La Première Commission entame son débat thématique avec le chapitre des armes nucléaires
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La Première Commission, chargé des questions de désarmement et de sécurité internationale, a entamé ce vendredi son débat thématique appelé à durer jusqu’au 30 octobre. Comme de coutume, c’est par le chapitre consacré aux armes nucléaires que ce débat a commencé, avec notamment des déclarations des groupes régionaux mais aussi d’Israël et des États-Unis.
Les questions de transparence et de vérification ont mobilisé plusieurs interventions, et plus particulièrement l’Australie, qui s’est exprimée au nom du Partenariat international pour la vérification du désarmement nucléaire, lequel rassemble des États dotés et des États non dotés. Sa déléguée a rappelé le rôle essentiel des mesures de vérification et de conformité en vue de réaliser et de maintenir un monde sans armes nucléaires. Elle s’est félicitée que les membres du Partenariat s’efforcent ensemble d’identifier les problèmes techniques et des solutions permettant d’améliorer la vérification. Elle a salué le dixième anniversaire de cette initiative, soulignant son rôle pour faire progresser les objectifs de désarmement nucléaire de l’Article VI du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), ainsi que les conclusions et recommandations du document final de la Conférence d’examen du TNP de 2010.
La Norvège a jugé la vérification à la fois efficace et nécessaire pour parvenir à un monde sans armes nucléaires et le maintenir. Soulignant le travail fructueux des deux groupes d’experts chargés d’examiner cette question sous tous ses aspects, elle a appelé les États Membres à appuyer le projet de résolution qu’elle présentera avec le Brésil et qui préconise la création d’un groupe d’experts scientifiques et techniques sur la vérification.
Les Pays-Bas, qui se sont exprimés au nom d’un groupe de 24 pays principalement occidentaux et bénéficiant du « parapluie nucléaire » des États-Unis, se sont félicités du rapport de consensus du Groupe d’experts gouvernementaux sur la vérification du désarmement nucléaire de 2023. Ils ont encouragé la poursuite des travaux sur cette question à travers la mise en place d’un groupe d’experts scientifiques et techniques.
Plusieurs intervenants, dont l’Union européenne, ont mis en avant le problème de transparence que pose selon eux le programme nucléaire militaire de la Chine qu’ils ont exhortée à s’abstenir de toute expansion de son arsenal et à poursuivre les mesures de réduction des risques. Accusée de nier la réalité de son programme de modernisation et d’expansion nucléaire et de n’apporter aucun éclaircissement sur les évolutions réelles de sa doctrine de prétendue dissuasion, la Chine a également été pointée du doigt par les États-Unis qui ont en revanche souligné leurs propres efforts « inlassables » en faveur de l’édification d’un monde exempt d’armes nucléaires par le biais de la pleine mise en œuvre du TNP. Elle a vivement répliqué une nouvelle fois dans le cadre de son droit de réponse.
Critique, elle aussi, à l’égard de la Chine, dont « même la doctrine de non-emploi en premier interroge », la France a opposé son propre comportement, se présentant comme celui des États dotés qui a pris les mesures unilatérales de désarmement nucléaire les plus ambitieuses dans le cadre des obligations de l’Article VI du TNP. Sa représentante a cité notamment le démantèlement irréversible des installations de production de matières fissiles pour les armes nucléaires et de son site d’essais dans le Pacifique, le démantèlement complet de sa composante nucléaire sol-sol, la réduction de moitié du nombre d’armes nucléaires et la réduction d’un tiers des composantes océanique et aéroportée. Rappelant que l’approche française est progressive, ancrée dans l’environnement stratégique et tient compte du contexte sécuritaire dégradé, la représentante a rappelé que, fondamentalement, tout progrès dans cette voie du désarmement nucléaire repose sur la transparence.
La Russie a elle aussi été montrée du doigt par plusieurs autres intervenants. Les États-Unis lui ont reproché de se retirer de traités bilatéraux –le nouveau Traité START- et multilatéraux -le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE)- parmi les plus importants, ou de menacer de le faire, et ont affirmé maintenir leur main tendue à ce pays, comme à la Chine, sur le contrôle des armements, le renforcement de la transparence et la réduction du risque nucléaire.
L’Union européenne a dit son trouble après l’annonce par Moscou d’une modification de sa doctrine nucléaire « dans une direction très inquiétante ». Elle a fait part de ses préoccupations à la suite du dernier exercice d’armes nucléaires non stratégiques mené par la Russie et le Bélarus, ainsi que par le déploiement d’armes nucléaires russes sur le territoire bélarussien, appelant les deux nations à respecter leurs engagements pris dans le cadre du Mémorandum de Budapest. Le représentant européen a également rappelé qu’en 2022, la Russie avait signé la déclaration commune réaffirmant qu’« une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée », la rappelant à ses engagements à ce titre.
