groupe en juillet de cette année, saluant tout particulièrement l’accord obtenu sur la poursuite des activités du groupe qui, appelé à être dissout en juillet 2025, devrait laisser la place à un mécanisme permanent, conformément à une résolution adoptée l’an dernier.
M. Gafoor s’est également réjoui que les États continuent à approfondir des concepts communs face à l’évolution des menaces, avec par exemple l’intelligence artificielle et son rôle potentiel dans une possible augmentation du volume des attaques impliquant les TIC. Les États ont aussi clairement affirmé que les caractéristiques des TIC requièrent l’élaboration de normes nouvelles au fil du temps, a-t-il poursuivi. Il a également salué un accord sur trois mesures de confiance supplémentaires –pour un total de huit en deux ans, toutes adoptées par consensus– ainsi que des progrès en vue de réaliser un portail mondial de coopération sur les TIC, un catalogue de mesures sur les TIC et un fonds volontaire de l’ONU pour appuyer le renforcement des capacités. Enfin, il a applaudi la mise en place d’un répertoire mondial des points de contact, lancé en mai 2024 et désormais pleinement opérationnel. Expliquant que 108 États ont désigné de tels points de contact, il a lancé un appel aux pays restant pour qu’ils fassent de même.
C’est en tant que Présidente du groupe de travail que Singapour a proposé un projet de résolution visant à recueillir l’approbation de l’Assemblée générale concernant son troisième rapport d’activité annuel. Se félicitant qu’aucune autre résolution n’ait été présentée cette année sur ce thème de l’ordre du jour, M. Gafoor y a vu un signe démontrant que les délégations favorisent une démarche consensuelle. Il a fait part de son optimisme pour régler certaines questions délicates encore en souffrance, afin d’assurer l’année prochaine une transition en douceur du GTCNL vers le mécanisme permanent décidé l’an dernier.
Les deux années précédentes, des textes concurrents avaient été présentés par la Fédération de Russie d’une part, des pays occidentaux d’autre part. Ils avaient d’ailleurs été tous deux adoptés grâce aux votes favorables des pays « non alignés », soucieux notamment de bénéficier des ressources offertes par les TIC tout en appelant à réfléchir à l’instauration d’un processus unique de négociations.
Un grand nombre de délégations ont salué l’adoption par consensus du rapport d’activité annuel du GTCNL et appuyé l’établissement futur d’un mécanisme permanent. L’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), représentée par la Thaïlande, a rappelé ses contributions significatives au succès du groupe, mentionnant le répertoire mondial des points de contact, l’élaboration d’une liste de contrôle volontaire sur la mise en œuvre des normes et la proposition d’un catalogue de renforcement des capacités en matière de sécurité des TIC. Elle a exprimé le souhait que le groupe de travail demeure la plateforme centrale de discussion sur la cybersécurité aux Nations Unies et appelé les États à s’engager sans heurt dans la création du futur mécanisme.
L’Égypte, « qui a toujours appuyé ce projet », s’est faite l’écho de cet appel en préconisant de soutenir les travaux du groupe de travail jusqu’à l’accomplissement de son mandat en juillet 2025, quand il devra avancer sur la partie relative au cadre de discussions institutionnel du mécanisme permanent de cybersécurité. Le Canada a également considéré que 2025 serait une année charnière et appelé dans ce cadre à appuyer le projet de résolution de Singapour. Pour leur part, les États-Unis ont souligné le rôle positif que pourrait jouer un futur mécanisme permanent en instituant un cadre qui combine les normes existantes du droit international, des normes non contraignantes ainsi que des mesures de confiances en matière de TIC.
La France a, de son côté, rappelé qu’elle avait introduit la proposition d’un tel mécanisme dès 2020, aux côtés d’un groupe transrégional d’États. Tout en se félicitant de l’adoption par consensus du rapport d’activité annuel du GTCNL, elle a estimé que le rapport aurait pu être plus ambitieux sur certains points. Le risque de prolifération d’« outils d’intrusion cyber », mentionné dans le rapport, présente des risques majeurs en termes de droits humains, de libertés fondamentales ou de sécurité nationale, a ainsi relevé la déléguée. Elle a rappelé que, dans ce cadre, la France a lancé, en collaboration avec le Royaume-Uni, le processus de Pall Mall pour lutter contre la prolifération et l’usage irresponsable des « capacités d’intrusion cyber » disponibles sur le marché.
