Conseil de sécurité: le Chef de l’AIEA présente cinq principes pour garantir la sécurité de la centrale nucléaire de Zaporijia en Ukraine
Cet après-midi, le Conseil de sécurité s’est réuni pour faire le point sur la situation de la centrale nucléaire de Zaporijia en Ukraine, une réunion demandée par l’Équateur et la France. Dans son exposé, le Directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), M. Rafael Mariano Grossi, a présenté sa dernière proposition en cinq points pour assurer la sûreté et la sécurité de la centrale, une proposition qui a été soutenue par les membres du Conseil même s’ils avaient des opinions divergentes quant à la responsabilité de chaque partie dans les attaques autour du site.
Alors que la situation est « toujours extrêmement fragile et dangereuse », le Chef de l’AIEA a insisté sur l’urgence qu’il y a à tout faire pour éviter un incident nucléaire en Ukraine, comparant la situation actuelle à Zaporijia à la « roulette russe ». À sept reprises depuis le début de l’agression russe, le site de Zaporijia a perdu toute alimentation électrique externe et a dû faire appel à des générateurs de secours, « dernière ligne de défense contre un accident nucléaire », pour assurer le refroidissement vital du réacteur et du combustible usé, a souligné M. Grossi, précisant que la dernière coupure électrique remonte à la semaine dernière.
Soucieux d’éviter tout risque de « scénario catastrophe », M. Grossi a « solennellement et respectueusement » demandé aux parties d’éviter un accident nucléaire et de garantir l’intégrité de la centrale de Zaporijia en adhérant aux cinq principes de sécurité suivants: ne pas mener d’attaque de quelque nature que ce soit depuis ou contre la centrale, en particulier contre les réacteurs, le stockage du combustible usé, d’autres infrastructures critiques ou le personnel; ne pas utiliser la centrale comme lieu de stockage ou de base pour des armes lourdes ou du personnel militaire qui pourraient être utilisés pour une attaque depuis la centrale; ne pas mettre en péril l’alimentation électrique hors site de la centrale; protéger toutes les structures, tous les systèmes et tous les composants essentiels à l’exploitation sûre et sécurisée de la centrale nucléaire de Zaporijia contre des attaques ou des actes de sabotage; et en dernier lieu, ne mener aucune action qui porte atteinte à ces principes.
La présence des experts de la Mission de soutien et d’assistance de l’AIEA à Zaporijia (ISAMZ) sera renforcé et ils feront rapport au Directeur général de l’AIEA sur le respect de ces principes, et ce dernier rendra publiquement compte de toute violation éventuelle, a précisé M. Grossi.
Si ces principes ont été soutenus par l’ensemble des membres du Conseil, la Russie affirmant qu’ils sont conformes avec les mesures prises par elle-même au niveau national, le Royaume-Uni n’a pas manqué de l’accuser d’avoir violé l’ensemble des sept piliers de la sûreté et de la sécurité nucléaires de l’AIEA, arguant que le contrôle qu’elle exerce sur la centrale de Zaporijia est illégal et continue de représenter une menace sérieuse pour le fonctionnement sûr et sécurisé de l’installation.
À son instar, plusieurs autres délégations, dont l’Ukraine, ont fait état de la présence de matériel militaires, d’armes lourdes et de forces russes sur place et à proximité de la centrale. Cela indiquerait, selon elles, que la Russie utilise la plus grande centrale nucléaire d’Europe comme un élément de sa stratégie militaire. Compte tenu de l’occupation de la centrale par un autre État, les cinq principes de l’AIEA devraient s’accompagner d’une « exigence de démilitarisation complète et de désoccupation » de l’installation, a estimé la délégation ukrainienne.
La Russie a démenti ces allégations, affirmant qu’avec le concours de la direction de l’AIEA, elle a déployé tous les efforts nécessaires pour prévenir les menaces à la sécurité de la centrale de Zaporijjia qu’elle a imputées au régime Zelenskyy et ses parrains occidentaux. Elle a notamment déploré que l’initiative visant à créer une zone de protection autour de la centrale n’ait toujours pas vu le jour « en raison de la réticence de Kiev à s’engager à ne pas bombarder la centrale nucléaire ».
Il n’en reste pas moins que la plupart des membres du Conseil, dont la France, ont insisté sur le fait que pour éviter un accident « aux conséquences irréparables », il importe que la Russie rende à l’Ukraine le contrôle total de toutes les installations nucléaires et cesse d’exercer sur les personnels des pressions et des menaces qui aggravent le risque d’une erreur humaine.
