La Cinquième Commission achève ses travaux sans l’accord attendu depuis cinq ans sur la réforme de la gestion des ressources humaines de l’ONU
« Nous vivons aujourd’hui une occasion manquée de réformer le système des Nations Unies », ont tranché les États-Unis, à la clôture de la reprise de session de la Cinquième Commission chargée des questions administratives et budgétaires. À l’instar des autres intervenants, dont le Groupe des États d’Afrique et le Groupe des 77 et la Chine, ils ont regretté l’incapacité de la Commission d’avancer sur une résolution relative à la gestion des ressources humaines, attendue depuis cinq ans, coinçant « l’organisation la plus importante » dans le passé.
Les États Membres, ont prévenu les États-Unis, ne peuvent pas s’attendre à ce que les Nations Unies s’attaquent efficacement aux situations d’urgence, comme l’Ukraine, ou fassent des progrès significatifs sur les objectifs de développement durable si les 36 800 membres du personnel du Secrétariat de l’ONU ne sont pas dotés des moyens d’être performants. Les résultats de cette session doivent résonner comme « un coup de semonce » pour la Commission, a estimé, à son tour, l’Union européenne qui s’est inquiétée de l’inertie sur des questions cruciales comme, outre la gestion des ressources humaines, le principe de responsabilité au sein de l’Organisation et la chaîne d’approvisionnement. Le Mexique a décrit une session compliquée dont les résultats ne correspondent pas aux objectifs fixés sur les questions essentielles pour la performance et l’avenir de l’Organisation.
L’ensemble des intervenants a néanmoins salué la pertinence des accords conclus sur la gestion souple de l’espace de travail au Siège des Nations Unies, celle de la résilience de l’Organisation, le rapport du Corps commun d’inspection (CCI), le budget de la Mission des Nations Unies en Libye et l’approbation des ressources permettant de financer les mandats adoptés par le Conseil des droits de l’homme.
À ce propos, la Commission a adopté sans vote le projet de résolution sur les questions spéciales relatives au budget-programme de 2022, non sans avoir mis aux voix la Section 3 du texte allouant au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme des sommes additionnelles pour la toute nouvelle commission internationale d’experts chargée d’enquêter sur les exactions commises par tous les belligérants de la guerre en Éthiopie. Par 78 voix pour, 18 contre et 40 abstentions, l’adoption « décevante » de la section a conduit l’Éthiopie a fustiger un mécanisme « sans base juridique ni mérite ». L’Érythrée a aussi réitéré son opposition catégorique aux mandats spécifiques à des pays qui menacent leur souveraineté.
Avant cela, la Commission avait rejeté par 66 voix contre, 27 voix pour et 39 abstentions un projet de résolution, présenté par l’Éthiopie, visant à revenir sur la création de la commission internationale d’experts. Le Groupe des États d’Afrique a dit désapprouver tout mécanisme imposé de manière « péremptoire », avant de déplorer « une politisation » des questions des droits humains, au détriment d’une approche concertée avec les États concernés. La France, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Argentine ont rappelé qu’il n’appartient pas à une commission administrative et budgétaire de remettre en cause des mandats conférés par les autres organes pertinents des Nations Unies. Il n’appartient pas non plus à une telle commission de faire des commentaires politiques relevant d’autres instances, a souligné la Fédération de Russie, agacée par les références au conflit en Ukraine.
L’Assemblée générale se prononcera sur les quatre projets de résolution adoptés, le mercredi 13 avril 2022, alors que la Cinquième Commission entamera le 2 mai prochain, sa deuxième reprise de session consacrée aux budgets des opérations de paix.
CLÔTURE DES TRAVAUX DE LA CINQUIÈME COMMISSION PENDANT LA PREMIÈRE PARTIE DE LA REPRISE DE LA SOIXANTE-SEIZIÈME SESSION DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
Progrès sur la mise en œuvre de l’espace de travail souple au Siège de l’ONU (A/C.5/76/L.26)
Par ce texte adopté sans vote, la Commission recommande à l’Assemblée générale d’approuver le rapport du Comité consultatif pour les questions administratives et budgétaires (CCQAB).
