Soixante-dix-huitième session,
72e & 73e séances – matin & après-midi
AG/12594

L’Assemblée générale se divise autour des activités et du financement de deux de ses organes subsidiaires relatifs aux violations graves commises en Syrie

En cette époque bien sombre, une focalisation claire, impartiale et persistante sur la notion de responsabilité ne peut avoir qu’un impact positif, a assuré, ce matin devant l’Assemblée générale, la Cheffe du Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en République arabe syrienne depuis mars 2011.  Mme Catherine Marchi-Uhel, dont c’était la dernière intervention en cette qualité, était venue présenter aux États Membres le dixième rapport annuel de cet organe subsidiaire de l’Assemblée, dont les conclusions ont été âprement discutées par une trentaine d’entre eux.  Après quoi les rapports de sa Cinquième Commission relatifs à sa reprise de session de mars dernier ont été adoptés, dont l’un portait sur le financement de l’Institution indépendante chargée de la question des personnes disparues sur le territoire syrien. 

« La justice prend du temps.  Mais l’heure est venue, comme l’illustrent un certain nombre de procédures en cours », a déclaré la Sous-Secrétaire générale Marchi-Uhel, pour qui, plus qu’un « simple verdict », la justice est avant tout un processus multipartite et transparent, à partir duquel des leçons peuvent être tirées et des existences fracturées reconstruites, « pièce par pièce ».  C’est là l’essence même de l’approche axée sur les droits des victimes/personnes rescapées privilégiée par le Mécanisme, a expliqué la haute fonctionnaire. 

« Au cours d’une période marquée par de nombreuses urgences régionales ainsi que par une situation financière de plus en plus délicate, le Mécanisme a continué de jouer son rôle unique de facilitateur de la justice dans l’écosystème de la responsabilité pour les crimes internationaux commis en République arabe syrienne », se félicite le rapport, qui fait état d’un nombre sans précédent de sollicitations de la part des juridictions compétentes à l’appui de leurs enquêtes et poursuites relatives à ces crimes. 

À ce jour, a précisé sa Cheffe, le Mécanisme a déjà reçu 367 demandes d’assistance émanant de 16 juridictions, concernant 271 enquêtes distinctes sur les principaux crimes internationaux commis en Syrie, dont 254 font ou ont déjà fait l’objet d’un soutien.  Des chiffres qui continuent d’augmenter rapidement et depuis le début de l’année 2024, avec une nouvelle accélération du nombre de demandes, a-t-elle relevé. 

Au nombre des contributions concrètes mentionnées par Mme Marchi-Uhel, figure l’enquête qui aboutira à la tenue du procès, le 21 mai prochain à Paris, de trois hauts responsables des services de renseignement syriens, jugés par contumace pour complicité de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre dans la disparition et la mort de deux binationaux franco-syriens.  Une perspective dont s’est réjouie la représentante de la France, qui a rappelé que son pays est lié au Mécanisme par une convention de coopération judiciaire internationale, 38 enquêtes bénéficiant à ce titre de son expertise. 

Mais c’est en Allemagne que le plus grand nombre de procès ont eu lieu et de condamnations ont été prononcées au cours des années précédentes, s’est enorgueillie la Cheffe du Mécanisme.  « L’un des exemples où il a démontré un impact tangible est l’arrestation d’un ressortissant syrien accusé d’actes de torture et d’esclavage par le parquet fédéral allemand en août 2023 », s’est félicitée la délégation allemande.  Le Mécanisme a soutenu l’enquête en fournissant des éléments de preuve cruciaux, qui ont permis d’ajouter le chef de culpabilité de crimes de guerre au dossier de l’accusation.  Ses enquêtes ont en outre permis de découvrir des crimes commis à Damas en 2013 et 2014, aboutissant à l’inculpation de deux ressortissants syriens, a-t-elle ajouté. 

Si la justice prend du temps, elle exige aussi des ressources adéquates et durables, a plaidé la Cheffe du Mécanisme, lequel « opère dans un environnement financier de plus en plus difficile ».  Au-delà de la crise de liquidités qui grippe l’ONU à tous les niveaux, et empêche comme ailleurs le Mécanisme de pourvoir les postes clefs vacants, son budget ordinaire existant est insuffisant pour répondre à la demande croissante de la part des juridictions compétentes, mais aussi maintenir la portée de son « enquête structurelle », dont les axes stratégiques s’étendent désormais aux thèmes du genre, des enfants et des jeunes, ce qui implique de vastes consultations avec la société civile. 

« Afin de soutenir cette croissance impressionnante, cette Assemblée devrait d’urgence envisager de renforcer les ressources financières du Mécanisme afin qu’il puisse maintenir sa capacité en personnels et l’expertise qu’il possède », a préconisé Mme Marchi-Uhel.  Plusieurs États membres de l’Union européenne, des Pays-Bas à la Belgique, en passant par la Lettonie, la Slovaquie et la République tchèque, ainsi que la délégation européenne elle-même, ont relayé cet appel, alors que débute, la semaine prochaine, la huitième Conférence de Bruxelles sur l’aide à la Syrie et aux pays de la région, organisée sous l’égide de l’UE. 

