SG/SM/21691

« Agissons pour l’Afrique », lance le Secrétaire général au Sommet de l’Union africaine, pour que le XXIe siècle soit celui du continent

On trouvera, ci-après, le discours du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcé à l’occasion du Sommet de l’Union africaine consacré au thème « Une Afrique intégrée, prospère et pacifique », à Addis-Abeba, aujourd’hui:

Permettez-moi d’emblée de rendre hommage au leadership du Président Macky Sall qui a assuré la présidence au cours de l’année dernière.  Monsieur le Président Assoumani, nous nous réjouissons de travailler avec vous en tant que nouveau Président.  Et je tiens à vous féliciter toutes et tous de vous être unis autour du thème « Une Afrique intégrée, prospère et pacifique ».

L’Union africaine prend des mesures inspirantes pour contribuer à réaliser l’énorme potentiel de ce grand continent.  L’Afrique est sur la voie du progrès.  L’Agenda 2063.  La Décennie de l’inclusion financière et économique des femmes.  L’abondance de ses ressources naturelles.  Et son plus grand avantage: sa population, qui forme un large éventail de cultures et de langues.

En particulier, je me réjouis de l’importance accordée à la création d’emplois et à l’énorme potentiel de la Zone de libre-échange continentale africaine.  Celle-ci représente une voie véritablement transformatrice vers la création d’emplois et de nouvelles sources de prospérité pour les Africains. 

J’applaudis les progrès passionnants qui ont été réalisés jusqu’à présent, ainsi que l’engagement du président Issoufou en tant que champion de cet effort important.  L’ONU est fière d’être votre partenaire et de collaborer avec vous.  Les liens qui unissent l’Union africaine et l’ONU sont plus forts que jamais.

Mais j’ai aussi pleinement conscience des épreuves de taille auxquelles l’Afrique –et même notre monde– se heurte sur pratiquement tous les fronts.  J’ai récemment pris la parole devant l’Assemblée générale des Nations Unies pour évoquer les crises multiples et interdépendantes que notre monde traverse, des crises dont la gravité est sans précédent.

À bien des égards, ce sont les populations africaines qui en portent le plus lourd fardeau.  Un système financier mondial dysfonctionnel et injuste qui abandonne à leur sort les pays en développement au moment où ils en ont le plus besoin.  Les profondes inégalités dans la disponibilité des ressources pour le relèvement suite à la pandémie.  La flambée du coût de la vie – exacerbée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie.  Le chaos climatique –auquel les populations de l’Afrique n’ont guère contribué– qui provoque des inondations et des sécheresses mortelles, mettant en péril des communautés et des vies et déplaçant des millions de personnes.  Et des menaces pour la paix et la sécurité qui servent souvent des intérêts –et des profits– bien au-delà des frontières du continent.

Dans tous les cas, le message est clair.  L’Afrique a besoin d’action.  Premièrement, l’Afrique a besoin d’action économique.  L’Afrique regorge de potentiel.  Mais elle manque d’appui global.  Il lui faut des moyens financiers pour investir dans les chemins de la prospérité.  Et les pays en développement sont sans cesse laissés pour compte.  Le système financier mondial leur refuse régulièrement l’allégement de la dette et de l’octroi de financements concessionnels, tout en appliquant des taux d’intérêt exorbitants.  En conséquence, des systèmes essentiels sont privés d’investissements, qu’il s’agisse de santé, d’éducation, de technologies vertes, de protection sociale ou de création d’emplois nouveaux et durables. 

De même, les femmes et les filles ne reçoivent toujours pas l’appui et les investissements dont elles ont besoin, que ce soit en classe, sur le lieu de travail, dans la société civile ou dans les systèmes politiques.  Les pays africains ne peuvent investir dans ces domaines clefs et gravir l’échelle du développement avec une main liée dans le dos.

J’appelle de mes vœux un nouveau Bretton Woods pour opérer une refonte de l’architecture financière mondiale.  Les besoins des pays en développement doivent être le cœur battant du système, c’est-à-dire que chaque décision, mécanisme et processus doit être basée sur leurs besoins.  Ces pays doivent pouvoir se faire entendre davantage dans les institutions mondiales, y compris les institutions financières.  Le Conseil de sécurité, le système de Bretton Woods sont des exemples d’institutions où l’Afrique est dramatiquement sous-représentée.

Il nous faut une nouvelle architecture de la dette qui propose un allégement et une restructuration aux pays vulnérables –y compris les pays à revenu intermédiaire– tout en offrant une suspension immédiate de la dette et des décotes aux pays dans le besoin.  Les banques multilatérales de développement doivent transformer leur modèle économique et accepter une nouvelle approche du risque, notamment en utilisant massivement leurs fonds pour attirer des flux de capitaux privés plus importants dans vos pays.  Cela suppose d’augmenter les garanties et d’adopter des positions de première perte dans les coalitions d’institutions financières pour soutenir les pays en développement, particulièrement en Afrique.

Je continuerai également d’insister auprès des dirigeants du G20 pour qu’ils adoptent un plan de relance des objectifs de développement durable à l’appui des pays du Sud.  Le Sommet sur les objectifs de développement durable qui se tiendra en septembre doit être un moment décisif pour apporter un soutien aux pays en développement et réformer un système financier mondial défaillant.  Je resterai à vos côtés dans ce combat.