L’Iran, s’il a salué certains aspects du travail du groupe de travail, a toutefois insisté sur l’importance de mieux prendre en compte les intérêts de tous les États Membres dans les négociations. À l’heure actuelle, les rapports d’activité n’ont pas assez intégré les points de vue de tous les États, a déploré le délégué, estimant que la priorité avait été donnée à une minorité qui parle haut et fort, au détriment d’une majorité silencieuse.
Les pays en développement face aux menaces et aux opportunités des TIC
Saluant également l’adoption par consensus du troisième rapport d’activité du groupe de travail, le Mouvement des pays non alignés (MNA), représenté par l’Indonésie, a toutefois insisté sur la nécessité pour le futur cadre international de prendre en compte les intérêts de tous les États. Rappelant la position de principe du Mouvement, la déléguée a insisté pour que rien, dans le futur cadre juridique, ne vienne restreindre l’utilisation pacifique du numérique par les pays en développement.
D’autres délégations ont relayé les besoins spécifiques des pays en développement en matière de TIC. Au nom du Groupe des États arabes, la Mauritanie a ainsi déploré la fracture numérique « énorme » qui subsiste entre les États. Elle a proposé de renforcer la sécurité des TIC, la coopération technique ainsi que les transferts technologiques vers les pays en développement. Le fossé numérique prive ces derniers des pleins avantages des TIC, tout en les exposant à leurs effets néfastes, a ajouté le délégué. La Thaïlande, qui a souligné l’importance du renforcement des capacités TIC pour les pays en développement, a mentionné son travail avec des centres régionaux, comme les centres d’excellence de Singapour et de Bangkok, pour améliorer les capacités locales. Un atelier à Bangkok, prévu pour début 2025, vise à sensibiliser sur l’application du droit international dans le cyberespace.
S’agissant du lien entre désarmement et développement, les Philippines comme la Malaisie ont dit soutenir cette année encore le projet de résolution du MNA, qui préconise une réduction des dépenses militaires pour financer le progrès économique et social, en particulier dans les pays en développement. Nous nous associons également au texte du Mouvement sur les normes environnementales en matière de désarmement, qui souligne quant à lui le lien entre protection de l’environnement et sécurité mondiale, ont ajouté les représentants.
« En tant que pays en développement », l’Inde a présenté un projet de résolution sur le rôle des sciences et des technologies dans le contexte de la sécurité internationale, qui met en avant l’importance d’une réglementation des transferts de technologies à double usage pour éviter leur accaparement par des acteurs non étatiques. Enfin, parce que l’utilisation pacifique des sciences et des techniques est un droit inaliénable de tous les États, la Chine a déposé un projet de résolution appelant à renforcer la coopération dans ce domaine important pour les pays en développement, un texte dont le libellé tient compte des éléments relatifs au désarmement multilatéral du Pacte pour l’avenir récemment adopté.
Un nouveau projet de résolution sur l’utilisation militaire de l’IA
Enfin, les risques liés aux applications militaires de l’intelligence artificielle (IA) ont également été abordés par de nombreuses déclarations. Le Groupe des États arabes, représenté par la Mauritanie, a préconisé de se pencher sérieusement sur cette question, relevant le recours à de tels systèmes par les forces d’occupation israéliennes à Gaza. Plusieurs ont, à l’image de la France, pris note de la « rupture technologique et stratégique majeure » que constituent les technologies basées sur l’IA et du fait que leurs bénéfices pour les forces armées sont tels qu’ils rendent « inévitable » le développement de l’IA dans les systèmes d’armes.
Ces pays en appellent donc, là encore, à un « comportement responsable ». Dans ce cadre, les Pays-Bas et la République de Corée ont annoncé le dépôt d’un nouveau projet de résolution intitulé « L’intelligence artificielle dans le domaine militaire et ses implications pour la paix et la sécurité internationales ». Ce texte s’appuie sur les processus multilatéraux en cours et propose de les compléter, ont précisé les représentant de ces deux pays. La République de Corée a rappelé à cette occasion qu’elle avait accueilli, plus tôt cette année, le Sommet REAIM (Intelligence artificielle responsable dans le domaine militaire), en coopération avec, déjà, les Pays-Bas, ainsi que Singapour, le Kenya et le Royaume-Uni. Le Sommet a abouti à l’adoption d’un « plan d’action » soutenu par 63 États.