Les États-Unis ont par ailleurs fait savoir que Moscou aurait déconnecté les capteurs essentiels de surveillance des rayonnements de Zaporijia, ce qui signifie que les données de la centrale sont maintenant transmises à l’autorité de réglementation nucléaire russe. La centrale de Zaporijia appartient à l’Ukraine et toutes les données nécessaires à son fonctionnement doivent être transmises à Kiev, a insisté la délégation.
MENACES CONTRE LA PAIX ET LA SÉCURITÉ INTERNATIONALES
Déclarations
M. RAFAEL MARIANO GROSSI, Directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), a rappelé que c’est la première fois dans l’histoire qu’une guerre se déroule au milieu des installations d’un important programme de production d’énergie nucléaire. En effet, plusieurs des cinq centrales nucléaires ukrainiennes ont été directement bombardées, toutes ces centrales ont été privées d’électricité à un moment ou à un autre, et la centrale de Zaporijia est passée sous contrôle militaire et opérationnel de la Russie. Il a indiqué que depuis le début de la guerre, l’AIEA a dépêché pas moins de 12 missions d’experts en Ukraine et que depuis le 1er septembre 2022, une mission de soutien et d’assistance de l’AIEA est stationnée à la centrale nucléaire de Zaporijia, « littéralement sur la ligne de front ». En outre, depuis janvier de cette année, d’autres experts de l’AIEA sont en poste sur tous les autres grands sites nucléaires ukrainiens- Rivne, Ukraine du Sud, Khmelnytskyy et Tchernobyl- et l’AIEA poursuit ses activités vitales de vérification des garanties dans toute l’Ukraine, en veillant à ce qu’il n’y ait pas de détournement de matières nucléaires à des fins militaires.
Il a alerté que la situation est toujours extrêmement fragile et dangereuse à la centrale de Zaporijia en matière de sûreté et de sécurité nucléaires. Les activités militaires se poursuivent dans la région et pourraient s’intensifier considérablement dans un avenir proche, a-t-il averti précisant que la centrale fonctionne avec un personnel considérablement réduit. À sept reprises, le site a perdu toute alimentation électrique hors site et a dû faire appel à des générateurs diesel de secours, « dernière ligne de défense contre un accident nucléaire », pour assurer le refroidissement vital du réacteur et du combustible usé, a fait savoir M. Grossi, précisant que la dernière coupure électrique remonte à la semaine dernière. Il a comparé la situation actuelle à la roulette russe et a appelé toutes les parties à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour réduire au minimum le risque d’accident et protéger la sûreté et la sécurité nucléaires de la centrale.
Le Chef de l’AIEA a ensuite énuméré les sept piliers indispensables pour garantir la sûreté et la sécurité nucléaires lors d’un conflit armé qu’il avait présenté il y a un an: le maintien de l’intégrité physique des installations - qu’il s’agisse des réacteurs, des piscines de combustible ou des entrepôts de déchets radioactifs; tous les systèmes et équipements de sûreté et de sécurité doivent être pleinement fonctionnels à tout moment; le personnel d’exploitation doit être en mesure de s’acquitter de ses tâches en matière de sûreté et de sécurité et de prendre des décisions sans subir de pressions indues; tous les sites nucléaires doivent disposer d’une alimentation électrique sécurisée hors site à partir du réseau; les chaînes d’approvisionnement logistique et les transports vers et depuis les sites doivent être ininterrompus; et il doit y avoir des systèmes efficaces de surveillance des rayonnements sur site et hors site, ainsi que des mesures de préparation et d’intervention en cas d’urgence. Enfin, il doit y avoir une communication fiable avec l’autorité de réglementation et les autres parties concernées.
Jugeant le moment venu d’être plus précis sur ce qui est requis, il a expliqué avoir travaillé de manière intensive et en consultation avec les dirigeants de l’Ukraine et de la Russie pour définir des principes concrets pour contribuer à garantir la sûreté et la sécurité nucléaires de la centrale nucléaire de Zaporijia et éviter un accident nucléaire et de garantir l’intégrité de la centrale: ne pas mener d’attaque de quelque nature que ce soit depuis ou contre la centrale, en particulier contre les réacteurs, le stockage du combustible usé, d’autres infrastructures critiques ou le personnel; ne pas utiliser la centrale comme lieu de stockage ou de base pour des armes lourdes (lance-roquettes multiples, systèmes d’artillerie et munitions, chars) ou du personnel militaire qui pourraient être utilisés pour une attaque depuis la centrale; ne pas mettre en péril l’alimentation électrique hors site de la centrale à tout moment; protéger toutes les structures, tous les systèmes et tous les composants essentiels à l’exploitation sûre et sécurisée de la centrale nucléaire de Zaporijia contre des attaques ou des actes de sabotage et, en dernier lieu, ne mener aucune action qui porte atteinte à ces principes.