Deuxièmement, l’Afrique a besoin d’une action climatique.  Chaque inondation, chaque sécheresse, chaque famine et chaque vague de chaleur subies sur ce continent révèlent au grand jour l’injustice cruelle des changements climatiques.  En effet, les pays les moins responsables de cette crise en ressentent les effets les plus dévastateurs.  D’ailleurs, plusieurs pays d’Afrique jouent un rôle de premier plan en matière d’action climatique.  En témoignent notamment la stratégie du Kenya en faveur d’une économie verte, les efforts déployés pour protéger les forêts tropicales du Congo, le partenariat pour une transition énergétique juste de l’Afrique du Sud et l’ambitieux Plan d’action de l’Union africaine pour la relance verte.  Je suis encouragé par le rôle de premier plan joué par les petits États insulaires africains, qui se font les champions de l’initiative de la Grande Muraille bleue.

Cela est clair, le monde doit se décarboniser.  Toutefois, nous devons veiller à ce que la transition vers les énergies renouvelables soit juste, spécialement en Afrique, où les obstacles auxquels le continent se heurte en matière d’accès à l’énergie et de développement doivent être surmontés.  Il faudrait pour ce faire élargir l’accès aux composants, aux matières premières et à des technologies telles que les systèmes de stockage d’énergie par batterie.  L’initiative régionale visant à développer la chaîne de valeur des batteries électriques organisée par la République démocratique du Congo et la Zambie est un bon exemple du type d’effort requis pour trouver des solutions.

Tous ces efforts doivent s’accompagner d’un soutien massif de la part des pays développés.  Ces pays doivent tenir les engagements qu’ils ont pris: allouer 100 milliards de dollars aux pays en développement; ils doivent mettre sur pied le fonds pour les pertes et les préjudices, dont la création a été convenue à la dernière Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques à Charm el Cheikh; ils doivent multiplier par deux le financement de l’adaptation. 

Ils doivent réalimenter le Fonds vert pour le climat, et lancer des plans d’action visant à étendre les systèmes d’alerte rapide de sorte que chaque personne sur terre soit protégée d’ici cinq ans, y compris les 6 Africains sur 10 qui n’y ont pas encore accès.  En septembre, avant la COP28 prévue en décembre, je convoquerai un Sommet sur l’ambition climatique, qui sera l’occasion pour les gouvernements, les entreprises et la société civile de démontrer leur volonté d’éliminer les émissions nettes.

Et troisièmement, l’Afrique a besoin d’action pour la paix.  L’ONU est fière d’être un partenaire de paix en Afrique.  Qu’il s’agisse de nos forces hybrides et programmes conjoints; du renforcement des processus électoraux et des transferts pacifiques de pouvoir; de nos efforts de maintien et de consolidation de la paix; ou encore de nos initiatives conjointes visant à mettre fin au terrorisme à travers le continent.

Mais notre travail devient chaque année plus complexe.  Le terrorisme et l’insécurité s’aggravent et les conflits sont plus nombreux.  Je suis profondément préoccupé par la montée de la violence des groupes armés observée récemment dans l’est de la République démocratique du Congo et par la progression des groupes terroristes au Sahel et ailleurs.  Je souscris à l’appel que vous avez lancé en faveur du rétablissement de gouvernements civils et démocratiquement élus au Burkina Faso, en Guinée, au Mali et au Soudan.

Nous savons que la paix est possible.  L’accord de cessez-le-feu conclu ici en Éthiopie sous l’égide de l’Union africaine -et je félicite le Premier Ministre Abiy Ahmed pour le succès du processus- le cessez-le-feu instauré en Libye et les accords de paix au Soudan du Sud et en République centrafricaine, ainsi que les avancées observées en Somalie, sont autant de nouvelles porteuses d’espoir.  Nous devons continuer à lutter pour la paix.  Néanmoins, pour parler sans détour, les mécanismes de paix vacillent.  Le système n’est pas aussi souple et efficace qu’il devrait l’être.

Le Nouvel Agenda pour la paix que nous proposons au sein des Nations Unies vise à donner un nouveau souffle au multilatéralisme et renforcer nos opérations de paix dans le monde.  Il est pensé selon une vision holistique – identifiant les causes profondes des conflits et empêchant les graines de la guerre de germer.  Il doit définir une approche globale de la prévention, qui fait le lien entre la paix, le développement durable, l’action climatique et les droits humains, et qui s’appuiera sur une participation plus large des femmes et des jeunes.  Et nous sommes déterminés à intensifier le travail que nous menons avec l’Union africaine pour promouvoir des structures de gouvernance démocratiques et ouvertes.  Nous continuerons à renforcer et à améliorer les opérations de maintien de la paix.

Mais, dans le même temps, et j’insiste sur ce point, nous appuyons sans réserve la création d’une nouvelle génération de missions robustes d’imposition de la paix et d’opérations de lutte contre le terrorisme, dirigées par l’Union africaine et dotées d’un mandat du Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII – ainsi que d’un financement garanti et prévisible, y compris par des contributions obligatoires.  Et nous devons continuer de renforcer notre collaboration sur des initiatives de paix majeures, comme nous l’avons fait avec le Groupe indépendant de haut niveau sur la sécurité et le développement au Sahel.  Je me réjouis d’œuvrer à vos côtés pour faire taire les armes et créer les conditions pour la paix – une paix indispensable aux 1,4 milliard de personnes vivant en Afrique.

Le XXIe siècle a tout pour être le siècle de l’Afrique.  Et l’ONU est déterminée à travailler avec chacun et chacune d’entre vous pour libérer cet énorme potentiel et surmonter les obstacles qui se dressent sur notre chemin.  Agissons pour l’Afrique.

À l’intention des organes d’information. Document non officiel.