9314e séance – après-midi
CS/15271

Afghanistan: le Conseil de sécurité condamne unanimement l’interdiction faite par les Taliban aux femmes afghanes de travailler pour l’ONU dans le pays

Le Conseil de sécurité a condamné aujourd’hui à l’unanimité la décision prise début avril par les Taliban d’interdire aux femmes afghanes de travailler pour l’Organisation des Nations Unies en Afghanistan, ajoutant que cette mesure « compromet les droits humains et les principes humanitaires ».

Par sa résolution 2681 (2023), adoptée à l’initiative des Émirats arabes unis et du Japon, le Conseil demande en outre « la participation pleine, égale, véritable et en toute sécurité des femmes et des filles en Afghanistan ». Il lance un appel aux Taliban pour qu’ils « reviennent rapidement » sur les politiques et pratiques qui restreignent le plein exercice par les femmes et les filles de leurs droits humains et de leurs libertés fondamentales, « notamment pour ce qui est de leur accès à l’éducation et à l’emploi, leur liberté de circulation et la participation pleine, égale et véritable des femmes à la vie publique ».  Il exhorte en outre tous les États et toutes les organisations à user de leur influence pour obtenir rapidement l’annulation de ces politiques et pratiques.

Par ailleurs, le Conseil exige de nouveau de toutes les parties qu’elles permettent « un accès humanitaire plein, rapide, sûr et sans entrave » au personnel des organismes humanitaires des Nations Unies, à leurs partenaires, aux autres acteurs humanitaires et aux prestataires de services de base, « indépendamment du genre ».

Dans son préambule, la résolution réaffirme « le rôle indispensable que les femmes jouent dans la société afghane » et cite notamment « les interventions humanitaires ».  Elle rappelle en outre que l’aide humanitaire ne peut être effectivement acheminée que si tous les acteurs permettent un accès total, rapide, sûr et sans entrave à « tout le personnel humanitaire, y compris les femmes ».  Dès le 5 avril, le Secrétaire général avait fermement condamné l’interdiction, rappelant que le personnel féminin est essentiel pour les opérations des Nations Unies, y compris pour la fourniture d’une aide vitale.

Plus généralement, le Conseil insiste sur l’importance d’obtenir la participation « pleine, égale et véritable et en toute sécurité » des femmes à l’avenir et au développement à long terme de l’Afghanistan ainsi qu’aux efforts en faveur de la paix et la sécurité.

Par ailleurs, le Conseil, qui souligne l’urgence d’un remède à la situation économique et humanitaire « désastreuse » qui règne en Afghanistan, se dit conscient qu’il faut y contribuer « notamment en s’efforçant de permettre l’utilisation des actifs appartenant à la Banque centrale d’Afghanistan au profit du peuple afghan ». 

Le Conseil insiste enfin sur l’importance d’une « présence constante » de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) et des structures onusiennes « dans tout l’Afghanistan », réaffirme son appui sans réserve à la Mission et à la Représentante spéciale du Secrétaire général et souligne l’importance du dialogue entre toutes les parties prenantes afghanes, la région et la communauté internationale.

Avant le vote, la représentante des Émirats arabes unis, parlant au nom également du Japon, en tant que coauteurs du texte, avait insisté sur la gravité sans précédent des restrictions dans l’histoire des Nations Unies, ajoutant qu’elles mettaient en danger la présence même des Nations Unies dans le pays.  Elle a aussi fait valoir que le texte comptait désormais plus de 90 coauteurs, non seulement au sein du Conseil de sécurité, mais aussi parmi les voisins immédiats de l’Afghanistan, du monde musulman et du monde entierCe soutien interrégional donne plus d’importance au message d’aujourd’hui, a-t-elle estimé.  Elle a aussi mentionné les dispositions du texte en faveur de l’inclusion des femmes et des filles ainsi que celles relatives au dialogue et à la collaboration nécessaires entre toutes les parties prenantes afghanes, de la région et au-delà.  Le texte reflète aussi l’engagement en faveur du bien-être du peuple afghan, a ajouté la représentante, qui a particulièrement insisté sur le rôle essentiel que les travailleurs humanitaires et le personnel des Nations Unies jouent pour le bien-être de la population afghane, un objectif qui ne peut être atteint sans les femmes.

Plusieurs des délégations qui ont pris la parole après le vote –Japon, États-Unis et Royaume-Uni- ont insisté sur la force du message adressé aux Taliban et sur le caractère inacceptable de la discrimination qu’ils imposent aux femmes.  Le représentant des États-Unis a en outre rendu hommage au courage des femmes afghanes que son homologue britannique a promis de ne pas abandonner. 