Questions spéciales relatives au budget-programme de 2022 (A/C.5/76/L.27)
Avant d’adopter le projet de résolution sans vote, la Commission a adopté par 78 voix pour, 18 voix contre et 40 abstentions, la Section 3 sur les estimations révisées résultant des résolutions et des décisions de la troisième session du Conseil des droits de l’homme. Dans cette section, la Commission recommande à l’Assemblée générale d’allouer une somme supplémentaire de 2 232 600 dollars au chapitre « droits de l’homme » du budget ordinaire et une autre somme additionnelle de 166 100 dollars.
Avant le vote, la France a confirmé sa détermination d’assurer l’exécution des décisions du Haut-Commissariat aux droits de l’homme.
L’Érythrée a rejeté la Section 3, par opposition à tous les mandats spécifiques concernant un pays. De tels mandats, a-t-elle dit, ont des motivations politiques et manquent d’efficacité. La création de ces mandats va à l’encontre de la souveraineté des États, sous le prétexte fallacieux de défendre les droits humains. L’Érythrée a dénoncé ces agendas politiques inavoués.
L’Éthiopie a jugé « décevant » de consacrer des ressources à de tels mandats, sans base juridique ni mérite. Notre souveraineté est menacée, a-t-elle estimé, en ajoutant que sa relation avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme est tout simplement hypothéquée. Elle l’a exhorté à ignorer les « fables » racontées sur elle et estimé que la décision de financer le mécanisme qui la concerne entache la réputation de la communauté internationale.
Le projet de résolution présenté par l’Éthiopie visant à revenir sur la création d’une commission internationale d’experts chargée d’enquêter sur les exactions commises par tous les belligérants de la guerre sur son sol (A/C.5/76/L.24) a été rejeté par 66 voix contre, 27 voix pour et 39 abstentions.
L’Éthiopie a qualifié le mécanisme de démarche politique et « d’abus » du système international par les puissants.
La France, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Argentine ont souligné qu’il n’appartient pas à la Cinquième Commission de remettre en cause les mandats conférés par les autres organes des Nations Unies mais de s’entendre sur leur financement et en l’occurrence sur les estimations révisées résultant des résolutions et décisions adoptées par le Conseil des droits de l’homme.
Corps commun d’inspection (A/C.5/76/L.25)
Par ce texte adopté sans vote, la Commission recommande à l’Assemblée générale d’accueillir avec satisfaction la mise en œuvre du cadre stratégique du Corps commun d’inspection pour 2020–2029 et de souligner la nécessité de le mettre à jour régulièrement et de l’améliorer, en tenant compte des dynamiques et des problèmes, dont ceux liés à la pandémie de COVID-19 et des efforts de réforme en cours. L’Assemblée demanderait aussi au Corps commun d’inspection de faire rapport sur sa stratégie de sensibilisation au cadre stratégique auprès du leadership des organisations participantes et d’échanger des informations sur le travail que font ces organisations pour soutenir la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030 et s’attaquer aux défis émergents.
Enfin, la Commission recommande à l’Assemblée générale une liste de questions reportées (A/C.5/76/L.28), adoptée sans vote.
Déclarations de clôture
M. MHER MARGARYAN, Président de la Cinquième Commission, a remercié les délégations et le bureau pour leur travail, avant d’indiquer que l’Assemblée générale se prononcera sur les projets de résolution, le mercredi 13 avril.
