Industrialisation verte, financement climatique et coopération fiscale internationale au centre des débats sur le financement du développement
Les ministres, experts et représentants d’organisations intergouvernementales et de la société civile invités à prendre part aux trois tables rondes du forum du Conseil économique et social (ECOSOC) sur le suivi du financement du développement ont, aujourd’hui, tourné leur attention vers le financement des transformations industrielles durables, le financement climatique et la coopération fiscale internationale afin de lutter contre les flux financiers illicites et de mobiliser les ressources indispensables à l’atteinte des objectifs de développement.
Le Directeur général adjoint de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI), M. Zou Ciyong, a appelé d’emblée les participants à la première table tonde à intensifier les investissements publics et privés en vue de parvenir à un « nouvel âge industriel vert », permettant d’intégrer les objectifs de développement et de réduire le « fossé de développement » entre les États. Afin d’apporter les transformations structurelles nécessaires, plusieurs intervenants ont relevé le besoin d’une architecture financière mondiale adéquate. La Vice-Ministre de l’économie et des petites entreprises du Chili, Mme Javiera Petersen, a également souligné l’importance de miser sur une stratégie nationale de financement public et privé de projets efficaces sur le plan social et environnemental.
Il est toutefois particulièrement ardu aujourd’hui pour les États d’entreprendre une telle transformation et d’amener les entreprises privées à passer à des activités industrielles à valeur ajoutée élevée, a tempéré Mme Jayati Ghosh, professeure d’économie à l’Université du Massachusetts-Amherst, du fait de l’architecture financière actuelle et de l’impact des politiques fiscales et macroéconomiques des pays développés sur les flux de capitaux mondiaux. Pour la Society for International Development, il est impossible de débattre de la transformation industrielle sans remettre en question le rôle « hégémonique » des chaînes de valeur qui « piègent » les économies émergentes en les confinant à une spécialisation, le plus souvent dans la production primaire. Les politiques industrielles et commerciales des pays développés bâillonnent les voix qui s’élèvent depuis des décennies dans les pays émergents pour réclamer une transformation structurelle leur permettant d’échapper aux cases qui leur ont été assignées dans les chaînes de valeur, a encore dit le Third World Network.
Seule une approche fondée sur la « production locale pour la consommation locale » nous permettra de surmonter ces paradigmes dépassés, a fait valoir M. Sanjay G. Reddy, Directeur du Département d’économie à The New School. Il s’agit selon lui d’un « cercle vertueux » qui s’appuie sur le rôle de catalyseur joué par le financement public, sur la mise à disposition de technologies transformatrices, sur l’énergie à bas coût et sur l’apport « unique » du secteur privé.
Pendant ce temps, la crise climatique se poursuit sans relâche, confrontant les pays vulnérables à un avenir précaire du fait notamment de « l’insignifiance » des fonds prévus pour l’adaptation, a dit Mme Ligia Noronha, Sous-Secrétaire générale et Cheffe du Bureau de New York du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), à l’ouverture de la table ronde sur le financement climatique pour l’adaptation et les objectifs de développement durable (ODD). La promesse des pays développés de financer l’adaptation à hauteur de 100 milliards de dollars par année jusqu’en 2025 est en effet restée lettre morte, a constaté le Vice-Ministre de la planification et du développement économique de l’Égypte, M. Ahmed Kamaly.
La Directrice générale adjointe de l’Agence française de développement, Mme Marie-Hélène Loison, a préconisé de resserrer la synergie entre les banques de développement, les gouvernements et le secteur privé, en adaptant l’architecture financière mondiale aux besoins du développement et en redirigeant l’aide au développement vers des projets d’adaptation. Les fonds alloués à l’adaptation en Afrique ne constituent pas une obole mais un moyen de partager les défis communs, a fait valoir l’Union africaine. Parmi ceux-ci, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a jugé impératif d’allouer des fonds afin de renforcer la résilience des petits producteurs agricoles face aux changements climatiques.
