Sixième Commission: la Présidente de la CIJ en faveur de retouches mineures du Statut de la Cour tant il a résisté à « l’épreuve du temps »
La Présidente de la Cour internationale de justice (CIJ), Mme Joan Donoghue, pour sa troisième et dernière intervention en cette qualité, s’est prononcée, cet après-midi, devant la Sixième Commission, en faveur de retouches mineures du Statut de la CIJ. « Lors de mon arrivée à la Cour en 2010, ma conviction était que le Statut avait sérieusement besoin d’être actualisé, je suis arrivée à la conclusion inverse aujourd’hui », a-t-elle déclaré, au cours d’une longue intervention. Le Statut de la Cour est resté au cœur du débat qui s’est poursuivi le matin sur les chapitres du rapport de la Commission du droit international (CDI), consacrés aux principes généraux du droit et à l’élévation du niveau de la mer au regard du droit international.
À l’entame de son propos, la Présidente a tenu à souligner la charge de travail toujours plus conséquente de la Cour. En 2022, elle a rendu 4 arrêts et 28 ordonnances, contre 2 arrêts et 11 ordonnances en 2001. Cette charge de travail pose nécessairement la question des ressources à disposition de la Cour, a dit la Présidente, en pointant leur augmentation marginale. Le budget biennal de la Cour était de 46,5 millions de dollars pour les années 2010-2011. Désormais annuel, le budget de la Cour est en 2023, de 29 millions de dollars, a-t-elle mentionné.
Mais c’est la question de la révision du Statut de la Cour qui a dominé son intervention, en rappelant qu’elle est assujettie aux mêmes conditions restrictives que celles prévues pour la Charte des Nations Unies. « Quels changements pourraient être faits? Ma réponse est la suivante: très peu de changements et seulement après mûre réflexion », a tranché la Présidente, en notant que le Statut a résisté à l’épreuve du temps.
Si elle a souhaité le maintien de la désignation d’un juge ad hoc visé à l’Article 31 du Statut, son élimination pouvant dissuader certains États d’accepter la compétence de la Cour, Mme Donoghue a souhaité que la proposition d’éliminer la possibilité de réélection des juges soit étudiée de près, afin d’apporter une nouvelle preuve de l’impartialité de la Cour. « Cela pourrait s’accompagner d’un allongement du mandat des juges », a-t-elle dit, en proposant un seul mandat de 12 ans.
Enfin, la Présidente a jugé essentielle une révision du Statut afin d’éliminer l’expression de « nations civilisées », visée à l’Article 38 de la CIJ et de rendre le Statut, mais aussi la Charte des Nations Unies, plus inclusifs en ce qui concerne la question du genre. Nous avons fini d’actualiser les règles de la Cour afin d’user de formulations plus inclusives en français comme en anglais, a conclu la Présidente.
Dans son projet de conclusions sur les principes généraux du droit, la Commission du droit international (CDI) avait déjà écarté cette notion de « nations civilisées », dont l’anachronisme avait été souligné par la plupart des délégations. Plusieurs délégations se sont en outre référées à l’Article 38 du Statut sur les sources du droit applicables par la Cour lors des discussions sur ledit projet de conclusions. « La base de tout travail sur la question doit être l’Article 38 du Statut de la CIJ », a tranché la déléguée de l’Inde, en appelant à une réflexion accrue sur l’identification de ces principes.
Le délégué du Cameroun, quant à lui, a invité la CDI à faire un « choix terminologique » entre les principes généraux du droit évoqués dans ce projet de conclusions et les principes généraux de droit de l’Article 38. Il a battu en brèche l’idée du projet d’articles selon laquelle l’énumération de l’Article 38 confère à ces principes une valeur égale aux autres sources du droit international à l’instar de la source conventionnelle et de la source coutumière.
S’agissant du débat sur l’élévation du niveau de la mer au regard du droit international, des intervenants, comme l’Inde ou la Roumanie, ont souligné l’importance de l’avis consultatif demandé à la CIJ sur les obligations des États en matière de changements climatiques. « La Cour va consacrer une partie significative de son énergie et de son temps aux deux demandes d’avis qui lui ont été faites », a déclaré la Présidente. L’autre avis a trait aux conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est.
La Sixième Commission poursuivra ses travaux vendredi 27 octobre, à partir de 10 heures.