Si ces pays se sont félicités de l’unanimité avec laquelle le Conseil a voté, la Chine et la Fédération de Russie ont apporté des explications de vote plus mitigées. 

Le représentant de la Chine a ainsi dit soutenir le « Gouvernement intérimaire de l’Afghanistan » mais aussi « partager les préoccupations » des autres pays concernant les femmes.  Il est ensuite revenu sur le « retrait irresponsable » des Occidentaux du pays en 2022, ajoutant qu’il avait encore aggravé une situation déjà catastrophique.  Il a toutefois salué le travail du Japon et des Émirats arabes unis et les a remerciés d’avoir intégré au texte les « propositions raisonnables » de son pays et d’autres membres.  Il a notamment fait valoir que le texte adopté reconnaît que l’Afghanistan est confronté à des défis multiples, humanitaires mais aussi économiques et de développement.  Pour la Chine, il faut donc apporter une aide plus importante et préserver le dialogue avec toutes les parties prenantes dans le pays.  Il a notamment rappelé que plus de sept milliards d’avoirs afghans avaient été gelés en août dernier et qu’à ce jour « pas un seul centime » n’avait été rendu au peuple afghan.  Il a donc exhorté les États-Unis à agir au plus vite pour répondre aux exigences que la résolution a fixées à cet égard. 

Le représentant de la Fédération de Russie a tenu un discours très proche, remerciant lui aussi les deux pays porte-plume pour leurs efforts, qui ont permis de trouver un accords à partir de positions initialement éloignées.  Il n’en a pas moins rappelé qu’en dehors de la résolution, il restait « d’autres éléments », comme la questions des conséquences des sanctions unilatérales, qu’il a dénoncées comme un nouvel exemple du « deux poids, deux mesures ».  Si vous vous inquiétez tant pour le peuple afghan, pourquoi ne pas rendre les avoirs gelés, lever les restrictions unilatérales et commencer de répondre aux problèmes que vous avez vous-mêmes créés, a-t-il lancé à l’intention de ses collègues occidentaux, avant de saluer le travail dévoué du personnel de l’ONU en Afghanistan sous la direction de la Représentante spéciale du Secrétaire général. 

LA SITUATION EN AFGHANISTAN

Texte du projet de résolution (S/2023/292)

Le Conseil de sécurité,

Rappelant ses résolutions antérieures sur l’Afghanistan, 

Réaffirmant son ferme attachement à la souveraineté, à l’indépendance, à l’intégrité territoriale et à l’unité nationale de l’Afghanistan, ainsi que son appui continu au peuple afghan, réaffirmant son soutien à la paix, à la stabilité, à la prospérité et à l’inclusion en Afghanistan, et exprimant son appui au principe selon lequel il appartient aux Afghans eux-mêmes de déterminer, de façon globale et inclusive, l’avenir politique et le mode de développement du pays, sous leur direction et sous leur contrôle,

Constatant qu’il importe de régler les problèmes complexes auxquels se heurte l’Afghanistan, notamment sur les plans humanitaire, économique et social, du développement, de la sécurité et du terrorisme, des stupéfiants, du dialogue et de la concertation, de la gouvernance et de l’état de droit, ainsi que des droits humains, particulièrement des droits des femmes et des filles et des minorités religieuses et ethniques, 

Réaffirmant le rôle indispensable que les femmes jouent dans la société afghane, notamment dans la prévention et le règlement des conflits, la consolidation de la paix et les interventions humanitaires, insistant sur l’importance d’obtenir leur participation pleine, égale et véritable et en toute sécurité à l’avenir et au développement à long terme de l’Afghanistan ainsi qu’à tous les efforts visant à maintenir et à promouvoir la paix et la sécurité, et de les associer davantage à la prise des décisions relatives à la prévention et au règlement des conflits,

Constatant avec une vive préoccupation l’érosion croissante du respect des droits humains et des libertés fondamentales des femmes et des filles en Afghanistan par les Taliban et en particulier le fait que les femmes et les filles n’ont pas un accès égal à l’éducation, aux possibilités économiques, notamment un accès au travail, à la participation à la vie publique, à la liberté de circulation, à la justice et aux services de base, ce qui rend la paix, la stabilité et la prospérité dans le pays irréalisables,

