Première Commission: la Russie et l’Ukraine s’opposent; la France et l’Inde affichent leur volonté de « comportement responsable »
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Au sixième jour de son débat général, la Première Commission (désarmement et sécurité internationale) a entendu notamment, cet après-midi, les points de vue très divergents de la Fédération de Russie et de l’Ukraine en matière de sécurité internationale sur le fond du conflit qui les oppose depuis plus de deux ans. La France, l’autre État doté officiellement d’armes nucléaires à avoir pris aujourd’hui la parole, a souligné l’importance de sortir de la crise de la non-prolifération nucléaire actuelle par la seule voie diplomatique, et fait des propositions dans le domaine spatial. L’Inde, « État doté responsable », et l’Arménie ont justifié leur politique de défense dans un contexte régional marqué, entre autres, par une circulation excessive et l’emploi illicite d’armes classiques.
La Russie a relevé que, depuis un an, la situation en matière de sécurité internationale et de stabilité stratégique, loin de s’arranger, continue de se détériorer à un rythme « frustrant ». Sa représentante a expliqué cette tendance par le manque de volonté politique et diplomatique des Occidentaux qui refusent de régler les conflits interétatiques sur la base du respect mutuel des intérêts des parties et du principe de sécurité indivisible. Selon la Russie, dans un tel contexte causé par les États-Unis et leurs alliés, incapables de renoncer à leurs ambitions hégémoniques, toute perspective de règlement global et durable du conflit « autour de l’Ukraine » est bloquée.
La déléguée a aussi vu dans le budget militaire total des pays de l’OTAN, qui représente cette année encore la moitié des dépenses mondiales en la matière, la preuve que l’Occident cherche à s’assurer une supériorité militaire incontestée. À ce sujet, elle a également pointé du doigt le déploiement de systèmes américains de missiles en Europe et dans la région Asie/Pacifique, « ce qui pourrait nécessiter des contre-mesures de la part de la Russie ».
La représentante russe a affirmé que toutes les initiatives de désarmement se heurtent à ces réalités politico-militaires et stratégiques dictées par le camp occidental. Elle a ainsi estimé que les efforts menés pour accélérer les processus de désarmement nucléaire « sans tenir compte du principe fondamental de la sécurité non diminuée pour tous » sont voués à l’échec.
Face aux perturbations occidentales qui affectent le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), la Russie considère qu’assurer la pérennité du Traité doit être une priorité pour maintenir la stabilité mondiale.
Concernant les autres armes de destruction massive, la déléguée a jugé inacceptable la politisation proaméricaine de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), et elle a appelé le Secrétariat de la Convention sur les armes biologiques à répondre aux questions qu’a posées la Russie sur les activités préoccupantes que mènent conjointement les États-Unis et l’Ukraine sur le territoire ukrainien dans le domaine biologique.
Enfin, après avoir demandé aux délégations de la Commission de soutenir ses projets de résolution sur la prévention de la militarisation de l’espace, la Russie a exigé des États-Unis que soient délivrés « sans délais » les visas demandés pour chacun des membres de sa délégation. Faute de quoi, a dit la représentante, la Première Commission ne pourra pas fonctionner normalement.
L’Ukraine, qui s’est exprimée juste après la Russie, a donné sa version des faits, sans manquer d’abord de condamner la rhétorique nucléaire « irresponsable » de la partie russe au cours de sa guerre d’agression contre elle. L’annonce par la Russie d’une révision de sa doctrine nucléaire, de retraits éventuels des traités de contrôle des armements et de non-prolifération les plus importants, ainsi que son occupation de la centrale nucléaire de Zaporizhzhia, constituent de graves menaces pour la sûreté et la sécurité nucléaires de l’Ukraine, a poursuivi la représentante. Elle a affirmé que, selon les services de renseignement ukrainiens, la Russie prévoit des attaques contre ses centrales nucléaires et leurs infrastructures, dans le but de les déconnecter du réseau électrique.
Aussi l’Ukraine appelle-t-elle les États Membres à faire pression sur la Russie pour qu’elle tienne compte des résolutions de l’ONU mais aussi du Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Elle a de plus demandé aux États Membres de renforcer la pression sur Moscou, Pyongyang et Téhéran, afin qu’il soit mis fin au flux illégal d’armes de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) vers la Russie et à la coopération militaire irano-russe qui affectent son pays.