RAPPORT DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL SUR LES TRAVAUX DE SES SOIXANTE-TREIZIÈME ET SOIXANTE-QUATORZIÈME SESSIONS - A/78/10
Suite du débat général sur le module 1: chapitres introductifs I à III, chapitre X (Autres décisions et conclusions de la Commission), chapitre IV (Principes généraux du droit) et chapitre VIII (L’élévation du niveau de la mer au regard du droit international)
M. MIGUEL ÁNGEL REYES MONCAYO (Mexique) s’est félicité, au sujet des principes généraux du droit, que l’expression « l’ensemble des nations » remplace celle de « nations civilisées ». Le délégué a par ailleurs relevé que la détermination du caractère général d’un principe provenant d’un système juridique national n’est pas automatique et doit suivre une analyse attentive et large afin d’inclure les différentes régions du monde.
À propos de l’élévation du niveau de la mer au regard du droit international, le délégué a salué le travail du Groupe d’étude sur cette question, qui préoccupe également, dans le contexte régional, la Commission des affaires juridiques et politiques de l’Organisation des États américains (OEA) et le Comité juridique interaméricain.
Mme ALINA OROSAN (Roumanie) a réitéré ses doutes au sujet de l’existence d’une seconde catégorie de principes généraux du droit, qui proviendrait du système juridique international. Selon elle, les principes généraux du droit, en tant que source de droit international, ne peuvent qu’être liés aux principes généraux formés au sein des systèmes juridiques nationaux.
S’agissant de l’élévation du niveau de la mer au regard du droit international, la déléguée a rappelé que des procédures consultatives ont été engagées devant le Tribunal international du droit de la mer -sur les obligations de préserver et de protéger le milieu marin et de prévenir sa pollution en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer- et devant la Cour internationale de Justice (CIJ)- sur les obligations des États en matière de changements climatiques. Selon elle, ces initiatives montrent la nécessité de faire preuve de plus de clarté au sujet de la dimension juridique de l’élévation du niveau de la mer et de ses répercussions, souvent sans précédent. La Roumanie est d’avis que les États ont besoin d’orientations faisant autorité sur la manière de gérer les effets de ce phénomène, conformément aux dispositions de ladite Convention et aux autres normes pertinentes du droit international. Se félicitant des travaux du Groupe d’étude, la déléguée a salué la prééminence accordée à la stabilité juridique. Elle a exprimé son accord avec d’autres États qui appellent à une coopération internationale plus approfondie et à un soutien aux États qui risquent de perdre tout ou une partie de leur territoire.
M. PETER KLANDUCH (Slovaquie) a déclaré que la position de sa délégation a légèrement changé concernant l’intérêt d’étudier les principes généraux du droit sous l’angle international. Les principes généraux du droit ne peuvent être dérivés que des systèmes juridiques nationaux, a-t-il justifié, étant donné qu’ils représentent le plus haut degré de généralisation des normes communes aux systèmes juridiques du monde. Une catégorie distincte de source du droit formée au sein du cadre juridique international n’est pas souhaitable, a-t-il estimé. Par ailleurs, le représentant a exprimé des réserves sur l’utilisation du terme « transposition » dans les projets de conclusions 4 et 6, le terme « transposabilité » reflétant mieux la nuance entre l’existence et l’applicabilité d’une principe général de droit dans l’ordre international, et a noté des incohérences entre les projets 8 et 4. Sa délégation n’est pas non plus convaincue par les liens établis entre les trois sources du droit international. Si une hiérarchie formelle n’est pas établie, cela ne signifie pas pour autant qu’elles sont toutes sur le même pied d’égalité.
S’agissant de l’élévation du niveau de la mer au regard du droit international, le délégué a rappelé que l’intégrité de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer doit être garantie. Néanmoins, l’option des lignes de base fixes et la préservation des zones maritimes est intéressante pour les États concernés par ce phénomène, a-t-il ajouté, saluant l’approche pragmatique et les solutions proposées. Il a toutefois appelé à la prudence sur la distinction entre les dimensions politique et juridique du sujet. Par ailleurs, concernant la détermination de la portée des accords juridiquement non contraignants, le délégué a préféré le terme « instruments ». Enfin, il a encouragé la CDI à prêter attention à la parité des genres, y compris pour la nomination des rapporteurs spéciaux.
