Lutte contre la tuberculose: les États s’engagent à faire progresser la science, les finances et l’innovation pour juguler une épidémie mondiale
Une réunion de haut niveau sur la lutte contre la tuberculose, organisée aujourd’hui en marge du débat annuel de l’Assemblée générale, a rassemblé des dirigeants, ministres de la santé, présidents d’organisations internationales et non gouvernementales et représentants de la société civile. En début de session, les États Membres ont approuvé une déclaration politique visant à faire progresser la science, les finances et l’innovation, et à tirer parti de leurs bienfaits pour mettre fin d’urgence à l’épidémie mondiale de tuberculose, « en particulier en assurant un accès équitable à la prévention, au dépistage, aux traitements et aux soins ». Le texte est désormais en attente d’une approbation formelle par l’Assemblée générale. Près de cinq ans après la première déclaration politique consacrée à la lutte contre la tuberculose, en 2018, les États ont ainsi réaffirmé leur volonté de juguler l’épidémie mondiale d’ici à 2030, conformément aux objectifs de développement durable (ODD).
« Nous sommes rassemblés pour revitaliser notre engagement et mettre fin à la tuberculose », a déclaré M. Dennis Francis, Président de l’Assemblée générale, notant que la déclaration était un outil essentiel pour parvenir à son éradication en 2030. Il a déploré que l’on n’ait toujours pas mis fin à une « maladie ancienne » alors que les moyens techniques sont disponibles. Un constat partagé par M. Tedros Adhanom Ghebreyesus, Président de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS): « pendant des millénaires, nos ancêtres ont souffert et sont morts de cette maladie sans savoir ce dont il s’agissait, ce qui la causait ou comment arrêter sa progression. Aujourd’hui, nous avons des connaissances et des outils dont ils n’auraient pu que rêver ».
Mme Amina Mohammed, Vice-Secrétaire générale de l’ONU, a rappelé que la tuberculose demeure la maladie infectieuse la plus meurtrière du monde avec 1.5 million de victimes par an, soulignant la « menace majeure » que font planer les formes pharmacorésistantes. Mme Marisol Touraine, Présidente du conseil d’administration d’Unitaid, a fait part de son inquiétude quant à la progression des souches résistantes, qui aurait accéléré pendant la pandémie de la COVID-19. Son organisation, a-t-elle expliqué, finance des essais cliniques pour développer des traitements plus faciles et moins toxiques contre la tuberculose résistante.
La question de la pharmacorésistance figurait également au cœur des préoccupations exprimées par M. Peter Sands, Directeur exécutif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Selon lui, ce trait particulier de la maladie exige des moyens techniques adaptés. « Il faut des outils de diagnostic complexes qui puissent détecter les résistances microbiennes », a-t-il relevé.
Les intervenants se sont accordés sur le fait que la tuberculose était une maladie aux profondes implications sociales. La pauvreté, notamment, serait l’un des facteurs majeurs de susceptibilité. Chaque jour, 650 enfants en meurent, s’est indignée Mme Touraine, qualifiant ce bilan d’« insupportable, parce que c’est une maladie de la pauvreté ». Dans le même esprit, M. Ghebreyesus a rappelé que la majorité des 10 personnes qui sont mortes de la tuberculose pendant les quelques minutes de son intervention sont « pauvres, marginalisées, mal nourries ». M. Sands a qualifié la tuberculose de « pandémie des pauvres », prônant un système inclusif qui englobe les personnes les plus marginalisées de la société.
La dimension sociale de la lutte contre la tuberculose a fait l’objet de discussions en marge de la session plénière, lors d’une table ronde consacrée ce matin aux actions multisectorielles. Dans ce cadre, Mme Binika Shrestha, survivante de la maladie et membre de la Campagne nationale de la jeunesse contre la tuberculose au Népal, a relevé que de nombreuses personnes sont poussées vers la précarité à cause du coût des traitements.
Durant ce premier débat, sur le thème intitulé « Accélérer les initiatives multisectorielles pour assurer une offre de soins équitables et de qualité contre la tuberculose, qui soient centrés sur les personnes, et s’attaquer aux déterminants de la tuberculose dans le contexte de la couverture sanitaire universelle », de nombreux pays ont soutenu le principe d’un accès gratuit aux soins. La Pologne, la Russie et la Thaïlande ont relevé que cette mesure avait contribué à leurs progrès contre la maladie. L’Estonie et la République dominicaine ont insisté sur le fait qu’outre la gratuité, l’accès aux soins et au diagnostic doit être ouvert à tous, notamment aux migrants et aux réfugiés, quel que soit leur statut.
