Climat: devant le Conseil de sécurité, le Secrétaire général propose des voies pour gérer les effets indéniables des changements climatiques sur la sécurité
On trouvera, ci-après, le texte de l’allocution du Secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, prononcée lors du débat public du Conseil de sécurité consacré à la sécurité dans le contexte du terrorisme et des changements climatiques, tenu à New York, aujourd’hui:
Permettez-moi de commencer par condamner fermement les attaques lâches perpétrées dimanche contre les forces du G5 Sahel au Niger et hier encore contre la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali, attaque au cours de laquelle sept Casques bleus togolais ont perdu la vie. Un Casque bleu égyptien a également succombé aux blessures subies lors d’une attaque au Mali le mois dernier. Je présente mes condoléances les plus attristées aux familles des victimes de ces attaques et de beaucoup d’autres qui ont couté la vie à tant de personnes innocentes.
En ces temps difficiles, je voudrais réaffirmer ma solidarité et le soutien de l’Organisation des Nations Unies aux gouvernements et aux peuples de la région dans leur lutte contre le terrorisme. Je remercie la présidence nigérienne d’avoir organisé ce débat très opportun sur les liens entre le changement climatique, les conflits et le terrorisme.
Premièrement, je veux affirmer que l’urgence climatique est l’enjeu vital de notre époque. Si la COP26 a permis certaines avancées, les objectifs sont loin d’être atteints. Mais nous n’avons d’autre choix que de poursuivre nos efforts pour maintenir en vie l’objectif de limiter la hausse de la température mondiale à 1,5 degré.
Car nous sommes dans une course contre la montre. Et personne n’est à l’abri des effets destructeurs du dérèglement climatique.
Ainsi, en Somalie, à Madagascar, au Soudan, au Moyen Orient ou en Afrique du Nord, des sécheresses et des phénomènes météorologiques de plus en plus extrêmes durcissent l’accès à des ressources rares et menacent la sécurité alimentaire.
Le Programme alimentaire mondial des Nations Unies estime que le changement climatique pourrait augmenter le risque de famine et de malnutrition de près de 20% d’ici 2050. Et la Banque mondiale prévoit qu’au même horizon, il pourrait entrainer le déplacement de plus de 200 millions de personnes. Tout cela bouleverse la paix, la sécurité et la prospérité mondiales.
Ce Conseil l’a souligné à de nombreuses reprises, y compris dans le cadre des résolutions portant sur les mandats de cinq opérations de maintien de la paix et de cinq missions politiques spéciales.
Car bien souvent, les régions les plus vulnérables au changement climatique souffrent également d’insécurité, de pauvreté, d’une faible gouvernance et du fléau du terrorisme. Sur les 15 pays les plus exposés aux risques climatiques, huit accueillent une mission de maintien de la paix ou une mission politique spéciale des Nations unies. Les effets du climat se superposent aux conflits et exacerbent les fragilités.
Lorsque le dérèglement climatique contribue à la pression sur les institutions et entrave leur capacité à fournir des services publics, il alimente les griefs et la méfiance à l’égard du pouvoir. Lorsque la perte des moyens de subsistance laisse les populations dans le désespoir, cela rend plus séduisantes les promesses de protection, de revenus et de justice derrière lesquelles les groupes terroristes dissimulent parfois leurs desseins.
Dans le bassin du lac Tchad, Boko Haram a pu mobiliser de nouvelles recrues, notamment au sein des communautés locales désabusées par l’absence de perspectives économiques et d’accès aux ressources essentielles.
Dans le centre du Mali, les groupes terroristes ont exploité les tensions croissantes entre éleveurs et agriculteurs pour recruter des membres dans les communautés pastorales, qui se sentent souvent exclues et stigmatisées. Et la dégradation de l’environnement permet aux groupes armés non étatiques d’étendre leur influence et de manipuler les ressources à leur avantage.
En Iraq et en Syrie, par exemple, Daech a exploité les pénuries d’eau et pris le contrôle d’infrastructures hydrauliques pour imposer sa volonté aux communautés. En Somalie, la production de charbon de bois par Al-Shabaab est également une source importante de revenus.
Le changement climatique n’est pas la source de tous les maux, mais il constitue un effet multiplicateur et devient un facteur aggravant de l’instabilité, des conflits et du terrorisme. Nous devons aborder ces défis de manière intégrée et créer un cercle vertueux de paix, de résilience et de développement durable.
C’est pourquoi mon rapport sur Notre Programme commun propose un Nouvel agenda pour la paix qui présente une vision multidimensionnelle de la sécurité mondiale. Dans cette logique d’approche intégrée, je voudrais m’attarder sur cinq domaines dans lesquels nous devons approfondir notre action collective.