Au nom du Groupe des 77 et la Chine, M. MUHAMMAD JAWAD AJMAL (Pakistan) a déploré que la Cinquième Commission ne soit pas parvenue à un accord sur la question de la gestion des ressources humaines alors que son groupe a redoublé d’efforts pour parvenir au consensus, en renonçant aux positions qu’il a toujours défendues par esprit de compromis face à un sujet aussi important. Dénonçant l’absence de « résultats concrets », il a tout de même jugé que les efforts n’ont pas été vains: des divergences perdurent mais de nombreux points de convergence émergent. Ces points, a conclu le représentant, devraient constituer la base des prochains travaux. Il a insisté une nouvelle fois sur une représentation géographique équitable au sein du personnel du Secrétariat de l’ONU.
Au nom du Groupe des États d’Afrique, M. FELIX-FILS EBOA EBONGUE (Cameroun) a déclaré que les prévisions révisées de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye sont le signe manifeste de toute l’attention que la communauté accorde à la paix et la sécurité en Libye. Il a regretté, à son tour, que la Commission ne soit pas parvenue à adopter de résolution consensuelle sur des sujets tels que l’amélioration de la situation financière des Nations Unies; l’assurance maladie après la cessation de service; ou encore la chaîne d’approvisionnement. Il a regretté que les efforts consentis n’aient pas suffi pour adopter une résolution sur la gestion des ressources humaines et a appelé à plus d’engagement de la part de tous pour mettre fin à toutes les incertitudes liées à la gestion du personnel qui est la ressource la plus importante de l’Organisation.
S’agissant du mécanisme d’enquête sur la situation des droits humains en Éthiopie, le représentant a dit désapprouver tout mécanisme imposé de manière péremptoire aux États. Nous dénonçons avec vigueur la politisation des questions des droits humains et réitérons notre position constante sur la nécessité de suivre une approche concertée et d’accompagnement avec les États concernés, plutôt qu’une mise à l’index, a-t-il conclu.
M. THIBAULT CAMELLI, de l’Union européenne, a salué la pertinence de l’action de l’ONU face à la pandémie, tout en regrettant que les méthodes de travail de la Commission se soient détériorées et que le consensus se soit érodé. Il a exhorté à parvenir à un compromis sur la question des ressources humaines et déploré l’examen reporté de certains points, en raison de considérations trop complexes avancées par le Comité consultatif pour les questions administratives et budgétaires (CCQAB). « Mais nous sommes les seuls responsables », a-t-il dit, regrettant l’inertie sur des questions cruciales comme le principe de responsabilité au sein de l’Organisation et la chaîne d’approvisionnement. Le délégué a dénoncé le recours à des tactiques « court-termistes » lors des débats, ainsi que la défiance témoignée à l’endroit du Secrétariat, avant de plaider pour de meilleures méthodes de travail. Les résultats de cette session doivent être un coup de semonce pour la Commission, a-t-il estimé.
M. KIMURA TETSUYA (Japon) a regretté l’incapacité de la Cinquième Commission à adopter la résolution sur les ressources humaines et mis sur le dos des États Membres l’inaptitude de répondre aux demandes de directives du Secrétaire général, même si des progrès ont été faits par rapport aux années précédentes. Il est grand temps, a-t-il estimé, d’explorer de nouvelles approches pour les discussions afin d’éviter la même situation, l’année prochaine. Alors qu’il était possible de discuter des problèmes de trésorerie de l’ONU, a poursuivi le représentant, la Commission n’a pas avancé. Elle doit, s’est-il impatienté, se fonder sur ses acquis pour parvenir à un consensus à la prochaine session.
M. JESÚS VELÁZQUEZ CASTILLO (Mexique) a décrit une session compliquée avec des résultats qui ne correspondent pas aux objectifs fixés sur des questions essentielles pour la performance et l’avenir de l’Organisation. Il a néanmoins salué la pertinence des accords conclus concernant la gestion souple de l’espace de travail au Siège des Nations Unies, la gestion de la résilience de l’Organisation, le rapport du Corps commun d’inspection (CCI), le budget de la Mission des Nations Unies en Libye, et l’approbation des ressources permettant de financer les mandats adoptés par le Conseil des droits de l’homme. Il a regretté que les efforts déployés n’aient pas été suffisants pour prendre une décision sur le train de mesures relatif à la gestion des ressources humaines, une question qui était au centre de cette session et qui est désormais reportée d’une année supplémentaire. La Commission n’a pas non plus pris de décisions sur d’autres questions liées à l’efficacité des opérations administratives et financières, telles que le règlement financier du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ou l’assurance maladie après la cessation de service, pourtant nécessaires pour faire avancer la gestion et moderniser l’Organisation.
