Première Commission: États non dotés et dotés débattent de la place des armes nucléaires dans le contexte stratégique et sécuritaire
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La Première Commission, chargée des questions de désarmement et de sécurité internationale a poursuivi, ce matin, sa discussion thématique sur les armes nucléaires. Les pays ont exprimé des vues contrastées, tantôt pour souligner l’importance de légiférer sur l’aspect humanitaire de ces armes, tantôt pour en défendre la place dans les doctrines et politiques de sécurité des États dotés, officiellement ou non, parties ou non au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). En outre, les pays en développement ont attiré l’attention sur l’importance pour eux de pouvoir bénéficier sans entrave des utilisations pacifiques de l’énergie atomique dans le cadre des accords qui les lient à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
La Nouvelle-Zélande a annoncé qu’avec l’Irlande -et dans le but de faire progresser la compréhension collective des conséquences humanitaires et environnementales catastrophiques d’une guerre nucléaire-, elles présenteraient cette année un « nouveau projet de résolution demandant une étude scientifique complète et actualisée sur les effets » d’un conflit de cette nature. La Nouvelle-Zélande est également coautrice, avec l’Australie et le Mexique, de la version 2024 du projet de résolution sur le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), a indiqué le représentant, mettant l’accent sur la notion d’héritage nucléaire des essais nucléaires. « Le témoignage des victimes des armes nucléaires devra faire entendre son écho au sein de la Première Commission jusqu’à la destruction de la dernière ogive nucléaire », a renchéri le Mexique.
Un quart des essais nucléaires ayant eu lieu au Kazakhstan, soit au moins 460 officiellement recensés, le représentant de ce pays n’a pu qu’appuyer les propos de ses homologues et a appelé à soutenir les projets de résolution axés sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires, l’héritage des essais nucléaires, l’entrée en vigueur du TICE et l’universalisation du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) « en tant qu’instrument complémentaire du TNP ». Toutefois, si l’Irlande soutient ardemment le TIAN, nombre d’États membres de l’Union européenne en contestent la légitimité. La représentante de la France a ainsi, dans un long droit de réponse, jugé ce traité « inadapté au contexte international » et l’a accusé de « fragiliser gravement » le TNP en promouvant une approche concurrente et fondamentalement « incompatible » avec ce dernier Des propos qu’avaient également tenus la Tchéquie un peu auparavant.
Le représentant kazakhstanais a aussi appelé les États à adopter à la majorité la plus vaste possible le projet de résolution intitulé « Le lourd héritage des armes nucléaires: assistance aux victimes et remise en état de l’environnement dans les États Membres touchés par l’emploi ou la mise à l’essai d’armes nucléaires » qu’il présentera avec Kiribati.
Ces mêmes pays ont salué l’attribution, le 11 octobre, du prix Nobel de la paix à l’organisation japonaise Nihon Hidankyo pour son combat contre l’arme atomique.
Concernant le TICE, le représentant néo-zélandais a appelé les États « qui n’y ont pas adhéré, ou qui l’ont “dératifié” comme l’a fait la Russie, à y adhérer sans tarder ». Le délégué a en outre réaffirmé l’attachement de son pays au renforcement du Pacifique Sud en tant que zone exempte d’armes nucléaires. Considérant que le récent essai de missile balistique intercontinental effectué à l’intérieur de la zone marque une évolution très préoccupante, il a appelé les États à appuyer les divers projets de résolution sur le TICE, et dont la Nouvelle-Zélande est l’un des nombreux coauteurs.
Le Royaume-Uni, qui a lui aussi rendu hommage à Nihon Hidankyo, a assuré la Commission qu’il prend très au sérieux ses responsabilités en tant, notamment, qu’unique État doté d’armes nucléaires à exploiter un seul système de lancement. Nous faisons preuve de transparence en communiquant sur les plans national et international et auprès du grand public sur les principes et l’efficacité de notre dissuasion, a ajouté le représentant. Parmi les mesures concrètes pour réduire le risque de guerre nucléaire que prend son pays, il a mentionné les travaux que mène son pays au sein du P5 sur l’irréversibilité et la vérification et le dialogue régulier qu’il a avec les États non dotés d’armes nucléaires, cela dans le cadre du dialogue soutenu sur les utilisations pacifiques de la science nucléaire.
