Après le veto chinois et russe du 22 mars au Conseil de sécurité, l’Assemblée générale se déchire autour des responsabilités de l’impasse actuelle à Gaza
En vertu du mandat que lui confère la résolution 76/262 d’avril 2022, l’Assemblée générale a tenu, aujourd’hui, une séance consécutive à l’exercice du droit de veto par la Chine et la Fédération de Russie, le 22 mars dernier au Conseil de sécurité, contre un projet de résolution soumis par les États-Unis et relatif à l’établissement d’un cessez-le-feu à Gaza. Si les délégations chinoise et russe ont défendu –pour des raisons sensiblement différentes- leur rejet de ce texte, elles ont aussi invité les États Membres à soutenir la nouvelle demande d’adhésion à l’ONU déposée par l’État observateur de Palestine, une perspective appuyée par un grand nombre de pays mais dénoncée avec véhémence par Israël.
Pour rappel, le texte présenté le 22 mars par les États-Unis avait recueilli 11 voix pour, 3 voix contre (Algérie, Chine et Fédération de Russie) et une abstention (Guyana). Par ce projet de résolution, le Conseil aurait « considéré qu’il est impératif d’établir un cessez-le-feu immédiat et durable » dans la bande de Gaza, et aurait « appuyé sans réserve l’action diplomatique internationale qui est menée pour parvenir à ce cessez-le-feu dans le cadre de la libération de tous les otages restants ».
Constatant un approfondissement des divisions entre les membres du Conseil, le Président de l’Assemblée générale s’est néanmoins réjoui de l’adoption, trois jours après le double veto du 22 mars, de la résolution 2728 (2024), qui appelle à un cessez-le-feu immédiat à Gaza pendant le mois du ramadan, en vue d’un cessez-le-feu durable. Mais, alors que ce mois sacré doit prendre fin demain, « la population palestinienne continuera de prier sous les décombres des mosquées détruites », a déploré M. Dennis Francis, avant d’exhorter le Conseil à faire respecter ses résolutions pour parvenir à un cessez-le-feu effectif, à la libération des otages et à l’acheminement sans entrave de l’aide humanitaire.
En défense de son recours au veto le 22 mars, la Fédération de Russie a estimé que la décision chinoise et russe a empêché l’adoption d’un texte qui « non seulement ne visait pas à mettre fin aux hostilités à Gaza, mais donnait carte blanche à Israël pour poursuivre ses actions inhumaines dans l’enclave ». Le projet de résolution des États-Unis ne contenait pas d’exigence directe ni même d’appel au cessez-le-feu, mais délivrait en réalité « une autorisation de tuer davantage de Palestiniens », a-t-elle argumenté. Ce faisant, le texte laissait à Israël la possibilité de mener de futures opérations à condition que les dommages causés aux civils soient minimisés, ce qui, selon la Russie, est « particulièrement cynique » au vu du nombre effroyable de victimes civiles depuis le début du conflit et dans le contexte d’un possible assaut sur Rafah.
Pour la délégation russe, le double veto du 22 mars était d’autant plus justifié qu’il a permis l’adoption le 25 mars de la résolution 2728 (2024) initiée par les 10 membres élus du Conseil. Elle s’est néanmoins alarmée du fait que, confrontés aux vives critiques d’Israël, les États-Unis aient immédiatement qualifié cette résolution de « non contraignante », ce qui pourrait « fournir à Jérusalem-Ouest une échappatoire pour poursuivre ses opérations à Gaza ». Dénonçant cette « ligne irresponsable », elle a sommé le Conseil de faire appliquer ses décisions et a rappelé qu’il « dispose de tous les outils, y compris des sanctions, pour exercer la coercition si la situation l’exige ».
De son côté, la Chine a dit avoir voté contre le texte proposé par les États-Unis pour tenir compte du mécontentement exprimé à l’égard de ce projet par les pays arabes. Par ce texte, les États-Unis posaient des conditions préalables à un cessez-le-feu, a-t-elle relevé, estimant que son adoption aurait encouragé la poursuite des massacres à Gaza, au mépris du droit international humanitaire. Selon la délégation, c’est grâce au veto mis lors de cette séance que les États-Unis sont « revenus à la raison » et n’ont pas bloqué le texte présenté par la suite par les 10 membres non permanents du Conseil. Elle a toutefois regretté à son tour que les États-Unis aient mis en doute le caractère contraignant de la résolution 2728 (2024), après avoir rappelé que ce membre permanent du Conseil avait posé son veto à quatre reprises contre des textes demandant un cessez-le-feu immédiat à Gaza.
« Nous avons présenté notre projet de résolution de bonne foi, après avoir consulté tous les membres du Conseil et modifié le texte à plusieurs reprises », se sont défendus les États-Unis. En mettant leur veto, la Chine et la Fédération de Russie ont choisi de nous attaquer plutôt que d’appuyer la diplomatie, ont-ils déploré, rappelant qu’alors que la crise humanitaire s’aggrave à Gaza, ils font tout leur possible pour faciliter l’acheminement de l’aide, tout en poursuivant, aux côtés de l’Égypte et du Qatar, des négociations destinées à permettre la libération des otages. Le projet de texte rendu caduc par le veto chinois et russe visait à renforcer le mandat de la Coordonnatrice de l’action humanitaire et de la reconstruction à Gaza Sigrid Kaag, appelait à consolider le processus de déconfliction et exprimait son soutien à l’Autorité palestinienne pour qu’elle dirige la Cisjordanie et Gaza après le conflit, a souligné la délégation, en dénonçant les « jeux politiques » de Moscou et Beijing. Elle a enfin assuré que les États-Unis continueront de faire pression sur Israël pour qu’il prenne des mesures « concrètes et mesurables » afin d’éviter tout préjudice aux civils et aux humanitaires, et insisteront sur la mise en œuvre de toutes les résolutions du Conseil.
