À la Quatrième Commission, une passe d’armes oppose les tenants d’un référendum sur le Sahara occidental et les défenseurs de l’initiative marocaine d’autonomie
Aujourd’hui encore, les pétitionnaires venus s’exprimer devant la Quatrième Commission (chargée des questions politiques spéciales et de la décolonisation) sur la question du Sahara occidental ont fait entendre leur voix sur le statut final qu’ils envisagent pour ce territoire non autonome, entre tenants d’un référendum d’autodétermination du peuple sahraoui et défenseurs de l’initiative marocaine d’autonomie.
Le tremblement de terre dévastateur qui a récemment frappé le Maroc devrait concentrer nos esprits sur les besoins à long terme de tous les habitants de la région, a fait valoir M. Andrew Rosemarine, de l’International Law Chambers of Andrew M. Rosemarine. Riche en ressources nécessaires à la production d’énergies renouvelables, le Sahara marocain est à la jonction entre développement durable et promotion d’une paix durable, a observé Mme Amina El Mekaoui, du National Council for Humanities, Sciences, and Technologies (CONAHCYT). Des programmes tels que le Nouveau modèle de développement des provinces du Sud, lancé en 2015, favorisent selon elle le développement global du continent africain, la transition vers des sources d’énergie vertes et la diversification économique.
Depuis, les régions du sud du Maroc ont connu un « dynamisme de développement », selon M. Limam Boussif Hammou, axé sur les investissements dans des infrastructures modernes et le financement de plus de 600 projets qui ont contribué globalement à la création de quelque 120 000 emplois. Or, a fait valoir M. Abdul Basith Pattinathar K Syedibrahim, de World Humanitarian Drive, rejoint par M. Souleymane Satigui Sidibe, de l’Institut sahélien de recherche et d’analyse pour la transformation des conflits (TIRAC-Sahel), il ne saurait y avoir de développement sans paix, et le plan d’autonomie que le Maroc a présenté au Conseil de sécurité est la seule solution « sérieuse, crédible et réaliste ».
L’initiative marocaine d’autonomie, présentée en 2007, a bénéficié depuis du soutien de 19 résolutions du Conseil de sécurité, a relevé M. Christophe Boutin, de l’Université de Caen Normandie. Qui plus est, a ajouté M. Syedibrahim, les États-Unis et de nombreuses puissances mondiales ont reconnu la pleine souveraineté du Maroc sur ses provinces méridionales, une position suffisante à ses yeux pour considérer la question du Sahara marocain comme « réglée ».
Mme Vanessa Ramos, de l’Association américaine de juristes, a toutefois rappelé que la Cour internationale de Justice (CIJ) a rejeté les prétentions de souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental dans son avis consultatif en date du 16 octobre 1975. Dans son arrêt du 29 septembre 2021, le Tribunal de l’Union européenne conclut par ailleurs que les accords commerciaux concernant les activités agricoles et halieutiques conclus entre le Maroc et l’Union européenne ne sont pas applicables au Sahara occidental, et désigne le Front POLISARIO en tant que représentant du peuple de ce territoire. Mme Ramos a donc appelé les États Membres à « rectifier » leur politique à l’égard du Sahara occidental, en s’abstenant de violer sa souveraineté sur ses ressources naturelles.
La Puissance occupante confisque les terres du Sahara occidental pour les livrer aux investisseurs marocains, a déploré M. Ahmed Mohamed Fall, du Collective of Sahrawi Human Rights Defenders (CODESA), ce qui encourage la colonisation et transforme la composition démographique de la région, exacerbant la marginalisation des autochtones et le pillage de leurs ressources naturelles.
« Ne vous y trompez pas: la proposition d’autonomie du Maroc n’est qu’une tentative de maintenir le statu quo sous couvert d’accorder l’autonomie aux Sahraouis », a prévenu Mme Kathleen Thomas, de Global Directives LLC. Le représentant marocain est alors intervenu pour présenter une motion d’ordre condamnant les attaques menées contre les institutions des États Membres, comme l’a fait, selon lui, cette pétitionnaire en critiquant la Constitution de son pays.