Les experts de la Mission d’appui et d’assistance de l’AIEA à Zaporijia (ISAMZ) feront rapport sur le respect de ces principes au Directeur général qui rendra compte publiquement de toute violation de ces principes, a précisé M. Grossi qui a demandé « respectueusement et solennellement » aux deux parties de respecter ces cinq principes.
M. IGNAZIO CASSIS, Conseiller fédéral et Chef du Département fédéral des affaires étrangères de la Suisse, a salué l’engagement continu de l’AIEA pour assurer la protection des installations nucléaires civiles en Ukraine, avant de réitérer l’appel à la Fédération de Russie à retirer ses troupes du territoire ukrainien, et de condamner toute attaque perpétrée contre des infrastructures civiles. Il a estimé que les sept piliers élaborés par l’AIEA résument parfaitement ce qui doit être fait pour garantir la sureté nucléaire dans tous les conflits armés. Aujourd’hui, a-t-il dit, nous avons l’occasion de soutenir cinq principes concrets pour protéger la centrale nucléaire de Zaporijia, prévenir un désastre nucléaire avec toutes ses conséquences pour la population et l’environnement, et donc, pour assurer la protection de la population civile. Il a fait part de son plein soutien aux propositions de l’Agence, saluant une approche pragmatique et ciblée, et a invité la Fédération de Russie et l’Ukraine à pleinement mettre en œuvre ces cinq principes, et à s’engager pour protéger la centrale nucléaire de Zaporijia.
M. HERNÁN PÉREZ LOOSE (Équateur) a rappelé que cette séance du Conseil de sécurité a lieu à la demande de la France et de son pays. Il a salué le courage et le professionnalisme des équipes de l’AIEA déployées sur le terrain à Zaporijia, qui doivent pouvoir évaluer la situation. Le délégué a appelé la Russie à cesser toute agression militaire, comme l’a ordonné la Cour internationale de Justice (CIJ), et à rétablir le plein contrôle du territoire et des infrastructures et installations au peuple ukrainien, y compris la centrale électrique de Zaporijia. Selon le délégué, le monde est mis à l’épreuve simultanément par le risque d’accident nucléaire dans une usine à usage pacifique et par la menace posée par les armes nucléaires. Dans les deux cas, cela entraînerait des conséquences humanitaires catastrophiques. Il a regretté qu’à ce jour, il n’ait pas été possible de créer une zone de sûreté nucléaire, raison de plus pour que le Conseil de sécurité exige le respect du Statut de l’AIEA, de la Charte des Nations Unies, de la Convention sur la sûreté nucléaire, et d’autres textes pertinents. Il a également réitéré la nécessité de se conformer aux sept piliers de la sûreté nucléaire de l’AIEA. Selon le représentant, un accord garantissant la sécurité et la protection nucléaires est essentiel pour réduire les risques et apaiser les tensions dans ce domaine.
Mme NATHALIE BROADHURST ESTIVAL (France) a rappelé qu’il y a tout juste une semaine, la centrale nucléaire de Zaporijia a de nouveau été privée d’électricité pendant plusieurs heures. Pour la septième fois depuis le début de l’agression russe, nous sommes passés près d’un accident nucléaire dans la plus grande centrale nucléaire d’Europe, que la Russie a coupée de ses lignes d’alimentation électrique de secours, a dénoncé la représentante, qui s’est déclarée très préoccupée par la menace pesant sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires de l’Ukraine. Elle a notamment jugé très inquiétante la dégradation des conditions d’accès qui n’ont pas permis à l’AIEA d’opérer ce week-end la rotation de l’équipe d’experts. La Russie porte seule la responsabilité de cette situation puisque c’est elle qui a saisi de force cette centrale, a-t-elle martelé, avant de s’élever contre le minage des abords de la centrale et la consolidation de positions militaires sur le site.