M. MARTIN SMOLEK (République tchèque) a noté que si les principes généraux de droit provenant des systèmes juridiques nationaux visés dans le projet de conclusion 4 de la CDI étaient une source de droit international « égale aux traités et au droit coutumier international », ils avaient dans la pratique un rôle complémentaire à celui des traités et de la coutume. Ensuite, le projet de conclusion 5 fixe un seuil « trop élevé » qui pourrait « ne pas refléter la pratique existante » pour la détermination de l’existence d’un principe commun aux différents systèmes juridiques du monde. S’agissant du projet de conclusion 7, le délégué a réitéré la position selon laquelle la Commission devrait examiner les principes généraux du droit formés dans le cadre du système juridique international comme des « règles de conduite générales » susceptibles de refléter des caractéristiques « essentielles » du système juridique international, à l’instar des principes de l’égalité souveraine et de non-intervention dans les affaires intérieures des États, ou encore de l’interdiction des crimes de droit international.
D’après le délégué, le sujet de l’élévation du niveau de la mer est « difficile et complexe ». Il a estimé que les travaux du Groupe d’étude à ce titre pouvaient offrir un « inventaire » pour identifier des solutions juridiques possibles aux problèmes posés par ce phénomène. Il a notamment jugé important de préserver l’intégrité de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer qui « reflète le droit international coutumier de la mer ».
Le délégué s’est par ailleurs félicité que la Commission ait décidé d’inclure le sujet « Les accords internationaux juridiquement non contraignants » à son programme de travail afin de clarifier les principes régissant ce sujet. Il a rappelé que la République tchèque soutenait comme d’autres États le renvoi de la compétence universelle au programme de la CDI. Enfin, il a indiqué que son pays avait décidé de verser une contribution volontaire au nouveau fonds d’affectation spéciale pour l’assistance aux rapporteurs spéciaux.
Mme SHEKHAR (Inde) a appelé la CDI à la prudence avant toute conclusion de son travail sur les principes généraux du droit. La base de sa réflexion sur la question doit être l’Article 38 du Statut de la CIJ, a dit la déléguée, en appelant à une réflexion accrue sur l’identification de ces principes. S’agissant de l’élévation du niveau de la mer au regard du droit international, elle a indiqué que son pays est conscient de l’immense complexité des aspects techniques et juridiques de ce sujet. Sur la condition d’État en particulier, la déléguée a souhaité qu’une plus grande prudence soit de mise en ce qui concerne la présomption de continuité de ladite condition. Enfin, elle a souligné l’importance pour les débats des avis consultatifs de la CIJ et du Tribunal international du droit de la mer une fois que ceux-ci auront été rendus.
M. DECLAN SMYTH (Irlande) a estimé que la portée des principes généraux du droit devrait être clairement délimitée par le projet de conclusions de la CDI. Il a remis en question l’inclusion parmi eux des principes pouvant se former dans le cadre du système juridique international. Il a rappelé que les principes généraux du droit visés à l’Article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice (CIJ) sont uniquement ceux provenant des systèmes juridiques nationaux. Ces principes sont censés être appliqués par les tribunaux internationaux pour remédier aux lacunes dans le droit coutumier et conventionnel, a argumenté le délégué, en rappelant qu’ils sont une source complémentaire du droit par rapport aux sources primaires que sont le traité et la coutume. Il a estimé qu’une confusion existe sur les principes pouvant se former dans le cadre du système juridique international et invité la Commission à la prudence.
S’agissant de la question de l’élévation du niveau de la mer au regard du droit international, le délégué a estimé que le point de départ de toute discussion est la volonté raisonnable des États de préserver les limites maritimes existantes, conformes au droit. Il a aussi souligné la nécessité de préserver l’intégrité du cadre juridique existant, en particulier la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. « L’Irlande est, avec d’autres, d’avis que nous devons trouver maintenant les arrangements, afin que les lignes de base établies conformément à la Convention soient considérées comme permanentes. »
Mme ALESSANDRA FALCONI (Pérou) a rappelé que les principes généraux du droit constituent une source du droit international, laquelle peut compléter le droit national et international et servir de fondement à des droits et obligations primaires, ainsi qu’à des règles secondaires et procédurales. Elle a salué l’inclusion d’une seconde catégorie de règles pouvant être formées au sein du système international. En outre, la méthodologie adoptée pour déterminer les principes généraux du droit dérivant des systèmes juridiques nationaux semble appropriée, a-t-elle souligné, estimant néanmoins qu’un projet de conclusions doit porter sur l’identification des principes généraux découlant du droit international. La représentante a estimé que les décisions découlant de tribunaux nationaux peuvent être pertinentes en tant que source du droit international, appelant toutefois à une analyse plus approfondie de la question.
