La Sixième Commission examine les mesures nationales et internationales destinées à prévenir et punir les crimes contre l’humanité
La Sixième Commission (questions juridiques) a poursuivi aujourd’hui son examen du projet d’articles de la Commission du droit international (CDI) en vue d’élaborer une convention universelle sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité, en se penchant sur les groupes thématiques 3 et 4 consacrés aux mesures nationales et internationales que devraient prendre les États à cette fin.
Les dispositions du groupe thématique 3, qui prévoient que les États doivent prendre les mesures nécessaires pour que les crimes contre l’humanité constituent des infractions au regard de leur droit pénal, ont reçu l’aval de nombreuses délégations qui ont considéré qu’elles fournissent une base adéquate pour l’élaboration d’une convention. L’Union européenne a ainsi jugé essentiel le projet d’article 6 sur l’incrimination en droit interne afin de tenir pour responsables les auteurs de ces crimes et de renforcer le principe de complémentarité.
Compte tenu du rôle déterminant joué par les financiers de ces crimes atroces, qu’il s’agisse de personnes physiques ou morales ou encore d’organisations criminelles, la Colombie a par exemple suggéré d’ajouter aux actes constitutifs des infractions au regard du droit pénal des États, énumérés au paragraphe 2 de l’article 6, le financement des crimes contre l’humanité. Jugeant ladite énumération « sélective et non exhaustive », la Sierra Leone a prôné, comme la Slovaquie, d’ajouter « l’incitation » en tant que forme de responsabilité accessoire, telle qu’établie en droit international coutumier et dans la Convention sur le génocide.
Les mesures nécessaires pour que les chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques soient tenus pour responsables des crimes contre l’humanité commis par leurs subordonnés, définies au paragraphe 3 du projet d’article 6, ont retenu l’attention de plusieurs délégations, telles que l’Arabie saoudite, qui a estimé que cette disposition établit une « nouvelle règle juridique » allant à l’encontre du droit international coutumier. Le Qatar a relevé pour sa part des « contradictions » entre les dispositions du groupe thématique 3 sur cette question et les principes et normes établis dans la pratique et les traités ayant trait à la responsabilité des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions.
Pour les États-Unis au contraire, il s’agit là de principes fondamentaux, reconnus par le Tribunal de Nuremberg, selon lesquels toute personne qui commet, ordonne ou se rend autrement complice de crimes contre l’humanité est passible de sanctions. Pour leur part, les Philippines ont souhaité l’insertion d’un élément de « contrôle » des mesures prises pour que les chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques soient tenus pour responsables des crimes commis par leurs subordonnés.
Au nom des pays nordiques, la Suède s’est félicitée de l’obligation faite à chaque État, au paragraphe 5 du projet d’article 6, de prendre les mesures nécessaires pour garantir que le statut officiel de l’auteur présumé d’une infraction ne constitue pas un motif d’exonération de la responsabilité pénale individuelle. Toutefois, a ajouté le Brésil, rejoint par le Canada, aucune disposition de ce texte ne doit être interprétée comme affectant l’immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de l’État, conformément au droit international coutumier et à la jurisprudence de la Cour internationale de Justice (CIJ).
La disposition du paragraphe 7 du projet d’article 6 selon laquelle tout État prend les mesures nécessaires pour que, au regard de son droit pénal, les infractions visées dans le présent projet d’article soient passibles de « peines appropriées » ne saurait en aucun cas inclure la peine de mort, ont insisté tour à tour la Belgique, le Portugal ou encore le Chili. Les peines doivent être déterminées au cas par cas, en fonction du contexte et de la gravité des infractions, a renchéri l’Italie. Il n’existe pas de consensus international concernant l’interdiction de la peine de mort, ont toutefois rétorqué Singapour, l’Égypte et l’Arabie saoudite, pour qui il incombe aux seuls États de déterminer leur droit pénal.
L’obligation faite aux États de prendre les mesures nécessaires pour rendre imprescriptibles les crimes contre l’humanité dans leur droit national va à l’encontre du droit des États souverains de promulguer leurs propres lois, a martelé l’Iran. La Fédération de Russie s’est par ailleurs opposée au principe de responsabilité des personnes morales, contrairement à la République tchèque qui a néanmoins pris note des divergences qui subsistent sur ce point entre les États ainsi que dans les traités existants.
Comme plusieurs délégations, le Portugal s’est félicité de l’inclusion du principe aut dedere aut judicare, objet du projet d’article 10, qui prévoit qu’un État sur le territoire duquel se trouve l’auteur présumé d’un crime contre l’humanité est tenu soit d’exercer sa juridiction, soit de l’extrader vers un autre État qui est en mesure de le faire, mesure essentielle à ses yeux pour lutter contre l’impunité. L’extradition fait aussi l’objet du projet d’article 13 qui, là encore, a divisé les délégations. Enfin, les questions de l’entraide judiciaire, traitées dans le projet d’article 14 et une annexe dédiée, ainsi que le règlement des différends, visé dans le projet d’article 15 qui soulève notamment le rôle de la CIJ, ont aussi été discutés.
La Sixième Commission poursuivra ses travaux demain, jeudi 13 avril, à 10 heures, avec l’examen du dernier groupe thématique.
EXAMEN DU PROJET D’ARTICLES SUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DES CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ DE LA COMMISSION DU DROIT INTERNATIONAL (CDI)
Groupe thématique 3: mesures nationales (articles 6, 7, 8, 9 et 10)
Déclarations
Mme SIMONA POPAN, de l’Union européenne (UE), a jugé essentiel le projet d’article 6 qui oblige les États à prendre des mesures pour faire en sorte que les crimes contre l’humanité constituent des infractions au regard du droit pénal national, comblant ainsi une lacune susceptible d’empêcher la poursuite et la répression de ces crimes. Le projet d’article 7, en ce qui concerne l’immunité des représentants de l’État de la juridiction pénale étrangère, stipule que l’immunité ratione materiae ne s’applique pas aux crimes contre l’humanité. Après avoir rappelé « l’opposition de l’Union européenne à la peine capitale en toutes circonstances », elle a dit que les États parties au Statut de Rome de la CPI ont réglé cette question en prévoyant une peine d’emprisonnement n’excédant pas 30 ans, ou une peine d’emprisonnement à perpétuité lorsque cela est justifié par l’extrême gravité du crime.
Toujours sur le projet d’article 7, la représentante s’est félicitée de l’éventail relativement large de bases juridictionnelles permettant de combler les lacunes dans la poursuite des crimes contre l’humanité. Ensuite, les enquêtes sur les crimes contre l’humanité doivent être rapides et impartiales, et commencer lorsqu’il existe des « motifs raisonnables » de croire que des actes constitutifs de crimes contre l’humanité ont été ou sont en train d’être commis sur tout territoire sous la juridiction de l’État. En vertu de la règle aut dedere aut judicare, objet de l’article 10, un État sur le territoire duquel se trouve l’auteur présumé de l’infraction est tenu soit d’exercer sa juridiction soit d’extrader un auteur présumé vers un autre État qui est en mesure et disposé à le faire.
Mme JULIA FIELDING (Suède), s’exprimant au nom des pays nordiques, a réitéré que les projets d’articles 6 à 10 constituent une bonne base pour une éventuelle convention sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité. Elle s’est félicitée de l’obligation faite à chaque État, au paragraphe 5 de l’article 6, de prendre les mesures nécessaires pour garantir que la position officielle de l’auteur présumé d’une infraction n’est pas un motif d’exonération de la responsabilité pénale individuelle. Toutefois, a-t-elle ajouté, ce paragraphe n’a aucun effet sur l’éventuelle immunité procédurale dont un représentant d’un État étranger peut bénéficier devant une juridiction pénale nationale, qui continue d’être, selon lui, d’être régie par le droit conventionnel et coutumier. La déléguée a en outre noté que le projet d’article 7, sur l’immunité des représentants de l’État de la juridiction pénale étrangère, stipule que l’immunité ratione materiae ne s’applique pas aux crimes contre l’humanité. De plus, l’obligation énoncée au paragraphe 7 du projet d’article 6, concernant l’imposition de sanctions appropriées, ne devrait « en aucun cas inclure la peine de mort parmi les peines applicables », a-t-elle insisté.
Afin d’éliminer le risque d’impunité, la déléguée a jugé essentiel que les États établissent un large éventail de bases de compétence en vertu du droit national. Elle a salué à cet égard le projet d’article 7 qui oblige les États à établir leur compétence territoriale et personnelle à l’égard de leurs ressortissants. S’agissant de l’obligation d’extrader ou de poursuivre énoncée au projet d’article 7, ainsi qu’au projet d’article 10, les pays nordiques notent que les tribunaux nationaux peuvent parfois être amenés à recourir à une base juridictionnelle autre que la seule compétence territoriale ou personnelle active pour juger l’auteur présumé de l’infraction, si celui-ci n’est pas extradé ou remis.
M. AHMED ABDELAZIZ AHMED ELGHARIB (Égypte) a jugé le libellé de l’article 6 (Incrimination en droit interne) « trop général » en l’état, ce qui pourrait nuire aux droits des accusés et aux principes du droit compte tenu du caractère spécifique des crimes contre l’humanité et des actes constitutifs de ces crimes. Il a par ailleurs émis des réserves pour ce qui est de l’adoption par les États des mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir ces crimes, dans la mesure où elles ouvrent la porte à des explications susceptibles de se faire au détriment de l’accusé sans tenir compte d’éléments factuels. Pour ce qui est de l’article 7 (2), le délégué a considéré qu’il est nécessaire d’établir un lien très clair entre l’État exerçant sa compétence nationale pour commettre des crimes contre l’humanité et le crime perpétré, « en plus de donner la priorité à la compétence de l’État où le crime a été commis afin d’appliquer le principe de territorialité ». Ces textes, a-t-il averti, ne devraient pas être détournés pour imposer des compétences à des fins politiques et pour éviter d’extrader l’accusé vers des États qui pourraient établir compétence sur le crime commis. Enfin, il a contesté la pertinence du libelle de l’article 7 (3), qui explique que l’on n’exclue l’exercice d’aucune compétence pénale établie par un État conformément à son droit interne.
Mme CHARLENE ARAVEJO BERIANA (Philippines) a indiqué que les crimes contre l’humanité constituent déjà une infraction au regard du droit pénal dans son pays. Concernant le paragraphe 3 du projet d’article 6, elle a proposé l’insertion d’un élément de « contrôle » des mesures destinées à faire en sorte que les chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques soient pénalement responsables des crimes contre l’humanité commis par leurs subordonnés, « sous leur commandement et contrôle effectifs ». Au paragraphe 5 du projet d’article 6, la déléguée a souligné que les immunités attachées à la fonction officielle d’une personne en vertu du droit international peuvent également imposer certaines limites. Elle a exprimé son appui au projet d’article 8, lequel oblige les États à veiller à ce que leurs autorités compétentes procèdent à une enquête lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire que des actes constitutifs de crimes contre l’humanité ont été commis sur tout territoire sous leur juridiction.