Pour éviter un accident « aux conséquences irréparables », il importe que la Russie rende à l’Ukraine le contrôle total de toutes les installations nucléaires et cesse d’exercer sur les personnels des pressions et des menaces qui aggravent le risque d’une erreur humaine, a plaidé la déléguée, appelant la Russie à ne plus utiliser la centrale de Zaporijia comme une base militaire. Elle a d’autre part jugé essentiel que les principes exposés par le Directeur général de l’AIEA, destinés à assurer la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, soient pleinement appliqués, dans le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale ukrainiennes. Il est enfin crucial de pérenniser l’accès des experts de l’AIEA à toutes les infrastructures nucléaires de l’Ukraine, a préconisé la représentante, ajoutant que, le 5 mai dernier, la France a signé avec l’AIEA et l’agence de l’énergie atomique ukrainienne un accord qui permettra de garantir le fonctionnement des générateurs de secours de la centrale nucléaire Ukraine du Sud.
M. VASSILY A. NEBENZIA (Fédération de Russie) a déclaré que son pays, avec le concours de la direction de l’AIEA, a déployé tous les efforts nécessaires pour prévenir les menaces à la sécurité de la centrale nucléaire de Zaporijia qu’il a imputées au « régime Zelenskyy » et à ses parrains occidentaux. Il a rappelé que suite à sa visite du 1er septembre 2022, le Directeur général de l’AIEA a proposé la création d’une zone de protection autour de Zaporijia dont la mise en œuvre, a affirmé le délégué, contribuerait à la cessation des attaques de l’Ukraine contre la centrale et à prévenir une catastrophe d’origine humaine aux conséquences imprévisibles. Le représentant a regretté que cette initiative n’a pu être menée à bien en raison de la réticence de Kiev à s’engager à ne pas bombarder la centrale nucléaire.
Il a affirmé que les propositions du Directeur général pour assurer la sécurité de la centrale sont conformes aux mesures prises par la Russie au niveau national. Il a assuré qu’il n’y a jamais eu d’attaques depuis la centrale de Zaporijia et que ni armes ni munitions n’ont été placées à la centrale. En outre, des mesures concrètes ont été prises pour protéger les structures et les matériels les plus sensibles de la centrale contre les attaques ou le sabotage.
La Russie entend prendre toutes les mesures possibles pour renforcer la sécurité nucléaire et physique de la centrale conformément à la législation nationale et aux obligations découlant des instruments juridiques internationaux pertinents auxquels elle est partie, a assuré le délégué qui a promis que son gouvernement continuera de protéger la centrale de Zaporijia et d’empêcher Kiev et l’Occident collectif de la violer. Il a également prévenu que la Russie répondra fermement à toute attaque de l’Ukraine contre la centrale, ses installations critiques, notamment les lignes d’alimentation électrique, ainsi que contre la ville d’Energodar, où vivent les employés de la centrale et leurs familles. Il a ensuite appelé le Secrétariat de l’AIEA à faire montre d’impartialité et de condamner les actions de l’Ukraine qui ont amené à plusieurs reprises le monde au bord d’une catastrophe nucléaire.
M. DOMINGOS ESTÊVÃO FERNANDES (Mozambique) a estimé que la situation actuelle en Ukraine est telle qu’une escalade du conflit en conflagration nucléaire, « par accident, intention ou erreur de calcul », est une « possibilité réelle ». Rappelant que le conflit a déjà placé les sites des réacteurs nucléaires de Tchernobyl et de Zaporijia au centre d’une zone de guerre, il a observé que les postures doctrinales nucléaires sont ravivées et les accords de non-prolifération suspendus. Alors que la théorie de la dissuasion a traditionnellement dominé les doctrines nucléaires, nous assistons à une évolution vers des doctrines mettant l’accent sur « l’utilisation limitée d’armes nucléaires tactiques » comme réponse possible à l’utilisation d’armes similaires par l’adversaire, s’est-il alarmé, assurant que son pays soutient toutes mesures visant à protéger et à prévenir tout incident ou accident nucléaire, y compris celles proposées par le Directeur général de l’AIEA. Après avoir plaidé, à l’instar de l’AIEA, pour une approche rigoureuse et coordonnée à l’échelle mondiale en matière de sûreté nucléaire, le représentant a indiqué que l’approche africaine sur cette question plaide pour des responsabilités collectives renforcées, au regard desquelles une menace nucléaire, d’où qu’elle vienne, constitue une menace pour toute l’humanité, comme précisé dans le Traité de Pelindaba. Il est donc de notre responsabilité collective d’éviter la répétition d’un incident ou d’un accident nucléaire en Ukraine, dans un contexte géopolitique déjà fragile, a-t-il affirmé, avant de répéter que mettre fin au conflit reste la solution la plus viable pour assurer la sûreté et la sécurité nucléaires.