La dernière table ronde de la journée, concernant la coopération fiscale internationale et la lutte contre les flux financiers illicites pour préserver les ressources nationales, présentait un intérêt particulier pour les pays en développement qui demeurent vulnérables aux effets délétères des flux financiers illicites à l’origine de l’évasion fiscale, selon M. Ibrahim Mayaki, Coprésident du Groupe de haut niveau sur la responsabilité, la transparence et l’intégrité financières internationales pour la réalisation du Programme 2030.
Or, ces échanges illégaux sont à la hausse, s’est alarmée la modératrice de la discussion et Directrice du Secrétariat du Groupe intergouvernemental des Vingt-Quatre pour les questions monétaires internationales et le développement (G24), Mme Iyabo Masha, en plaidant pour la mise en place d’un nouveau cadre fiscal international sous l’égide des Nations Unies. Même constat de la part de la Ministre déléguée au développement de la Norvège, Mme Bjørg Sandkjær, qui a considéré que les États Membres et les institutions multilatérales telles que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sont seuls à même de prendre les mesures qui s’imposent pour combler les lacunes structurelles favorisant l’évasion fiscale.
Le forum sur le suivi du financement du développement s’achèvera demain, jeudi 20 avril.
FORUM SUR LE SUIVI DU FINANCEMENT DU DÉVELOPPEMENT
Table ronde 6 - Financement des transformations industrielles durables
Le modérateur de la table ronde, M. ZOU CIYONG, Directeur général adjoint de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI), a appelé à promouvoir un développement industriel durable, intégrant les objectifs de développement, en expliquant que c’est l’élément central du plan d’action de l’ONUDI. Pour assurer la transition énergétique, réduire le fossé de développement entre les États et assurer la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030, nous devons intensifier les investissements publics et privés dans la transformation visant un « nouvel âge industriel vert », a recommandé le modérateur en suggérant de s’appuyer sur une nouvelle génération de politiques environnementales intégrées dans la planification nationale. Un appel entendu par M. ELNUR IBRAHIMOV, Conseiller principal sur les objectifs de développement durable au Ministère de l’économie de l’Azerbaïdjan, qui a expliqué que le nouveau programme de développement de son pays se fonde sur l’objectif d’une croissance verte et durable, avec la collaboration de l’ONUDI.
Les ODD ne pourront être atteints sans une compréhension systématique de leur rôle dans la transformation sociale et les processus environnementaux dans les pays en développement, a fait valoir Mme JAVIERA PETERSEN, Vice-Ministre de l’économie et des petites entreprises du Chili. En outre, les transformations structurelles pérennes sont, selon elle, tributaires d’une architecture financière adéquate, assortie de ressources répondant aux besoins productifs et technologiques des États. Il faut éviter que les entreprises soient contraintes de s’en remettre à des financements extérieurs ou à l’endettement, a averti la Ministre qui a, dès lors, invité à miser sur une stratégie nationale de financements public et privé de projets efficaces sur le plan social et écologique, dotée d’un mandat clair, à savoir le soutien à la transition industrielle et l’innovation.
Cependant, il est particulièrement difficile aujourd’hui pour les États de se lancer dans une transformation structurelle et d’amener les entreprises privées à passer à des activités industrielles à valeur ajoutée élevée, a noté Mme JAYATI GHOSH, professeure d’économie à l’Université du Massachusetts à Amherst. Elle a relevé que ce phénomène s’explique largement par l’architecture financière mondiale actuelle ainsi que par l’impact des politiques fiscales et macroéconomiques des pays développés sur les flux de capitaux. De plus, la revitalisation des politiques industrielles est souvent caractérisée par le protectionnisme face auquel les pays en développement sont sans réponse, a déploré Mme Ghosh.
Autre obstacle à la transformation industrielle mis en évidence par M. STEFANO PRATO, Society for International Development (SID), le rôle hégémonique des chaînes de valeur qui « piègent » les économies en développement en les confinant à une spécialisation, le plus souvent dans la production primaire. Un phénomène qui a mené certains pays à la désindustrialisation. L’expert a insisté à cet égard sur la nécessité de rendre plus prospère l’économie locale, grâce à des programmes nationaux, régionaux et internationaux privilégiant l’intégration dans les systèmes primaires, secondaires et tertiaires. Il a ainsi appelé à renouveler le débat sur le commerce et le développement, en affirmant avoir perdu tout espoir que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) aborde cette question avec sérieux.