Selon M. Budi Gunadi Sadikin, Ministre de la santé de l’Indonésie et modérateur de la première table ronde, la nature multifactorielle de la tuberculose exige la coopération de plusieurs branches du gouvernement, afin de répondre aux problèmes de logements insalubres, de pauvreté ou de malnutrition. Un constat également émis par le Paraguay, qui souligne la nécessité de travailler avec des secteurs divers au sein du gouvernement, l’épidémie ne répondant pas qu’à des facteurs sanitaires. Outre la mobilisation de plusieurs branches du gouvernement, plusieurs intervenants ont prôné la coopération entre tous les acteurs de la lutte – systèmes de santé publics et privés, société civile, organisations gouvernementales, bailleurs de fonds… Les malades et survivants, tout particulièrement, devraient être intégrés aux processus. Ainsi, selon M. Sadikin, « il faut mobiliser l’ensemble de la société, y compris les survivants, les soignants, la société civile, notamment pour lutter contre la discrimination ».
La stigmatisation représenterait une entrave majeure au progrès de la lutte contre la maladie. De peur d’être exclues, de nombreuses personnes hésiteraient à se faire diagnostiquer ou à obtenir des soins. Mme Handaa Enkh-Amgalan, survivante de la tuberculose et autrice du livre « Stigmatized: Le voyage d’une jeune fille mongole de la stigmatisation et de la maladie à l’autonomisation », a appelé à lutter contre ce problème. Mme Shrestha a témoigné qu’elle avait dû elle aussi cacher sa maladie à sa famille. « Si l’on se limite à traiter la tuberculose comme quelque chose de purement médical, cela entraîne stigmatisation et abandon. » La République dominicaine, notamment, a expliqué avoir mis en place des programmes scolaires pour lutter contre la stigmatisation des malades.
Enfin, l’accès aux soins et au diagnostic doit être amélioré, ont relevé de nombreux intervenants. Les centres de lutte contre les maladies tentent notamment de résoudre ce problème sur le plan technique, en développant des traitements plus brefs, à même de traiter rapidement les patients. Mais, a relevé le Président de l’Assemblée générale, les discriminations entravent les efforts de santé publique, et il faut également résoudre la dimension sociale du problème. « Par où commencer? Il faut innover, que ce soit en sciences sociales ou pour des systèmes de recherche essentiels qui garantissent l’accès aux soins. »
Les participants ont enchaîné l’après-midi avec une deuxième table ronde ayant pour thème: « Mettre l’accent sur des financements adéquats et durables à l’échelle nationale, régionale et internationale pour garantir l’équité dans la prestation de services de lutte contre la tuberculose, les stratégies innovantes, ainsi que pour la recherche-développement de nouveaux outils de diagnostic, de vaccins et de médicaments ».
Coprésidé par MM. Alexandru Rafila, Ministre de la santé de la Roumanie , et Kalumbi Shangula, Ministre de la santé et des services sociaux de la Namibie, cet évènement a donné l’occasion à Mme Jamilya Ismoilova, Conseillère régionale en matière de changement de comportement social et de genre chez Abt Associates Inc. en Asie centrale, qui représentait la société civile, de mettre en avant le rôle des communautés dans la lutte contre la tuberculose, puisque leur connaissance du terrain et leurs connexions avec la base permettent de mieux détecter les cas de tuberculose et de faciliter les soins. Faisant un parallèle avec la pandémie de COVID-19, elle a plaidé pour une mobilisation similaire de la communauté internationale autour de la tuberculose en vue de combler le manque de financement chronique pour trouver un vaccin contre cette maladie infectieuse qui reste la plus mortelle au monde. Il s’agit également de fidéliser les agents de santé et de répondre aux besoins en termes de médicaments face à cette maladie. Les sources de financement traditionnelles ne sauraient suffire, a-tranché Mme Ismoilova. Par conséquent, les gouvernements doivent allouer les ressources nécessaires au renforcement des systèmes de santé en vue de parvenir à une couverture sanitaire universelle. Elle a notamment préconisé des subventions ciblées pour les services de santé au niveau communautaire. Les financements internationaux alloués à la lutte contre la tuberculose doivent augmenter, a-t-elle exigé en arguant que leurs retours sur investissements sont énormes, surtout dans les pays à revenu faible et intermédiaire.
