9382e séance – matin 
CS/15362

Conseil de sécurité: la Russie se défend d’avoir torpillé l’Initiative de la mer Noire et d’avoir porté un nouveau coup à la sécurité alimentaire mondiale

Ce matin, le Conseil de sécurité s’est réuni à la demande de la France et de l’Équateur pour examiner les conséquences du retrait de la Fédération de Russie, le 17 juillet, de l’Initiative de la mer Noire.  Une initiative largement regrettée en ce qu’elle a permis, en l’espace de douze mois, d’exporter en toute sécurité près de 33 millions de tonnes de denrées alimentaires depuis les ports ukrainiens de la mer Noire, à destination de 45 pays, à bord de plus de 1 000 navires.  Les inquiétudes des intervenants ont également porté sur les frappes visant les ports ukrainiens et sur le sort des navires qui y mettent le cap. 

Pour les deux membres ayant requis la tenue de la séance, la Russie a franchi cette semaine « un nouveau seuil dans le cynisme et l’irresponsabilité ».  La Fédération de Russie a « torpillé » l’Initiative de la mer Noire, a renchéri l’Union européenne, alors que la Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques et à la consolidation de la paix, Mme Rosemary DiCarlo, lui a reproché d’avoir porté « un nouveau coup » à la sécurité alimentaire mondiale en frappant, pour une quatrième journée consécutive, les ports ukrainiens d’Odessa, Chornomorsk et Mykolaiv, détruisant des infrastructures cruciales et des stocks de céréales.

En conséquence, les prix des denrées alimentaires sont à la hausse dans le monde entier, ce qui s’ajoute aux crises agricoles, énergétiques et financières qui affectent déjà les personnes les plus vulnérables du monde, s’est-elle désolée en soulignant que le bombardement des ports ukrainiens de la mer Noire vont à l’encontre des engagements pris par la Fédération de Russie dans le cadre du Mémorandum d’accord avec les Nations Unies, et que les attaques contre des infrastructures civiles peuvent constituer une violation du droit international humanitaire.  Les inquiétudes ont également été vives à la suite de l’annonce, par le Ministère de la défense russe, que « tous les navires se dirigeant vers les ports ukrainiens de la mer Noire seront considérés, à compter du 20 juillet à minuit, comme transportant potentiellement des biens ou équipements de nature militaire ».

Les exportations de denrées alimentaires et d’engrais en provenance d’Ukraine et de Russie restent d’une importance cruciale pour la sécurité alimentaire mondiale, a martelé le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonateur des secours d’urgence, M. Martin Griffiths, qui craint que la fermeture de la mer Noire entraîne une augmentation du coût des opérations humanitaires, dans un contexte où les ressources manquent déjà cruellement.  La signature de l’Initiative de la mer Noire et du Protocole d’accord sur les exportations russes de denrées alimentaires et d’engrais, était, selon M. Griffiths, une réponse internationale décisive à la flambée des prix des denrées alimentaires qui mettait en péril la sécurité alimentaire dans le monde entier.  Mais leur signature représentait bien plus que cela: elle montrait que nous pouvions trouver des solutions innovantes et audacieuses, qui placent l’humanité au-dessus de la politique.

Outre l’exportation de 32,8 millions de tonnes de denrées alimentaires, que l’Initiative a permise, le Programme alimentaire mondial (PAM) a pu transporter plus de 725 000 tonnes de blé pour soutenir les opérations d’aide alimentaire en Afghanistan, à Djibouti, en Éthiopie, au Kenya, en Somalie, au Soudan et au Yémen, comme l’ont rappelé la grande majorité des intervenants, tandis que le Protocole d’accord ONU-Russie a permis à des volumes accrus de produits agricoles russes d’arriver sur les marchés mondiaux. 

Réagissant aux accusations selon lesquelles elle utiliserait la faim comme arme de guerre et ferait de la mer Noire un moyen de chantage mondial, comme l’ont affirmé les États-Unis, la Fédération de Russie a justifié ses décisions par le fait que le Mémorandum ONU-Russie n’a jamais fonctionné et que ses dispositions n’ont pas été respectées. Dénonçant l’approche discriminatoire des pays occidentaux, qui ont imposé des sanctions sans précédent à la Russie, le représentant a dit être frappé par « le degré de cynisme des membres occidentaux du Conseil de sécurité ».  Il leur a reproché d’avoir transformé l’Initiative de la mer Noire à vocation humanitaire en une opération commerciale dont ils bénéficient au premier chef.  Plus de 70% des marchandises exportées dans le cadre de l’Initiative sont allées vers des pays à revenu élevé et à revenu moyen supérieur, y compris l’Union européenne, car ce sont des sociétés occidentales qui sont propriétaires d’une part importante des terres arables ukrainiennes, a argumenté la délégation russe. À coup de chiffres et de pourcentages, la délégation s’est basée sur une « simple arithmétique » pour démontrer que la Russie représente 20% du marché mondial du blé, tandis que la part de l’Ukraine est inférieure à 5%.

«  Qui donc joue un rôle majeur dans la sécurité alimentaire mondiale? », a demandé la Russie, en ajoutant que son pays a trouvé de nouveaux marchés, sans l’aide de l’ONU, où les sanctions pouvaient être contournées. Le délégué a toutefois déclaré que son pays n’est pas contre l’Initiative de la mer Noire en tant que telle, et qu’il est même prêt à envisager la possibilité d’y revenir, mais à une seule condition : que tous les principes précédemment convenus de la participation de la Russie à cet accord soient pleinement respectés.  Le représentant a détaillé ces principes en insistant sur la non-application des sanctions aux livraisons de céréales et d’engrais russes sur les marchés mondiaux.

Les exportations russes de produits alimentaires et d’engrais n’ont jamais fait l’objet de sanctions, a rétorqué le Royaume-Uni, l’Union européenne (UE) assurant pour sa part avoir accordé des dérogations au mois de décembre.  L’UE a mis en place un mécanisme de paiement sur mesure pour la Banque agricole russe, a ajouté le délégué.  À l’instar de la France, ces délégations ont affirmé qu’en bloquant les exportations de l’Ukraine, la Russie engrangera des profits encore plus élevés avec ses exportations.  L’Ukraine a quant à elle estimé que la Russie s’enrichit en volant les céréales ukrainiennes qu’elle vend sur les marchés mondiaux.  Elle a appelé ses partenaires à soutenir l’Initiative de la mer Noire, à condamner les actes de la Russie et à prendre les mesures appropriées pour garantir la sécurité de la navigation en mer Noire.