Mme LINDA THOMAS-GREENFIELD (États-Unis) a exhorté tous les membres du Conseil à appuyer les principes présentés aujourd’hui par M. Grossi et à œuvrer pour éviter une catastrophe à la centrale de Zaporijia. Un pays membre permanent de ce Conseil continue de fouler aux pieds les principes de la sécurité nucléaire, a dénoncé la déléguée qui a indiqué que des images publiées en avril par le Royaume-Uni montrent que des emplacements militaires russes se trouvent au sommet des réacteurs de la centrale. Pour aggraver les choses, des informations récentes indiquent que Moscou a déconnecté les capteurs essentiels de surveillance des rayonnements de Zaporijia, ce qui signifie que les données de la centrale sont maintenant transmises à l’autorité de réglementation nucléaire russe. La centrale nucléaire de Zaporijia appartient à l’Ukraine et ses données doivent être transmises à l’Ukraine, pas à la Russie, a insisté la représentante.
Elle a loué le comportement responsable de l’Ukraine en comparaison de celui de la Russie sur ce dossier nucléaire. Les agissements de Moscou sont selon elle une atteinte à la paix et à la sécurité internationales et nous devons faire front commun afin de demander au Président Putin d’arrêter la folie qu’est cette guerre, a dit la déléguée, en appelant ce pays à cesser sa rhétorique irresponsable. Enfin, elle s’est dite préoccupée par le déploiement d’armes tactiques au Bélarus.
Mme EDWIGE KOUMBY MISSAMBO (Gabon) a jugé très alarmant que la centrale nucléaire de Zaporijia ait à nouveau été déconnectée du réseau électrique national pendant plusieurs heures la semaine dernière. Coupée de toute alimentation externe, le système de refroidissement de la centrale a dû se faire au moyen de générateurs de secours, a-t-elle rappelé. La représentante a dit partager l’avis du Directeur général de l’AIEA, à savoir que cette situation ne peut perdurer. Elle a condamné toute manipulation ou tentative de marchandage utilisant la menace nucléaire, en refusant également toute tentative de politisation de la question. La représentante a souligné le rôle central et exclusif que l’AIEA doit continuer de jouer en matière de sécurité et de sûreté nucléaires. Elle a exhorté les parties à coopérer en toute transparence avec l’AIEA, afin de parvenir à un accord qui permettrait la mise en place d’une zone de sécurité autour de la centrale nucléaire. En outre, a-t-elle déclaré, les parties doivent s’engager à dialoguer pour mettre fin à la guerre. La représentante s’est dite convaincue que cela est possible, notamment si les parties s’appuient sur le modèle de l’Initiative de la mer Noire.
Mme BARBARA WOODWARD (Royaume-Uni) a insisté sur le fait que le contrôle exercé par la Fédération de Russie sur la centrale nucléaire de Zaporijia est illégal et continue de représenter une menace sérieuse pour le fonctionnement sûr et sécurisé de l’installation. Elle a rappelé à cet égard que le rapport de février de l’AIEA a confirmé la présence continue de personnel et d’activités militaires sur le site, décrivant une situation « dangereuse, précaire et difficile ». La représentante a ainsi fait état de la présence de véhicules militaires et de stocks non autorisés dans les salles des turbines, ainsi que de mines terrestres à proximité de l’usine, ce qui met en danger le personnel d’exploitation ukrainien et retarde les travaux de maintenance. De surcroît, les chaînes d’approvisionnement et la logistique associée continuent d’être gravement touchées par le conflit, tandis que les sources d’alimentation hors site restent vulnérables, a-t-elle dénoncé, ajoutant que de nouvelles images montrent que les forces russes ont établi des positions de combat sur les toits de plusieurs des six bâtiments du réacteur. Cela indique qu’elles ont intégré les bâtiments du réacteur de la plus grande centrale nucléaire d’Europe dans la planification de leur défense tactique, a souligné la déléguée, selon laquelle, par ses actions, la Russie a violé l’ensemble des sept piliers de la sûreté et de la sécurité nucléaires. Après avoir remercié le Directeur général de l’AIEA et ses collègues pour leurs efforts visant à assurer la sûreté et la sécurité nucléaires en Ukraine, la représentante a rendu hommage au courage, au professionnalisme et à la résilience du personnel ukrainien de la centrale de Zaporijia qui continue de travailler sans relâche sous la contrainte. Selon elle, la Russie peut résoudre cette situation à tout moment, en retirant ses troupes de la centrale et de toute l’Ukraine.