Autre reproche fait à la Russie par plusieurs délégations, ses déclarations selon lesquelles la dénucléarisation de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) est désormais une « question close ». Au contraire, de nombreux intervenants ont appelé la RPDC à mettre fin à son programme nucléaire et à revenir dans le TNP, ce que cette dernière a de nouveau rejeté dans un droit de réponse.
Quant à elle, la Fédération de Russie n’a pris la parole que pour déplorer un nouvelle fois la non-délivrance de visas à « une série de membres importants » de sa délégation. Dénonçant « l’approche destructive » des États-Unis, pays hôte, et sa violation de l’Accord de siège de 1947, la déléguée russe a annoncé que « les conditions mises en place ne permettent pas d’intervenir dans une série de questions et a renvoyé les délégations au texte de sa déclaration, postée sur le site de la Commission.
Sur cette question, la présidence a fait une mise au point pour expliquer son action auprès du Comité des relations avec le pays hôte, ajoutant qu’elle avait aussi fait une démarche bilatérale directement auprès du pays hôte, avant de conclure que le Bureau de la Commission avait désormais fait « tout son possible » pour que le problème soit résolu.
Le programme nucléaire iranien a également été pris pour cible. L’Union européenne, qui a affiché comme « l’une de ses principales priorités de sécurité » de garantir que l’Iran n’acquerra jamais l’arme nucléaire, s’est dite profondément préoccupée par « l’expansion alarmante et continue » du programme nucléaire de ce pays. « Les avancées nucléaires incessantes de l’Iran au cours des cinq dernières années ont rendu de plus en plus difficile le retour au Plan d’action global commun », a regretté l’Union européenne, pour qui l’Iran n’a pas pris les « décisions nécessaires » pour revenir à ses engagements. L’Union européenne n’a toutefois pas mentionné le retrait des États-Unis du Plan d’action global commun, qui a précédé l’abandon progressif de ses propres engagements par l’Iran.
De même, Israël, qui a dit attendre de la communauté internationale qu’il exige de l’Iran qu’il coopère avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), et des Nations Unies qu’elles disent d’une seule voix que le monde ne saurait tolérer un Iran doté d’armes nucléaires, n’a pas dit un mot de sa propre situation. Le représentant a en revanche souhaité que les inspecteurs de l’AIEA soient en mesure de faire toute la lumière sur les activités nucléaires clandestines de la Syrie. Pour Israël, une zone exempte d’armes nucléaires et autres armes de destruction massive au Moyen-Orient ne peut être établie que sur la base d’accords librement et mutuellement consentis par tous les pays de la région. La conférence sur la création d’une telle zone n’entre pas dans ce cadre délibératif, a affirmé le délégué.
Au contraire, le Groupe des États d’Afrique et celui des États arabes ont une nouvelle fois plaidé pour la création de cette zone, dont l’urgence découlerait notamment de la rhétorique nucléaire israélienne. La Mauritanie, qui présidera la cinquième session de la Conférence sur la création au Moyen-Orient d’une zone exempte d’armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive, qui se tiendra à New York le mois prochain, a affirmé qu’elle s’efforcerait d’œuvrer à des avancées sur l’élaboration d’un instrument contraignant pour soutenir la création de cette zone.
Plusieurs partisans du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) se sont exprimés, notamment le Kazakhstan au nom de tous les États parties ou signataires. Son représentant a fait remarquer qu’en plus de la modernisation et de l’augmentation qualitative et quantitative des armes nucléaires, certaines évolutions récentes contribuent à accroître davantage le risque d’utilisation d’armes nucléaires, comme les cyberattaques contre les systèmes de commandement l’intelligence artificielle ou les développements dans l’espace extraatmosphérique. Il a également condamné les justifications de la dissuasion nucléaire, estimant qu’elles accroissent dangereusement le risque de prolifération horizontal et vertical.
Rappelant que le caractère inclusif du TIAN permet la collaboration de la société civile, des experts, des organisations nationales, régionales et internationales et, surtout, des victimes et des communautés affectées, le représentant du Kazakhstan a évoqué la possible création d’un fonds dans le cadre du TIAN pour aider les victimes et assurer l’assainissement des territoires touchés par l’utilisation et les essais d’armes nucléaires. La grande majorité des États parties au TNP conviennent que la seule garantie contre l’emploi des armes nucléaires réside dans leur élimination totale, a-t-il rappelé.