M. MICHAEL HASENAU (Allemagne) a souligné l’importance de l’article 6 qui impose aux États l’obligation d’adopter une législation pénale sur les crimes contre l’humanité. Cette disposition, essentielle pour tenir les auteurs responsables, renforce le principe de complémentarité, a estimé le représentant. Il a ensuite estimé que l’article 7, qui établit la base juridictionnelle des enquêtes et poursuites nationales, réduit encore le risque d’impunité, en veillant à ce que les États ne deviennent pas des refuges pour les auteurs de crimes contre l’humanité. De manière générale, le représentant a estimé que les dispositions du groupe thématique 3 sont essentielles pour une prévention et une dissuasion efficaces, et qu’elles fournissent une bonne base pour des négociations ultérieures.
M. EMIL RUFFER (République tchèque) a déclaré que les mesures nationales sont essentielles à la mise en œuvre de la future convention et que la formulation neutre et générique de l’article 6 est appropriée car elle permet aux États de préciser dans leur droit national l’incrimination des comportements associés aux crimes contre l’humanité. Il a toutefois préconisé d’exclure expressément la position officielle comme motif d’atténuation ou de réduction de la peine. Il a relevé que les immunités ratione personae dont bénéficient, en vertu du droit international coutumier, les chefs d’État, les chefs de gouvernement et les ministres des affaires étrangères en exercice, resteraient en place et s’appliqueraient également dans le cadre du nouveau traité. Le représentant s’est en outre félicité de l’interdiction de la prescription, notamment parce qu’il s’écoule souvent beaucoup de temps avant qu’il soit possible d’enquêter, de poursuivre et de punir ce type de crimes. Il s’est également félicité de la disposition relative à la responsabilité des personnes morales, tout en prenant note des divergences de vues sur ce point entre les États, de même que dans les traités existants.
Le représentant a estimé que les articles 7 et 9 constituent des conditions préalables à la mise en œuvre de l’obligation aut dedere, aut judicare prévue à l’article 10, lequel est nécessaire pour garantir que les États ne deviennent pas des refuges pour les auteurs de crimes contre l’humanité. Il a conclu en estimant que l’ensemble des articles relatifs aux mesures nationales sont bien conçus et que leur adoption dans le cadre d’une convention constituerait une évolution importante dans la poursuite des crimes contre l’humanité.
M. YANG LIU (Chine) a, concernant le projet d’article 13, considéré que l’extradition était un outil efficace de coopération interétatique et de lutte contre l’impunité. Il a en revanche souligné que le projet devrait refléter entièrement la pratique coutumière des États et des traités existants. Le paragraphe 11 traite des motifs de refus d’extradition, comme la race, la religion, la nationalité ou l’opinion politique: cette liste est acceptable, a-t-il dit. Mais certains autres éléments ne relèvent pas selon lui de la pratique des États, et ne reflètent pas le consensus. Le délégué a donc appelé à limiter cette liste et à biffer les éléments relatifs à la culture, à l’appartenance à un certain groupe social ou à d’autres critères « inadmissibles », car non reconnus en droit international. Par ailleurs, il s’est dit favorable à l’article 14 sur l’entraide judiciaire, tout en exprimant des préoccupations concernant le paragraphe 9 et le mandat des Nations Unies pour recueillir des éléments de preuves. « Cela fait l’objet de polémiques actuellement et il est difficile pour la Chine d’accepter le libellé en l’état. »
Mme LUCIA TERESA SOLANO RAMIREZ (Colombie) a considéré, s’agissant du projet d’article 6 sur l’incrimination en droit interne, que cette disposition éviterait d’éventuelles divergences entre l’infraction définie dans l’instrument international et celle définie dans la législation nationale. Elle s’est dite disposée à discuter des mesures nécessaires pour que les chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques soient tenus pénalement pour responsables des crimes contre l’humanité commis par leurs subordonnés si une déclaration plus explicite affirmait que le statut de supérieur est sans effet sur la peine ou sur l’atténuation de la peine. Les dispositions du paragraphe 6 sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité comme principe à adopter dans la législation nationale, ainsi que celles contenues au paragraphe 7 sur les peines appropriées, s’apparentent selon elle aux mesures adoptées par la Colombie dans le cadre de la Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes. De façon générale, a ajouté la déléguée, les dispositions de l’article 6 doivent être interprétées sans préjudice de toute définition plus large contenue dans une autre institution, instrument international ou jurisprudence applicable à un État. Il faudrait selon elle envisager la possibilité d’ajouter « le financement des crimes contre l’humanité », compte tenu du rôle déterminant joué par les financiers de ces crimes atroces, qu’il s’agisse de personnes physiques ou morales ou d’organisations criminelles. Enfin, l’inclusion du paragraphe 2 du projet d’article 7 présente à ses yeux un mécanisme « précieux » pour empêcher l’impunité pour la commission de ces crimes, tout en offrant une plus grande « sécurité juridique ».
M. MICHAEL TOMBS (Royaume-Uni) a d’abord indiqué que son pays a déjà criminalisé les crimes contre l’humanité dans sa législation nationale, et qu’il est donc juste que l’article 6 par. 7 du projet exige que les infractions soient passibles de peines appropriées, tenant compte de leur gravité. Le Royaume-Uni, a dit le représentant, soutient fermement l’inclusion de l’article 6 par. 6 qui exige des États qu’ils veillent à ce que les délais de prescription ne s’appliquent pas aux crimes contre l’humanité. Ceci, s’est-il expliqué, permettra aux survivants de demander un recours judiciaire. Le délégué a cependant jugé qu’il peut être utile que le projet précise que l’obligation énoncée dans l’article 6 par. 6 ne signifie pas que les États sont tenus de poursuivre les crimes contre l’humanité, avant que ces crimes ne soient incriminés dans leur législation. Il a ensuite salué la clarification apportée par la Commission au paragraphe 33 du commentaire de l’article 6, qui confirme expressément cette position.
Le représentant a estimé qu’il est préférable que les crimes soient poursuivis dans l’État dans lequel ils ont été commis, ce qui reflète la réalité selon laquelle les autorités de l’État sur le territoire duquel une infraction est commise sont généralement les mieux placées pour poursuivre cette infraction, notamment en raison des avantages évidents qu’il y a à obtenir les preuves et les témoins nécessaires au succès des poursuites. Il a salué l’inclusion de l’article 8, en se félicitant de la clarification dans le commentaire de la Commission selon laquelle il ne s’agit pas d’une enquête pénale en tant que telle. En effet, cette obligation d’enquête plus large lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire que des crimes contre l’humanité se produisent sur le territoire d’un État est un élément essentiel des mécanismes de prévention prévus dans le projet d’articles. L’article 10, enfin, permet, selon le représentant, à un État de reconnaître une demande d’extradition ou de transfèrement émanant d’un tribunal international, « mais il n’est pas tenu d’accéder à une telle demande en vertu de cette disposition ».
M. MOHAMMAD GHORBANPOUR NAJAFABADI (République islamique d’Iran) a rappelé que les dispositions sur les mesures nationales sont largement inspirées de la Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC) et la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée. Il a toutefois estimé qu’il faut tenir compte du fait que le projet d’articles traite de crimes très différents de ceux visés par ces deux conventions. Il a jugé inutile que l’article 6 soit aussi détaillé et a proposé de n’en garder que l’obligation pour chaque État partie de prendre « les mesures nécessaires pour que les crimes contre l’humanité constituent des infractions au regard de sa législation pénale ». Il a par ailleurs estimé que l’obligation faite à tout État de prendre les mesures nécessaires pour rendre imprescriptible les crimes contre l’humanité dans son droit national vont à l’encontre du droit des États souverains à promulguer des lois par eux-mêmes, même s’il n’existe pas dans le droit iranien de délai de prescription pour de tels crimes. Il s’est aussi opposé au principe de responsabilité des personnes morales, que le droit iranien ne reconnaît pas. Le représentant a par ailleurs estimé que l’article 7 ne parvient pas à traiter de la priorité de compétence pour éviter les conflits potentiels. Il a rappelé qu’il doit exister un lien réel entre un État qui souhaite poursuivre un crime et le territoire où le crime a été commis, ou encore la personne suspectée.
M. KOWALSKI (Portugal) a souligné l’importance du paragraphe 5 du projet d’article 6 concernant les poursuites pénales contre de hauts responsables devant leurs propres tribunaux, tout en précisant que les peines éventuelles doivent être conformes aux droits humains. Si les États ont priorité sur la CPI dans l’exercice de leurs compétences pour connaître de crimes contre l’humanité, leur volonté de mener une enquête rapide et impartiale est révélatrice de leur engagement à cet égard, a considéré le délégué. Il s’est félicité de l’inclusion dans le projet d’article 10 du principe aut dedere aut judicare, aspect essentiel à ses yeux pour éviter les mesures d’amnistie et l’impunité.
M. MATÚŠ KOŠUTH (Slovaquie) a proposé de mentionner, dans le projet d’article 6 sur l’incrimination en droit interne, « l’incitation ou la conspiration », deux modes de responsabilité pénale accessoire, afin de renforcer l’aspect préventif dudit projet. En ce qui concerne la responsabilité du commandement, il a dit préférer une réglementation plus détaillée comparable à celle qui figure dans le Statut de Rome de la CPI. Il a ensuite évoqué le projet d’article 10 (Aut dedere aut judicare) qui énonce les obligations de l’État sous la juridiction duquel l’auteur présumé de l’infraction se trouve. L’obligation de poursuivre doit être interprétée de façon à respecter pleinement le pouvoir discrétionnaire du procureur, a argué le délégué. Notant que cette disposition dans le projet d’article exige seulement de l’État concerné qu’il soumette l’affaire à l’autorité compétente, il a averti qu’il n’y a pas de garantie que l’État concerné ne se lancera pas dans un « simulacre de procédure » dans le seul but de protéger l’auteur présumé de l’infraction.
M. ENRICO MILANO (Italie) s’est dit généralement favorable au projet d’article 6 tel qu’il est rédigé. L’obligation d’incriminer les comportements associés à des crimes contre l’humanité est importante car elle contribue à limiter les vides juridiques des législations nationales susceptibles de favoriser l’impunité pour les crimes les plus odieux, a-t-il estimé. De même, et conformément à la jurisprudence pénale internationale, l’Italie soutient les dispositions relatives à la responsabilité des commandants et supérieurs et à la non-invocabilité des ordres supérieurs en tant que cause excluant la responsabilité pénale, même si ces ordres peuvent, dans certains cas, conduire à une atténuation de la peine. L’Italie soutient de même la non-applicabilité des immunités fonctionnelles des représentants de l’État en cas de crimes contre l’humanité commis dans l’exercice de fonctions officielles. En revanche, le représentant a estimé que les immunités personnelles des chefs d’État, des chefs de gouvernement et des ministres des affaires étrangères en fonction devrait s’appliquer. L’Italie est en outre favorable à l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, a-t-il ajouté.