L’élévation du niveau de la mer peut avoir des conséquences catastrophiques sur les territoires des petits États insulaires, et de graves répercussions sur les droits humains des populations, a dit la représentante. Toutefois, le principe du changement fondamental de circonstances ne s’applique pas aux frontières maritimes, a-t-elle rappelé, soulignant l’importance de la stabilité juridique. Elle a néanmoins reconnu l’intérêt des principes d’équité et de souveraineté. Soulignant l’importance du lien entre la CDI et la Sixième Commission, elle a appuyé la suggestion de la Sixième Commission de tenir la première partie de la prochaine session de la CDI à New York pour renforcer les liens entre les deux commissions.
M. ANTON KORYNEVYCH (Ukraine) s’est principalement exprimé sur le projet d’articles de la CDI sur l’immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de l’État, en notant que la Commission avait décidé d’exclure le crime d’agression de la liste des crimes dudit projet. Or le crime d’agression est l’un des crimes « qui préoccupent le plus la communauté internationale dans son ensemble ». Jugeant « peu convaincants » les arguments de la CDI pour distinguer entre le crime d’agression et les autres crimes de droit international s’agissant de l’application de l’immunité fonctionnelle, il a repris point par point, pour les réfuter, les arguments avancés par la Commission pour justifier cette approche. Il a tout d’abord rappelé que la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) sur le crime d’agression avait été activée depuis cinq ans. S’il a admis la dimension politique du crime d’agression, le délégué a toutefois souligné qu’il en était de même pour tout crime relevant du droit international, notant que ces crimes étaient souvent commis par des représentants de l’État. Il a en outre noté que si la poursuite du crime d’agression par une juridiction pénale étrangère pouvait se révéler impossible en raison de l’application de l’immunité personnelle, ces actes pouvaient faire l’objet de poursuites devant des juridictions étrangères quand ces représentants n’exercent plus leurs fonctions. S’agissant enfin de l’argument selon lequel il existerait un risque pour les tribunaux nationaux de devoir évaluer, dans le cas du crime d’agression, la légalité du recours à la force par un autre État, il a rappelé que cette possibilité n’était en aucun cas une caractéristique particulière du crime d’agression, puisqu’elle concernait aussi les procédures pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
La Commission n’a donc pas présenté des raisons convaincantes pour l’exclusion du crime d’agression du champ d’application du projet d’article 7 de la CDI, a conclu le délégué. Des arguments solides existent en faveur de la reconnaissance de la non applicabilité de l’immunité fonctionnelle aux crimes relevant du droit international, y compris le crime d’agression, a-t-il analysé, en citant notamment le précédent de la Charte de Nuremberg et des conclusions du Tribunal de Nuremberg, suivi en 1948 par le Tribunal de Tokyo, en 1962 par la Cour suprême d’Israël dans l’affaire Eichmann, dans plusieurs décisions du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, ou encore par la CPI. Cette jurisprudence soutient « sans équivoque » le point de vue selon lequel, en vertu du droit international coutumier, les représentants de l’État ne jouissent pas d’une immunité fonctionnelle pour les crimes relevant du droit international, et aucune distinction ne doit donc être faite à cet égard en ce qui concerne le crime d’agression, a expliqué le délégué. Notant que de nombreux États soutenaient la création d’un tribunal spécial pour le crime d’agression contre l’Ukraine, il a jugé que l’inclusion du crime d’agression dans la liste des crimes du projet d’article 7 serait « conforme aux travaux antérieurs de la CDI ». Si la CDI choisit de maintenir sa décision d’omettre le crime d’agression dans son projet d’articles sur l’immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de l’État, elle s’écartera selon lui, de sa position historique concernant l’inapplicabilité des immunités aux crimes de droit international. Ce point mérite d’être réexaminé, notamment à la lumière des observations écrites des États, pour éviter une « grave incohérence » dans le traitement de tels crimes.
Mme SUPHANVASA TANG (Thaïlande) a demandé que les travaux de la CDI soient axés sur des sujets pratiques revêtant un intérêt certain pour les États. Elle a qualifié de réussite le projet de conclusions de la CDI sur les principes généraux du droit. Les critères d’identification de ces principes doivent être distingués des critères d’identification de la coutume, a dit la déléguée, en notant la confusion introduite par les principes pouvant se former dans le cadre du système juridique international visé par le projet de conclusion 3. Elle s’est dite préoccupée par le libellé du projet de conclusion 6 sur la détermination de la transposition dans le système juridique international.
