Conférence des Nations Unies sur l’eau
Table ronde # 4 - après-midi
ENV/DEV/2056

Conférence sur l’eau: le quatrième dialogue interactif invoque la coopération transfrontalière et la diplomatie pour une utilisation équitable de l’eau

Seule une coopération transfrontalière étroite entre pays riverains peut assurer une gestion durable et équitable de l’eau, ont fait valoir, cet après-midi, les participants au quatrième dialogue interactif de la Conférence des Nations Unies sur l’eau.  Les délégations ont profité des discussions sur le thème « L’eau pour la coopération: coopération transfrontalière et internationale dans le domaine de l’eau, coopération intersectorielle, y compris la coopération scientifique, et place de l’eau dans le Programme 2030 » pour faire le point sur les instruments bilatéraux et multilatéraux mis en place afin d’assurer le dialogue, le partage des ressources et le renforcement des capacités nécessaires à une coopération transfrontalière réussie. 

Le Ministre de l’eau et de l’assainissement du Sénégal, M. Serigne Mbaye Thiam, a ouvert la séance en notant le « paradoxe » de l’eau, ressource « à la fois rare et abondante », inégalement répartie entre les États et les peuples.  Les changements climatiques, la démographie galopante et la consommation effrénée de l’agriculture et l’industrie risquent cependant de mener à des conflits liés à l’eau alors que plus du tiers des 270 fleuves et lacs transfrontaliers dans le monde ne disposent pas de cadres de coopération.  Le Ministre a appelé à l’établissement de tels cadres et à l’adoption d’instruments susceptibles de renforcer le rôle de « l’hydro-diplomatie » et des organismes de bassin dans la coopération transfrontalière et la prévention des crises.  C’est dans cette optique que le Sénégal a fait inscrire, en 2016, la thématique « eau, paix, sécurité » au programme du Conseil de sécurité.  Il fait également partie de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) et de l’Organisation de mise en valeur du fleuve Gambie (OMVG), dont les membres ont réalisé des infrastructures et des programmes communs de développement.  Il s’agit là, selon le Ministre, d’un exemple du potentiel de transformation structurelle de la coopération pour les populations qui dépendent des cours d’eau pour leur subsistance.  De même, la Déclaration de Dakar et le Plan d’action des bassins des fleuves, des lacs et des aquifères, lancés lors du neuvième Forum mondial de l’eau à Dakar, en 2022, proposent des mesures concrètes pour faire de l’eau un « trait d’union entre les peuples ».

Les eaux transfrontalières représentent en effet 60% des flux d’eau douce dans le monde, dont dépendent plus de trois milliards de personnes, a observé M. Christian Frutiger, Secrétaire d’État au Département fédéral des affaires étrangères de la Suisse.  « Dans ces zones frontières, l’eau est à la fois source de vie, et source de tensions », a-t-il relevé, en évoquant « l’un des défis géopolitiques majeurs de notre siècle ».  L’essor démographique et les risques climatiques font en sorte que les conflits liés à l’eau risquent de se multiplier, a-t-il prévenu, en ajoutant qu’une bonne gouvernance de cet « or bleu » peut atténuer ces risques.  Il a cité l’exemple de son pays, « château d’eau de l’Europe » qui partage six cours d’eau et quatre lacs avec ses voisins français, allemand, italien et autrichien.  Toutefois, a-t-il reconnu, le contexte géopolitique n’est pas toujours propice au dialogue entre les États.  Le Secrétaire d’État s’est dit convaincu que la coopération transfrontalière doit inclure la société civile et le secteur privé.

La coopération sur l’eau entre les pays, les secteurs et les communautés scientifiques est en effet fondamentale pour parvenir à la sécurité hydrique, en particulier dans les régions où l’eau se fait rare, a approuvé Mme Rola Dashti, Secrétaire exécutive de la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (CESAO).  La raréfaction de l’eau a une incidence sur la sécurité alimentaire et sur l’économie, mais elle menace aussi la santé, la paix, la sécurité et la stabilité, a-t-elle ajouté.  La diplomatie de l’eau et la coopération sont donc d’autant plus importantes.