Mme SHINO MITSUKO (Japon) a réaffirmé d’emblée le soutien de son pays aux « sept piliers indispensables de la sûreté et de la sécurité nucléaires » de l’AIEA avant de souligner l’importance de garantir et de promouvoir la sûreté et la sécurité des installations nucléaires en toutes circonstances. Elle a condamné avec la plus grande fermeté la violation manifeste de la Charte des Nations Unies par la Russie et son agression contre l’Ukraine, en lui demandant instamment de retirer immédiatement ses forces et son personnel. La représentante a également condamné la signature par les ministres de la défense de la Russie et du Bélarus d’un accord établissant des procédures pour le déploiement d’armes nucléaires tactiques russes au Bélarus, ce qui attise, selon elle, encore davantage les tensions. Elle a assuré le soutien continu du Japon pour les efforts déployés par l’AIEA en vue de renforcer la sûreté et la sécurité nucléaires et de faire appliquer des garanties aux matières et installations nucléaires en Ukraine. La déléguée a salué la présence continue d’experts de l’AIEA à Zaporijia et l’attention qu’ils portent à la sûreté et à la sécurité nucléaires sur le site en cette période très difficile. Avant de conclure, elle a précisé que le Japon avait apporté une contribution financière au Secrétariat pour faciliter les missions de l’Agence, notamment pour l’achat de véhicules spéciaux pour le système de rotation périodique du personnel de l’AIEA, portant sa contribution totale aux activités de l’AIEA à environ 12 millions d’euros.
M. FERIT HOXHA (Albanie) a dénoncé l’occupation par la Russie de la centrale de Zaporijia, avant de souligner le risque d’escalade. C’est une situation inédite dans l’histoire, jamais une centrale nucléaire n’avait été utilisée comme bouclier par un pays, a dit le délégué. Il a demandé le déploiement des inspecteurs de l’AIEA dans la centrale, soulignant la nécessité d’en protéger les réacteurs. La situation reste imprévisible, a poursuivi le délégué, avant de saluer les principes énoncés par M. Grossi. Il a enfin déclaré que la situation perdurera tant que la Russie occupera la centrale. La Russie n’a rien à faire dans cette centrale ni en Ukraine, a conclu le délégué, en demandant qu’elle s’en retire.
M. JOÃO GENÉSIO DE ALMEIDA FILHO (Brésil) a souhaité que l’AIEA poursuive son rôle de garant de la sécurité et de la sûreté nucléaires dans le monde. Il a salué le fait que l’Agence ait pu continuer à assurer une présence à la centrale de Zaporijia. Il a dit soutenir les sept piliers de sécurité, d’autant que la semaine dernière, la centrale a été coupée du réseau électrique local. Il a invité les deux parties à adhérer aux principes de l’AIEA afin d’éviter une catastrophe et espéré que la prochaine fois que le Directeur général de l’AIEA viendra au Conseil de sécurité, il annoncera la bonne nouvelle de l’adhésion des parties aux cinq principes visant à éviter un accident à la centrale de Zaporijia. Le représentant a ensuite attiré l’attention sur le rétablissement de la confiance entre son pays et l’Argentine qui coopèrent dans le domaine du nucléaire, notamment par le biais de l’Agence brasilo-argentine de comptabilité et de contrôle des matières nucléaires (ABACC), désormais trentenaire. Pour éviter une catastrophe à la centrale nucléaire de Zaporijia, il faut que toutes les parties fassent montre de la volonté politique nécessaire, a-t-il conclu.