S’agissant de l’élévation du niveau de la mer au regard du droit international, la déléguée a souligné l’acuité de ce phénomène, ainsi que celui des « migrations climatiques ». La stabilité juridique en la matière doit être préservée, a-t-elle indiqué. Les droits souverains des États déterminés dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer doivent être sauvegardés. Enfin, elle a salué l’inscription du sujet « Les accords internationaux juridiquement non contraignants » au programme de travail de la CDI.
Mme KEKE MANTSHO ANNASTACIA MOTSEPE (Afrique du Sud) a salué l’utilisation de l’expression « communautés des nations » car il ne devrait pas y avoir de discrimination dans la formation des principes généraux du droit. Néanmoins, elle a souligné des incohérences et des imprécisions dans le projet de conclusion 7, appelant la CDI à examiner ce point de plus près. En outre, le projet de conclusion 11 suggère qu’il n’y a pas de hiérarchie entre les sources du droit international, a-t-elle remarqué, alors que dans la pratique les traités l’emportent sur le droit coutumier qui l’emportent eux-mêmes sur les principes généraux.
« Nous savons que les pays qui souffrent le plus de l’élévation du niveau de la mer sont ceux qui y ont le moins contribué », a déploré la représentante, non sans rappeler les graves dégâts causés récemment par les marées de printemps en Afrique du Sud. L’équité est un principe fondamental qui figure dans différentes conventions internationales et devrait constituer un principe directeur, a-t-elle estimé. Elle a appelé la CDI à adopter une interprétation de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer qui assure une approche équilibrée au regard des lignes de base et des zones maritimes, sans l’amender pour autant.
Mme HANH DUC LE (Viet Nam), s’agissant des principes généraux du droit, s’est félicitée du projet de conclusion 2 où a été remplacée l’expression « nations civilisées ». Elle a indiqué que les principes généraux du droit pouvaient selon son pays être formés dans le cadre du système juridique international, en citant à titre d’exemple l’expression « principes de droit universellement reconnus », fréquemment utilisée dans les instruments de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN). La déléguée a procédé à un examen de l’ensemble du projet de conclusions en rappelant qu’il importe, lorsque l’on interprète un accord, de savoir quelles étaient les intentions des parties lors de la conclusion de cet accord. Si cette approche a été respectée aux différentes étapes du projet de conclusions, ce n’était cependant pas celle des rédacteurs de l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 qui favorise le texte comme « moyen authentique d’interprétation ». À cet égard, la déléguée a estimé que l’application du projet de conclusions conduit à un résultat « insatisfaisant », qui crée plus d’incertitudes et de conflits qu’elle n’en résout.
Concernant l’élévation du niveau de la mer au regard du droit international, la déléguée a réaffirmé l’importance primordiale de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et plus généralement de la stabilité juridique sur cette question. Le Viet Nam accorde aussi une grande importance aux principes de souveraineté sur les ressources naturelles, à leur contribution au développement durable des États, ainsi qu’à l’équité dans l’examen et la résolution des conséquences juridiques de l’élévation du niveau de la mer, a-t-elle expliqué.
Notant enfin que pour l’orientation future de leurs travaux, les coprésidents envisageaient diverses options, telles un projet de conclusions, une déclaration interprétative ou encore un projet de convention-cadre, la déléguée a invité le Groupe d’étude sur les méthodes de travail à faire preuve de « prudence », eu égard aux questions traitées en parallèle par d’autres organes, comme les récentes demandes d’avis consultatif adressées au Tribunal international du droit de la mer et à la Cour internationale de Justice (CIJ).
M. MORA FONSECA (Cuba) s’est dit satisfait du projet de conclusions de la CDI relatif aux principes généraux du droit, jugeant positif que les membres de la Commission soient d’accord pour considérer la nature juridique des principes comme source du droit international, tout en prenant en compte les principes communs aux systèmes juridiques nationaux.
Au sujet de l’élévation du niveau de la mer au regard du droit international, le délégué a reconnu que la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer n’offre pas de réponse à toutes les questions posées. Il faut néanmoins respecter strictement les dispositions de la Convention relatives aux limites et aux frontières maritimes, même si elles sont physiquement modifiées par l’élévation du niveau de la mer, a-t-il dit. Outre l’insécurité juridique que cela entraînerait, les modifier serait en effet très difficile à assumer pour les petits États insulaires en raison de la perte de ressources naturelles nécessaires à leur économie, a plaidé le délégué. Quant à l’extinction possible de la condition d’État en raison de la perte totale de territoire due à l’élévation du niveau de la mer, il a recommandé la plus grande prudence et le maintien du principe selon lequel, face à une situation d’une telle ampleur, lesdits États ne perdraient pas leur condition de sujet international.