M. Tran Hong Ha, Vice-Premier Ministre du Viet Nam, a rappelé que 60% des eaux du Viet Nam découlent d’eaux transfrontières, et que 40% de la population mondiale vit dans des bassins de ce type.  L’eau étant notre ciment commun, il faut considérer ces rivières comme des entités à part entière, en amont et en aval, de la source à la mer.  À cette fin, il a appelé à une gestion collective des différents bassins transfrontières et autres bassins versants.  « Nous pourrions nous inspirer à l’ONU du cadre de gouvernance en vigueur pour le bassin du Mékong », a-t-il proposé avant de souligner l’importance de mieux structurer les organisations et agences de l’eau et d’avoir des engagements financiers à la hauteur des défis.  « Les actions doivent viser en même temps le bien-être des populations et la protection des écosystèmes. »

Les progrès en matière de coopération dans le domaine de l’eau transfrontalière sont sur la mauvaise voie, a reconnu Mme Olga Algayerova, Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Europe (CEE), alors que seuls les bassins transfrontaliers de 24 pays font l’objet d’accords opérationnels.  Le manque de coopération sur les eaux partagées entrave la réalisation des objectifs de développement durable et engendre des risques de conflits.  Pour y remédier, la Secrétaire exécutive a invité les États Membres à tirer pleinement parti des instruments juridiques existants, en particulier des deux conventions mondiales des Nations Unies sur l’eau.  La Convention sur l’eau fournit selon elle un cadre juridique permettant de soutenir l’élaboration d’accords dans différents contextes, même si le manque de financement et de capacité de certains pays constitue un obstacle majeur à l’avancement de la coopération.  Les changements climatiques affectent gravement les bassins transfrontaliers, a-t-elle noté, en mettant en garde contre l’adoption de mesures d’adaptation unilatérales susceptibles d’accroitre les tensions. 

Le Secrétaire général de l’Organisation de développement du bassin du fleuve Gambie, M. Daouda Samba Sow, a expliqué que les programmes de développement portés par l’Organisation sont axés sur la gestion intégrée des ressources en eau et la préservation de l’environnement des bassins sous sa juridiction.  L’Organisation coordonne trois bassins transfrontaliers occupant des espaces distincts, et ses 44 ans de coopération non conflictuelle entre les États de l’Afrique de l’Ouest riverains qui en sont membres résument son importance politique ainsi qu’en termes de développement durable et de stabilité autour du fleuve Gambie, a souligné M. Sow.

Lors du dialogue interactif qui a suivi ces exposés, le Conseiller politique principal du Geneva Water Hub, Président du Club de Madrid et ancien Président de la Slovénie, M. Danilo Türk, a estimé que la mise en place de cadres juridiques est essentielle pour assurer la gouvernance et resserrer la coopération concernant les eaux transfrontières.  « La coopération dans le domaine de l’eau est un élément structurant de la paix », a-t-il assuré.

L’existence d’accords juridiques entre États partageant des bassins fluviaux et des aquifères transfrontaliers renforce la coopération en matière de planification et de gestion et permet de faire face à la pression démographique croissante sur l’eau, a considéré le Portugal, rejoint par le Bangladesh, ce qui contribue à la paix et à la stabilité régionales.

L’Égypte a toujours défendu le dialogue entre les neuf pays du bassin du Nil afin de gérer les ressources hydriques sur la base de l’avantage commun, a déclaré son représentant, avant de dénoncer les actions unilatérales prises par l’Éthiopie pour construire un barrage sur le fleuve, « au mépris du droit international ».  Le Mozambique, qui se trouve comme l’Égypte en aval du bassin de rivières, a expliqué demeurer dépendant des flux en amont et devoir adopter des politiques permettant d’assurer son développement.  Lorsque qu’un conflit éclate, le risque de voir cesser la coopération hydrique grimpe en flèche, a confirmé le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), d’où l’importance d’assurer l’accès à l’eau à tous les niveaux.  Dans un milieu fragmenté, l’eau peut cependant être un « ciment » permettant de protéger les ressources et les infrastructures hydriques tout en assurant le respect du droit international humanitaire.