À la faveur de ce débat, les représentants russe et chinois ont appelé les États Membres à soutenir l’initiative de la partie palestinienne visant à reprendre l’examen de la demande d’adhésion à part entière de l’État de Palestine à l’ONU. Ils ont été rejoints par un grand nombre de délégations, à commencer par l’État de Palestine lui-même et l’Arabie saoudite, qui, au nom du Groupe des États arabes, a jugé que cette adhésion serait un jalon essentiel dans la recherche d’un règlement final et la mise en œuvre de la solution des deux États. L’Afrique du Sud, l’Algérie, le Chili, l’Égypte, la Malaisie, le Maroc, le Qatar ou encore le Venezuela, au nom du Groupe des Amis pour la défense de la Charte des Nations Unies, leur ont emboîté le pas, ce dernier exhortant le Conseil à examiner positivement cette demande en attente depuis septembre 2011. Pour sa part, le Canada, qui s’exprimait au nom du groupe CANZ (Canada, Australie et Nouvelle-Zélande), a dit soutenir l’aspiration palestinienne à l’autodétermination.
Israël s’est catégoriquement opposé à l’admission de l’État de Palestine, avertissant le Conseil de sécurité que donner son aval à un tel projet d’adhésion ferait de lui le « Conseil de la terreur ». « Après le 11 septembre 2001, aurait-on pu envisager qu’Al-Qaida devienne membre de l’ONU? » a interrogé son représentant, pour qui l’Autorité palestinienne, à l’instar du Hamas, est une « entité éprise de génocide » dont le seul objectif est d’annihiler les Juifs et de faire disparaître l’État d’Israël. Après avoir brandi une photo du Grand Mufti de Jérusalem reçu par Hitler en 1941, il a affirmé que « les racines du conflit sont demeurées inchangées ». « Ce n’est pas un conflit politique pour obtenir des terres mais un conflit qui vise à détruire Israël. » Pour le délégué israélien, un accord ne peut être trouvé qu’à la table des négociations, sans être forcé unilatéralement, comme cela a été le cas avec l’Égypte et la Jordanie, puis plus récemment avec les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc. Hélas, a-t-il ajouté, l’ONU encourage la création d’un « État terroriste » et ne veut même pas condamner les agissements du Hamas ou organiser une réunion sur le sort réservé aux otages. Pendant ce temps, le Hamas et le « régime de Téhéran » continuent leurs actions contre Israël, a fulminé le délégué.
Si la France a, elle aussi, jugé inacceptable que l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité n’aient pas encore pu condamner les actes terroristes du Hamas du 7 octobre dernier, nombre de délégations ont mis l’accent sur l’impunité dont continue de jouir Israël, qui, de l’avis de l’Égypte, « se croit au-dessus du droit international ». La Puissance occupante devrait être contrainte de mettre en œuvre les résolutions du Conseil et d’ouvrir tous les points de passage frontaliers pour garantir l’acheminement sans entrave de l’aide humanitaire vers Gaza, a-t-elle plaidé, rejointe sur ce point par le Costa Rica et la Norvège, tandis que la République islamique d’Iran appelait à « punir » Israël pour ses crimes.
Dans l’hypothèse où un État refuserait de mettre en œuvre la résolution 2728 (2024), des mesures devraient être prises à son encontre, a appuyé le Bangladesh, non sans rappeler qu’il a été l’un des cinq États Membres à porter la situation dans les territoires palestiniens occupés devant la Cour pénale internationale (CPI) en novembre 2023. La délégation a appelé le Procureur de la CPI à accélérer le processus d’enquête, en particulier dans le contexte des atrocités en cours à Gaza.
Outre les résolutions du Conseil, Israël doit aussi respecter les mesures conservatoires découlant des ordonnances de la Cour internationale de Justice (CIJ) du 26 janvier et du 28 mars derniers, ont soutenu le Chili, Malte, le Portugal, le Sénégal et l’Union européenne. L’Égypte a quant à elle rappelé qu’une résolution du Conseil des droits de l’homme demande clairement l’interdiction d’exportation d’armes vers Israël, reprenant à son compte l’appel lancé à ce sujet par l’État de Palestine et appuyé par la République populaire démocratique de Corée (RPDC).
Enfin, tout en interrogeant l’influence néfaste du droit de veto –« instrument illégitime d’un autre temps » selon le Sénégal, « prérogative antidémocratique » pour la Colombie- sur la responsabilité du Conseil de sécurité s’agissant du maintien de la paix et de la sécurité internationales, une majorité de délégations ont réaffirmé leur foi dans la solution des deux États. « Un horizon politique doit être mis en place », a résumé le Japon. Mais pour ces mêmes pays, parmi lesquels le Luxembourg et la Thaïlande, il importe, dans l’immédiat, que la résolution 2728 (2024) soit dûment mise en œuvre et qu’Israël renonce à son offensive sur Rafah.
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