M. ZACHARIE SERGE RAOUL NYANID (Cameroun) a appelé à traiter l’élévation du niveau de la mer au regard du droit international « sous le prisme de l’équité ». « Faut-il le rappeler, ceux qui risquent de souffrir le plus de l’élévation du niveau de la mer, en tant que phénomène anthropique, sont ceux qui y ont le moins contribué. » Selon lui, la préservation des lignes de base et des droits maritimes expriment non seulement les principes fondamentaux de l’équité et de la stabilité juridique, mais également des notions relevant de la justice climatique profondément ancrées dans les droits humains et les principes généraux du droit international. Le représentant a indiqué qu’il existe un lien entre le principe d’équité et le principe des responsabilités communes mais différenciées, et que ce dernier principe, établi en droit international, s’applique aux obligations de lutter contre les changements climatiques et leurs effets, dont l’élévation du niveau de la mer. Il a ajouté que la stabilité juridique et l’équité doivent être les principes directeurs des travaux du Groupe d’étude sur l’élévation du niveau de la mer. « Ainsi, les besoins et intérêts particuliers des États en développement, notamment ceux vulnérables aux changements climatiques, devront être pleinement pris en considération. »
Abordant le sujet « Principes généraux du droit », le représentant a invité la Commission à faire un choix terminologique entre les principes généraux du droit évoqués au projet de conclusion 1 et les principes généraux de droit évoqués au paragraphe 1 de son commentaire, qui reprend l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’Article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice (CIJ). Cette précision est d’autant plus souhaitable que ces deux acceptions ont une nature juridique différente, a-t-il souligné. Il s’est aussi interrogé sur la méthodologie de la détermination des principes généraux du droit décrite par la Commission et a dit sa perplexité quant à « l’opérationnalisation de ce procédé », du fait de la difficulté qu’il y a à examiner de façon exhaustive tous les éléments disponibles. Enfin, le représentant a estimé que le commentaire 2 du projet de conclusion 10, laisse entendre que l’énumération de l’Article 38 du Statut de la CIJ confère à ces principes, une valeur égale aux autres sources du droit international à l’instar de la source conventionnelle et de la source coutumière. « Une fois de plus, ma délégation note que la doctrine est loin d’être unanime sur cette question, puisqu’une partie estime, et ma délégation est de cet avis, que l’ordre d’énumération des sources du droit international fait par l’Article 38 du Statut de la CIJ n’est pas anodin et est plutôt l’expression d’une gradation délibérée qui établit de fait une hiérarchie entre lesdites sources. »
M. ALAN KESSEL (Canada) a souligné que l’élévation du niveau de la mer revêt une importance particulière pour son pays en raison du relèvement isostatique qui soulève certaines portions du littoral. Réitérant l’importance de maintenir la stabilité du territoire des États côtiers, il a appelé à préserver la légitimité des lignes de base et des zones maritimes, ainsi que les droits et privilèges qui y sont associés en droit international. Par ailleurs, il a déploré l’arrestation, la condamnation et la détention arbitraire de ressortissants étrangers qui servent de monnaie d’échange dans les relations internationales. Non seulement ces pratiques violent les droits humains, mais elles compromettent aussi la coopération, la sécurité et le commerce à l’échelle internationale, a-t-il mis en garde, appelant la communauté internationale à s’opposer à ces pratiques. À ce titre, le dialogue de haut niveau organisé par le Costa Rica, le Malawi, les États-Unis et le Canada a rallié plus de 74 États Membres et l’Union européenne. Le groupe interrégional d’experts internationaux indépendants, composé de juristes éminents, établi au cours de ce dialogue, examinera la pratique de la détention arbitraire dans le droit international et les potentielles lacunes afin de définir une marche à suivre pour des instruments juridiques efficaces contre la détention arbitraire, a-t-il annoncé en conclusion.