Concernant les « peines appropriées », M. Milano a estimé qu’elles devaient être déterminées sur la base d’une évaluation du crime spécifique commis, de la gravité de la conduite criminelle et du contexte de la commission. S’il a jugé « irréaliste » l’idée qu’une future convention internationale détermine avec précision ces peines, le représentant a rappelé l’opposition de principe de son pays à la peine de mort. Il a jugé acceptables les dispositions concernant la responsabilité des personnes morales, ajoutant que celle-ci devrait être déterminée conformément au droit national de l’État et être de nature pénale, administrative ou civile. Afin de minimiser le risque de vides juridictionnels, le représentant s’est dit favorable à la rédaction des articles 7 et 10 et à l’incorporation dans une future convention du principe aut dedere aut judicare.
Échanges interactifs
Lançant le premier mini débat, le représentant de l’Égypte s’est interrogé sur les conditions d’exercice de la compétence nationale en ce qui concerne le traitement des auteurs présumés de crimes contre l’humanité. Vers quel État faut-il extrader ou remettre l’individu: celui qui a la compétence ou le requérant le plus volontaire? a-t-il demandé, ajoutant que la présence de celui-ci sur le territoire est secondaire par rapport au « choix de l’État ».
La représentante de l’Inde a réagi aux propos de l’Égypte en proposant, pour régler le conflit potentiel de compétence, d’amender le libellé de l’article 7. Selon elle, la priorité doit être donnée à l’État pouvant exercer la compétence, plutôt qu’à l’État qui serait le plus intéressé à traduire en justice l’auteur présumé d’un crime.
« Nous ne pourrions extrader vers un pays qui appliquerait la peine de mort », a assuré pour sa part le représentant du Portugal. Ainsi a-t-il proposé de demander à l’État requérant des garanties qu’il n’appliquera pas la peine capitale.
À l’inverse, Singapour a accusé l’Union européenne et ses membres de vouloir imposer de façon unilatérale sa vision à l’ONU en ce qui concerne la peine de mort. « Or, il n’existe pas de consensus international sur la peine de mort, et encore moins sur son abolition. »
Déclarations (suite)
M. MICHAEL IMRAN KANU (Sierra Leone) a estimé que la CDI a été « sélective et non exhaustive » dans l’énumération des diverses formes d’infraction au regard du droit pénal des États visées au paragraphe 2 de l’article 6, lesquelles sont établies dans leur pratique aux niveaux national et international. Il a prôné l’ajout de « l’incitation » en tant que forme de responsabilité accessoire, telle qu’établie en droit international coutumier, y voyant notamment une forme de participation criminelle en relation avec le crime de génocide. Le représentant a approuvé l’omission, dans le projet d’articles, de dispositions excluant explicitement l’octroi d’amnisties ou de pardons pour des crimes contre l’humanité, pratique qui serait incompatible, selon les commentaires de la CDI, avec l’obligation de soumettre une affaire aux autorités compétentes pour enquête et poursuites éventuelles.
M. ALEXANDER MARSCHIK (Autriche) a indiqué que, comme le prévoit l’article 6 (7), l’Autriche a déjà incriminé les crimes contre l’humanité par des peines appropriées. Nous considérons que cette insistance dans le projet d’articles est utile et souhaitons souligner que les lois nationales existantes sur le sujet n’empêchent pas les États de s’engager dans une future convention, a-t-il dit. En ce qui concerne les règles fréquemment discutées sur l’établissement de la compétence nationale à l’article 7, il a noté que ces règles forment des bases bien établies de la compétence pénale en vertu du droit coutumier et des traités. Ainsi a-t-il marqué que l’article 7, « comme l’a souligné la CDI dans son commentaire », exige uniquement des États qu’ils établissent leur compétence en adoptant la législation nationale nécessaire, et qu’ils n’exercent cette compétence que si l’auteur présumé est présent sur le territoire sous la juridiction de l’État. De fait, la convention n’imposerait pas aux États d’exercer la compétence universelle, puisque sur la base des articles 8, 9 et 10 ils ne peuvent exercer leur compétence que lorsque l’auteur est présent sur leur territoire, a insisté le représentant. Après avoir salué l’inclusion du devoir d’enquête dans l’article 8, il a relevé que si une cour ou un tribunal international n’est pas compétent, les obligations de l’article 10 restent contraignantes pour l’État sur le territoire duquel se trouve l’auteur présumé de l’infraction.
M. MATTHIJS BOERMA (Pays-Bas) a salué le projet d’article 6 (incrimination en droit interne) et a dit appuyer la disposition sur la non prescriptibilité des crimes contre l’humanité, en droite ligne de sa législation nationale. Il a aussi salué le projet d’article 10 (aut dedere aut judicare) qui contribue à la lutte contre l’impunité en cas de crime contre l’humanité.
M. ZACHARIE SERGE RAOUL NYANID (Cameroun) s’est inquiété de « la porte ouverte à l’injustice » par l’imprécision du point c) de l’article 6 et souhaité que l’on puisse établir les modalités de constatation de l’ordre donné pour la commission d’un crime contre l’humanité par des faits « inéluctables ». En la matière, un faisceau de preuves conséquents doit permettre de déterminer la planification et la mise à disposition de la logistique en vue de la commission d’un tel crime. En outre, pour sa délégation, la rédaction de l’alinéa 3 inquiète, car il semble subodorer a priori que la commission des crimes contre l’humanité est l’apanage des militaires ou que lesdits crimes ne sont commis que pendant les conflits armés. Or, il faut considérer la complexification et la mutation de ces crimes qui peuvent être commis « par les personnes sans armes, des hommes d’affaires véreux, qui exploitent de manière non durables les ressources naturelles, les pillent ou ceux qui détruisent par leurs actions les milieux culturels et les lieux sacrés. Comment un État prendra-t-il les mesures nécessaires pour qu’un crime commis sur les ordres d’un gouvernement ne constitue pas un motif d’exonération de la responsabilité pénale de celui qui l’exécute? La notion de gouvernement renvoie à quoi? À qui? À qui dans le gouvernement? a demandé le représentant. Comment une personne qui occupe une position officielle certaine peut-elle objectivement commettre les crimes de cette amplitude? Il a ensuite proposé de remplacer le terme « tout État », imprécis et équivoque selon lui, par « chaque État ». Pour dissiper toute confusion, il a rappelé que la responsabilité pénale est individuelle et qu’elle ne peut donc pas s’appliquer à une personne morale abstraite.
Le représentant a par ailleurs souligné que, sous réserve des dispositions de son droit interne, chaque État prend, après l’établissement de liens de causalité irréfutables entre le dommage et le préjudice, les mesures qui s’imposent, afin d’établir la responsabilité des responsables des personnes morales qui auront contribué à planifier, qui auront de quelle que manière vérifiable encouragé, offert un soutien à la commission des infractions visées dans le présent projet d’articles. S’agissant de l’article 7, il s’est félicité de ce que la disposition y relative ménage la souveraineté de l’État en matière de compétence pénale, puisque cette compétence doit s’exercer sur la base d’un lien de rattachement entre l’État et le lieu de commission du crime, l’auteur du crime et la victime du crime. Concernant de l’article 8, M. Nyanid a souligné que son pays ne souscrit pas à « la notion d’enquête rapide ». Il faut prendre en compte les différences qui existent entre les divers cadres juridiques nationaux et les pratiques des États dans la réalisation des enquêtes. Pour ce qui est de l’article 9, le représentant a jugé acceptable la disposition y relative sous réserve de ce que l’on conditionne les mesures d’arrestation ou de détention provisoire à une demande expresse d’une juridiction compétente, ou l’existence d’une procédure judiciaire, afin de fermer la porte à l’arbitraire, qui naîtrait de l’arrestation et la détention de personnes sur la base de la délation. Enfin, s’agissant de l’article 10, sa délégation suggère que soient observées et intégrées les garanties procédurales, notamment l’examen par l’État du for de la question de l’immunité du représentant d’un autre État.
Mme ALEXANDRA HUTCHISON (Australie) a dit appuyer l’approche générale adoptée par la CDI relative aux mesures visant à garantir la responsabilité pénale pour les crimes contre l’humanité. La représentante a notamment appelé les États à veiller à ce que les crimes contre l’humanité, tels que définis dans l’article 2, constituent bien des infractions au regard du droit national. S’ils devaient s’appuyer sur des définitions nationales spécifiques, il se créerait un risque de divergences continues entre les systèmes nationaux, lesquelles pourraient être utilisées par les auteurs de crimes odieux pour s’assurer l’impunité.
L’Australie soutient en outre les dispositions qui excluent l’utilisation de la qualité officielle comme moyen de défense contre la responsabilité pénale. Cela, a toutefois ajouté la représentante, est distinct de la question des immunités des représentants de l’État, qui sont régies par le droit international coutumier et le droit conventionnel sur les immunités. Elle a soutenu la décision de la CDI de ne pas aborder cette question dans le cadre du projet d’articles. Par ailleurs, la représentante s’est dite consciente des différences dans les approches nationales de la responsabilité des personnes morales pour les crimes mais a estimé que les dispositions des projets d’articles sur ce point sont suffisamment souples.
La représentante a estimé que l’article 7 établit une base juridictionnelle suffisante pour que les États assurent la responsabilité des auteurs de crimes contre l’humanité. Concernant l’article 8, elle a insisté sur le fait que des enquêtes doivent être menées là où l’État a des raisons de croire que des crimes contre l’humanité ont été commis sur son territoire, même en l’absence d’allégations formelles. Elle a estimé que l’article 9 pourrait donner davantage de détails sur les éléments à prendre en compte par l’État pour arrêter un criminel présumé et qu’il devrait inclure une référence aux obligations de traitement équitable.
Mme NIDAA HUSSAIN ABU-ALI (Arabie saoudite) a estimé que le paragraphe 3 du projet d’article 6 sur l’incrimination en droit interne crée une nouvelle règle juridique qui va à l’encontre des règles du droit international coutumier en ce qui concerne les chefs d’État et les représentants des États. S’agissant de l’article 7 qui vise à établir la compétence nationale des États sur les crimes contre l’humanité, elle a constaté que le texte consacre le principe de juridiction pénale internationale. Considérant que ce principe qui n’est pas appliqué de la même manière par tous les États ouvre la voie à son application « à des fins politiques », la représentante a suggéré des modalités de mise en œuvre effective du texte. S’agissant de la peine de mort, elle a réitéré l’absence de consensus international concernant son interdiction et le droit de tous les États de déterminer leur droit pénal.
Mme ALIS LUNGU (Roumanie) a rappelé que le Code pénal roumain réglemente les crimes contre l’humanité à l’article 439, avec une définition proche de celle mentionnée à l’Article 7 du Statut de Rome et à l’article 2 du projet. En Roumanie, ces crimes sont punis de la réclusion à perpétuité ou d’un emprisonnement de 15 à 25 ans et de l’interdiction de jouir de certains droits. La représentante s’est dite favorable à l’imprescriptibilité de ces crimes, comme mentionné dans l’article 5 du projet. Quant à l’article 7, elle a expliqué qu’en vertu du Code pénal roumain, c’est le droit pénal qui sera applicable en cas d’infractions commises en Roumanie par un ressortissant étranger ou un apatride, et ce, dans les cas où l’auteur de l’infraction est volontairement présent sur le territoire national. Concernant l’article 10, la déléguée a dit partager le point de vue de la Commission selon lequel la formule de La Haye, qui a déjà été incorporée dans de nombreux traités internationaux, semble être l’approche la plus appropriée pour façonner le libellé dudit article.