M. GENG SHUANG (Chine) a dit espérer que les pourparlers de paix reprendront sous peu entre l’Ukraine et la Fédération de Russie. Pour ce faire, ces deux pays doivent créer un terrain favorable à une solution politique, en rétablissant une confiance mutuelle qui permette d’écarter les menaces à la sécurité en Ukraine. Le délégué a exhorté les parties à assurer la sécurité de la centrale nucléaire de Zaporijia où des opérations militaires se poursuivent ainsi que dans les zones avoisinantes. Plusieurs installations ayant été endommagées, le risque d’une catastrophe ne cesse de se préciser, a déploré le représentant. Le Directeur général de l’AIEA, a-t-il rappelé, s’est concentré sur les préoccupations communes de toutes les parties et a proposé une initiative pour protéger la centrale sur la base de cinq principes fondamentaux. Le représentant a donc exhorté les parties à « protéger l’humanité » dans un esprit de coopération et de coordination, sur la base de la Convention sur la sûreté nucléaire et d’autres instruments internationaux. La question de la sécurité de la centrale de Zaporijia n’est que l’un des aspects de la guerre en Ukraine, a-t-il relevé, en appelant à une solution politique pour sortir de la crise et de régler les questions en suspens.
Mme KHALILAH HACKMAN (Ghana) s’est dite préoccupée par le rapport de l’AIEA. Elle a appelé à la mise en œuvre rapide des sept piliers pour sauver l’Ukraine et le monde, et s’est dite favorable à la création d’une zone de démarcation dénucléarisée autour de la centrale dont le caractère civil doit à tout prix être respecté. La représentante a aussi appuyé l’idée de créer un groupe d’experts techniques, avant de souligner que cette réunion du Conseil est une occasion de revenir sur la question du désarmement nucléaire. Prenons des mesures de désescalade et mettons fin à cette guerre pour éviter une catastrophe, a-t-elle plaidé, en rappelant qu’en ce mois de mai finissant, Kiev a vécu 15 bombardements. Elle a demandé aux parties de respecter le droit international humanitaire et les droits humains, en gardant à l’esprit les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels. Il est urgent de mettre un terme aux hostilités pour mettre fin à la souffrance des Ukrainiens et retrouver la voie de la diplomatie. Il est temps que la Russie se retire des frontières internationalement reconnues de l’Ukraine, a insisté la représentante.
Mme GHASAQ YOUSIF ABDALLA SHAHEEN (Émirats arabes unis) a qualifié d’alarmante la situation relative à la centrale de Zaporijia, en mettant en garde contre les conséquences catastrophiques qu’aurait un accident nucléaire pour le monde. Elle a plaidé pour la désescalade et rappelé les protections spécifiques prévues par le droit international humanitaire pour les installations nucléaires, notamment l’obligation de protéger l’environnement de tout dommage. Les récents développements montrent bien la nécessité d’une solution diplomatique au conflit, a-t-elle dit et comme nous l’avons dit à maintes reprises, la cessation des hostilités dans tout le pays est le seul moyen d’empêcher toute erreur de calcul nucléaire.
Mme FRANCESCA MARIA GATT (Malte) a rappelé que la cause du problème est la présence illégale du personnel militaire russe à la centrale de Zaporijia. Sans cette présence, la situation dont nous discutons aujourd’hui n’existerait pas. La représentante a relevé que les informations font état du travail extrêmement difficile que le personnel ukrainien doit assumer, dans un contexte d’intimidation et de multiplication des interrogatoires voire des enlèvements. Elle a salué la livraison à l’Ukraine de 200 systèmes portables pour compenser les coupures fréquentes d’électricité. Les risques qui pèsent actuellement sur la sûreté et la sécurité nucléaires de l’Ukraine mettent en danger le monde entier, a argué la déléguée, ajoutant que tout cela est la conséquence directe des activités illégales de la Fédération de Russie et de la guerre injustifiée et non provoquée qu’elle mène contre l’Ukraine. Les autorités ukrainiennes, a-t-elle martelé, doivent recouvrer le contrôle total et légitime d’une centrale qui doit être démilitarisée et débarrassée de tout personnel militaire étranger.