Mme NAUSHYN JANAH (Nouvelle-Zélande) a souligné les effets de l’élévation du niveau de la mer sur les îles et les zones côtières, rappelant que de nombreuses communautés dépendent des zones maritimes pour leur subsistance, leur économie et leur mode de vie. À cet égard, la stabilité et l’équité juridique, dont l’importance est centrale dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, devraient guider le débat sur les conséquences juridiques de ce phénomène, a-t-elle estimé. Selon sa délégation, il est donc nécessaire de préserver les lignes de base et les droits maritimes, et de garantir les droits souverains des États sur lesdites zones, en dépit de l’élévation du niveau de la mer. Cette approche pratique a reçu un large appui, a insisté la déléguée. Elle a salué le fait que le Groupe d’étude examinera en 2024 le sujet de l’élévation du niveau de la mer au regard de la condition étatique et de la protection des personnes touchées par l’élévation du niveau de la mer, soulignant qu’un éventail de principes appuient la continuité de la Convention dans ce contexte.
M. MAXIM V. MUSIKHIN (Fédération de Russie) a expliqué que pour déterminer si des actes non contraignants pouvaient modifier ou compléter des traités internationaux, la Russie se fondait sur sa constitution pour laquelle seuls les traités internationaux, normes et principes de droit international « reconnus », font partie du système juridique russe. Un accord qui n’a pas de force juridique ne devrait donc pas contredire les dispositions d’un traité international existant, a-t-il noté, en appelant à exclure des propositions de la CDI, les accords qui combinent plusieurs actes unilatéraux, les accords conclus avec des acteurs non étatiques et les accords couverts par le droit interne, et à rationaliser une pratique « très hétérogène » dans ce domaine.
S’agissant des principes généraux du droit, le délégué a noté qu’il n’y avait pas de définition de ces principes et que la question de savoir s’ils étaient des sources directes de droits et d’obligations pour les États n’était pas résolue. Il a donné l’exemple du principe fondamental pacta sunt servanda, qui ne saurait être placé sur un pied d’égalité avec le principe lex posterior. Il a donc appelé à plus de clarté dans les définitions, en soulignant que « si les principes généraux sont des règles, ils doivent comme les règles conventionnelles et coutumières être le fruit de la volonté des États ». De plus, pour le délégué, le mécanisme de transposition d’un principe général de droit des systèmes juridiques nationaux vers le système juridique international est une « fiction juridique ». Il a proposé de modifier le projet de conclusion 2 en indiquant qu’un principe général de droit ne devait pas simplement être « reconnu » par la communauté des nations, mais reconnu précisément en tant que principe opérant dans le système juridique international. Il a par ailleurs souligné que pour sa délégation, il existait bien une « hiérarchie informelle » entre les principes généraux de droit et les règles conventionnelles et coutumières.
Le délégué a expliqué ensuite que, pour son pays, l’élévation du niveau de la mer était « un phénomène naturel global », alors que le rapport de la CDI indiquait qu’il s’agissait d’un phénomène naturel « causé par l’activité humaine », une approche qu’il a jugée préoccupante puisque la détermination des causes du phénomène « dépasse le mandat de la CDI ». Le concept « d’État particulièrement touché », doit être abordé en tenant compte des différences dans la manière dont les États sont affectés par ce phénomène, a-t-il poursuivi. Le délégué a appelé à éviter la fragmentation du droit de la mer en garantissant l’adhésion aux dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Il a appelé à débattre de l’émergence de nouveaux concepts concernant les droits des personnes affectées par l’élévation du niveau de la mer, tels que les réfugiés climatiques ou « l’apatridie climatique ».