Un avis qu’a partagé le Third World Network, pour qui les politiques industrielles et commerciales des pays développés bâillonnent les voix qui s’élèvent depuis des décennies dans les pays en développement, particulièrement en Afrique, pour réclamer une transformation structurelle leur permettant d’échapper aux cases qui leur ont été assignées sans leur consentement dans les chaînes de valeur.
Seule une approche fondée sur la « production locale pour la consommation locale », à l’aide d’outils industriels sophistiqués, nous permettra de surmonter ces paradigmes dépassés, a approuvé M. SANJAY G. REDDY, professeur agrégé et Directeur du Département d’économie à The New School. Ce « cercle vertueux », qui a pris de l’ampleur dans le monde postpandémique, s’appuie à son tour sur le rôle catalyseur joué par le financement public et la mise à disposition des technologies transformatrices, de l’énergie à bas coût et de la production locale, a-t-il analysé. De même, il a estimé que l’apport du secteur privé doit s’appuyer sur la science, qui fait l’objet d’un financement public.
Les banques de développement régionales, a dit l’Argentine, doivent en outre envisager de financer les transformations dans les secteurs traditionnels afin d’améliorer la performance écologique et l’inclusion, tout en faisant la promotion des chaînes de valeur dans les secteurs faisant partie de l’économie verte.
Après avoir tenu, en novembre dernier, un sommet sur l’industrialisation et la transformation économique, l’Union africaine a demandé des actions rapides pour que les recommandations issues de la réunion de l’ECOSOC soient mises en œuvre. Pour y parvenir, les pays africains devraient, selon la délégation, rejointe par la Southern and Eastern Africa Trade Information and Negotiations Institute (SEATINI), avoir accès à un financement international à faible coût afin d’ouvrir la voie à une transformation structurelle et à des chaînes de valeur régionales.
L’architecture mondiale et ses composantes, qu’il s’agisse de la propriété intellectuelle, des échanges ou du financement, sont devenues un obstacle non seulement pour le développement mais aussi pour faire face aux défis mondiaux, a conclu la professeure de l’Université du Massachusetts, en demandant une réponse globale et urgente.
Table ronde 7 - Le financement climatique pour l’adaptation et les objectifs de développement durable
Cette session a permis de souligner une évidence: la crise climatique se poursuit sans relâche et les pays vulnérables sont confrontés à un avenir précaire, notamment parce que les fonds escomptés pour l’adaptation sont insignifiants. Sous la houlette de la Sous-Secrétaire générale et Cheffe du Bureau de New York du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), Mme LIGIA NORONHA, les intervenants à la table ronde ont évoqué les moyens d’augmenter de manière significative le financement de l’adaptation.
Il y a d’abord eu le constat que la promesse des pays développés de financer l’adaptation est restée lettre morte, notamment la promesse d’y consacrer 100 milliards de dollars par an jusqu’en 2025, comme l’a relevé d’emblée M. AHMED KAMALY, Vice-Ministre de la planification et du développement économique d’Égypte, qui intervenait par visioconférence. Demander aux gouvernements des pays en développement de financer, seuls, l’adaptation n’est pas viable, a-t-il prévenu en ajoutant que le secteur privé ne peut pas être la panacée au vu des risques liés à un tel investissement. Le Vice-Ministre a partagé l’expérience de l’Égypte qui entend s’appuyer sur le succès de la COP27 de Charm el-Cheikh pour poursuivre son action dans le domaine climatique. C’est ainsi que de nombreux investissements verts sont consentis, y compris par l’entremise du fonds souverain d’Égypte.