Mme MARUBAYASHI (Japon), jugeant important d’examiner le droit pénal de chaque État pour réprimer les crimes contre l’humanité, a estimé qu’il appartenait aux États de choisir comment sont incriminés les actes constitutifs de tels crimes. La représentante a demandé que les dispositions de l’article 6 sur l’imprescriptibilité soient modifiées pour inclure une référence aux dispositions de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. En ce qui concerne les articles 7 et 10, elle a proposé que soit examinée attentivement une disposition uniforme exigeant l’établissement de la compétence en cas de non-extradition. L’objectif est d’obtenir l’approbation d’un grand nombre de pays au projet d’articles, a-t-elle souligné. Elle a rappelé qu’il existait un large éventail de mesures pour mettre fin à l’impunité, y compris la remise de l’accusé à la Cour pénale internationale (CPI). Les projets d’articles devraient permettre l’extradition des accusés vers la CPI, ce qui faciliterait leur ratification par les États parties au Statut de Rome, a-t-elle ajouté.
M. CHRIS JENKS (États-Unis) a noté que bien que les crimes contre l’humanité ne soient pas traités dans la législation de son pays, de nombreuses lois existantes pourraient être utilisées pour punir des comportements qui constituent de tels crimes. Divers paragraphes du projet d’article 6 sur l’incrimination en droit interne reflètent, à bien des égards, des principes importants reconnus par le Tribunal de Nuremberg, notamment le principe voulant que toute personne qui commet, ordonne ou se rend autrement complice de crimes contre l’humanité soit passible de sanctions, et le principe selon lequel agir conformément à l’ordre d’un gouvernement ou d’un supérieur n’absout pas l’auteur d’un crime contre l’humanité de sa responsabilité. Concernant le paragraphe 8 du même projet d’article, qui traite de la responsabilité des personnes morales, le représentant a noté qu’il n’existe pas, à cet égard, de concept universellement reconnu de responsabilité pénale en droit international. De même, le projet d’article 9, qui vise à résoudre des problèmes pratiques pour garantir la détention des auteurs présumés d’infractions, mérite un examen plus approfondi à la lumière des autres obligations des États, par exemple en vertu d’un accord sur le statut des forces à l’égard de l’auteur présumé d’une infraction qui se trouve sur le territoire. En ce qui concerne les projets d’articles 8, 9 et 10, le délégué est d’avis qu’il serait utile de clarifier la situation des auteurs d’infractions qui ont déjà fait l’objet d’une enquête ou d’autres poursuites dans leur État de nationalité.
M. MARTÍN JUAN MAINERO (Argentine) a notamment estimé, au sujet de l’article 6, que la Commission devrait inclure une disposition explicite imposant aux États de prendre les mesures nécessaires pour garantir, dans leur droit interne, que les crimes contre l’humanité puissent faire l’objet d’enquête et de procès devant des tribunaux civils, cela pour éviter que des tribunaux militaires ne s’arrogent des compétences pour juger ces délits. Seuls les tribunaux civils peuvent garantir le droit à l’impartialité du jugement et de la défense, a-t-il souligné. Sur l’article 7, il a salué l’accent mis par la CDI sur la disposition relative à l’établissement de la compétence nationale, qui rappelle les principes classiques de la compétence tout en laissant ouverte la possibilité des États de choisir d’autres bases de compétence pour traduire en justice les auteurs de crimes contre l’humanité.
M. PABLO ADRIÁN ARROCHA OLABUENAGA (Mexique) a commenté l’article 6 sur les obligations générales des États qui doivent adopter des mesures sur le plan national afin d’établir, poursuivre et sanctionner les crimes contre l’humanité. Il a jugé important de reconnaître les avancées normatives des États qui, d’une manière ou d’une autre, envisagent déjà des comportements similaires commis de façon isolée, comme la torture, l’assassinat et l’homicide, dans leur législation nationale. Il a noté que le deuxième paragraphe de l’article 6 énumère les différents comportements pouvant être adoptés pour établir les différents degrés de paternité et de participation à la commission de crimes contre l’humanité, qui sont généralement reconnus. Il a aussi relevé que le Statut de Rome n’envisage pas l’incitation à commettre ces crimes lorsqu’ils ne se matérialisent pas, souhaitant poursuivre l’analyse de cette interprétation. Le délégué a ensuite noté que les paragraphes 3 à 7 de l’article 6 reprennent les développements généralement reconnus.
En ce qui concerne l’article 7, il a dit reconnaître que les fondements de l’établissement de la compétence des États énoncés au paragraphe 1 de l’article coïncident avec les critères, tels que le territoire et la nationalité, qui sont généralement reconnus tant par le droit des États eux-mêmes que par de nombreux traités internationaux. Il est jugé pertinent de revoir la compétence en ce qui concerne les sujets apatrides ayant leur résidence habituelle dans un État. Passant à l’obligation de poursuivre ou d’extrader, visée à la fois au deuxième paragraphe de l’article 7 et à l’article 10, il a jugé nécessaire de l’inclure dans le projet d’articles compte tenu de la gravité des crimes contre l’humanité. Enfin, s’agissant des articles 8 et 9 relatifs aux enquêtes et aux mesures préliminaires lorsqu’un auteur présumé de l’infraction se trouve dans un État, il a estimé que leur libellé est suffisamment large et laisse aux États une grande marge d’action.
M. ABDULRAHMAN ABDULAZIZ F. A. AL-THANI (Qatar) a déclaré que son pays s’efforce d’intégrer dans sa législation nationale les textes des conventions internationales auxquelles il est partie. Il a toutefois insisté sur l’immunité des responsables de l’État par rapport aux compétences pénales, ainsi que sur l’importance du droit international coutumier à cet égard. Le délégué a ainsi relevé des contradictions entre les dispositions à cet effet du groupe thématique 3 et les principes et normes établis dans les pratiques et traités internationaux ayant trait à la responsabilité des officiels de l’État dans l’exercice de leurs fonctions.
M. PERILLEUX (Belgique) a estimé que la responsabilité des poursuites pour les crimes contre l’humanité repose en premier lieu sur les États, ceux-ci devant donc adopter un cadre légal adéquat: ces faits doivent être incriminés dans leur droit interne et leurs juridictions doivent être dotées des compétences nécessaires pour connaître de ces crimes. Il a insisté sur cette obligation « essentielle » mise à la charge des États par le projet d’article 6, expliquant à cet égard que la Belgique a déjà incorporé les crimes contre l’humanité dans son droit interne (art. 136ter du Code pénal). Il a ensuite commenté les termes « peines appropriées », qui doivent à son avis se comprendre comme excluant la peine de mort. Le Code pénal belge prévoit la réclusion à perpétuité, a précisé le délégué. Il a ensuite jugé essentielle la disposition, dans le projet d’article 8, qui prévoit l’obligation pour tout État de procéder à une enquête chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire que des actes constitutifs de crimes contre l’humanité ont été commis ou sont en train d’être commis sur tout le territoire sous sa juridiction.
Concernant le projet d’article 9, relatif aux mesures préliminaires lorsque l’auteur présumé d’un crime contre l’humanité se trouve sur le territoire, le représentant a dit qu’il doit s’interpréter comme toutes les dispositions similaires contenues dans des conventions de droit pénal international, notamment la Convention de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Pour lui, il va également de soi que cette disposition ne pourrait faire obstacle à l’application des règles de droit international en matière d’immunité. Il a ensuite souligné que ce projet d’articles est sans préjudice des travaux en cours de la CDI sur l’immunité de juridiction pénale étrangère des représentants de l’État. Le texte du projet d’article 10, a-t-il noté, reproduit une formule utilisée dans d’autres traités multilatéraux de droit pénal international, en particulier la Convention de 1984 précitée. Il a suggéré de remplacer l’adage aut dedere aut judicare par l’expression judicare aut dedere ou judicare vel dedere, expressions qui reflètent plus exactement l’obligation de réprimer des crimes contre l’humanité, comme pour les crimes de guerre, le crime de torture ou les disparitions forcées.
M. JOSE JUAN HERNANDEZ CHAVEZ (Chili) a jugé très pertinent de créer une incrimination pour crimes contre l’humanité dans les législations nationales et estimé que le projet d’article 6 propose un résumé adéquat des mesures que les États doivent prendre pour garantir la répression. Ce texte constitue donc une garantie essentielle de l’efficacité d’une future convention de lutte contre l’impunité, a estimé le représentant, qui a précisé qu’en matière de sanctions, son pays est opposé à l’imposition de la peine de mort. Le représentant a jugé satisfaisante le libellé du projet d’article 10, qui établit l’obligation aut dedere aut judicare. Toutefois, il a demandé que le texte précise que cette obligation ne sera pas considérée comme remplie lorsqu’une personne est extradée pour un acte illégal autre qu’un crime contre l’humanité.
M. YONG-ERN NATHANIEL KHNG (Singapour) a repris brièvement la parole pour demander qu’il soit apporté des précisions aux projets d’articles 6 et 7. Il a en outre, concernant la peine de mort, tenu à souligner que la Convention européenne des droits de l’homme évoquée par des pays au cours des débats ne fait pas partie du droit international, ne s’impose pas aux États Membres et ne reflète pas le droit coutumier international sur le recours à la peine capitale.
Mme CROCKETT (Canada) a apprécié la flexibilité présentée par les projets d’articles relatifs aux mesures nationales. Elle a insisté sur l’importance du projet d’article 6, étant donné les obligations qu’il crée pour les États d’inclure les crimes contre l’humanité en droit interne et de lutter ainsi contre l’impunité. Elle a toutefois souhaité que soit précisée explicitement la possibilité pour les États d’étendre la liste des infractions ou de définir les crimes conformément aux éléments spécifiques de la responsabilité pénale en vertu de leur législation nationale. La déléguée a estimé que l’article n’affecte pas l’application du droit international conventionnel ou coutumier sur la mise en œuvre des immunités. Elle a pris note de l’inclusion de la responsabilité des personnes morales et de la flexibilité du libellé.
Concernant les mesures préliminaires, la déléguée a estimé que l’article 9 devait être lu conjointement avec l’article 11 portant sur le traitement équitable de l’auteur présumé. Elle a toutefois estimé que la référence aux droits humains des détenus pourrait être plus apparente. Estimant par ailleurs que le libellé de l’article 9 semble plus adapté à un système inquisitoire de justice pénale qu’à un système de « common law », il a suggéré de recadrer l’article pour souligner plus simplement les obligations des États lors de l’enquête préliminaire.