La République arabe syrienne a dénoncé, dans le cadre d’un droit de réponse, les « falsifications systématiques » des Occidentaux et les « mesures coercitives imposées au peuple syrien ».  Pour lui, l’Assemblée a été contrainte en 2016 de mettre aux voix la résolution qui a porté création du Mécanisme, qui ne sert selon elle que « des objectifs politiques spécifiques ».  La Fédération de Russie n’a pas dit autre chose, assurant que cet organe avait été créé en violation flagrante du droit international par l’« Occident collectif », puisque seul le Conseil de sécurité selon elle avait autorité pour le faire.  Une manœuvre dont l’hypocrisie rejaillit d’autant plus pour la délégation russe au regard du comportement de cette même alliance de pays face au bain de sang à Gaza, un deux poids, deux mesures également décrié par la République islamique d’Iran. 

Pour la Russie, comme pour Cuba, dans un contexte de pénurie aiguë de ressources qui conduisent à l’annulation ou au report de nombreux événements importants, y compris dans le domaine du développement durable, « pas un centime du budget de l’ONU » ne devrait être consacré au financement de ce mécanisme, qui continue pourtant de « siphonner » 17 millions de dollars par an.  Des fonds qui seraient bien mieux utilisés en réponse à des problèmes humanitaires plus urgents en Syrie, tels que la facilitation du retour des réfugiés, les activités de relèvement rapide, le déminage et la fourniture d’une aide d’urgence. 

Le Qatar, « l’un des principaux bailleurs de fonds du Mécanisme » avec 2,3 millions de dollars versés jusqu’à présent au titre des contributions volontaires, a au contraire considéré que davantage de ressources devaient être allouées à cet organe pour lui permettre de s’acquitter de son mandat, en particulier au regard de sa charge de travail exponentielle. La Türkiye, coauteure de la résolution de l’Assemblée générale ayant porté création du Mécanisme en 2016, a également appuyé ses activités, y compris celles relatives aux crimes commis en Syrie par l’État islamique. 

L’Assemblée générale s’est ensuite prononcée sur les recommandations de sa Commission chargée des questions administratives et budgétaires. 

Tout comme à la « Cinquième » le 28 mars dernier, la Syrie a présenté un amendement oral visant à ce que l’Assemblée « décide de ne pas approuver, pour 2024, la somme de 2,4 millions de dollars pour l’Institution indépendante chargée de la question des personnes disparues sur son territoire ».  Après son rejet par 73 voix contre, 12 voix pour et 43 abstentions, l’Assemblée a adopté la résolution* par 80 voix pour, 12 voix contre et 37 abstentions.  La Fédération de Russie s’est dissociée du texte, suivie par l’Iran, le Nicaragua et la République démocratique populaire de Corée (RPDC). 

L’Assemblée générale a par ailleurs aujourd’hui décidé** de créer une commission ayant pour tâche de préparer l’entrée en vigueur de l’Accord se rapportant à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (« BBNJ ») et de procéder aux préparatifs de la première réunion de la Conférence des Parties à l’Accord, à l’issue de laquelle elle cessera d’exister. Une enveloppe de 79 600 dollars a été approuvée*** en 2024 pour les réunions de cette commission préparatoire, sur recommandation de la Cinquième Commission. 

Une mise aux voix a été nécessaire pour adopter cette résolution, approuvée par 164 voix pour, 2 voix contre (Russie et Syrie), et 2 abstentions (Angola et Togo).  Considérant que ce texte aux « avis politiques superflus » créait un « précédent négatif », la Fédération de Russie avait auparavant proposé des projets d’amendement**** qui n’ont pas été retenus par l’Assemblée générale.  Le premier a recueilli 5 voix pour (Bélarus, Congo, Nicaragua, République arabe syrienne et Russie), 120 voix contre, et 32 abstentions; le second 6 voix pour (Algérie, Bélarus, Iran, Nicaragua, Russie et Syrie), 116 voix contre, et 34 abstentions. 

Singapour, qui avait présenté le texte de la résolution portant création de cette commission préparatoire, a estimé que ces projets d’amendement, dont l’un prévoyait la suppression de trois paragraphes du dispositif, ne visaient qu’à appauvrir son libellé.  La Belgique, au nom de l’Union européenne, a abondé en ce sens, de même que Vanuatu, pour les petits États insulaires en développement du Pacifique, et le Samoa les a jugés « inacceptables » au nom de l’Alliance des petits États insulaires.  Le Nicaragua a regretté que la résolution n’ait pu être adoptée par consensus, contrairement au BBNJ, tandis que l’Ouganda, au nom du G77 et de la Chine, s’est réjoui de l’adoption du texte.  Enfin, Belize, au nom de la CARICOM, a confirmé son soutien total à l’Accord, qui constitue une « lueur d’espoir » pour parvenir à une utilisation juste et équitable des océans pour tous les États Membres. 

L’Assemblée générale a enfin décidé* que le Comité spécial chargé d’élaborer une convention internationale générale sur la lutte contre l’utilisation des technologies de l’information et des communications à des fins criminelles tiendra à New York, « le plus tôt possible » pour qu’il puisse s’acquitter de son mandat, une reprise de la session de clôture d’une durée maximale de 10 jours.  Sur recommandation de la Cinquième Commission, les réunions du Comité spécial se sont vu allouer****** la somme de 818 500 dollars pour 2024. 

* A/78/662/Add.1
** A/78/L.41
*** A/78/827
**** A/78/L.43 et A/78/L.44
***** A/78/L.46
****** A/78/828

(En raison de la crise de liquidités qui affecte l’Organisation des Nations Unies, la Section des communiqués de presse est contrainte de modifier le format de la couverture des réunions.)

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.