Le monde n’est pas sur une bonne trajectoire pour mettre en œuvre une gestion intégrée des eaux transfrontalières, s’est inquiété le Président de l’Iraq, M. Abdel Latif Rachid.  Son pays fait face à une crise hydrique « très grave » alors que le débit de l’Euphrate continue de baisser, asséchant des sites inscrits au patrimoine de l’UNESCO et réduisant la quantité d’eau potable disponible.  Les changements climatiques accélèrent la crise mondiale de l’eau et la nécessité de nous adapter pour y faire face, a souligné à son tour l’Ouzbékistan, en réitérant son engagement à promouvoir l’agriculture novatrice et l’innovation écologique afin de restaurer les écosystèmes de la mer d’Aral, au moyen notamment d’un premier sommet culturel pour l’Aral.  Pays également enclavé, le Luxembourg a expliqué qu’il se doit de coopérer avec ses voisins dans le domaine de l’eau, « qui ne connaît pas de frontière  », une situation facilitée par l’existence d’un cadre règlementaire adapté en tant que membre de l’Union européenne.

M. Hasan Nasir Jamy, Vice-Ministre et Secrétaire du Ministère des ressources hydriques du Pakistan, a prédit que l’augmentation rapide de la population combinée aux changements climatiques accélérera d’ici à 2025 la transition vers un « monde de stress hydrique », comme l’ont démontré les récentes inondations dévastatrices dans son pays.  À cet égard, le Secrétariat international de l’eau a mis en garde contre les « coûts » financiers et environnementaux de l’inaction.  Encore faut-il posséder une conception commune de la coopération transfrontalière de l’eau, a fait remarquer M. Ahmet Mete Saatçi, professeur émérite et membre du Conseil mondial de l’eau de la Türkiye.  À son sens, la coopération doit reposer sur le partage des avantages, la réciprocité, la bonne volonté et la volonté politique.  Il a établi un parallèle avec la convergence de la science et de la politique qui a marqué la coopération dans la lutte contre la pandémie de COVID-19.

Le Panama a cependant fait valoir que des preuves scientifiques sont nécessaires pour adopter des politiques publiques ciblées et faire en sorte que les engagements volontaires pris par les États désireux de devenir parties à la Convention des Nations Unies sur l’eau soient respectés.  Un appel entendu par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) qui entend diffuser les connaissances permettant de mettre en œuvre les services hydriques transfrontières, une « révolution » qui doit s’inscrire dans le cadre du programme d’action sur l’eau.

La plupart des ressources naturelles de l’Amérique du Sud sont partagées entre deux ou plusieurs États, a informé Mme Maria Gwynn, du Paraguay, maître de conférences et chercheuse à l’Institut de droit international public de l’Université de Bonn, pour qui la coopération est seule à même d’assurer une utilisation durable et équitable de l’eau transfrontalière.  Elle a cité l’exemple de la crise hydrologique de 2020-2021, qui a d’abord provoqué des tensions entre les États riverains, avant de mener au dialogue et au partage d’informations.  Dans les Amériques, plus de 160 projets d’une valeur de près d’un milliard de dollars ont été mobilisés par l’Organisation des États américains (OEA) pour faire de l’eau un vecteur d’intégration entre les pays qui partagent des eaux de surface et des eaux souterraines, en vue d’adopter une approche intégrée au niveau des bassins et de coordonner les relations entre les gouvernements et les institutions.  La Banque mondiale et ses partenaires ont aussi débloqué depuis 2000 plus de 1,1 milliard de dollars pour soutenir les activités de coopération transfrontière.  La Banque a annoncé qu’elle mènera à compter de demain des consultations avec les États Membres sur l’éventualité de créer un centre mondial pour la coopération transfrontière hydrique.

Enfin, pour le Secrétaire d’État au Département fédéral des affaires étrangères de la Suisse, la nomination d’un envoyé spécial des Nations Unies pour l’eau permettrait de mobiliser l’ensemble de la communauté internationale sur cette question névralgique et de l’inscrire parmi les priorités de l’Organisation pour les années à venir.

Le cinquième dialogue interactif de la Conférence des Nations Unies sur l’eau aura lieu demain, vendredi 24 mars, à 10 heures.

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