Lui emboitant le pas, le docteur Antonio Brito, Membre du Parlement et Président du Groupe parlementaire brésilien sur la tuberculose, a apporté le témoignage de l’un des pays à la plus forte prévalence de tuberculose dans sa région et où les coûts pour les patients restent énormes. Il a mis en avant le rôle des parlements dans la lutte contre cette maladie. Au Brésil, cela va bien au-delà du simple cadre législatif. Des recommandations ont été faites pour éliminer cette maladie en tant que problème de santé publique, et la commission interministérielle mise en place à cet effet doit remédier au problème du sous-financement de cette lutte. Le Parlement supervise l’affectation des ressources pour veiller à leur rentabilité et garantir qu’elles parviennent à ceux qui en ont le plus besoin, a-t-il expliqué. Avant de conclure, le docteur Brito a encouragé les parlements du monde à unir leurs forces dans le cadre de cette lutte et à agir maintenant.
Répondant à une question sur le fort engagement des États-Unis dans la lutte contre la tuberculose, le docteur Atul Gawande, Administrateur adjoint pour la santé mondiale à l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), a rappelé qu’il s’agit de la maladie infectieuse la plus mortelle au monde. Il a pointé du doigt les écarts entre le monde en développement et le monde développé où cette « maladie des négligés » a été pratiquement éradiquée. Aujourd’hui, a-t-il martelé, on sait ce qu’il faut faire – dépister, traiter et suivre les cas contacts dans toutes les communautés. Ce n’est donc pas faute de solution que l’on ne vient pas à bout de cette maladie, mais plutôt faute de volonté et de moyens, a déploré le docteur Gawande. Concrètement, on peut dépister la maladie en une journée, les traitements existent et fonctionnent et on sait comment traiter les personnes qui sont cas contacts. Pour sa part, USAID s’est engagé à réduire les coûts des traitements et assure des transferts de technologie vers des fabricants africains, a-t-il expliqué, en mettant en avant l’importance du financement des capacités locales de lutte contre la tuberculose. Sur une note positive, il a évoqué les recherches en cours à l’Université Johns Hopkins qui développe actuellement un traitement de longue durée qui consiste en une seule injection par mois.
Son collègue, le docteur Mark Hatherill, Directeur de l’Initiative sud-africaine pour un vaccin contre la tuberculose (SATVI) à l’Université du Cap, a fait un parallèle entre l’approche du vaccin anti-COVID-19 et celle du vaccin contre la tuberculose. « Pour la première fois un candidat prometteur est à notre portée. » Si confirmé, son impact sera transformateur et pourrait faire économiser des milliards de dollars en traitement, a-t-il fait valoir. En attendant, le docteur Hatherkill a encouragé à faire avancer les sept autres vaccins les plus prometteurs qui en sont à la phase de test, notamment ceux à ARN messager. Il a également plaidé pour des partenariats avec les pays les plus touchés par la tuberculose et pour un programme d’investissement dédié uniquement à la recherche et au développement des vaccins, en notant que l’un des plus grands freins à leur développement reste le nombre de tests réalisés. Il ne fait pas de doute à ses yeux qu’il appartient aux pays développés de s’investir davantage dans la recherche vaccinale contre la tuberculose.
Concrètement, il faut sortir du silence autour de cette maladie pour pouvoir y mettre un terme, d’autant plus que le nombre de malades est à nouveau en hausse dans le monde, a-t-il été souligné. Cette responsabilité incombe au premier chef aux gouvernements et aux dirigeants, ont encore fait valoir de nombreux intervenants du segment interactif de cette réunion qui était largement dominé par des représentants de la société civile, y compris des médecins. Des appels multiples ont été lancés pour des investissements plus forts de la part des partenaires, mais aussi pour davantage de partenaires, y compris du secteur privé. Le fait que 80% des décès de la tuberculose surviennent dans le monde en développement, est, pour certains, la principale explication de l’absence de vaccin contre cette maladie à ce jour.
Pour la première fois, une déclaration politique reconnait le droit à la science, ont salué les participants. Mais cela ne suffit pas. Les États Membres, ont-ils estimé, doivent combler les lacunes en matière de diagnostic et de traitement au niveau national et cela ne sera possible que si ces services deviennent plus accessibles. En fin de compte, pour les militants et représentants présents dans la salle aujourd’hui, la lutte contre la tuberculose est bien une lutte pour les droits humains.