Pour ce qui est des autres armes de destruction massive que les armes nucléaires, l’Ukraine a réagi aux propos de la Russie en se contentant de réitérer ses propres accusations, à savoir que Moscou a déjà utilisé des armes chimiques contre des opposants politiques, dont Alexeï Navalny, et fourni une assistance militaire à la Syrie. « Nous appelons les États Membres à condamner le non-respect de la Convention sur les armes chimiques par la Russie », a poursuivi la représentante ukrainienne.
La représentante a aussi tenu à souligner, qu’à ce jour, près d’un tiers du territoire ukrainien est pollué par des mines et des restes explosifs de guerre. Le déminage humanitaire est donc l’une priorités les plus urgentes pour mon pays, a-t-elle insisté, se disant convaincue de l’utilité de la conférence sur la lutte antimines en Ukraine qui sera organisée, par la Suisse et l’Ukraine, à Lausanne les 17 et 18 octobre 2024.
Après ces allocutions tendues, la France, qui a considéré que des perspectives de progrès se dégagent en vue de la Conférence d’examen de 2026 du TNP, notamment en matière de transparence, a assuré qu’elle reste pleinement mobilisée pour trouver une solution diplomatique aux crises de prolifération nucléaire. Ainsi l’Iran, dont le programme nucléaire est désormais dépourvu de justification civile crédible, doit coopérer pleinement et de bonne foi avec l’AIEA, tandis que la RPDC doit abandonner immédiatement tous ses programmes proliférants de manière complète, vérifiable et irréversible, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité et à ses engagements internationaux.
Dans le domaine spatial, la déléguée française a plaidé comme elle le fait depuis ces dernières années pour une prévention d’une course aux armements dans l’espace sous tous ses aspects, y compris par l’élaboration de normes, règles et principes de comportement responsable. Cette approche par les comportements devant être incluse dans le mandat d’un éventuel groupe de travail fusionné, la France présentera en ce sens un projet de résolution.
Sur l’espace, l’Inde, qui a rappelé son soutien à la négociation d’un instrument juridiquement contraignant sur la prévention d’une course aux armements dans l’espace, s’est, elle aussi, dite favorable à l’approche « responsable » préconisée par la France.
L’inde, confrontée à la menace terroriste, a fait part de ses préoccupations quant à l’intensification, y compris sur le plan régional, du trafic illicite d’armes légères et de petit calibre (ALPC). À ce titre, le représentant indien a salué le document final adopté en juin dernier par consensus à la Quatrième Conférence d'examen sur les armes légères.
L’Arménie, pour sa part, a accusé l’Azerbaïdjan d’avoir foulé au pied le Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe lors de ses coups de force au Haut-Karabakh, que le représentant a qualifiés d’attaques armées contre la souveraineté et l’intégrité territoriales de l’Arménie. À cette aune, il a préconisé la mise en place de mécanismes robustes de maîtrise des armements, « sans lesquels les agresseurs s’enhardissent ».
La Norvège a souligné l’importance d’améliorer les dispositifs de vérification du désarmement nucléaire, se félicitant de l’adoption consensuelle de rapports au sein de deux Groupes d’experts gouvernementaux dédiés à la question, en 2019 et 2023. Ce pays et le Brésil présenteront un nouveau projet de résolution qui s’inscrit dans la continuité de ce travail, le texte proposant la mise en place d’un groupe d’experts chargés de réfléchir à des mesures innovantes de vérification.
Enfin, le Népal a appelé les États Membres à soutenir les Centres régionaux des Nations Unies pour la paix, le désarmement et le développement, qui, à l’instar de celui situé à Katmandou, apportent aux pays qui en font la demande une contribution technique précieuse dans la mise en œuvre des mesures de désarmement et sont un outil efficace de sensibilisation aux enjeux de la coopération pacifique. La délégation népalaise présentera cette année encore un projet de résolution sur ces centres.
En fin de séance, plusieurs pays ont exercé leur droit de réponse. Les États-Unis ont réagi face à plusieurs allégations russes à leur encontre. Israël a répondu aux allégations de certaines délégations sur la situation à Gaza et les accusations d’attaques délibérées contre la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL). La RPDC a contesté les critiques de son programme nucléaire. La Syrie a rejeté les accusations de la France concernant son emploi présumé d’armes chimiques. L’Iran a contesté l’emploi du qualificatif de « terroriste » par Israël et plusieurs pays occidentaux pour désigner certains groupes actifs au Moyen-Orient. La Mauritanie, au nom du Groupe arabe, ainsi que la Jordanie, a réagi vivement au droit de réponse israélien.
La Première Commission se réunira demain, mercredi 16 octobre, à 10 heures, afin d’achever son débat général.