M. EVGENY A. SKACHKOV (Fédération de Russie) a appuyé la limitation de l’article 6 sur l’incrimination en droit interne à une proposition générale, tout excès de détails risquant, selon lui, de créer des problèmes pour les juges nationaux. Le représentant a en outre rappelé que les personnes morales ne pouvaient pas, dans de nombreux pays, y compris la Russie, être soumises à une responsabilité pénale. Il a jugé trop vagues les dispositions concernant la responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques, de même que la notion de « peines appropriées ». Le projet d’articles ne doit pas porter atteinte aux normes du droit international coutumier concernant l’immunité des représentants de l’État de la juridiction pénale étrangère, a mis en garde le représentant. Il a mis l’accent sur le manque de priorité en cas de concurrence d’États pour poursuivre un auteur de crimes contre l’humanité et a souhaité une simplification de l’article 7 sur l’établissement de la compétence nationale, citant en référence la Convention de 1948 sur la répression du crime de génocide. Il a estimé que la rapidité des enquêtes prévues à l’article 8 dépendait aussi des capacités nationales des États et de l’importance de l’entraide juridique internationale, appelant donc à traiter ensemble ces différents aspects.
Le représentant a jugé trop détaillé l’article 9 sur les mesures préliminaires lorsque l’auteur présumé de l’infraction se trouve sur le territoire, avertissant contre le risque d’une détention préliminaire trop longue, car, a-t-il ajouté, il existe des « exemples regrettables » de telles situations. Il a demandé qu’existe un lien réel avec le crime pour qu’un État puisse poursuivre. Enfin, à propos de l’obligation Aut dedere aut judicare énoncée à l’article 10, le représentant a suggéré de supprimer la référence à « une cour ou un tribunal pénal international compétent ». Pour lui, l’interaction avec les tribunaux internationaux est régie par des accords ad hoc et, dans certains cas, par des décisions du Conseil de sécurité des Nations Unies. Or, a-t-il conclu, cette coopération n’est pas réglementée par le projet d’articles.
M. PETER MOHAN MAITHRI PIERIS (Sri Lanka) a estimé que les projets d’articles ne cherchent pas à être excessivement prescriptifs et semblent parvenir à un équilibre raisonnable permettant aux États de garder une certaine « marge de manœuvre » dans l’application de ses dispositions. Conformément à sa pratique, la CDI n’a pas indiqué quels éléments du projet d’articles codifiaient le droit international et lesquels représentaient le développement progressif du droit international. Le représentant a souligné la nécessité de disposer de preuves suffisantes pour la détention d’une personne aux fins d’extradition ou de sa remise à une tierce juridiction.
Le représentant de l’Égypte, dans le cadre du mini débat, a repris la parole pour souscrire à la position de Singapour concernant la peine capitale.
M. ERKAN (Türkiye) a estimé que les crimes contre l’humanité n’étant pas régis par suffisamment de normes et règles en droit international, les mécanismes envisagées doivent être proposés de façon structurée et claire pour éviter in fine toute exploitation politique du projet d’articles. En outre, a-t-il dit, la compétence territoriale devrait primer, le projet d’article 7 sur l’établissement de la compétence nationale devant être aligné en ce sens.
Dans le cadre du mini débat, la représentante de l’Union européenne a assuré aux délégations de Singapour et de l’Égypte que les États membres de l’UE ne cherchent pas à imposer leur vision en matière de peine capitale et qu’ils sont soucieux que les débats de la Commission restent ouverts à tous les points de vue+.
Répondant à l’UE, le représentant de Singapour a répété que chaque État a en effet un droit souverain en matière de peine capitale.
Mme LEMLEM FISEHA MINALE (Éthiopie) a estimé que les droits de l’homme existants, les lois humanitaires et autres traités ainsi que les lois pénales nationales offrent la base juridique nécessaire pour la poursuite des crimes contre l’humanité et que, si des lacunes juridiques sont observées, elles doivent être comblées par les législations nationales et les mécanismes institutionnels. La nature des crimes contre l’humanité les rend susceptibles de subjectivité politique, a-t-elle averti. La déléguée a ajouté que la référence à la Cour pénale internationale (CPI) ou au Statut de Rome, « qui n’est pas acceptée par plus d’un tiers des membres de l’ONU », dont l’Éthiopie, complique la discussion et sape le consensus. Pour l’Éthiopie, le droit pénal et la politique en matière de justice pénale relèvent de la compétence nationale. Les tribunaux internationaux ne peuvent être que ad hoc et désignés pour des cas spécifiques sur la base du consentement des États concernés. Dès lors, a expliqué la déléguée, l’Éthiopie estime que les projets d’articles doivent être centrés sur les lois nationales, les enquêtes, les poursuites et les processus judiciaires au niveau national.
Concernant l’article 6, elle a rappelé que les crimes contre l’humanité pouvaient aussi être commis en temps de paix et a donc jugé contre-productive la définition de la culpabilité limitée aux chefs militaires. Elle s’est prononcée pour l’énoncé de principes généraux et pour le fait de laisser aux États une marge d’appréciation sur la détermination de la culpabilité. Elle a aussi rappelé que la Constitution éthiopienne de 1995 reconnaît les crimes contre l’humanité et leur imprescriptibilité, et que son pays connaît une forme de compétence universelle pour les crimes internationaux. Demandant que soient pleinement respectés les principes de l’immunité des représentants de l’État et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des États, la déléguée a souhaité l’incorporation d’une une disposition claire à cet effet dans le projet d’articles. Faisant valoir que les crimes contre l’humanité sont considérés de longue date comme des actes graves qui justifient une punition, elle a demandé que la CDI travaille à une mise en garde claire et bien définie sur la « non-rétroactivité des crimes historiquement flagrants ». Celle-ci devrait selon elle être sans préjudice de la responsabilité et de la réparation, y compris pour tous les crimes commis dans le cadre de politiques de colonisation, d’apartheid, d’agression, de ségrégation raciale ou d’occupation étrangère.
M. AMADOU JAITEH (Gambie) a estimé que les projets d’articles 6 et 7 sont essentiels pour les enquêtes et les poursuites des crimes contre l’humanité commis par les États. Conformément au projet d’article 8, a-t-il ajouté, chaque État invite l’autorité compétente à mener des enquêtes lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire que des actes constitutifs de crimes contre l’humanité ont été ou sont commis sur son territoire. Sur le projet d’article 9, le représentant a considéré que l’obligation d’enquêter et les mesures préliminaires à prendre lorsqu’une personne est soupçonnée d’avoir commis des crimes contre l’humanité sont conformes aux autres projets d’articles et au droit international. Concernant le projet d’article 10, que son pays accueille favorablement, il a assuré que Gambie est fermement engagée dans la lutte contre toutes les violations des droits humains. « Ceux qui sont les auteurs présumés de crimes contre l’humanité ne devraient pas avoir un sanctuaire sûr pour se dérober aux poursuites. »
Mme LIGIA LORENA FLORES SOTO (El Salvador) a axé son intervention sur l’analyse du paragraphe 3 de l’article 6, qui dit que tout État prend les mesures nécessaires pour que les chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques soient pénalement responsables des crimes contre l’humanité commis par leurs subordonnés. La référence à la notion d’« auteur intermédiaire » mériterait selon elle d’être clarifiée, la structure même de cette notion supposant automatiquement l’intervention de deux personnes au moins. La rédaction pourrait préciser davantage cette notion, selon elle, en tenant compte du fait que cette forme de responsabilité suppose d’agir pour le compte d’autrui. Elle constitue une modalité indépendante du reste, puisqu’il ne s’agit pas d’un acte direct, mais d’un acte criminel par l’intermédiaire d’un autre, dont on se sert comme instrument, a-t-elle relevé.
Concernant le projet d’article 7 relatif à la compétence nationale, et plus spécifiquement le paragraphe 2, elle a estimé que ce type de compétence sans liens territoriaux ou personnels semble faire référence au principe de la compétence universelle. Cela est pertinent, selon elle si l’on tient compte de la nature du crime et si on améliore la distinction entre principe d’extradition et principe de jugement. Elle a souhaité que le libellé permette de préciser la vraie portée du projet.
M. YANG LIU (Chine), soulignant l’importance de respecter la souveraineté législative des pays, s’est déclaré « convaincu qu’il n’est pas possible d’adopter une approche unie en vue de parvenir à l’élaboration d’une convention sur les crimes contre l’humanité ». Sur la responsabilité pénale des agent publics et leur immunité, le représentant s’est dit d’accord avec les remarques de la CDI selon lesquelles les dispositions des projets d’articles n’ont aucun effet sur quelque immunité que ce soit, celle-ci restant régie par le droit coutumier et les traités afférents. En outre, il a indiqué que toute question de prescription sur les crimes contre l’humanité doit être décidée de manière indépendante par chaque pays. De même, le fait que des personnes morales puissent être sujets de crimes contre l’humanité est une question qui doit être tranchée par chaque pays en fonction des circonstances et des compétences nationales, a-t-il insisté. Enfin, le représentant a estimé que la portée et le champ d’application de la compétence nécessite la poursuite d’un débat approfondi à la Sixième Commission.
Mme LOUREEN SAYEJ, de l’État de Palestine, a déclaré qu’en matière de responsabilité pénale, il est important de reconnaître le rôle de l’incitation dans la commission des crimes contre l’humanité, « ceux qui incitent », ne pouvant rester impunis. Par conséquent, l’État de Palestine se joint à d’autres pour affirmer que l’incitation à commettre ou à menacer de commettre des crimes contre l’humanité, en public comme en privé, directement ou indirectement, est un mode de responsabilité bien établi en droit pénal international, et demande son inclusion dans l’article 6(2). En ce qui concerne l’article 6(4), a poursuivi la déléguée, l’État de Palestine réitère sa position de longue date selon laquelle « il n’existe aucun motif d’exonération de la responsabilité pénale », car cela serait incompatible avec la prévention et la répression des crimes contre l’humanité. Ainsi la déléguée a-t-elle indiqué attendre avec intérêt les échanges de vues avec d’autres États sur ce point. En ce qui concerne la compétence, la primauté devrait également être accordée à la compétence personnelle, a-t-elle ajouté, avant de noter qu’un État a des obligations d’enquêter sur les crimes contre l’humanité commis par ses organes, ses forces armées et son personnel privé, où qu’ils agissent, y compris sur un territoire étranger.
Groupe thématique 4: mesures internationales (articles 13, 14 et 15 et annexe)
Déclarations
Mme SIMONA POPAN, de l’Union européenne, a rappelé que l’extradition est un outil juridique utile dans la lutte contre l’impunité, ce qui fait de l’article 13 du projet un élément important de la coopération interétatique dans la répression des crimes contre l’humanité. Le projet d’articles ne contient aucune obligation d’extrader l’auteur présumé de l’infraction, a noté la représentante. L’obligation réside dans la poursuite, sauf en cas de remise ou d’extradition de l’auteur. En outre, toutes les infractions énumérées dans le projet d’articles sont passibles d’extradition et il n’y a pas d’exception pour les « infractions politiques », s’est félicitée la représentante.