MAINTIEN DE LA PAIX ET DE LA SÉCURITÉ DE L’UKRAINE

Déclarations

M. MARTIN GRIFFITHS, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonateur des secours d’urgence, a mis en avant l’impact significatif de la guerre en Ukraine sur le monde, bien au-delà des frontières du pays: un monde déjà ébranlé par une accumulation de chocs, notamment la faim, les conflits, la pandémie de COVID-19, l’urgence climatique et la crise du coût de la vie. Constatant que l’ampleur des besoins humanitaires mondiaux dépasse largement les ressources à disposition, il a avancé le chiffre de 362 millions de personnes dans 69 pays qui ont besoin d’une aide humanitaire.  Un montant sans précédent de 55 milliards de dollars est nécessaire pour répondre à ces besoins, a expliqué le haut responsable, en s’inquiétant que de nombreux plans humanitaires restent gravement sous-financés.

Il y a presque un an jour pour jour, le monde a célébré la signature de l’Initiative de la mer Noire et du Protocole d’accord sur les exportations russes de denrées alimentaires et d’engrais, a-t-il rappelé.  Ces accords constituaient une réponse internationale décisive à la flambée des prix des denrées alimentaires qui mettait en péril la sécurité alimentaire dans le monde entier.  Mais pour M. Griffiths, leur signature représentait bien plus que cela: elle a démontré que nous pouvions trouver des solutions innovantes et audacieuses, qui placent l’humanité au-dessus de la politique, même dans les circonstances les plus extrêmes.  En l’espace de douze mois, l’Initiative a permis d’exporter en toute sécurité près de 33 millions de tonnes de denrées alimentaires depuis les ports ukrainiens de la mer Noire vers 45 pays, à bord de plus de 1 000 navires.  L’Initiative de la mer Noire a permis au Programme alimentaire mondial (PAM) de transporter plus de 725 000 tonnes de blé pour soutenir les opérations d’aide alimentaire en Afghanistan, à Djibouti, en Éthiopie, au Kenya, en Somalie, au Soudan et au Yémen, a-t-il précisé, ajoutant que le Protocole d’accord a également produit des résultats concrets en permettant à des volumes accrus de produits agricoles russes d’arriver sur les marchés mondiaux. Ensemble, les accords d’Istanbul ont contribué à des réductions durables et essentielles des prix alimentaires mondiaux qui, le mois dernier, étaient inférieurs de plus de 23% par rapport aux pics atteints en mars de l’année dernière, a fait valoir le Coordonnateur. 

Pour M. Griffiths, la confirmation, lundi, du retrait de la Fédération de Russie de l’Initiative de la mer Noire a donc été extrêmement décevante, et les événements survenus depuis, alarmants.  Les frappes russes contre les installations portuaires d’Odessa et d’autres ports ukrainiens auraient blessé des civils et endommagé des infrastructures essentielles à l’exportation de denrées alimentaires, a-t-il noté, avant de faire part également de l’anxiété des agriculteurs ukrainiens par rapport à leurs récoltes.  En effet, ces denrées alimentaires risquent de ne plus pouvoir atteindre les marchés mondiaux.  Le Secrétaire général adjoint a aussi observé que les prix mondiaux des céréales ont grimpé en flèche, menaçant de réduire à néant les progrès durement acquis au cours de l’année écoulée et risquant de plonger des millions de personnes dans la famine.  Il a précisé que les prix à terme du blé et du maïs ont augmenté respectivement de près de 9 et 8%.  Une grande partie du monde dépend de l’accessibilité à ces denrées de base, a-t-il martelé, et la hausse des prix sera ressentie de manière plus aiguë par les familles des pays en développement. 

M. Griffiths s’est également dit préoccupé par l’escalade rhétorique qui menace de compromettre encore plus la sécurité du transport des denrées alimentaires par la mer Noire.  Sans accès aux ports ou aux marchés mondiaux, les agriculteurs pourraient n’avoir d’autre choix que de cesser leurs activités, a-t-il mis en garde, ce qui aurait un impact immédiat sur les prix des denrées alimentaires au niveau national et international.  Et la sécurité alimentaire de l’Ukraine s’en trouverait affectée.

Insistant sur le fait que les civils et les infrastructures civiles doivent être respectés, le Secrétaire général adjoint a fait valoir que la destruction des infrastructures civiles dans les ports ukrainiens et ailleurs peut constituer une violation du droit humanitaire international.  Il a martelé que les exportations de denrées alimentaires et d’engrais en provenance d’Ukraine et de la Fédération de Russie restent d’une importance cruciale pour la sécurité alimentaire mondiale, avant d’annoncer que les Nations Unies poursuivront donc leur engagement auprès de toutes les parties concernées pour veiller à ce que ces produits puissent continuer à atteindre les marchés mondiaux, afin de faire baisser les prix et de renforcer la sécurité alimentaire dans le monde entier.  Pour M. Griffith, un soutien international unifié est essentiel pour que cette démarche soit couronnée de succès, et, à cet égard, il a réitéré son appréciation aux efforts continus et inlassables du Gouvernement turc pour soutenir l’Initiative de la mer Noire. 

Mme ROSEMARY DICARLO, Secrétaire générale adjointe aux affaires politiques et à la consolidation de la paix, a réitéré le profond regret exprimé par le Secrétaire général concernant la décision de la Fédération de Russie de mettre fin à l’Initiative de la mer Noire, y compris le retrait des garanties de sécurité pour la navigation dans la partie nord-ouest de ladite mer.  En conséquence, les prix des denrées alimentaires sont à la hausse dans le monde entier, ce qui s’ajoute aux crises agricoles, énergétiques et financières affectant déjà les personnes les plus vulnérables du monde.  Qui plus est, la Fédération de Russie a porté « un nouveau coup » à la sécurité alimentaire mondiale en frappant, pour une quatrième journée consécutive, les ports ukrainiens d’Odessa, Chornomorsk et Mykolaiv, avec des missiles et des drones, détruisant des infrastructures cruciales et des stocks de céréales.  Mme DiCarlo a condamné fermement ces attaques meurtrières et demandé instamment à la Russie d’y mettre un terme immédiatement.

Le bombardement des ports ukrainiens de la mer Noire contredit les engagements pris par la Fédération de Russie dans le cadre du Mémorandum d’accord avec les Nations Unies, qui stipule qu’elle « facilitera l’exportation sans entrave de denrées alimentaires, d’huile de tournesol et d’engrais à partir des ports de la mer Noire contrôlés par l’Ukraine ».  En outre, les attaques contre des infrastructures civiles peuvent constituer une violation du droit international humanitaire, a poursuivi la Secrétaire générale adjointe.  Les menaces concernant le ciblage de navires civils naviguant dans les eaux de la mer Noire sont tout aussi inacceptables, a-t-elle noté, en s’inquiétant des informations faisant état de mines marines.  Elle a mis en garde contre toute rhétorique ou action dangereuse susceptible de mener à un incident, intentionnel ou accidentel, aux conséquences potentiellement catastrophiques.