Le délégué du Royaume-Uni a opposé les comportements qualifiés d’irresponsables de la Russie et la Chine, la première parce qu’elle use d’une rhétorique nucléaire dangereuse et occupe une centrale nucléaire en Ukraine, la seconde parce qu’elle ne dit pas en toute transparence qu’elle modernise et renforce son arsenal nucléaire. Le blocage par la Chine et la Russie des efforts du Conseil de sécurité pour demander des comptes à la République populaire démocratique de Corée (RPDC) envoie en outre un signal dangereux à ceux qui cherchent à porter atteinte à la sécurité internationale, a finalement déclaré le représentant.
Les pays d’Europe orientale ou frontaliers de la Russie ont été nombreux à condamner à leur tour la politique nucléaire de celle-ci.
La Bulgarie a ainsi dénoncé un comportement qui sape le régime de non-prolifération. Une accusation reprise par la Pologne, laquelle s’est alarmée de ce que les discours russes belliqueux soient désormais suivis de véritables manœuvres menées avec des armes nucléaires tactiques. Le délégué a également attiré l’attention sur la récente annonce par la Russie d’une révision de sa doctrine nucléaire, dont les termes attisent les risques d’accident nucléaire. Il a également dénoncé le déploiement d’armes nucléaires tactiques russes au Bélarus, une manœuvre qui démontre « la nature destructrice de la politique russe en matière de sécurité internationale ».
La Finlande s’est faite l’écho de ces préoccupations, estimant qu’un tel déploiement ne reflète pas le comportement d’un État nucléaire responsable. L’Ukraine a accusé le Bélarus d’intégrer l’arme atomique à sa prétendue doctrine de dissuasion préventive. De la part d’un État non doté, une telle démarche constitue en réalité une menace évidente pour le régime international de nonprolifération, a estimé son représentant. Il a également rappelé la déclaration conjointe, adoptée lors du récent sommet pour la paix en Ukraine tenu en Suisse, qui souligne que toute utilisation de l’énergie et des installations nucléaires doit être sécurisée et que les centrales et installations nucléaires ukrainiennes doivent rester sous le contrôle souverain de l’Ukraine, conformément aux principes de l’AIEA.
De son côté, la Chine a appelé à éliminer les causes sous-jacentes au risque nucléaire, par exemple en réduisant le nombre d’armes détenues et leur rôle dans les doctrines de sécurité. Pour son représentant, il est d’abord de la responsabilité des États les plus dotés de se montrer proactifs en matière tant de sécurité négative que de non-utilisation en premier d’armes nucléaires. Nous avons besoin de prévention des conflits, pas de davantage de contrôle des armements, a affirmé le délégué qui a ajouté que toute initiative de ce type se doit d’être ancrée dans les réalités du contexte mondial stratégique et de sécurité. Défendant l’approche pragmatique de désarmement nucléaire de son pays, il a répété que ce sont les pays dotés des plus importants arsenaux qui doivent promouvoir la stabilité régionale et le principe de sécurité non diminuée pour tous.
Un État doté non officiellement comme le Pakistan s’est inquiété du comportement de « pays d’Asie du Sud-Est » qui accumulent des quantités préoccupantes de matières fissiles. Selon le délégué, ces mêmes pays plaident pour la négociation, à la Conférence du désarmement, d’un traité interdisant la production de ces matières fissiles à des fins militaires « sans inclure les stocks existants ». Or un tel traité, adopté dans ces conditions, ne ferait qu’entériner les asymétries et les deux poids, deux mesures, en vigueur, sans contribuer au désarmement nucléaire, a-t-il jugé. L’Inde, qui fut le premier État à nucléariser l’océan Indien, qui menace depuis longtemps d’attaquer le Pakistan et rejette les résolutions du Conseil de sécurité sur le Jammu-et-Cachemire, refuse de faire preuve de retenue, a argué le représentant pakistanais. À cet égard, il a exprimé la vive inquiétude de son pays quant au fait que l’Inde « cherche à siéger de nouveau au Conseil de sécurité ».