La coopération interétatique étant essentielle pour les enquêtes et les poursuites, l’Union européenne, a-t-elle dit, appuie l’article 14 et son annexe qui ne s’appliquent qu’aux situations où il n’y a pas de traité d’entraide judiciaire en place. La représentante s’est félicitée de ce que la transmission d’informations se fasse « sans préjudice du droit national ». Elle a également rappelé que tous les membres de l’Union européenne figurent parmi les 77 États du monde entier qui soutiennent l’initiative MLA visant à renforcer la coopération interétatique pour faciliter les poursuites devant les juridictions nationales des crimes internationaux. Cette initiative ne s’oppose pas aux dispositions correspondantes du projet d’articles, a-t-elle estimé. Enfin, elle a pris note de la flexibilité de l’article 15 du projet sur le règlement des différends, estimant qu’elle permet aux États de s’en inspirer ou de le développer davantage s’ils le souhaitent.
Au nom des pays nordiques, Mme THORVARDARSON (Islande) a souligné que plusieurs aspects de la coopération internationale sont essentiels pour atteindre les objectifs généraux de prévention et de répression des crimes contre l’humanité. En effet, pour lutter contre l’impunité, il faut que les États puissent poursuivre au niveau national, ce qui suppose une définition claire dans le traité, une législation nationale mais aussi une compréhension commune et des dispositions claires sur la coopération interétatique. Faute de quoi, les États pourraient devenir involontairement des refuges pour ceux qui commettent des crimes internationaux graves.
Pour les pays nordiques, le projet d’articles constitue un ajout solide pour le droit international en soi et contribue à la mise en œuvre du principe de complémentarité tel que prescrit par le Statut de Rome. La représentante a toutefois fait valoir qu’adhérer à un accord basé sur le projet d’articles proposé par la CDI n’entraîne aucune obligation de ratifier le Statut de Rome. Pour les pays nordiques, un juste équilibre a été trouvé entre efficacité et acceptabilité. Le texte s’appuie largement sur des dispositions conventionnelles largement acceptées et ne dépend pas de l’adhésion à un autre traité. C’est même un des points forts du projet d’articles. La représentante a estimé que ce projet serait complémentaire du traité multilatéral qui pourrait résulter de la conférence diplomatique MLA qui se tiendra en Slovénie, le mois prochain. Elle a également qualifié de claires et d’équilibrées les dispositions concernant le règlement des différends.
M. MICHAEL HASENAU (Allemagne), notant que les articles 13 et 14 ainsi que l’annexe au projet d’articles encouragent la coopération entre les États en matière de crimes contre l’humanité, a souligné qu’ils sont largement basés sur des traités existants. L’article 13 sur l’extradition énonce en effet en détail les règles régissant l’extradition des personnes accusées de crimes contre l’humanité, tandis que l’article 14 promeut l’entraide judiciaire la plus large possible dans les enquêtes et les poursuites pour crimes contre l’humanité, a-t-il dit. En outre, l’annexe est destinée à couvrir les demandes qui ne sont pas déjà soumises à un traité d’entraide judiciaire, les dispositions proposées comblant ainsi un vide juridique qui pourrait exister en matière de prévention et de répression des crimes contre l’humanité. Pour le délégué, ces dispositions fournissent une base pour de nouvelles négociations. L’article 15 sur le règlement des différends, quant à lui, constitue le mécanisme d’application du projet de convention, a-t-il poursuivi. Il s’agit d’un libellé classique par lequel les États ont l’obligation de résoudre leurs différends par la négociation et, en cas d’échec, de soumettre leurs différends à la CIJ à moins qu’ils n’acceptent plutôt de les soumettre à l’arbitrage. Alors que les détails feront l’objet de négociations ultérieures, l’Allemagne estime qu’une clause conférant une juridiction obligatoire à la CIJ serait la voie la plus efficace pour promouvoir la responsabilité des crimes contre l’humanité.
M. EMIL RUFFER (République tchèque) a estimé que les projets d’articles 13 et 14, portant respectivement sur l’extradition et l’entraide judiciaire, constituent une excellente base pour de nouvelles négociations. Il a notamment jugé le projet d’article 13 « pas trop prescriptif » tout en apportant une clarté juridique suffisante pour les États qui l’utilisent comme base pour l’extradition. Il s’est en particulier dit satisfait que la question des demandes multiples d’extradition n’ait pas été traitée en détail et ait été laissée à la discrétion des États, notant qu’il existait d’énormes différences entre États dans ce domaine. Il a également jugé nécessaire et suffisant le cadre offert par le projet d’article 14 pour l’entraide judiciaire dans ce domaine. L’annexe fournie sur ce point sera un guide utile et pourrait servir de modèle de coopération, voire de mise en œuvre en tant que législation nationale, a-t-il ajouté.
Le représentant s’est dit satisfait des dispositions concernant le règlement des différends et notamment le recours immédiat à la CIJ si les négociations entre États échouent, sauf si les États décident de soumettre la question à l’arbitrage. Il y a vu le reflet de la gravité des crimes contre l’humanité. Il a par ailleurs estimé que le projet de convention ne devrait pas interdire expressément les réserves et devrait s’en tenir au régime de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Nous devrions essayer d’éviter les efforts qui pourraient inutilement compromettre la capacité des États à ratifier le traité, a-t-il plaidé, en rappelant que l’objectif devrait être de créer un régime conventionnel viable qui « n’approfondisse pas, mais comble le fossé entre les États » dans le domaine de la justice pénale internationale.
Mme LUCIA TERESA SOLANO RAMIREZ (Colombie) a constaté que le projet d’article 13 contenait deux avancées en matière d’extradition non définies dans les règles conventionnelles applicables à tous les comportements constitutifs de crimes contre l’humanité: le devoir « d’extrader ou de poursuivre » et l’utilisation du projet de convention comme source suffisante pour la procédure d’extradition. À son avis, le contenu de l’article est applicable et compatible avec la pratique des États en matière d’extradition. La déléguée a par ailleurs estimé que l’outil de coopération internationale établi au paragraphe 4 était important dans la mesure où il permet, compte tenu de la nécessité de rendre la justice dans des cas extrêmement graves, de surmonter des lacunes institutionnelles et diplomatiques, telles que l’absence de traités d’extradition bilatéraux ou multilatéraux. Concernant l’annexe, elle a noté qu’elle était de nature procédurale; elle fait référence aux procédures à suivre entre l’État requérant et l’État requis dans le cadre des demandes d’entraide judiciaire relatives aux crimes contre l’humanité. L’annexe contient des termes généralement acceptés, a-t-elle ajouté.
M. MICHAEL TOMBS (Royaume-Uni) a réitéré qu’il est préférable que les crimes soient poursuivis dans l’État où ils ont été commis. Cependant, étant donné la gravité des crimes visés par le projet d’articles, il est juste à son avis que ce projet comprenne des dispositions relatives à l’extradition et à l’entraide judiciaire. Sur l’extradition, et s’agissant du projet d’article 13, paragraphes 2 et 3, il a soutenu un amendement afin de refléter plus étroitement la Convention des Nations Unies contre la corruption sur laquelle ils sont basés en incluant une référence aux « dispositions de droit interne ». Le représentant a noté que la liste des motifs irrecevables a été élargie pour refléter la liste des facteurs figurant dans le projet d’article 2(1)(h) et semble être plus large que celles figurant dans les traités sur lesquels ces projets d’articles sont fondés, tels que la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et la Convention contre la corruption. Il s’est demandé si ce champ d’application plus large est nécessaire étant donné que le commentaire indique clairement que l’État requis n’est pas tenu d’extrader s’il estime que la demande est fondée sur des motifs irrecevables en vertu du droit international. Passant au projet d’article 14 sur l’entraide judiciaire, le délégué a noté que ses dispositions sont basées sur des dispositions similaires de la Convention contre la criminalité transnationale organisée et de la Convention contre la corruption, et s’est dit favorable à la rédaction de ces dispositions.
M. MOHAMMAD GHORBANPOUR NAJAFABADI (République islamique d’Iran) a jugé les dispositions des articles du projet concernant l’extradition et l’entraide judiciaire « étonnamment similaires » à celles des Conventions des Nations Unies contre la corruption et sur la lutte contre la criminalité transnationale organisée. Ces articles, a-t-il estimé, devraient plutôt s’inspirer de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. En outre, les arrangements mentionnés devraient être laissés aux États souverains, a dit le représentant qui s’est en outre opposé au paragraphe 9 de l’article 14, car il reconnaît des mécanismes qui n’ont pas été adoptés par consensus et qui ne sont ni légitimes ni légaux puisqu’ils ont été établis sur la base d’agendas politiques par des organes sans autorité ni compétence. En revanche, le représentant a appuyé dans l’ensemble la formulation de l’article 15 sur le règlement des différends.
M. VICTOR SILVEIRA BRAOIOS (Brésil) a jugé que le libellé des projets d’articles sur les mesures internationales est en général conforme aux autres traités internationaux et noté qu’ils rappellent que l’extradition et l’entraide judiciaire sont soumises aux conditions prévues par le droit national de l’État requis. Il s’est félicité que soit préservé le droit de l’État requis de ne pas extrader lorsqu’il existe des motifs sérieux de croire que l’accusé peut être puni en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son origine ethnique, de sa culture, de son appartenance à un groupe social particulier ou de ses opinions politiques. Il a suggéré de préciser que rien ne devrait pouvoir être interprété comme imposant une obligation d’extrader lorsque la personne doit comparaître devant un tribunal extraordinaire ou lorsqu’il existe des motifs sérieux de croire que la personne peut encourir l’application de la peine de mort.
M. KOWALSKI (Portugal) a salué le paragraphe 4 du projet d’article 13 selon lequel le projet d’articles peut être considéré comme base juridique de l’extradition en cas de crime contre l’humanité, ce qui est particulièrement important pour les États ayant un traité d’extradition à cette fin. Le projet d’article 14, y compris l’annexe mentionnée dans son paragraphe 8, fournit la base juridique de l’entraide judiciaire entre États et revêt une grande importance pratique, a-t-il dit. Le représentant s’est félicité de la possibilité d’inclure des dispositions détaillées sur l’entraide judiciaire dans la collecte d’informations et de preuves pour faciliter les enquêtes ou les poursuites en cours dans un autre État. En ce qui concerne le projet d’article 15 sur le règlement des différends relatifs à l’interprétation ou à l’application du projet d’articles, il s’est dit satisfait de l’approche en deux étapes proposée par la CDI pour prévoir le recours à la CIJ ou à l’arbitrage, si le différend ne peut être réglé par des négociations. Sur ce dernier point, le représentant a toutefois indiqué ne pas soutenir le paragraphe 3 qui permet aux États de se retirer de la juridiction de la CIJ ou de l’arbitrage comme moyen de régler les différends. En effet, si sa délégation comprend que la CDI ait choisi de suivre l’exemple de la Convention des Nations Unies contre la corruption, à son sens, et compte tenu de la nature particulière des crimes contre l’humanité, « l’exemple à suivre doit être la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide qui ne prévoit pas une telle clause de non-participation ». Le recours à la CIJ ne souffre d’aucune limite, a-t-il conclu.