M. CHRISTOPHER P. LU (États-Unis) s’est félicité du consensus obtenu sur les questions relatives au Corps commun d’inspection, à la gestion souple de l’espace de travail au Siège des Nations Unies et au système de gestion de la résilience institutionnelle, tout en estimant que ces avancées sont tout simplement insuffisantes pour faire entrer l’Organisation dans le XXIe siècle. Il a regretté l’incapacité de la Cinquième Commission d’avancer sur une résolution concernant la gestion des ressources humaines, depuis cinq ans, ce qui force « l’organisation la plus importante au monde à rester coincée dans le passé ». Le Comité, a dit le représentant, n’a pas réformé les politiques d’achat de l’Organisation, stabilisé sa situation financière et encore moins assuré la viabilité du programme d’assurance maladie de son personnel après la cessation de service. « Nous vivons aujourd’hui une occasion manquée de réformer le système des Nations Unies », a-t-il tranché.
Les États Membres, a-t-il dit, ne peuvent pas s’attendre à ce que les Nations Unies s’attaquent efficacement aux situations d’urgence, comme l’Ukraine, ou fassent des progrès significatifs sur les objectifs de développement durable si les effectifs ne sont pas dotés des moyens d’être performants. Le représentant a aussi déploré la tendance de certaines délégations à présenter à la dernière minute des revendications « déraisonnables et exorbitantes » qui sapent les négociations, d’où les mauvais résultats politiques et le risque de donner une mauvaise image de l’Organisation.
Après avoir salué les décisions prises par la Cinquième Commission, M. RICHARD CROKER (Royaume-Uni) a pointé du doigt les domaines importants sur lesquels elle n’a pas réussi à avancer, dont la gestion des ressources humaines, en dépit des efforts que tout le monde a déployés pendant plusieurs mois pour trouver un consensus. Les positions se sont certes rapprochées par rapport aux années précédentes mais il a été impossible d’éliminer les divergences. Le représentant a tout de même estimé que les États Membres ont désormais une bonne base pour poursuivre les discussions futures et qu’il faudra n’épargner aucun effort pour régler les questions de l’assurance maladie après la cessation de service et des procédures d’achat.
M. EVGENY V. KALUGIN (Fédération de Russie) a salué les accords intervenus sur le budget de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL), la gestion souple de l’espace de travail au Siège des Nations Unies, le système de gestion de la résilience institutionnelle et le rapport du Corps commun d’inspection. Il a tout de même regretté que le consensus ait fait défaut pour d’autres textes importants, en dénonçant notamment l’absence de décisions sur la gestion des ressources humaines et le fonctionnement de la chaîne d’approvisionnement. Le représentant a tenu à rappeler que le mandat de la Cinquième commission porte exclusivement sur les questions administratives et budgétaires. Il a donc demandé au Président de la Commission d’obtenir des États qu’ils s’abstiennent des commentaires politiques relevant d’autres instances de l’ONU.
M. CHENG LIE (Chine) a exhorté la Commission à parvenir à un compromis sur la question des ressources humaines. Nous devons corriger la situation s’agissant de la représentation géographique équitable au sein du personnel de l’ONU, a-t-il martelé, avant d’appeler les délégations à réfléchir aux moyens d’aller de l’avant. En l’occurrence, a-t-il tranché, ce qui manque véritablement, c’est la volonté politique.
Le Président de la Commission s’est félicité du consensus obtenu sur certains points de la gestion des ressources humaines qui permettront de poursuivre le travail dès la prochaine session.