Poursuivant, la Secrétaire générale adjointe a noté que les attaques contre des civils et des infrastructures civiles ne constituent pas une nouvelle tendance dans ce conflit, mais plutôt son « schéma tragique ». L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a documenté des dommages causés à plus d’un millier d’établissements de santé, entraînant 101 décès et 139 blessés.  Quelque 270 sites culturels ont été endommagés, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), tout comme 3 467 établissements d’enseignement, dont 335 ont été détruits.  En outre, les enfants ukrainiens continuent d’être tués et mutilés de manière disproportionnée du fait du niveau effroyable de violations graves perpétrées dans le cadre de ce conflit, a dénoncé Mme DiCarlo. 

La destruction du barrage de Kakhovka a entraîné des conséquences environnementales et humanitaires profondes et à long terme, s’est alarmée la haute fonctionnaire, alors que près de 600 000 hectares de terres agricoles ne sont plus irriguées et que les agriculteurs ukrainiens doivent composer avec la présence de mines et des munitions non explosées dans leurs champs. Les inondations ont également aggravé la situation déjà instable de la centrale nucléaire de Zaporijia, où l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) continue de surveiller de près la disponibilité de l’eau de refroidissement.  Assurer sa sécurité demeure de la plus haute importance, non seulement pour l’Ukraine mais pour l’ensemble de la région, a souligné Mme DiCarlo. 

« Les événements de la dernière semaine ne sont que les derniers développements de la guerre insensée que mène la Fédération de Russie contre son voisin, une guerre dont les conséquences se font sentir dans le monde entier. » Selon la Secrétaire générale adjointe, la seule façon de faire cesser cette catastrophe est de mettre un terme à la guerre sur la base du droit international et des principes consacrés dans la Charte des Nations Unies. 

M. MIKHAIL KHAZIN, macroéconomiste indépendant, a voulu donner une évaluation objective des cours mondiaux des céréales.  Il y a certes eu une diminution des prix avec la signature de l’Initiative de la mer Noire, mais cette diminution était plutôt liée à des facteurs très spécifiques et conjoncturels, selon lui.  Il a déclaré que les céréales exportées par l’Ukraine sont pour moitié composées de maïs et d’orge que les pays pauvres n’utilisent pas. Il a souligné l’importance des exportations de céréales de la Russie pour les pays les plus pauvres, ces derniers n’ayant reçu que 3% des céréales ukrainiennes.  C’est une proportion négligeable, a-t-il commenté. 

L’expert a mis en garde contre une diminution des exportations céréalières russes, qui serait une véritable catastrophe pour les marchés mondiaux. Or, on ne peut exclure un effondrement de ces exportations en raison des sanctions prises contre la Russie, a-t-il dit, en estimant que ce scénario pourrait se produire d’ici un ou deux ans. Il a aussi noté l’importance des engrais russes pour les récoltes mondiales futures, ces engrais représentant 15% de la production mondiale.  En raison des sanctions, cette production pourrait également baisser, a-t-il averti. Enfin, il a estimé que les conséquences des restrictions apportées aux exportations russes sont plus importantes que l’interruption de l’Initiative de la mer Noire.  C’est de cela dont nous devrions parler, a-t-il conclu.

M. GUSTAVO MANRIQUE, Ministre des affaires étrangères et de la mobilité humaine de l’Équateur, a déploré l’annonce faite par la Fédération de Russie de suspendre sa participation à l’Initiative de la mer Noire.  Il a dit que son pays avait accueilli, en mars 2022, la Conférence régionale de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sur les conséquences régionales et mondiales de ce conflit, en particulier pour l’Amérique latine et les Caraïbes.  La suspension de l’Initiative aura des conséquences sur les opérations du Programme alimentaire mondial (PAM), qui ont bénéficié aux enfants d’Afghanistan, du Yémen et de la Corne de l’Afrique, a aussi regretté le Ministre en dénonçant « cette façon lamentable d’appliquer la résolution 2417 (2018) ».  Il a aussi dénoncé les bombardements des villes portuaires d’Ukraine et des terminaux céréaliers qui ont accompagné la suspension de l’Initiative. « Toute menace ou attaque contre des navires civils en mer Noire est inacceptable. » 

M. Manrique a souligné la nécessité de respecter les systèmes d’approvisionnement en nourriture et en eau, rappelant l’interdiction d’attaquer, de détruire, d’enlever ou de rendre inutilisables des biens indispensables à la survie de la population civile, y compris les produits agricoles et les récoltes. Il s’est attristé de l’impact croissant de cette invasion russe sur l’agriculture et les moyens de subsistance en Ukraine.  Le Ministre a chiffré à des dizaines de milliards de dollars de pertes pour les ménages, la destruction de machines et d’équipements, d’installations de stockage, de cultures, d’intrants et de terres agricoles.  Quelque 60 000 tonnes de céréales ont été détruites, a-t-il rappelé avant de demander la fin des attaques contre les acteurs humanitaires et leurs bureaux, y compris à Odessa et Mykolaiv.  Il a aussi exhorté la Russie à autoriser l’accès humanitaire dans les zones sous son contrôle temporaire. 

Le Ministre a insisté sur la nécessité pour les parties de respecter sans restriction leurs obligations en droit international humanitaire, y compris les principes de distinction, de proportionnalité et de précaution. Préoccupé par les mines et les restes explosifs, il a appelé les parties à s’abstenir d’utiliser des armes à sous-munitions en raison des dommages collatéraux qu’elles entraînent dans l’immédiat ainsi qu’à moyen et long terme.  « Ces armes sont interdites. »  M. Manrique a enfin demandé au Conseil de réitérer son soutien au travail indispensable du Secrétaire général, comme il l’a fait en mai 2022, un travail indispensable tant au niveau humanitaire que dans les efforts visant à nous rapprocher d’une paix juste et durable.