Rappelant que l’aide humanitaire ne peut être effectivement acheminée que si tous les acteurs permettent un accès total, rapide, sûr et sans entrave, conformément au droit international, à tout le personnel humanitaire, y compris les femmes, les organismes des Nations Unies, les organisations non gouvernementales internationales et nationales et les autres acteurs humanitaires, et qu’il faut permettre aux femmes et aux filles d’accéder en toute sécurité à l’aide humanitaire et aux services de base,

Profondément préoccupé de ce que la décision récente des Taliban d’interdire aux femmes afghanes de travailler pour l’Organisation des Nations Unies en Afghanistan, venant s’ajouter aux restrictions antérieures consistant à interdire aux femmes afghanes de travailler pour des organisations non gouvernementales internationales et nationales, ne nuise gravement aux opérations des Nations Unies dans le pays, notamment à la fourniture d’une assistance vitale et de services de base aux personnes les plus vulnérables et à la capacité de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) d’exécuter pleinement son mandat, et rappelant à cet égard l’Article 8 de la Charte des Nations Unies,

Soulignant que l’interdiction faite aux femmes afghanes de travailler pour l’Organisation des Nations Unies est inédite dans l’histoire de l’Organisation,

Se déclarant profondément préoccupé devant la situation économique et humanitaire désastreuse qui règne en Afghanistan, notamment le déficit de financement pour les opérations humanitaires, à un moment où le pays traverse une crise humanitaire, 6 millions de personnes se trouvant dans des conditions proches de la famine, et conscient qu’il faut contribuer à remédier aux problèmes considérables qui pèsent sur l’économie afghane, en s’efforçant de rétablir les systèmes bancaire et financier, et qu’il faut redoubler d’efforts pour apporter une aide humanitaire et mener d’autres activités visant à répondre aux besoins humains de base en Afghanistan,

1.    Condamne la décision prise par les Taliban d’interdire aux femmes afghanes de travailler pour l’Organisation des Nations Unies en Afghanistan, ce qui compromet les droits humains et les principes humanitaires;

2.    Demande la participation pleine, égale, véritable et en toute sécurité des femmes et des filles en Afghanistan, lance un appel aux Taliban pour qu’ils reviennent rapidement sur les politiques et pratiques qui restreignent le plein exercice par les femmes et les filles de leurs droits humains et de leurs libertés fondamentales, notamment pour ce qui est de leur accès à l’éducation et à l’emploi, leur liberté de circulation et la participation pleine, égale et véritable des femmes à la vie publique, et exhorte tous les États et toutes les organisations à user de leur influence, en conformité avec la Charte des Nations Unies, pour promouvoir l’annulation urgente de ces politiques et pratiques;

3.    Exige de nouveau de toutes les parties qu’elles permettent un accès humanitaire plein, rapide, sûr et sans entrave au personnel des organismes humanitaires des Nations Unies, à leurs partenaires, aux autres acteurs humanitaires et aux prestataires de services de base, indépendamment du genre;

4.    Souligne qu’il faut d’urgence continuer de remédier à la situation économique et humanitaire désastreuse qui règne en Afghanistan et à l’absence de services de base pour la population afghane et d’examiner les conditions économiques et sociales qui peuvent mener à l’autonomie et à la stabilité en Afghanistan, et est conscient qu’il faut contribuer à remédier aux problèmes considérables qui pèsent sur l’économie afghane, notamment en s’efforçant de permettre l’utilisation des actifs appartenant à la Banque centrale d’Afghanistan au profit du peuple afghan;

5.    Souligne qu’il importe au plus haut point de pouvoir compter sur une présence constante de la MANUA et des autres organismes, fonds et programmes des Nations Unies dans tout l’Afghanistan, réaffirme son appui sans réserve aux activités de la MANUA et de la Représentante spéciale du Secrétaire général et demande à l’ensemble des acteurs politiques et des parties prenantes en Afghanistan, notamment aux autorités compétentes, le cas échéant, ainsi qu’aux acteurs internationaux de se coordonner avec la MANUA dans le cadre de l’exécution de son mandat et d’assurer la sûreté, la sécurité et la liberté de circulation du personnel des Nations Unies et du personnel associé dans tout le pays;

6.    Souligne que le dialogue, la consultation et la concertation parmi toutes les parties prenantes afghanes concernées, la région et la communauté internationale sont essentiels en vue d’un règlement politique en Afghanistan, ainsi que pour la paix et la stabilité dans le pays, la région et au-delà, et à cet égard se félicite des efforts diplomatiques qui favoriseraient un tel règlement;

7.    Décide de rester activement saisi de la question.

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