Les motions d’ordre présentées par les États Membres ne doivent pas viser à imposer leurs propres règles de bienséance, a rétorqué l’Algérie. Depuis plusieurs années, a-t-il ajouté, le représentant du Maroc, lorsqu’il demande une motion d’ordre à la Quatrième Commission, perturbe ces règles de bienséance « en montrant ses talents de percussionniste ».
Mme Janet Lenz, de l’Eastern European Organisation, s’est demandé ce qu’il est advenu de l’engagement de l’ONU d’organiser un référendum afin de permettre au peuple sahraoui de choisir son destin. Pourquoi, après tout ce temps, leur patrie reste-t-elle aux mains du pouvoir « brutal » du Maroc, eux qui ne partagent ni sa langue, ni son histoire, ni ses coutumes, eux dont les enfants dessinent, dans les camps, des images d’océans et de palmiers qu’ils n’ont jamais vus.
À ce sujet, M. Jose Israel Herrera, de l’Autonomous University of Campeche, s’est inquiété du recrutement d’enfants et d’adolescents par les groupes armés tels que le Front POLISARIO, en violation flagrante du droit international et des principes humanitaires. Une situation qui requiert des mesures de réhabilitation des victimes ainsi qu’une coopération accrue entre les organisations internationales, les États Membres et les ONG présentes sur le terrain.
Forte de son expérience humanitaire dans les camps de Tindouf, en Algérie, Mme Sherry Erb, de Erb Law, a témoigné des conditions difficiles auxquelles sont soumis les réfugiés sahraouis, dont la majorité affirment avoir été arrachés à leurs terres par le Front POLISARIO. Confinés dans des camps en plein milieu du désert sous la férule de leaders « corrompus », ils sont instrumentalisés pour alimenter « un conflit sans fin créé par l’Algérie, pays hôte, afin de servir ses visées politiques régionales ». Ces camps étant situés en territoire algérien, elle a jugé ce pays « moralement et légalement » responsable de ce « désastre ». Pourtant, l’État hôte continue de se définir comme un simple observateur sur cette question, a relevé M. Abdoul Latif Aidara, de CISPaix paix et sécurité.
De façon générale, toute solution à ce différend autre que la négociation politique serait un « suicide régional », a prévenu M. Andrés Ordóñez, de l’Universidad Nacional Autónoma de México, tout comme un accord pacifique constituerait une contribution historique au développement économique et au bien-être social de la région. À cette fin, il a demandé que la « partie à l’origine du problème », et sur le territoire de laquelle la faction du Front POLISARIO favorable à un accord global et définitif est « retenue captive », assume sa responsabilité, conformément à la résolution 2654 (2022) du Conseil de sécurité.
Néanmoins, toutes les tentatives de l’ONU de faire appliquer le droit international demeurent vouées à l’échec, a constaté M. Nor Eddine Belmeddah. Pour M. Andrea Mezzetti, de Rete Saharawi, la présence de la Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO) sur le terrain doit être justifiée, et son accès à toutes les zones du territoire, garantie.
En début de séance, la Commission a achevé son audition des pétitionnaires de la Nouvelle-Calédonie, entamée deux jours plus tôt. Après avoir souhaité une sortie « apaisée » de l’Accord de Nouméa, les Calédoniens n’imaginaient pas devoir faire face à « l’arrogance impérialiste » de l’État français et de ses représentants qui ont « volé le troisième référendum », selon Mme Amandine Darras, de l’Union calédonienne. « En ignorant la légitimité indépendantiste exprimée dans les urnes, la France pratique une recolonisation qui ne dit pas son nom », s’est indignée Mme Magalie Tingal, du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), avant d’indiquer l’intention de cette organisation de saisir la Cour internationale de justice afin que justice soit rendue.
Or, après trois référendums qui ont confirmé la volonté de la majorité des Calédoniens de conserver un statut au sein de la République française, nous n’acceptons plus que nos institutions ne soient pas représentatives de l’expression démocratique, a rétorqué Mme Naïa Wateou. « Je suis là pour vous dire que les Kanaks ont bel et bien participé au dernier référendum. Nous étions là, bien qu’une partie des nôtres ne respecte pas notre choix », a renchéri M. Karyl Trenyiwa, jeune kanak non indépendantiste.
La Quatrième Commission conclura son audition des pétitionnaires demain, vendredi 6 octobre 2023, à compter de 15 heures, avant de reprendre son débat général sur la décolonisation.