Certes, il faut investir dans l’adaptation, mais faisons attention au « green washing », a mis en garde la Directrice générale pour les politiques de développement durable de l’Espagne, qui faisait ainsi référence au blanchiment de capitaux par des investissements verts. Mme EVA DEL HOYO-BARBOLLA a dès lors recommandé que les banques de développement s’investissent dans l’action climatique tout en restant focalisées sur les ODD. Nous avons besoin d’un niveau de collaboration avancé, en créant les synergies entre les banques de développement, les gouvernements et le secteur privé, a préconisé à son tour la Directrice générale adjointe de l’Agence française de développement, Mme MARIE-HÉLÈNE LOISON, qui intervenait par visioconférence. Elle a suggéré de repenser l’architecture financière mondiale pour l’adapter aux besoins du développement. Il faut rediriger les flux financiers d’aide publique au développement (APD) vers les projets d’adaptation, a-t-elle encore proposé.
Le secteur privé ne fournit pour le moment que 2% des fonds dédiés à l’adaptation, mais il doit avoir son mot à dire, ont estimé les États-Unis. En d’autres termes, on ne doit pas trop compter sur ce secteur s’il ne fait pas de profit dans la sphère climatique, a concédé Mme CAROLA MEJÍA, de Red Latinoamericana por Justicia Económica y Social (LATINDADD). Un avis du reste partagé par la Zambie. « On nous dit qu’il n’y a pas de fonds publics disponibles pour financer l’action climatique, mais l’argent est utilisé à mauvais escient pour subventionner le carburant ou acheter les armes », a ensuite déploré la représentante de LATINDADD. Elle a donc appelé à réfléchir à des alternatives pour fournir des fonds pour l’adaptation aux pays qui en ont le plus besoin. Elle a, par exemple, suggéré une allocation spécifique de droits de tirage spéciaux (DTS) au bénéfice de l’action climatique. Pour elle, il faut tout simplement doubler le financement prévu pour l’adaptation. L’experte a précisé que le financement climatique n’est pas fondé sur la solidarité entre le Nord et le Sud, mais sur un « devoir de réparation ». C’est d’ailleurs pourquoi le Népal a estimé que ces fonds devraient être orientés en premier vers les pays les moins avancés (PMA).
Le représentant du Fonds monétaire international (FMI) s’est voulu encourageant en disant que « nous avons les capacités d’atteindre les objectifs en matière climatique ». C’est dans cette perspective que le Canada a doublé son financement climatique en 2021, a dit son représentant en soulignant que le pays offre aussi des prêts à taux préférentiels à des entreprises d’Amérique qui travaillent dans le secteur écologique. De son côté, le Belize s’est vanté d’avoir lancé des obligations bleues pour financer l’action climatique. « Nous faisons ce qu’il faut de notre côté et invitons les pays développés à faire leur part », a lancé la délégation. Le Bangladesh a pointé du doigt ces pays développés qui débloquent des fonds pour contribuer à l’adaptation climatique des pays en développement, mais souvent sous la forme de prêts. Pourtant, a dit Cuba, ce financement climatique n’est que justice pour les pays en développement qui ont subi les conséquences néfastes de politiques mis en place pendant des décennies par les pays développés. Le blocus économique et financier imposé par les États-Unis depuis 60 ans contre Cuba est un exemple de ces politiques qui constituent un obstacle au développement, a déploré la délégation.
Pour l’Union africaine, les fonds dédiés à l’adaptation en Afrique sont insignifiants. « Pourtant, cet argent n’est pas de l’aumône, mais un moyen de partager et relever ensemble les défis communs. » Parmi ces défis, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a identifié la nécessité urgente de mettre en place des fonds ciblant les petits producteurs ruraux, afin de renforcer leur résilience face aux changements climatiques. La représentante du Comité des ONG sur le financement du développement a, pour sa part, déploré le fait que les jeunes, les femmes et les populations autochtones soient mis à l’écart des prises de décisions sur le climat.
Table ronde 8 - Renforcer la coopération fiscale internationale et lutter contre les flux financiers illicites pour préserver et mobiliser les ressources nationales
La dernière session du jour avait pour objectif de promouvoir la coopération internationale dans les domaines de la lutte contre les flux financiers illicites et du renforcement des bonnes pratiques en matière de recouvrement des avoirs.