Au nom de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), le Viet Nam a souligné la nécessité que les États dotés fournissent des garanties négatives de sécurité juridiquement contraignantes et inconditionnelles aux États non dotés et adoptent une politique de non-recours en premier aux armes nucléaires, cela en attendant l’élimination totale, complète et irréversible de leurs arsenaux.
En outre l’ASEAN et le Groupe des États d’Afrique ont mis l’accent sur la nécessité de l’appui technique de l’AIEA pour garantir un droit inaliénable à l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire.
Enfin, la session a permis à plusieurs délégations d’annoncer le dépôt de projets de résolution. L’Irlande et la Nouvelle-Zélande vont ainsi proposer une résolution visant à approfondir notre compréhension scientifique et collective des dangers liés à l’arme nucléaire. L’Australie a souhaité que la Commission poursuive la discussion commencée l’an dernier en son sein à travers un nouveau projet de résolution, autour des questions liées à l’« héritage nucléaire », thème important pour tous les pays qui ont subi les conséquences dramatiques des essais nucléaires, y compris dans le Pacifique. Quant au Mouvement des pays non alignés, il a rappelé qu’il présentera cette année pour adoption un projet de résolution visant à actualiser le « Suivi de la réunion de haut niveau sur le désarmement nucléaire de 2013 ».
Pour sa part, Kiribati a annoncé une nouvelle version de sa résolution sur l’héritage des essais nucléaires, préparée en collaboration avec le Kazakhstan. Adoptée par 171 États, la version de 2023 du texte a ouvert la voie à un processus durable en vue d’apporter une aide aux victimes touchées, s’est félicité le représentant.
L’ouverture du débat thématique a été précédée par une intervention de la Haute-Représentante pour les affaires de désarmement, Mme Izumi Nakamitsu, qui est revenue sur les points saillants soulevés par les délégations pendant le débat général. La Secrétaire générale adjointe a notamment évoqué les inquiétudes exprimées au sujet des projets de modernisation des arsenaux nucléaires par les États dotés, ainsi que les répercussions des conflits en Ukraine et au Moyen-Orient. Elle s’est toutefois félicitée que les États continuent de croire en la nécessité de poursuivre le désarmement, non pas en dépit de la situation, mais précisément à cause d’elle. Elle s’est également réjouie qu’à travers leur récente adoption du Pacte pour l’avenir, les États se soient engagés à respecter leurs obligations en matière de désarmement.
Après avoir rappelé le rôle essentiel que joue la Première Commission, organe certes intergouvernemental mais qui fournit une plateforme de dialogue unique avec la société civile, le monde universitaire et la jeunesse, Mme Nakamitsu a jugé essentiel de poursuivre des programmes de sensibilisation de l’opinion en matière de désarmement, tout particulièrement en ce qui concerne le nucléaire. Face au retour de la menace, le Bureau des affaires de désarmement de l’Organisation des Nations Unies (UNODA) met en œuvre une nouvelle stratégie d’éducation et de sensibilisation, notamment à travers son programme « Jeunesse pour le désarmement », a-t-elle expliqué.
Enfin, suivant la tradition, Mme Nakamitsu a évoqué le suivi des résolutions adoptées par la Première Commission en se concentrant sur les réponses fournies par les États aux demandes d’informations de l’Assemblée générale. Elle s’est ainsi félicitée du taux de réponse considérable dont ont bénéficié les rapports relatifs aux dépenses militaires des États Membres et les transferts d’armes classiques, ainsi que de l’intérêt suscité par les rapports relatifs à de nouveaux sujets, tout en observant un intérêt limité pour la fourniture d’informations demandées au titre de sujets traités de longue date.
Le Président du Groupe d’experts gouvernementaux sur les technologies émergentes dans le domaine des systèmes d’armes létaux autonomes (SALA), M. Robert in den Bosch, a quant à lui présenté un bilan d’activités du Groupe au cours des deux dernières années, estimant que les travaux avaient permis d’avancer, notamment sur une définition commune des SALA et l’introduction du droit international humanitaire dans leur appréhension juridique. Il a également salué l’apport de la société civile lors des conférences régionales et internationales tenues à son initiative pendant son mandat. Par ailleurs, une représentante de l’Organisme pour l’interdiction des armes nucléaires en Amérique latine et dans les Caraïbes (OPANAL) est intervenue, notamment pour présenter les activités régionales et internationales menées par l’Organisme pour sensibiliser étudiants et experts techniques aux enjeux du désarmement nucléaire.