M. MATÚŠ KOŠUTH (Slovaquie) a noté les liens du projet d’article 13 sur l’extradition avec d’autres projets d’articles, en particulier le paragraphe 2 du projet d’article 7, le paragraphe 3 du projet d’article 9 et le projet d’article 10. Conformément au projet d’article 10, un État peut s’acquitter de son obligation découlant du principe aut dedere aut judicare en extradant ou en remettant l’auteur présumé de l’infraction à un autre État ou à une cour ou un tribunal international compétent, a-t-il souligné. Le projet d’article 13 lui a semblé utile à cet égard parce qu’il facilite l’extradition en énonçant clairement les droits, obligations et procédures applicables. En ce qui concerne le projet d’article 15 sur le règlement des différends, la Slovaquie soutient pleinement le premier paragraphe qui met principalement l’accent sur les négociations entre les États concernés. En outre, la Slovaquie reconnaît naturellement la compétence de la CIJ en ce qui concerne les différends relatifs à l’interprétation ou à l’application des projets d’articles tels qu’ils sont envisagés au paragraphe 2. Le représentant a noté qu’il n’y a pas de durée spécifique de négociation prescrite pour qu’un État soumette un différend à la CIJ, tant qu’il y a eu une véritable tentative de négociation, qu’elle n’a pas abouti au règlement du différend et que les États n’ont pas accepté de soumettre le différend à l’arbitrage. En tout état de cause, la délégation préférerait que le libellé du paragraphe 2 de la Convention sur le génocide prévoie un recours immédiat à la CIJ. En ce qui concerne le paragraphe 3, le représentant a été d’avis que la clause d’exclusion affaiblit la réalisation de l’objet et du but du projet d’articles. Il a demandé aux autres délégations de faire part de leur avis sur l’idée d’un mécanisme de contrôle ou de suivi, ajoutant qu’un mémorandum préparé par le Secrétariat pendant les travaux de la Commission, s’inspirant des mécanismes de contrôle existants fondés sur les traités, pourrait être d’une grande pertinence pour cette discussion.
M. ENRICO MILANO (Italie) s’est félicité que le projet d’article 13 sur l’extradition s’inspire des conventions sur la criminalité organisée et sur la corruption car il s’agit de traités presque universellement ratifiés. Il s’est félicité que l’extradition ne soit pas obligatoire et dépende des mesures nationales en la matière, ce qui permet d’accroître la sécurité juridique. Le représentant a souhaité l’ajout d’une disposition pour dire que rien n’oblige un État à extrader une personne s’il considère qu’elle risque d’être soumise à des violations de ses droits sur la base d’éléments tel que la race, la religion ou les opinions politiques, qui sont des dispositions communes aux différents traités relatifs aux droits humains. Il a jugé satisfaisant le libellé de l’article 14 relatif à l’entraide judiciaire tout en observant que les commentaires y relatifs de la CDI semblaient « contradictoires et confus ».
M. ZACHARIE SERGE RAOUL NYANID (Cameroun) a souhaité que le projet d’article 13 portant sur l’extradition mentionne le respect du droit international en termes de conclusion d’accords bilatéraux ou régionaux. Il s’est opposé au contenu du paragraphe 4 qui considère que les projets d’articles constituent la base juridique de l’extradition pour les États qui subordonnent l’extradition à l’existence d’un traité. Le représentant a estimé que le paragraphe 11, concernant le refus de l’extradition, est incompatible avec les dispositions du paragraphe 3, qui retirent selon lui à l’État la capacité d’examiner une demande d’extradition. Il a jugé acceptable le paragraphe 2 de l’annexe concernant la désignation d’une autorité centrale. S’agissant du paragraphe 3 de l’annexe, il a insisté sur la présentation de demandes d’entraide judiciaire par écrit et suggéré de supprimer la dernière phrase autorisant des demandes orales.
M. MICHAEL IMRAN KANU (Sierra Leone) a estimé que les articles 13 et 14 permettront de combler un vide juridique. Il a souligné que les crimes transnationaux de génocide, de guerre et contre l’humanité ne peuvent pas être considérés comme des crimes politiques. Il faut consolider le droit international coutumier sur ce point, a souhaité le représentant. Sur l’article 14 relatif à l’extradition, il a expliqué vouloir examiner les effets de sa mise en œuvre sur la loi sur l’extradition nationale pour éviter toute incohérence. S’agissant de l’entraide judiciaire, il a salué l’approche adoptée et, sur le plan politique, il a salué la disposition qui demande aux États de prendre les mesures d’entraide judiciaire qui s’imposent, notamment pour ce qui est des infractions couvertes par l’article 14. Pour ce qui est de l’article 15, relatif au règlement des différends, le délégué a soulevé la question de savoir si un État accusé de crimes contre l’humanité sera disposé à entrer en négociation avec un autre État. Il n’est pas sûr qu’un modèle de règlement des différends est souhaitable pour les pires crimes, en pointant aussi du doigt le système de opt-in opt-out prévu dans cet article. Il a noté qu’un grand nombre d’États n’investissent pas de capital politique pour régler les différends avec d’autres États lorsque des crimes contre l’humanité sont commis. Il faudrait au moins prévoir une compétence obligatoire de la CIJ à la demande de tout autre État partie au différend pour mettre toute future convention sur un pied d’égalité avec celle contre le génocide. Le représentant a conclu en soutenant l’idée d’inclure un mécanisme de contrôle dans la future convention.
Mme ALEXANDRA HUTCHISON (Australie) a fait remarquer que les États ayant une compétence en matière de nationalité ont tout intérêt à faire en sorte que leurs ressortissants répondent de leurs actes. Elle a donc estimé que le paragraphe 12 du projet d’article 13 gagnerait à exiger des États qu’ils prennent dûment en considération non seulement la demande d’extradition émanant de l’État sur le territoire duquel l’infraction présumée a été commise, mais aussi celle émanant de l’État dont l’accusé a la nationalité. Concernant le projet d’article 14 et l’annexe sur l’entraide judiciaire, l’Australie soutient l’approche adoptée par la CDI. Si certains États préféreraient un énoncé plus succinct, la déléguée australienne a toutefois estimé que le niveau actuel de précision est particulièrement utile dans les situations où il n’existe pas de traité d’entraide judiciaire entre l’État requérant et l’État requis.
Enfin, concernant le groupe thématique 4 dans son ensemble, la représentante a relevé qu’une question clef demeure absente des projets d’articles: le renforcement des capacités. Ayant écouté attentivement les délégations estimant qu’il fallait faire davantage pour renforcer les capacités nationales en matière d’enquête, de poursuites et de justice -le moyen le plus efficace de prévenir et de punir les crimes contre l’humanité-, la déléguée a indiqué que son pays réfléchissait à la manière dont le projet d’articles pourrait jouer un rôle de « catalyseur », en encourageant une plus grande coopération internationale; coopération qui, à son tour, renforcerait l’efficacité et l’inclusivité de toute future convention.
Mme ALIS LUNGU (Roumanie) a reconnu, concernant la clause de non-participation comprise dans le projet d’article 15, qu’une telle disposition pourrait avoir une influence positive sur le nombre total de ratifications d’une future convention. En introduisant une clause de non-participation à une clause compromissoire, certains États pourraient être disposés à signer des traités qu’ils n’auraient pas signés autrement, renforçant ainsi le cadre juridique international, a-t-elle fait remarquer. Cependant, a-t-elle ajouté, cela omet le rôle important de la CIJ dans l’ordre juridique créé par ces obligations, alors que cette dernière joue un rôle essentiel en garantissant l’application des traités en question, sans quoi les obligations substantielles seraient réduites à des mots vides de sens.
Il existe de nombreuses autres raisons pour la déléguée roumaine d’accepter la compétence de la Cour en tant que mécanisme de règlement des différends: sa vaste expertise en matière de règlement des différends, sa compétence dans les affaires contentieuses fondée sur le consentement des États, son offre d’un mécanisme de règlement des différends efficace et abordable, entre autres. C’est pourquoi elle a appelé à la plus grande prudence dans l’analyse de la clause d’exclusion. Compte tenu de l’objectif d’un futur instrument -dissuader et mettre fin à l’impunité pour les crimes contre l’humanité- elle s’est dite préoccupée par la possibilité d’affaiblir cet outil crucial, en notant par ailleurs que dans la Convention sur le génocide ne figurait pas une telle clause d’exclusion.
Mme MARUBAYASHI (Japon) a déclaré que les infractions donnant lieu à l’extradition mentionnée au paragraphe 2 de l’article 13 sont définies comme « les infractions visées par le présent projet d’articles ». Afin de les rendre acceptables pour un plus grand nombre de pays, il serait souhaitable de préciser que les infractions ne s’appliquent qu’aux infractions prévues dans les législations nationales pour la mise en œuvre de la convention, a-t-elle dit. Quant au paragraphe 9 de l’article 13, la déléguée a jugé nécessaire d’en discuter attentivement, y compris des situations spécifiques qui peuvent être envisagées. La relation avec l’extradition vers la CPI n’étant selon elle pas organisée, sa délégation propose d’ajouter la phrase « sauf en cas d’extradition vers la CPI ». Il serait également souhaitable d’ajouter « sans préjudice du droit interne » avant « État » au paragraphe 1 de l’article 14 sur l’entraide judiciaire, a-t-elle proposé. Pour le paragraphe 16 de l’annexe, et afin de permettre une souplesse en fonction de la situation de chaque pays, la déléguée a suggéré d’ajouter la phrase « le cas échéant » après « dans la mesure du possible et conformément aux principes fondamentaux du droit national ». En tout état de cause, l’annexe devrait continuer d’être prise en compte en raison de la diversité de son contenu, a-t-elle estimé.
M. BRIAN KELLY (États-Unis) a noté, concernant les projets d’articles 13 et 14, que la coopération entre les États en matière d’extradition et d’entraide judiciaire dans les affaires de crimes contre l’humanité est essentielle aux efforts internationaux visant à prévenir et à punir ces crimes. Or, a-t-il observé, « comme l’Histoire l’a déjà montré, les crimes contre l’humanité respectent rarement les frontières internationales ». À cet égard, ces projets d’articles jouent un rôle important dans la structure globale du projet d’articles. Concernant le projet d’article 15 sur le règlement des différends, il s’est félicité de l’inclusion dans le paragraphe 3 d’un processus par lequel les États pourraient déclarer qu’ils ne se considèrent pas liés par le paragraphe 2. Il a d’ailleurs noté que les conventions en vertu desquelles les États peuvent émettre des réserves ou se soustraire à la compétence de la CIJ, telles que la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et la Convention contre la torture, avaient davantage de chances d’être largement ratifiées.
Mme NATALIA JIMÉNEZ ALEGRÍA (Mexique) a réitéré l’importance des articles sur l’extradition, l’entraide judiciaire et le règlement des différends. Elle a jugé important que les États puissent établir leur compétence à l’égard des crimes contre l’humanité, non seulement lorsque ceux-ci ont été commis sur leur territoire mais également lorsqu’il existe un lien de nationalité avec l’auteur présumé ou les victimes. La représentante y a vu un outil de la communauté internationale pour « lutter contre l’inaction et la réticence à poursuivre les personnes soupçonnées de crimes ». Elle s’est en outre félicitée que les comportements visés ne puissent être qualifiés d’infractions à caractère politique. Pour le Mexique, l’article 14 et son annexe fonctionneront comme une base juridique solide pour l’entraide judiciaire entre États. La représentante a souhaité que les obligations des États en la matière soient le plus détaillées possibles. Elle a jugé approprié qu’il existe un mécanisme qui accorde à la Cour internationale de Justice (CIJ) la compétence pour connaître d’éventuels différends entre États concernant l’interprétation et l’application des obligations découlant des articles, mais elle a estimé que ces mécanismes devraient être obligatoires. Selon elle, il faudrait donc supprimer les paragraphes 3 et 4 de l’article 15 consacré au règlement des différends.