M. NICOLAS DE RIVIÈRE (France), qui a demandé, avec l’Équateur, la réunion d’aujourd’hui, a justifié cette demande par le fait que la Russie avait franchi cette semaine « un nouveau seuil dans le cynisme et l’irresponsabilité ».  Après avoir mis en péril la sécurité alimentaire et la nutrition mondiales en agressant l’Ukraine, elle a mis fin il y a quelques jours à l’Initiative de la mer Noire, a-t-il rappelé, en soulignant le grave impact que cela aurait sur les pays les plus vulnérables.  Il a ajouté que la Russie, depuis, bombarde les ports d’Odessa, de Chornomorsk et de Mykolaiv ainsi que leurs terminaux céréaliers, qui sont des infrastructures civiles.  Or la destruction d’infrastructures civiles est une violation du droit international humanitaire, a rappelé le délégué.  Alors que des millions de personnes souffrent de la faim, la Russie aurait déjà détruit plus de 60 000 tonnes de céréales, s’est-il indigné. 

Le représentant a également noté que la Russie avait annoncé, via son ministère de la défense, que « tous les navires se dirigeant vers les ports ukrainiens de la mer Noire seront considérés, à compter du 20 juillet à minuit, comme transportant potentiellement des biens ou équipements de nature militaire ».  Il a encore cité « d’autres crimes de guerre » commis par la Russie, comme le fait d’utiliser de nouveau la faim comme une arme.  Elle commet une erreur stratégique, a tranché le délégué en condamnant dans les termes les plus fermes la décision de la Russie de mettre fin à l’Initiative.  La Russie assume ainsi de porter la responsabilité de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition mondiales, a-t-il jugé alors que cette initiative avait permis en un an l’exportation de près de 33 millions de tonnes de céréales, dont plus de la moitié vers les pays à faible et moyen revenus, et une baisse des prix des produits agricoles de 23%. 

De plus, la fermeture de la mer Noire va entraîner une augmentation du coût des opérations humanitaires, dans un contexte où les ressources manquent déjà cruellement, et cela risque d’entraîner des effets d’inflation, a mis en garde le représentant, craignant que cela affecte au premier chef les secteurs agricole et alimentaire, les producteurs et les ménages pauvres, dans les pays les plus vulnérables.  Cherchant à expliquer les décisions de la Russie, il a affirmé qu’en bloquant les exportations depuis les ports ukrainiens et en faisant monter les prix agricoles et alimentaires, la Russie cherche à augmenter le bénéfice de ses propres exportations et à accroître ainsi ses revenus pour financer sa guerre d’agression contre l’Ukraine.  Il l’a également accusée de chercher à se poser en victime, en prétendant avoir été flouée avec les accords d’Istanbul, alors même que les exportations de céréales russes ont atteint des niveaux particulièrement élevés depuis l’été dernier, comme l’a indiqué le Secrétaire général le 17 juillet, et le niveau de ses exportations d’engrais est presque revenu à ce qu’il était avant l’invasion du 24 février 2022.  Saluant les efforts du Secrétaire général et de la Türkiye qui auront essayé jusqu’au bout, et continuent d’essayer, de sauver l’Initiative, il a assuré que la France et ses partenaires renforceront les actions visant à réduire les risques d’insécurité alimentaire.  Le Conseil de l’Union européenne a décidé, dès hier, de renforcer les capacités d’exportation des corridors de solidarité de l’Union européenne, a-t-il aussi indiqué.

Mme RITA OSEI (Ghana) a déploré qu’à moins d’un changement fondamental dans la position de la Fédération de Russie, l’Initiative de la mer Noire n’a plus aucun espoir d’être mise en œuvre.  Elle a encouragé l’ONU et la communauté internationale à redoubler d’efforts pour répondre aux préoccupations qui n’ont cessé d’être exprimées en ce qui concerne l’exportation d’ammoniac, de produits agricoles et d’engrais russes vers les marchés mondiaux.  Malgré ses limites, l’Initiative a joué selon elle un rôle important dans la stabilisation des prix alimentaires mondiaux depuis juillet 2022, grâce à l’exportation de plus de 32 millions de tonnes de denrées alimentaires depuis l’Ukraine.  De l’avis de la représentante, cet accord a constitué un test de la manière dont nous pouvons accroître la résilience dans les chaînes d’approvisionnement alimentaire en période de crise majeure.  À ses yeux, seule une paix acceptable pour les deux parties au conflit permettra de mettre un terme aux souffrances causées par la fin de l’Initiative de la mer Noire.  Dans cette optique, la représentante a réitéré son appel à l’Ukraine et à la Fédération de Russie pour qu’elles cessent les hostilités au moyen du dialogue et de la diplomatie. 

M. HANS MARTIEN DIABA (Gabon) a noté l’interruption de l’Initiative de la mer Noire.  Il a rappelé que l’accord quadripartite entre la Russie et l’Ukraine sous l’égide des Nations Unies et de la Türkiye avait garanti, pendant toute une année, l’exportation sécurisée des céréales via la mer Noire, et permis d’éviter, un tant soit peu, la flambée des prix des céréales.  Cela a aussi permis d’éviter un trop grand risque d’insécurité alimentaire dans certaines régions comme la Corne de l’Afrique qui souffre de sécheresses récurrentes.  Aujourd’hui, avec le contexte économique mondial fortement impacté par la multiplicité des crises, notamment les crises humanitaires, la facture de l’instabilité pourrait s’alourdir, a-t-il mis en garde.  Le représentant a donc exhorté les parties à investir des efforts dans le dialogue pour trouver une solution diplomatique et économique profitable à tous.

Selon M. FERIT HOXHA (Albanie), cela fait longtemps que Moscou n’était pas satisfaite de l’Initiative de la mer Noire.  Il a rappelé qu’il y avait eu en octobre des tensions semblables à ce qu’on voit aujourd’hui, suivies de nettes diminutions d’inspections de navires, celles-ci passant à 7 et même à 2 par jour, alors qu’il est possible d’en faire 40 par jour.  La Russie exporte énormément de céréales et d’engrais depuis l’invasion, a aussi noté le délégué.  « Quel est alors le problème? » a demandé le représentant qui a exhorté à ne pas se fier à ce que dit la Russie mais plutôt à ce qu’elle oublie de dire. Il a noté que la Russie conditionne toute participation future à l’Initiative au seul cas où les sanctions seraient levées.  Les producteurs alimentaires russes se plaignent des prix sur les marchés mondiaux pour ces denrées, ils veulent gagner plus d’argent en augmentant les prix, a-t-il estimé.  Or le délégué a fait remarquer que, dans un ordre mondial fondé sur des règles, les prix sont fixés par une concurrence loyale et non l’imposition de mesures. 