M. SERGIY KYSLYTSYA (Ukraine) a salué le professionnalisme et l’engagement des experts de la mission de l’AIEA déployée à la centrale nucléaire de Zaporijia « temporairement occupée » par la Russie. Il a également loué la bravoure du personnel ukrainien, qui travaille « dans des conditions d’intimidation constante et de menaces de détention et de torture par l’armée russe ». Le représentant a indiqué que les forces russes ont non seulement miné le périmètre de la centrale et mais aussi bombardé le site et des zones adjacentes, ce qui porte gravement atteinte à la sûreté nucléaire de l’installation et pourrait entraîner un incident ou un accident nucléaire. Il a rappelé à cet égard que le premier des sept piliers de la sûreté et de la sécurité nucléaires défendus par le Directeur général de l’AIEA prévoit que l’intégrité physique des installations nucléaires doit être maintenue, qu’il s’agisse des réacteurs, des bassins de combustible ou encore des entrepôts de déchets radioactifs. Le délégué a ajouté que les activités militaires russes peuvent entraîner des coupures de l’alimentation électrique hors site, comme cela s’est produit à sept reprises depuis le début de l’invasion, obligeant la centrale à fonctionner avec des générateurs diesel. Il a précisé que le cas le plus récent de ce type de « panne » a eu lieu le 22 mai, après qu’une attaque au missile russe a entraîné la déconnexion de la dernière ligne de transmission à haute tension alimentant la centrale de Zaporijia pour ses besoins internes. Grâce au travail des ingénieurs électriciens ukrainiens, le fonctionnement de la ligne de transmission a cependant été rétabli le jour même et la centrale a été reconnectée au réseau électrique ukrainien, a-t-il relaté.
Le représentant a ensuite signalé que la Russie continue d’utiliser activement la centrale nucléaire à des fins militaires, y déployant environ 500 militaires et 50 unités d’armes lourdes. Des équipements, des munitions et des explosifs ont été entreposés dans les bâtiments des turbines des unités Nos 1, 2 et 4 de la centrale, a-t-il précisé, estimant que ces actions irresponsables font planer la menace d’un accident dangereux. À cet égard, il a réaffirmé le soutien de l’Ukraine à l’action du Directeur général de l’AIEA visant à remédier à cette situation inappropriée et à rétablir la sûreté et la sécurité nucléaires à la centrale, dans le droit fil des sept piliers indispensables. Il a également pris note des principes énoncés par M. Grossi pour aider à assurer la sûreté et la sécurité de la centrale de Zaporijia, tout en estimant que, compte tenu du caractère « unique » de la situation, à savoir l’occupation de la centrale par un autre État, ces principes devraient s’accompagner d’une « exigence de démilitarisation complète et de désoccupation » de l’installation. Selon lui, en occupant illégalement cette centrale et en en faisant un élément de sa stratégie militaire, la Russie a enfreint tous les principes internationaux de sûreté et de sécurité nucléaires ainsi que la grande majorité de ses obligations découlant de traités internationaux.
Pour sa part, a poursuivi le délégué, l’Ukraine réaffirme qu’elle n’a jamais eu recours et n’aura jamais recours à une action susceptible de conduire à un accident nucléaire dans la centrale. Nous sommes conscients, a-t-il dit, des « conséquences catastrophiques » qu’aurait un tel incident pour l’Ukraine et les États voisins, et notre position en matière de sûreté et de sécurité nucléaires est claire: pour éliminer les menaces nucléaires découlant de la présence illégale russe dans la centrale, les troupes et les armes doivent être retirées, la centrale ne doit plus être occupée et son contrôle doit être rendu à l’Ukraine. Pour le représentant, les principes visant à assurer la sûreté et la sécurité nucléaires à la centrale de Zaporijia devraient aussi prévoir des garanties d’alimentation électrique ininterrompue à partir du territoire sous contrôle du Gouvernement ukrainien et un couloir humanitaire pour assurer la rotation du personnel de gestion, d’exploitation et de réparation de la centrale. Enfin, après avoir rappelé que la sûreté radiologique et nucléaire est le premier point avancé par la « formule de paix » du Président ukrainien, il a jugé impératif de rallier tous les efforts à cette initiative, dont la mise en œuvre assurera, selon lui, une paix juste et durable en Ukraine et empêchera la répétition de crimes similaires à l’avenir, « y compris dans le domaine nucléaire ».
Reprenant la parole à la fin de la séance, le Directeur général de l’AIEA, M. GROSSI, a constaté qu’il existe des points de divergence, mais aussi de consensus quant au fait qu’il ne doit pas y avoir d’accident nucléaire. Dans le contexte de ces circonstances inquiétantes et complexes, nous faisons un pas dans la bonne direction afin de garantir la sûreté et la sécurité de la centrale nucléaire de Zaporijia, a-t-il estimé. Il s’est dit encouragé par le soutien en faveur des sept piliers et des cinq principes de l’AIEA, appelant à les rendre encore plus efficaces afin de protéger la centrale. Il a indiqué que la Mission d’appui et d’assistance de l’AIEA maintiendra sa présence sur le site qui sera renforcée afin d’éviter les conséquences imprévisibles d’un accident nucléaire.