La déclaration liminaire a été faite dans un message vidéo préenregistré par M. IBRAHIM MAYAKI, Coprésident du Groupe de haut niveau sur la responsabilité, la transparence et l’intégrité financières internationales pour la réalisation du Programme 2030 (Groupe FACTI). Il s’est demandé comment, dans un contexte de crises multiples, il est possible de mobiliser davantage de ressources internes et renforcer la coopération fiscale internationale. Les flux financiers illicites sont un gros problème, qui affecte particulièrement les pays en développement, a-t-il indiqué. Dans ses travaux, le Groupe évoque des valeurs telles que « la transparence » et « l’échange d’informations ». Ce dernier volet a connu beaucoup d’avancées, a annoncé l’expert. De plus en plus de juridictions collaborent, mais l’orateur a appelé à faire davantage pour que les pays les moins avancés (PMA) disposent eux aussi de cadres pour juguler les flux financiers illicites. En termes d’accessibilité à l’information, la numérisation est primordiale, a-t-il relevé. Enfin, une convention des Nations Unies relatives aux questions fiscales serait la bienvenue pour lutter plus efficacement contre ce fléau, a conclu l’expert.
La modératrice de la discussion, Mme IYABO MASHA, Directrice du Secrétariat du Groupe intergouvernemental des Vingt-Quatre pour les questions monétaires internationales et le développement (G24), a admis que les flux financiers illicites allaient croissants et qu’un nouveau cadre onusien était nécessaire pour instaurer un cadre fiscal digne de ce nom. Aucune administration fiscale ne peut prétendre atteindre ses objectifs sans coopérer avec d’autres juridictions fiscales, a acquiescé M. FRANCIS NKEA NDZIGUE, Ministre de la promotion de la bonne gouvernance et du combat contre la corruption du Gabon, intervenant par visioconférence. La coopération fiscale du Gabon s’est longtemps faite dans le cadre d’engagements bilatéraux et par l’entremise des travaux du Comité fiscal des Nations Unies et d’activités relatives à l’harmonisation fiscale au sein de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). « L’accélération des échanges économiques a fait apparaître de nouvelles formes de fraude et d’évasion fiscales », a-t-il constaté. Pour y remédier, il apparaît plus qu’urgent, selon le Ministre gabonais, de renforcer l’échange automatique de renseignements, ou tout au moins de mettre en place des plateformes numériques d’information. Même si cela a un coût, le jeu en vaut la chandelle, a-t-il argué. Le Gouvernement gabonais a fixé, par un arrêté de juin 2022, les modalités de collecte des données personnelles auprès d’entreprises soumissionnaires des marchés publics, ainsi que les règles régissant la publication desdites données en ligne.
Le Panama a lui aussi affirmé redoubler d’efforts pour réduire les flux financiers illicites en renforçant sa réglementation nationale. Dans le cadre de la coopération internationale, les autorités facilitent les échanges d’informations, en vue de renforcer la transparence. La délégation a assuré mettre en œuvre les meilleures pratiques dans « la prévention du blanchiment d’argent » et de l’évasion fiscale. Mme BJØRG SANDKJÆR, Ministre déléguée au développement de la Norvège, a abordé les lacunes structurelles permettant ces évasions. Elle a reconnu qu’un « nouveau cadre onusien était nécessaire » pour instaurer un cadre fiscal international digne de ce nom. La Ministre a insisté sur la coordination à l’échelle nationale entre les ministères. Toutes les branches de pouvoir public devant collaborer avec les autorités fiscales, y compris les ministères des finances et des affaires étrangères. Enfin, concernant les données et le travail d’analyse, elle a appelé à davantage d’investissements nationaux.