Le représentant a encore analysé que, dans une guerre que la Russie ne gagne pas, tout doit être utilisé par elle comme une arme.  De plus, en attaquant les ports ukrainiens, dont Odessa, la Russie s’attaque à une ville inscrite par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité.  Elle ne fait pas que punir l’Ukraine, car l’exportation ukrainienne représente 75% des importations totales de blé pour le Liban, 59% pour le Pakistan, 49% pour la Libye et 45% pour l’Éthiopie, a énuméré le représentant.  Il a déclaré que si on ne peut plus trouver de pain dans les magasins de ces pays, ces pays doivent connaître le coupable.  La Russie joue à la roulette russe avec les aliments des pauvres et les besoins de ceux qui ont faim, a déploré le délégué. « Un homme affame le monde pour sa propre survie politique à cause de ses terribles erreurs », a conclu le délégué.

Mme PASCALE CHRISTINE BAERISWYL (Suisse) a regretté les sombres nouvelles de cette semaine en lien avec l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine: de nouvelles attaques, de nouvelles victimes civiles et de nouvelles destructions.  Elle a insisté sur le fait que le droit international humanitaire interdit les attaques contre la population et les infrastructures civiles ainsi que les représailles, et que les règles relatives à la conduite des hostilités doivent impérativement être respectées.  Condamnant les frappes russes contre les installations portuaires d’Odessa et d’autres ports ukrainiens de la mer Noire, la déléguée a estimé que ces frappes, tout comme la décision prise par la Russie concernant l’Initiative de la mer Noire, ont des répercussions qui vont bien au-delà de l’Ukraine.  Les accords signés à Istanbul il y a un an se sont révélés essentiels pour la sécurité alimentaire dans le monde entier, a fait valoir la représentante puisque l’Initiative a permis l’exportation de plus de 32 millions de tonnes de nourriture depuis l’Ukraine dans 45 pays répartis sur trois continents.  L’Initiative a aussi contribué à réduire les prix des denrées alimentaires au niveau mondial et a rendu possible l’expédition de plus de 725 000 tonnes de blé par le PAM pour soutenir les opérations humanitaires.

Dès lors, la déléguée a exprimé son profond regret face à la décision de la Russie de ne pas prolonger cette initiative arguant qu’il est dans l’intérêt de la sécurité alimentaire mondiale qu’elle soit reconduite.  Faisant également part de ses préoccupations relatives à l’escalade militaire et à la rhétorique depuis la décision russe, la représentante a appelé à s’abstenir de tout acte préjudiciable, notamment à l’égard de la navigation civile.  Elle a salué les efforts inlassables du Secrétaire général et de tous les acteurs impliqués pour faciliter l’accès rapide et sans entrave aux marchés mondiaux des produits alimentaires et des engrais en provenance de l’Ukraine et de la Russie, en annonçant que la Suisse se tenait prête à soutenir ces efforts. 

M. GENG SHUANG (Chine) a déclaré que l’Initiative de la mer Noire et le Mémorandum d’accord sur les exportations russes sont essentiels au maintien des prix des denrées alimentaires et de la stabilité des marchés mondiaux.  Selon lui, ces deux instruments devraient être mis en œuvre de façon équilibrée et transparente, en tenant compte des intérêts des parties en matière d’exportation, comme l’a demandé la Fédération de Russie.  Il est en effet essentiel de soulager les pays en développement en aidant les entités onusiennes à faciliter les consultations à cet égard.  Sur le terrain, la situation est en constante escalade depuis un certain temps et des infrastructures civiles ont été la cible d’attaques, a noté le représentant, avant d’exhorter les parties à faire preuve de retenue et à respecter le droit international humanitaire ainsi que les principes de proportionnalité et de distinction.  « Il est inacceptable d’attaquer des personnes et des biens civils », a-t-il ajouté, afin d’éviter que la situation humanitaire ne se détériore davantage.  Pour y parvenir, le délégué a exhorté les parties à reprendre les pourparlers de paix et la communauté internationale à mettre en place les conditions favorables à un dialogue politique, dans le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de tous les États. 

Mme LINDA THOMAS-GREENFIELD (États-Unis) a noté que la Fédération de Russie va de plus en plus loin, en déplorant l’interruption de l’Initiative de la mer Noire. « Cela n’est pas un détail », a dit la déléguée.  Elle a aussi fustigé les menaces proférées par la Russie contre les navires civils se dirigeant vers des ports ukrainiens.  La Russie s’attaque désormais aux denrées alimentaires dont le monde a besoin, a-t-elle tranché.  « Cela est inacceptable. »  Nous ne pouvons pas rester les bras croisés devant la cruauté russe, a déclaré la représentante.  Elle a rappelé que la Russie a transformé les champs de blé ukrainiens en champs de bataille, avant de noter la contribution positive de l’Initiative qui a permis de faire baisser les prix mondiaux et de confectionner « 18 milliards de petits pains ».  Les prix des céréales ont augmenté depuis cette interruption et c’est la Russie qui en profite, a tranché la déléguée.  Selon elle, la mer Noire est devenue un moyen de chantage mondial pour la Russie.  Enfin, la représentante a exhorté Moscou à revenir à cette initiative.  « Le monde a les yeux rivés sur la Russie. »

M. MARTINS MARIANO KUMANGA (Mozambique) a déclaré que la suspension de l’Initiative de la mer Noire fera augmenter les tensions socioéconomiques mondiales dans un monde déjà aux prises avec une tempête de conflits, de changements climatiques et une perte de confiance dans notre capacité collective de négocier et d’adhérer à des solutions multilatérales.  D’aucuns estiment que les indices des prix alimentaires mondiaux montraient déjà de fortes augmentations, a-t-il noté avant de parler des agences humanitaires qui se préparent à d’éventuelles pénuries alimentaires et à une augmentation de la faim dans les zones touchées par le conflit. Prenant note des inquiétudes concernant la mise en œuvre du double protocole qui facilite l’exportation de céréales et de produits agricoles, le représentant a cité les données de l’ONU: environ 3% des exportations dans le cadre de l’Initiative de la mer Noire sont allées aux pays à faible revenu, tandis que les pays à revenu élevé en reçoivent environ 44%, le reste allant aux États à revenu intermédiaire. 

Le délégué a exhorté les parties et tous les garants de l’Initiative à suivre l’exemple du Secrétaire général, qui a réaffirmé son engagement indéfectible à faciliter le transport des produits alimentaires et des engrais de l’Ukraine et de la Russie vers les marchés internationaux.  Il les a encouragés à mettre de côté leurs divergences, en gardant à l’esprit les difficultés qui risquent d’être causées avec la suspension de cet arrangement.  Les problèmes humanitaires exigent une solution politique, a raisonné le représentant réitérant son appel à une cessation immédiate des hostilités et à la reprise de négociations directes entre les parties.