La RPDC, qui revendique le statut d’État doté, a de nouveau justifié ses activités nucléaires militaires par la nécessité existentielle d’exercer son droit à la légitime défense. Tant que les États-Unis et leurs alliés conduiront des manœuvres dans la péninsule coréenne qui comportent des simulations de guerre nucléaire, notre position sera inévitable, a averti le délégué. Il a accusé les États-Unis, non seulement de déployer des missiles à portée intermédiaire en Europe et en Asie mais aussi d’envisager la reprise d’essais nucléaires depuis un nouveau site du Nevada. Qui, en agissant de la sorte, en commettant autant de crimes nucléaires, entrave le régime de désarmement et de non-prolifération nucléaires? Les États-Unis! a-t-il martelé. Enfin, il a assuré la Commission de l’engagement de son pays en faveur d’une culture de la paix.
Le Japon, rappelant que l’année prochaine marquera le quatre-vingtième anniversaire des bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki, a salué le rôle de Nihon Hidankyo avant de déplorer les progrès accomplis par la RPDC dans le développement de ses technologies de missiles « avec l’appui de la Russie ».
Quant à l’Iran, il a qualifié d’hypocrites ceux qui l’exhortent de faire toute la lumière sur la nature de ses activités nucléaires et de collaborer de façon transparente avec l’AIEA. Leur silence sur la prolifération des armes de destruction massive au Moyen-Orient et leur soutien au régime israélien, connu pour posséder divers types d’armes de destruction massive, est problématique, a considéré le délégué. Ces pays se bornent injustement à discriminer sans cesse le programme nucléaire pacifique de son pays, a-t-il affirmé.
Après avoir souligné que l’Iran reste attaché au TNP et travaille de manière constructive avec l’AIEA pour garantir la transparence des accords de garanties liant les deux parties, le délégué a affirmé que « notre programme ne peut et ne doit pas être qualifié de facteur de prolifération nucléaire ». Il représente plutôt, a-t-il insisté, les efforts d’un membre responsable du TNP pour exercer son droit inaliénable à l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire, comme le lui garantit l’article IV du Traité.
Les pays en développement, parmi lesquels le Burkina Faso, ont souligné combien l’utilisation pacifique des sciences et de la technologie nucléaires peut procurer des bénéfices considérables à l’humanité, à condition d’observer des mesures de sécurité et de sûreté nucléaires suffisantes pour prévenir les risques d’accidents ou de détournements et le terrorisme nucléaire.
Comme la plupart des pays en développement ayant pris la parole, le représentant a jugé que la coopération internationale est essentielle, le Burkina Faso, membre du Conseil des Gouverneurs de l’AIEA, s’engageant à travailler en collaboration avec ses pairs afin de contribuer de manière constructive à la promotion de l’utilisation pacifique et sûre des sciences et technologies nucléaires. Son représentant a insisté sur le fait que les considérations de sécurité nucléaire ne doivent pas entraver l’accès des pays en développement à la technologie nucléaire à des fins pacifiques.
La Côte d’Ivoire a, elle aussi, estimé nécessaire de promouvoir les applications civiles du nucléaire, soulignant son engagement en ce sens, comme en atteste la désignation du Président ivoirien comme « champion africain de la science et de la technologie nucléaires pacifiques » en Afrique de l’Ouest au sein de l’initiative « Groupe des Champions » de la Commission africaine de l’énergie nucléaire.
En fin de séance, 12 pays ont souhaité exercer leur droit de réponse. Si la France a expliqué son opposition au TIAN, l’Irlande a, au contraire, défendu ce traité. Le Bélarus a rejeté les accusations des pays européens visant le déploiement d’armes nucléaires russes sur son territoire. L’Italie, également au nom de la Belgique et des Pays-Bas, a réagi aux affirmations de l’Iran sur le « partage nucléaire ». Les États-Unis ont nuancé les critiques sur l’importance de leur arsenal. Israël, la Mauritanie et l’Iran ont exprimé leurs divergences sur la création d’une zone exempte d’armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive au Moyen-Orient. La RPDC a réagi aux appels à son désarmement par des pays occidentaux et le Japon. La Chine a répondu aux propos du Japon sur sa politique nucléaire. Le Japon a ensuite répondu à la RPDC et à la Chine tandis que le Royaume-Uni répondait lui aussi à la Chine.
La Première Commission poursuivra son débat thématique sur les armes nucléaires demain, mardi 22 octobre, à 10 heures.