M. ABDULRAHMAN ABDULAZIZ F. A. AL-THANI (Qatar) a indiqué que le projet d’article 13 sur l’extradition renvoie au principe, consacré par la législation de son pays, selon lequel les États ne doivent pas extrader leurs propres ressortissants. Le délégué a ajouté que les dispositions du projet d’article en question ne doivent pas être interprétées comme une possibilité laissée aux États d’agir autrement, y compris à des fins politiques. Il a par ailleurs jugé qu’il importe de se pencher sur le droit interne applicable en matière d’extradition quand un crime est commis au-delà des frontières d’un État.
M. PERILLEUX (Belgique) a milité pour la coopération judiciaire entre États, la jugeant essentielle dans les affaires de crimes contre l’humanité qui contiennent souvent de nombreux éléments d’extranéité. En matière d’extradition, il a estimé que le projet d’article 13 offre une base solide pour l’exécution des demandes en ce sens. Il l’a jugé particulièrement utile pour les États qui, comme la Belgique, conditionnent les extraditions à l’existence d’un traité avec l’État requérant. Une procédure claire et détaillée d’extradition est un élément essentiel dans la lutte contre l’impunité des auteurs de crimes contre l’humanité, a—t-il poursuivi. Le délégué a rappelé à cette occasion que l’Argentine, la Belgique, la Mongolie, les Pays-Bas, le Sénégal et la Slovénie ont lancé une initiative en matière d’entraide judiciaire, plus connue sous le nom d’« initiative MLA », qui se concentre sur la création d’un cadre moderne et détaillé pour l’entraide judiciaire et l’extradition à l’égard des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Il a relevé qu’une conférence diplomatique se tiendra du 15 au 26 mai prochains à Ljubljana (Slovénie) pour mener des négociations en vue de l’adoption d’une convention pour la coopération internationale en matière d’enquête et de poursuite du crime de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. Cette initiative et le projet d’articles de la CDI, qui a une approche holistique, sont donc complémentaires et peuvent coexister et continuer de se développer en parallèle, a conclu le délégué.
M. JOSE JUAN HERNANDEZ CHAVEZ (Chili) a jugé adapté le projet d’article 13 sur les modalités de l’extradition dans la mesure où il vise à faciliter et à établir des règles uniformes en la matière, sans établir une obligation d’extrader. S’agissant du projet d’article 15, le représentant a trouvé pertinent qu’une future convention établisse des mécanismes de règlement des différends, tout en ajoutant que la proposition d’une clause permettant de ne pas recourir à la Cour internationale de Justice (CIJ) devrait être soigneusement analysée lors de la future négociation de la convention.
Mme CROCKETT (Canada) a apprécié la nature des projets d’articles inclus dans le groupe thématique 4, qui constituent la pierre angulaire des efforts continus des États. Elle a toutefois noté que certains d’entre eux nécessitent un examen plus approfondi et devraient tenir compte des discussions en cours sur le projet de convention sur la coopération internationale en matière d’enquêtes et de poursuites relatives aux génocides, aux crimes contre l’humanité, aux crimes de guerre et aux autres crimes internationaux, également connu sous le nom « d’initiative MLA ». Plus spécifiquement, la déléguée a cité les demandes des États visant à subordonner l’extradition à l’existence d’un traité, conformément au projet d’article 13(5), en estimant qu’il serait pertinent d’ajouter qu’une telle demande devrait être faite au moment du dépôt des instruments de ratification, à l’instar de la référence contenue dans la Convention contre la criminalité transnationale organisée. En gardant à l’esprit le principe général du droit international selon lequel les lois nationales ne peuvent pas prévaloir sur les obligations juridiques internationales, elle a recommandé de revoir la formulation utilisée dans ce paragraphe. Tout en soulignant l’importance des projets d’articles 13 et 14 et le rôle qu’ils jouent en fournissant aux États les détails nécessaires pour faciliter la coopération en matière d’extradition et d’entraide judiciaire pour les crimes contre l’humanité, la déléguée a insisté sur la nécessité d’examiner cette disposition en même temps que les dispositions correspondantes figurant dans le projet d’initiative MLA, en vue d’une approche harmonisée. Le Canada suit également de près les discussions sur un mécanisme potentiel de suivi pour la future convention.
M. EVGENY A. SKACHKOV (Fédération de Russie) a considéré qu’il est « déraisonnable », s’agissant des articles 13 sur l’extradition et 14 sur l’entraide judiciaire, d’utiliser les dispositions des régimes conventionnels existants dans le domaine de la corruption et de la criminalité organisée. Il existe en effet une différence dans la nature juridique de ces infractions, ce qui suggère des approches différentes. Bien que le projet d’article 14 ne puisse pas résoudre tous les problèmes qui peuvent se poser dans le cadre des enquêtes et des poursuites relatives aux crimes contre l’humanité, un niveau de détail élevé peut selon lui nuire à la participation à une éventuelle convention. Le paragraphe 9 du projet d’article 14, selon lequel les États peuvent conclure des accords avec des mécanismes internationaux créés par des organes intergouvernementaux des Nations Unies, est à ses yeux « inacceptable » en raison de l’existence de « structures illégitimes » établies en violation du droit international et de la Charte des Nations Unies.
M. PETER MOHAN MAITHRI PIERIS (Sri Lanka) a appelé à se montrer prudent quant aux dispositions relatives à l’extradition dans le projet d’articles afférent, de nombreux pays ayant des traités bilatéraux régissant l’extradition. Le degré de suspicion et des éléments de preuves raisonnables sont nécessaires afin de déclencher l’extradition en dehors de toute motivation politique, a-t-il ajouté, soulignant que la liberté de l’être humain est sacrosainte: « les puissances politiques ne peuvent pas l’utiliser comme un pion que l’on déplace sur un échiquier ». Concernant l’entraide judiciaire, le représentant a estimé que le projet d’article 14 est encore trop vaste. Selon lui, l’entraide envers un État requérant doit être activée par les autorités compétentes de ce dernier. Quant aux États qui ne peuvent pas régler des questions d’entraide judiciaire et n’ont pas « le luxe » de se tourner vers la CIJ, un système juridique prévisible devrait être envisagé, la finalité étant de permettre la vie en toute dignité de l’ensemble des citoyens.
M. MARTÍN JUAN MAINERO (Argentine) a jugé essentiel le rôle de l’entraide judiciaire et de la coopération internationale. L’Argentine, qui a une longue expérience des enquêtes et poursuites en matière de crimes contre l’humanité, appuie fermement le projet d’articles sur le sujet. Le représentant a expliqué que les obstacles juridiques à l’extradition sont liés notamment à la définition de l’infraction, mais aussi à la prescription et à la fréquente double nationalité de la personne concernée. Pour surmonter ces obstacles, l’Argentine propose d’inclure des dispositions relatives aux canaux de transmission de la demande d’extradition ainsi que sur la détention préventive aux fins d’extradition, qui impliquerait INTERPOL, ou encore la possibilité d’accélérer la procédure avec le consentement de la personne visée par la demande d’extradition. Ces dispositions devraient faire l’objet d’une partie séparée dans l’annexe au projet d’article 14, a estimé le représentant, qui a en outre suggéré d’impliquer davantage les autorités centrales dans le contexte de l’entraide judiciaire.
M. CHANG WUN-JEUNG (République de Corée) a noté que le projet d’article 13 prévoit que les crimes contre l’humanité sont considérés comme une infraction passible d’extradition et qu’une infraction visée par le projet d’article n’est pas considérée comme une infraction politique, ce qui est souvent un motif de refus d’extradition. Il a toutefois relevé que ce projet d’article ne prévoit pas de motifs de refus d’extradition en détail, mais qu’il indique simplement que l’extradition est accordée dans les conditions prévues par le droit national de l’État requis et les traités d’extradition applicables. Par conséquent, il a suggéré que tout potentiel État partie affine son droit interne pour refléter pleinement l’objectif de ce projet d’article. S’agissant du projet d’article 14 et de l’annexe qui visent à faciliter l’entraide judiciaire en matière de crimes contre l’humanité, le délégué ne pense pas qu’ils menacent l’indépendance judiciaire d’un État Membre. Une fois bien établi, en particulier entre les États qui n’ont pas de traités bilatéraux ou multilatéraux en la matière, le cadre de coopération interétatique contribuera à prévenir les crimes contre l’humanité en augmentant la possibilité de punir efficacement les auteurs et en les isolant sur le plan diplomatique, a fait valoir le représentant.
Passant au projet d’article 15 qui porte sur le règlement des différends, il a relevé que le paragraphe 1 ne mentionne que l’obligation de régler les différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de ce projet d’articles. Il n’est donc pas certain que les différends incluent ceux relatifs à la responsabilité d’un État qui ne respecte pas les obligations découlant du projet d’articles, a-t-il souligné. Il a rappelé que le paragraphe 2 du projet d’article 15 prévoit que tout différend non réglé par voie de négociation est soumis à la CIJ, à moins que les États ne conviennent de soumettre le différend à l’arbitrage; et que le paragraphe 3 prévoit que chaque État peut déclarer qu’il ne se considère pas lié par le paragraphe 2. Aux yeux de la délégation coréenne, cette clause de non-participation est un compromis réaliste pour inviter les États qui ne souhaitent pas être liés par un mécanisme obligatoire de règlement des différends.
Mme LOUREEN SAYEJ (Palestine) a estimé, au sujet du règlement pacifique des différends, que le rôle conféré à la CIJ devrait être plus important dans la prévention et la répression des crimes contre l’humanité.
Échanges interactifs
Le représentant de Singapour a rappelé qu’il n’existait aucun traité international interdisant la peine de mort.
Le représentant du Cameroun a demandé si on devrait considérer qu’en cas de suppression des dispositions relatives à la saisine de la CIJ lors de différends entre les États sur l’interprétation des articles, les États seraient alors obligés de parvenir à un accord. Dans le cas contraire, que se passe-t-il en l’absence d’entente? a-t-il demandé.
Le représentant du Sénégal a appelé à la CDI à clarifier le sens de son expression « appartenance à un groupe social » dans le contexte des motifs de refus d’extradition.
La représentante du Nigéria a relevé que le paragraphe 3 de l’article 13 parle d’infraction politique et a souhaité que l’on précise ce que l’on entendait par cette expression. C’est normalement une question qui relève de la compétence nationale des États et doit donc être traitée par l’État concerné, a-t-elle ajouté. Elle a également demandé ce qu’on entend par « sexe » ou « genre » quand on mentionne ces termes.