M. MOHAMED ISSA ABUSHAHAB (Émirats arabes unis) a regretté la non-extension de l’Initiative de la mer Noire, craignant que cela n’aggrave l’insécurité alimentaire dans le monde.  Les plus démunis en paieront à nouveau le plus lourd tribut, s’est-il désolé.  Le délégué a félicité le Secrétaire général et l’ONU pour leurs efforts incessants en vue de faire parvenir les céréales et engrais ukrainiens et russes sur les marchés mondiaux.  Il a appelé la communauté internationale à s’appuyer sur tous les outils dont elle dispose aujourd’hui pour poursuivre ces accords et parvenir à la cessation du conflit en Ukraine.  Seules la paix et la stabilité permettront d’endiguer les tensions, a conclu le représentant.

Mme VANESSA FRAZIER (Malte) a condamné fermement la décision unilatérale de la Fédération de Russie de mettre fin à l’Initiative de la mer Noire. Cette décision se veut selon elle un « énième exemple regrettable de politisation des besoins humanitaires » par la Russie qui ne fera qu’exacerber la crise mondiale alimentaire. La représentante a considéré que la responsabilité de cette évolution incombe entièrement à la Fédération de Russie, en ajoutant que la militarisation de la nourriture est inadmissible.  Il est donc essentiel de rétablir l’Initiative de la mer Noire afin de rééquilibrer le marché alimentaire mondial et d’assurer l’exportation des céréales de l’Ukraine vers les pays qui en ont le plus besoin.  Malgré les affirmations contraires de la Russie, plus de la moitié des céréales et les deux tiers du blé expédiés au moyen de l’Initiative sont allés à des pays en développement, y compris certaines des régions du monde les plus exposées à l’insécurité alimentaire comme la Corne de l’Afrique, le Sahel, le Yémen et l’Afghanistan.  En outre, cet accord a contribué à faire baisser les prix des denrées alimentaires de près d’un quart depuis mars 2022, a-t-elle noté. 

La représentante a exprimé sa profonde inquiétude face aux déclarations russes indiquant que tous les navires naviguant vers les ports ukrainiens de la mer Noire seront considérés comme des cibles militaires.  Elle a exhorté la Fédération de Russie à cesser de bloquer illégalement les ports maritimes ukrainiens et à permettre la liberté de navigation sur la mer Noire.  Dans l’intervalle, les voies de solidarité de l’Union européenne continueront d’aider l’Ukraine à faciliter l’exportation de ses produits agricoles dans le monde entier, a-t-elle assuré. 

M. SERGIO FRANCA DANESE (Brésil) a déploré l’interruption de l’Initiative de la mer Noire, avant d’encourager les parties à rechercher des solutions mutuellement bénéfiques permettant de prévenir une aggravation de l’insécurité alimentaire dans le monde.  Il a ensuite mentionné les appels répétés lancés depuis le début de la guerre aux pays en développement afin qu’ils prennent position.  Ceux qui formulent de telles demandes ne semblent pas écouter les opinions qui ont été formulées sur les causes complexes et les conséquences mondiales du conflit, a dit le délégué.  « Parmi toutes les positions exprimées, un message a été constamment répété: il est plus que temps de mettre fin à cette guerre. »  Enfin, il a appelé à l’ouverture de négociations de paix, dans le respect de la souveraineté de l’Ukraine et la reconnaissance des préoccupations sécuritaires de tous.

M. DMITRY A. POLYANSKIY (Fédération de Russie) a dit être frappé, une fois de plus, par « le degré de cynisme des membres occidentaux du Conseil de sécurité » et par leur volonté de dissimuler la vérité et de faire passer des vœux pieux pour la réalité.  Il a rappelé avoir, dès le début de l’Initiative, attiré l’attention de tous sur le fait qu’elle devait correspondre à l’objectif humanitaire initial, alors qu’elle prenait un caractère nettement commercial.  Dès le début, les pays développés ont pris la tête des acheteurs de denrées alimentaires en provenance d’Ukraine, a-t-il ajouté.  Le délégué a rappelé en effet que plus de 70% des 32,8 millions de tonnes de marchandises exportées dans le cadre de l’Initiative de la mer Noire sont allées vers des pays à revenu élevé et à revenu moyen supérieur, y compris l’Union européenne.  Les pays les plus pauvres, en particulier l’Éthiopie, le Yémen, l’Afghanistan, le Soudan et la Somalie, n’ont représenté que moins de 3%.  Il a expliqué cela par le fait que les propriétaires d’une part importante des terres arables ukrainiennes sont les sociétés occidentales Cargill, DuPont et Monsanto, celles-ci étant devenues les principales bénéficiaires des exportations de céréales ukrainiennes.  D’autre part, il a noté que les Européens, qui achètent les denrées alimentaires ukrainiennes à des prix de dumping, les transforment chez eux et les revendent sous forme de produits finis à forte valeur ajoutée.  En d’autres termes, ils y gagnent deux fois, a ironisé le représentant en s’interrogeant sur la mission initiale qui était l’approvisionnement alimentaire des pays les plus pauvres.

« Si nous parlons vraiment de la saturation du marché mondial en denrées alimentaires et de la sécurité alimentaire mondiale, c’est sur la Russie, et non sur l’Ukraine, qu’il faut concentrer l’attention », a-t-il fait valoir en invitant à comparer les chiffres de la production céréalière en Russie et en Ukraine de l’année dernière: l’Ukraine a produit environ 55 millions de tonnes de céréales, dont 47 millions de tonnes ont été exportées, dont 17 millions de tonnes de blé; la Russie a récolté 156 millions de tonnes de céréales, dont elle a exporté 60 millions de tonnes, dont 48 millions de tonnes de blé.  Le représentant a tenu à préciser que la Russie a pu exporter sa production céréalière non pas grâce à « l’accord sur les céréales » et en dépit des obstacles qui lui ont été imposés.  La simple arithmétique démontre clairement que la Russie occupe 20% du marché mondial du blé, tandis que la part de l’Ukraine est inférieure à 5%, a précisé le délégué. « Qui joue donc un rôle majeur dans la sécurité alimentaire mondiale? »  Si l’on ajoute à cela les engrais fabriqués en Russie, le tableau devient encore plus clair, a-t-il poursuivi en prenant à témoin les spécialistes qui selon lui en ont pleinement conscience. 