En conclusion, le délégué est revenu sur la déclaration de son homologue de l’Ukraine, qui a évoqué lors du débat, la question des dérogations à l’immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de l’État, un thème qui ne concernait pas le sujet de la réunion du jour. Il s’agit là d’un manque de respect à l’égard des membres de la Sixième Commission, a-t-il critiqué. Ce délégué ayant évoqué des « suspects russes », il a demandé si l’Ukraine avait l’intention d’étendre ces dérogations aux crimes commis par son propre pays et par des commanditaires gouvernementaux. « Je pense que la réponse est oui. »
Intervention de la Présidente de la Cour internationale de Justice
Mme JOAN DONOGHUE, Présidente de la Cour internationale de Justice (CIJ), a axé son discours sur l’avenir de la Cour, pour sa troisième et dernière intervention en sa qualité de Présidente devant la Commission. Elle a d’abord analysé les tendances les plus récentes en ce qui concerne l’activité contentieuse de la Cour, en notant que 20 affaires sont pendantes, provenant de toutes les régions du monde. Elle a noté que, pour deux tiers de ces affaires, la compétence de la Cour découle d’une convention. Elle a ensuite souligné le grand intérêt entourant les deux demandes d’avis consultatifs faites à la Cour, l’un sur les conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, l’autre sur les obligations des États en matière de changements climatiques. Elle a précisé que 53 États Membres de l’ONU et l’État observateur de Palestine ont formulé des commentaires écrits s’agissant du premier avis. Au moins autant d’États devaient en faire de même en ce qui concerne l’avis sur les obligations des États en matière de changements climatiques, a dit la Présidente. « La Cour va consacrer une partie significative de son énergie et de son temps à ces deux demandes. »
Mme Donoghue a ensuite évoqué la charge de travail toujours plus conséquente de la Cour. À titre de comparaison, la Cour, en 2022, a rendu 4 arrêts et 28 ordonnances, contre 2 arrêts et 11 ordonnances en 2001. Cette charge de travail pose nécessairement la question des ressources à disposition de la Cour, a dit la Présidente, en pointant leur augmentation marginale. Elle a rappelé que le budget biennal de la Cour était de 46,5 millions de dollars pour les années 2010-2011. Désormais annuel, le budget de la Cour est en 2023 de 29 millions de dollars. « Il ne faut pas être diplômé en économie pour voir, qu’avec l’inflation, les ressources de la Cour ont stagné, tandis que sa charge de travail a spectaculairement augmenté. » Je me dois de porter cette question des ressources à votre attention, a dit la Présidente. « Mais n’est-ce pas un sujet concernant la Cinquième Commission? Bien sûr, mais le budget de la CIJ représente moins de 1% du budget total de l’Organisation, cela n’est pas peut-être pas la priorité des délégués travaillant au sein de cette Commission. » Elle a ainsi exhorté les délégués de la Sixième Commission à être des « alliés de la Cour » dans leurs discussions avec leurs collègues de la Cinquième Commission, chargée des questions administratives et budgétaires.
Abordant le sujet d’une révision du Statut de la Cour, la Présidente a rappelé qu’elle est assujettie aux mêmes conditions restrictives que celles prévues pour la Charte des Nations Unies elle-même. « Quels changements pourraient être faits? Ma réponse est la suivante: très peu de changements et seulement après réflexion. » Mme Donoghue a rappelé que, lors de son arrivée à la Cour en 2010, sa conviction était que le Statut de la CIJ avait « sérieusement » besoin d’être actualisé. « J’ai abouti à la conclusion opposée. » Mentionnant les aspects du Statut qui ont résisté à l’épreuve du temps, elle s’est notamment félicitée que la compétence de la Cour ne soit pas obligatoire pour tous les États Membres de l’ONU, comme cela avait pu être avancé dans les années 40. « Je suis bien trop réaliste pour prévoir le soutien d’un nombre suffisant d’États pour une éventuelle révision prévoyant une telle compétence obligatoire », a dit la Présidente, en ne se disant pas pour autant « troublée » par cette situation.
Mme Donoghue a souligné les hautes attentes placées en la Cour, avant de plaider pour des retouches mineures du Statut. Elle s’est prononcée en faveur du maintien de la désignation d’un juge ad hoc visé à l’Article 31 du Statut, son élimination pouvant dissuader certains États d’accepter la compétence de la Cour. Elle a évoqué l’idée que des organisations internationales puissent être parties à des procédures contentieuses, seuls les États pouvant l’être aux termes de l’Article 34. « Je ne suis pas convaincue par cette suggestion. » Elle a cependant appuyé une révision plus modeste consistant à permettre à des organisations régionales de devenir parties à une procédure contentieuse dans les domaines pour lesquels les États leur ont donné compétence.
Sur le mode de désignation des juges, la Présidente a estimé que les avantages du système actuel ne sont pas pleinement réalisés. Il faudrait prendre dûment en considération la proposition d’éliminer la possibilité de réélection des juges, afin d’apporter une nouvelle preuve de l’impartialité de la Cour, a dit la Présidente, en ajoutant que cela s’accompagnerait d’un allongement du mandat des juges. « Un seul mandat de 12 ans pourrait être une possibilité. »
Mme Donoghue a toutefois jugé essentielle une révision du Statut afin d’éliminer l’expression de « nations civilisées » et une autre révision afin de rendre le Statut, mais aussi la Charte des Nations Unies, plus inclusif en ce qui concerne la question du genre. Nous avons fini d’actualiser les règles de la Cour afin d’user de formulations inclusives en français comme en anglais, a conclu la Présidente.