Concernant l’échange d’informations, Mme ZAYDA MANATTA, Cheffe du Secrétariat du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), a apporté un éclairage technique. Elle s’est réjouie d’« immenses progrès » réalisés par l’OCDE au cours des 10 dernières années, et pas seulement au niveau de la collecte d’informations bancaires. Elle a parlé d’enquêtes fiscales diligentées pour fournir des informations sur une base collégiale. Quarante-huit pays y travaillent d’ores et déjà. De plus, 111 millions de comptes bancaires ont été identifiés dans le monde, ce qui représente en volume 11 milliards d’euros. Une trentaine de millions de ces comptes proviennent de pays en développement, a-t-elle détaillé. En Afrique, cinq pays, le Kenya, la Tunisie, le Nigéria et l’Ouganda, ont répondu à 92% des demandes. « Beaucoup d’autres pays comprennent qu’ils sortiront gagnants en collaborant », a-t-elle relevé. De ce fait, la demande de partage va donc croissant, a-t-elle assuré. L’Espagne, répondant à l’OCDE, a pointé des lacunes en matière de transparence fiscale, car certains pays en développement ne bénéficiant pas de systèmes d’échange automatique. « C’est le cœur du débat » pour l’Espagne pour qui trop d’incertitudes subsistent quant à la mise en place de ces normes et de leur efficacité.
Pour coopérer davantage, Mme KATHERINE BAER, Directrice adjointe du Département des affaires fiscales du FMI, a estimé qu’il faut que les pays comprennent bien les tenants et les aboutissants des règles fiscales internationales. Le FMI se concentre donc sur les pays à bas revenus afin qu’ils comprennent les complexités et les répercussions des règles sur leur juridiction. Leurs capacités sont vraiment « lacunaires », a-t-elle observé; leur administration fiscale est « faible » et les registres de contribuables font défaut, tout comme les suivis de paiements et les audits. L’éducation fiscale est elle aussi insuffisante. Les technologies de l’information et des communications (TIC) y sont obsolètes et contiennent des informations erronées; il n’y a « pas assez de discipline », a—telle assené. Il est donc difficile dans ces pays, a poursuivi la représentante du FMI, de parvenir à un échange au niveau national entre le fisc et la douane, « et je ne vous parle même pas au niveau international ». Enfin, concernant l’accès aux données, les rapports pays par pays sur les multinationales permettent certes de juguler l’évasion fiscale, mais pour l’instant, « seulement cinq pays en développement ont accès à ces rapports », ce qui est bien trop peu, a pointé Mme Baer.
En réponse à ce sévère diagnostic, Mme CHENAI MUKUMBA, du Réseau Justice fiscale en Afrique, a rétorqué que les pays du Sud étaient toujours pointés du doigt. Même s’ils parvenaient à régler tous les problèmes, ce serait insuffisant. Pour stopper l’évasion fiscale, « les solutions doivent être internationales », a avancé Mme Mukumba, or cet échelon est bourré de lacunes. Se contenter d’agir au niveau national comme le préconise Mme Baer reviendrait à « déverser de l’eau dans une passoire ». Mme Baer, du FMI, a répliqué en notant que même des pays aux faibles capacités pouvaient tirer leur épingle du jeu. Du fait qu’ils partent d’un « niveau moins élevé », leur système de collecte fiscale peut être mis sur pied avec le concours des administrations fiscales et douanières. « Il ne faut pas croire que c’est un objectif inatteignable », a-t-elle assuré.
Une représentante du Réseau européen sur la dette et le développement a critiqué les règles de l’OCDE qui ne fonctionnent « ni pour les pays en développement ni pour les pays développés », laissant fuiter des centaines de millions de dollars. Le nouveau taux de fiscalité imposé aux multinationales de 15% est ridiculement bas; la plupart des revenus récupérés vont retomber dans l’escarcelle de paradis fiscaux qui, cyniquement, plébiscitent ce tour de vis. La représentante de l’OCDE a rétorqué que c’était aux législateurs et aux décideurs politiques de « se coordonner davantage », les gouvernements devant jouer un rôle de chef de file. Sur le plan international, les partenariats sont essentiels et la confiance doit être présente. Mais sans volonté politique, on ne peut pas renforcer les capacités, et les objectifs ne seront pas atteints, a prévenu Mme Manatta.