C’est pourquoi le Mémorandum entre la Russie et l’ONU sur l’exportation de produits agricoles russes est devenu partie intégrante de « l’accord ». Toutefois, a affirmé le représentant, pas une seule de ses dispositions n’a été respectée au cours de l’année dernière. Il a pointé l’approche discriminatoire des pays occidentaux, qui ont imposé des sanctions sans précédent à la Russie et même tenté d’organiser un blocus de ses producteurs.  La thèse selon laquelle les sanctions des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’UE ne s’appliquent pas aux denrées alimentaires et aux engrais visait certainement à induire tout le monde en erreur et à rejeter la responsabilité sur la Russie, a-t-il analysé, mais elle ne passe pas auprès des représentants de l’industrie.  Si la Russie a perdu un certain nombre de pays clients, dont les systèmes bancaires n’ont pas pu s’adapter aux nouvelles réalités, elle a trouvé de nouveaux marchés sur lesquels les problèmes de règlement et de logistique ont pu être réglés, a indiqué le représentant en précisant que cela s’est fait sans l’aide de l’ONU.  Le Mémorandum ONU-Russie n’a jamais fonctionné, a-t-il tranché en rappelant que l’une des principales demandes de la Russie -la reconnexion de Rosselkhozbank au système SWIFT– n’a pas été possible parce que l’UE et les États-Unis s’y opposaient.  Le délégué s’est aussi plaint des conséquences de la désignation de l’ensemble du territoire de la Russie comme « zone à risque de guerre »: les taux d’assurance sont devenus inabordables, les ports étrangers ont été fermés aux navires et cargaisons russes, les comptes étrangers des entreprises agricoles nationales ont été gelés.

Si la Russie a accepté, par deux fois, de prolonger l’Initiative, c’est parce qu’elle s’attendait à ce que ses accords avec les Nations Unies soient respectés, a expliqué le représentant qui a ensuite énuméré les raisons de son revirement: une chute de 30 à 40% de la valeur des céréales russes sur les marchés mondiaux; des pertes de 1,2 milliard de dollars pour les agriculteurs russes; une augmentation de 40% des prix des équipements agricoles importés et de leurs pièces détachées; une hausse de 10% des coûts des transactions financières.  Les producteurs d’engrais, dont les pertes s’élèvent à environ 1,6 milliard de dollars, n’ont pas moins de problèmes, a regretté le délégué. 

À partir du 20 juillet 2023, la Russie considère tous les navires naviguant en mer Noire vers les ports ukrainiens comme des transporteurs potentiels de cargaisons militaires et, par conséquent, les pays dont ils battent pavillon seront considérés comme impliqués dans le conflit ukrainien aux côtés du régime de Kiev, a déclaré le représentant.  En outre, un certain nombre de zones maritimes dans les parties nord-ouest et sud-est des eaux internationales de la mer Noire ont été déclarées temporairement dangereuses pour la navigation. 

Le représentant a tenu à affirmer toutefois que la Russie n’est pas contre l’Initiative de la mer Noire en tant que telle, et qu’elle est prête à envisager la possibilité d’y revenir à une seule condition: que tous les principes précédemment convenus de la participation de la Russie à cet accord soient pleinement pris en compte et mis en œuvre sans exception.  Concrètement cela signifie que les sanctions ne s’appliquent pas aux livraisons de céréales et d’engrais russes sur les marchés mondiaux. Deuxièmement, tous les obstacles auxquels sont confrontées les banques et les institutions financières russes qui assurent l’approvisionnement en denrées alimentaires et en engrais doivent être levés, y compris leur connexion immédiate au système de règlement bancaire international SWIFT.  Troisièmement, les livraisons de pièces détachées et de composants pour les machines agricoles et l’industrie des engrais doivent reprendre en Russie.  Quatrièmement, il faut régler tous les problèmes liés à l’affrètement des navires et à l’assurance des exportations alimentaires russes, et assurer l’ensemble de la logistique des approvisionnements alimentaires.  Cinquièmement, les conditions doivent être réunies sans entrave pour l’expansion de l’approvisionnement en engrais russes et en matières premières pour leur production, y compris la restauration de l’oléoduc d’ammoniac Togliatti-Odessa, qui a été dynamité et détruit manifestement sur ordre du régime de Kiev.

M. ISHIKANE KIMIHIRO (Japon) a condamné l’interruption de l’Initiative de la mer Noire, en raison d’une décision « déplorable » de la Russie. Il a rappelé l’importance de cette initiative pour la préservation de la sécurité alimentaire mondiale, en permettant notamment l’exportation de plus de 32 millions de tonnes de céréales et autres produits.  Il a jugé alarmante la volatilité des cours mondiaux du blé depuis la décision russe. Il a aussi fustigé les menaces proférées par la Russie contre les navires civils se dirigeant vers des ports ukrainiens.  Le délégué a exhorté la Russie à cesser de faire de la sécurité alimentaire une arme. Cela ne parviendra jamais à légitimer des actes odieux de violence, a-t-il dit.  Enfin, il a rappelé les 250 millions de dollars donnés par son pays pour une aide alimentaire au Moyen-Orient et en Afrique.

Mme BARBARA WOODWARD (Royaume-Uni) a répété qu’en mettant fin à l’Initiative de la mer Noire, la Fédération de Russie retire la nourriture de la bouche des plus pauvres de la planète.  Quelque 64% des 34 millions de tonnes de céréales exportées dans le cadre de cet accord sont allées vers des pays à revenu faible ou intermédiaire, en particulier les pays de la Corne de l’Afrique déjà touchés par la sécheresse.  Depuis, a poursuivi la représentante, les attaques de missiles russes sur Odessa, Chornomorsk et Mykolaiv ont détruit plus de 60 000 tonnes de céréales, une quantité suffisante pour nourrir 270 000 personnes pendant un an ou pour doubler les expéditions du Programme alimentaire mondial (PAM) au Soudan et en Somalie. 

Ces actes, a ajouté la déléguée, font déjà monter les prix des denrées alimentaires, avec un impact immédiat sur les plus pauvres de la planète mais aussi sur des membres du Conseil tels que la Chine, qui était la plus grande importatrice de céréales dans le cadre de l’Initiative de la mer Noire.  Nous savons que les motifs invoqués par la Russie pour mettre fin à l’accord sont absurdes, a tranché la représentante, en rappelant que les exportations russes de produits alimentaires et d’engrais n’ont jamais fait l’objet de sanctions.  Malgré cela, avant de résilier l’accord, la Fédération de Russie l’étranglait déjà, en limitant ses expéditions, alors que l’Ukraine ne demande rien d’autre que de mettre ses denrées alimentaires à la disposition du monde entier.  « La nourriture ne saurait être une arme », a martelé la représentante.