Le Pakistan, qui fut en 2024 un des Présidents de la Conférence du désarmement, a indiqué avoir adopté, à cette occasion, une initiative sur l’élaboration de « recommandations sur une compréhension commune des technologies émergentes dans le contexte de la sécurité internationale ». À la Conférence du désarmement, a ajouté le délégué, le Pakistan a proposé cette année d’inclure à son ordre du jour le traitement des questions relatives aux implications de l’IA militaire sur la sécurité et la stabilité.
Utilisations malveillantes du cyberespace
Plusieurs délégations se sont alarmées des utilisations malveillantes de plus en plus nombreuses du cyberespace. Le Royaume-Uni s’est ainsi inquiété que de telles attaques permettent de s’immiscer dans les processus démocratiques des États alors même qu’en 2024 près de la moitié de la population mondiale était appelée aux urnes. La représentante britannique a rappelé que, depuis 2017, son pays avait attribué 24 attaques à des groupes affiliées à des États.
L’Iran a condamné la militarisation du cyberespace par Israël, ainsi que son attaque aux bipeurs au Liban. Le délégué a estimé qu’Israël avait franchi toutes les lignes rouges du droit international humanitaire en détournant des technologies civiles pacifiques à des fins terroristes et militaires. À ce titre, il a fait remarquer que, jusqu’à présent, les délibérations se sont surtout concentrées sur les technologies à double usage. Faisant observer qu’Israël ne pouvait connaître l’identité de toutes les personnes tuées dans le cadre de cette opération, le représentant du Liban a vu dans ces attaques une exploitation caractérisée des TIC à des fins terroristes, susceptible de mettre en péril la paix et la stabilité, et, partant, de saper les processus onusiens en cours sur la responsabilisation du comportement des États en matière d’utilisation du numérique.
L’Union européenne, l’Estonie et l’Ukraine ont dénoncé les cyberattaques de la Russie. La première a assuré avoir appris à se prémunir des cyberattaques russes, précisant qu’elle aidait l’Ukraine à se protéger dans ce domaine. La deuxième a accusé la Russie d’avoir lancé des cyberattaques à son encontre en 2020, soulignant que cette attribution résulte d’une longue enquête en coopération avec des partenaires internationaux. Le délégué estonien a aussi évoqué les cyberopérations russes contre les autorités gouvernementales ukrainiennes, les autorités locales, les entreprises du secteur de la sécurité et de la défense et les infrastructures critiques, en violation du droit international humanitaire. Il a relevé que l’invasion russe de l’Ukraine montre comment les cyberattaques sont menées conjointement avec la guerre cinétique et font désormais partie des conflits armés modernes.
Une observation relayée par l’Ukraine elle-même, qui a dénoncé des attaques coordonnées sur deux fronts –dans le cyberespace et de manière classique. Détaillant le large éventail de cyberopérations lancées contre son pays, le délégué ukrainien a notamment mentionné l’hameçonnage, la distribution de logiciels malveillants ou les attaques par déni de service distribué. Il a évoqué des collaborations avec l’UE et l’OTAN, ainsi qu’au sein de l’Initiative internationale de lutte contre les rançongiciels, autrement connue sous le nom de mécanisme de Tallin, lequel a été établi sur fond d’agression de la Russie contre son pays.
Comme elle le fait depuis le début du débat thématique, la Fédération de Russie a quant à elle utilisé son temps de parole pour dénoncer une nouvelle fois la non-attribution de visas à certains de ses diplomates, affirmant qu’elle n’avait donc pas les ressources humaines nécessaires pour prononcer des déclarations de fond.
À l’issue de la discussion thématique, les pays suivants ont exercé leur droit de réponse: Italie, Chine, Israël, États-Unis, Liban, Iran et Jordanie.
Lundi 28 octobre, à partir de 10 heures, la Première Commission discutera de deux autres chapitres de son débat thématique: le désarmement régional et le mécanisme onusien de désarmement.
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