Depuis la fin de l’Initiative de la mer Noire, a affirmé M. SERGIY KYSLYTSYA (Ukraine), la Russie a détruit nos exportations de céréales par une pluie de missiles et de drones sur les ports et les infrastructures de stockage. Du 18 au 20 juillet, 56 missiles de croisière et 87 drones d’origine iranienne ont été lancés détruisant 60 000 tonnes de céréales.  Le représentant a cité les propos fallacieux d’une participante au forum économique international de Saint-Pétersbourg disant: la famine va commencer maintenant.  Ils lèveront les sanctions et voudront devenir nos amis parce c’est nécessaire.  Le représentant n’a pas manqué de qualifier les propos de M. Mikhail Khazin de purement mensongers.

Il a précisé que les frappes russes du 20 juillet ont tué un couple marié et blessé 19 autres civils, y compris 5 enfants.  Il a aussi souligné que le droit international humanitaire interdit toute attaque contre les navires des États neutres, ne trouvant aucune raison de penser que des navires marchands étrangers appuient des efforts militaires.  L’objectif de la Russie, a-t-il prévenu, est d’intimider les États neutres.  En même temps, cette dernière s’enrichit, en volant les céréales ukrainiennes qu’elle vend sur les marchés mondiaux. 

Citant le Secrétaire général, le représentant a insisté sur le fait que l’Initiative de la mer Noire a permis le libre passage de plus de 32 millions de tonnes de produits alimentaires depuis les ports ukrainiens et a fait baisser les prix de plus de 23%, depuis mars dernier.  Le Programme alimentaire mondial a pu livrer plus de 725 000 tonnes d’aide alimentaire en Afghanistan, dans la Corne de l’Afrique et au Yémen.  Le retrait de la Russie et ses attaques cyniques sont une tentative d’éliminer un concurrent, de faire délibérément augmenter les prix des produits alimentaires et d’engranger des bénéfices au détriment de millions de personnes dans le monde.  Le représentant a appelé ses partenaires à soutenir l’Initiative de la mer Noire, à condamner les actes de la Russie et à prendre les mesures appropriées pour garantir la sécurité de la navigation en mer Noire.  Enfin, il a attiré l’attention du Secrétaire général sur l’aveu public des responsables de la Croix-Rouge du Bélarus qui ont reconnu leur participation dans les déportations illégales et forcées d’enfants ukrainiens. 

Mme CEREN HANDE ÖZGÜR (Türkiye) a souligné l’impact de la guerre en Ukraine sur la sécurité alimentaire mondiale et rappelé, à son tour, que l’Initiative de la mer Noire a permis l’exportation de plus de 32 millions de tonnes de céréales et autres produits alimentaire.  Son interruption risque d’avoir des conséquences graves, a prévenu la déléguée qui a estimé que tous les acteurs concernés doivent travailler ensemble pour redonner vie à l’Initiative.  Elle a espéré que cette suspension ne sera que temporaire et assuré de l’appui de son pays au retour de cette initiative.

La Fédération de Russie a fait le choix de se retirer de l’Initiative de la mer Noire tout comme elle avait fait le choix de lancer une guerre contre l’Ukraine, a déclaré Mme ANDREEA MOCANU (Roumanie).  Elle a exprimé sa solidarité avec les populations vulnérables affectées par les effets multidimensionnels et délétères de la décision russe.  Estimant que l’Initiative de la mer Noire constitue l’exemple d’un multilatéralisme en marche, elle a appelé la Russie à revenir à la raison.  Sur les 41 millions de tonnes de céréales ukrainiennes exportées par les voies de solidarité ouvertes par l’Union européenne, plus de 20 millions ont transité par la Roumanie, a-t-elle noté.  Aux côtés de l’ONU, l’Union européenne a ainsi redoublé d’efforts pour faire face aux défis posés par un acteur qui choisit de saper le droit international.  La déléguée s’est dite consternée par les attaques russes contre des écoles et des hôpitaux, avant de rappeler que prendre des personnes et des infrastructures civiles pour cible est strictement interdit par le droit international.

M. OLOF SKOOG, de l’Union européenne (UE), a dénoncé le membre permanent du Conseil de sécurité qui menace désormais de bombarder tout navire et ce, indépendamment de sa cargaison et de son pavillon.  Ce membre est d’ailleurs en train de faire exploser les entrepôts de céréales et les infrastructures portuaires de l’Ukraine.  C’est tout simplement scandaleux qu’un tel pays prétende se soucier de la sécurité alimentaire mondiale, s’est indigné le délégué.  Depuis son retrait condamnable de l’Initiative de la mer Noire, la Russie a, par ses bombardements, détruit plus de 60 000 tonnes de céréales destinées à l’exportation.  C’est totalement inacceptable, a martelé le représentant qui a souligné que ce pays profite bien de la hausse des prix des denrées alimentaires.  Ses exportations de céréales ont en effet atteint, du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023, 44,7 millions de tonnes, soit plus de 10% de plus que la moyenne des années précédentes, et celles de ses engrais sont en pleine reprise. 

Contrairement à la désinformation russe, a expliqué le délégué, l’Initiative de la mer Noire a réduit les prix des produits alimentaires de plus de 23%, depuis l’invasion de l’Ukraine.  La moitié des céréales est destinée aux pays en développement et il faut aussi noter que la moitié de l’approvisionnement total en céréales du Programme alimentaire mondial (PAM) vient d’Ukraine.  Sans la route de la mer Noire, le PAM devra chercher ailleurs et bien sûr à un coût plus élevé. Depuis le retrait de la Russie, les prix du blé ont grimpé de 13% et ceux du maïs de 5,4%.  En bloquant les exportations de l’Ukraine, la Russie engrangera des profits encore plus élevés avec ses exportations.  Citant le Secrétaire général, le représentant a souligné que la Russie tirait d’importants avantages du Mémorandum d’accord sur ses exportations de denrées alimentaires et d’engrais. 

De son côté, a affirmé M. Skoog, l’UE n’a ménagé aucun effort pour éviter que ses sanctions n’aient un impact sur la sécurité alimentaire mondiale.  Elle a accordé des dérogations, au mois de décembre et a mis en place un mécanisme de paiement sur mesure pour la Banque agricole russe.  La Russie sait tout cela, a précisé le représentant, avant d’énumérer les autres initiatives de l’UE, dont le versement d’une somme de 18 milliards d’euros pour la sécurité alimentaire dans les régions les plus vulnérables.  Le moment est donc venu pour la Russie de cesser de faire de la nourriture une arme de guerre et de revenir à l’Initiative de la mer Noire.  Tout arrangement doit inclure l’Ukraine, a ajouté le représentant. 

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