Premièrement, nous devons mettre l’accent sur la prévention et nous attaquer aux causes profondes de l’insécurité. Les conflits ou le terrorisme n’ont pas lieu dans un vase clos. Ils sont le résultat de fractures profondes: pauvreté, violation des droits humains, mauvaise gouvernance, effondrement des services publics essentiels, manque de perspectives de développement humain – et plus largement, la perte d’espoir en l’avenir.
Pour bâtir une paix durable, nous devons réduire les inégalités. Nous devons protéger les personnes et les communautés les plus vulnérables, notamment les femmes, qui sont touchées de manière disproportionnée.
Nous devons soutenir les investissements dans le développement humain –de la santé à l’éducation, en passant par les protections sociales– afin d’atteindre les Objectifs de développement durable d’ici 2030.
Nous devons favoriser une gouvernance inclusive, avec la pleine participation de toutes les communautés et de la société civile –y compris des défenseurs de l’environnement– afin que chacun puisse faire partie de l’avenir de son pays. Et partout, nous devons tirer parti des savoir-faire locaux et amplifier la voix des femmes et des jeunes. Les études montrent que lorsque les femmes participent aux négociations, la paix est plus durable; lorsqu’elles participent à la législation, elles adoptent des politiques plus favorables à l’environnement et à la cohésion sociale.
Deuxièmement, nous devons de toute urgence accroître nos investissements dans l’adaptation et la résilience. Les coûts annuels d’adaptation dans les pays en développement sont estimés à 70 milliards de dollars, et ils devraient atteindre jusqu’à 300 milliards de dollars par an d’ici à 2030.
Les pays développés doivent tenir leur promesse de fournir au moins 100 milliards de dollars de financement climatique par an au pays en développement.
Et il est essentiel qu’au moins cinquante pour cent du financement climatique pour les pays en développement soit consacré au renforcement de la résilience et de l’adaptation.
La COP26 a envoyé un signal positif en ce sens – j’attends maintenant que les pays développés mettent en œuvre leur engagement de doubler le financement pour l’adaptation d’ici à 2025.
Par exemple à travers des initiatives ambitieuses telles que la Grande Muraille Verte, qui redonne vie aux paysages dégradés du Sahel afin d’augmenter la sécurité alimentaire, créer des emplois et promouvoir la consolidation de la paix.
Mais les mécanismes de financement existants doivent correspondre aux besoins et être accessibles aux populations les plus touchées. Les subventions sont essentielles, car le fardeau de la dette écrase déjà les pays les plus vulnérables. Dans le même temps, nous devons adapter notre travail de consolidation de la paix à l’action climatique. Depuis 2017, le Fonds des Nations unies pour la consolidation de la paix a augmenté ses investissements dans des initiatives innovantes qui tiennent compte des risques climatiques.
Ainsi, au Yémen, où la pénurie d’eau aggravée par le changement climatique contribue à l’instabilité, le Fonds a soutenu la restauration et le renforcement des structures locales de gouvernance de l’eau dans la vallée de Wadi Rima, ce qui a contribué à réduire les tensions intercommunautaires. Malheureusement, le Fonds est encore loin d’avoir atteint le volume critique qui lui permettra d’aider plus systématiquement les gouvernements et les sociétés à faire face aux risques de conflits complexes.
En troisième lieu, nous avons besoin de meilleures capacités d’analyse et d’alerte précoce. Toute initiative de prévention des conflits doit tenir compte des risques climatiques. Comprendre et anticiper les effets en cascade du changement climatique renforcera notre travail sur la paix et la sécurité. Un tiers de la population mondiale ne dispose pas de systèmes d’alerte précoce.
Comme évoqué avec nos partenaires à l’occasion de la conférence Union africaine-ONU, l’Union africaine et d’autres organisations régionales montrent la voie en rendant les mécanismes d’alerte précoce opérationnels.
Nous devons également nous appuyer sur l’expertise en matière de réduction des risques de catastrophes et nous devons intégrer le risque climat dans toutes les décisions économiques et financières. Aux Nations unies, le Mécanisme de sécurité climatique renforce les capacités des missions, des équipes pays et des organisations régionales et sous-régionales à analyser les risques que le climat fait peser sur la sécurité et à rapidement mettre au point des interventions intégrées.
Cela m’amène au quatrième point: le développement des partenariats et d’initiatives reliant les approches locales, régionales et nationales. Nous devons tirer parti de l’expertise disponible sur le terrain, tout en mettant à profit les capacités politiques, techniques et financières des acteurs régionaux et internationaux.
Ainsi, dans le bassin du lac Tchad, la « Stratégie régionale de stabilisation, de redressement et de résilience des zones affectées par la crise Boko Haram », établie par l’Union africaine, la Commission du bassin du lac Tchad, l’ONU et d’autres partenaires, présente une approche intégrant l’action humanitaire, la sécurité, le développement et la résilience climatique.
Le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel a lancé, en partenariat avec l’Organisation Internationale pour les Migrations, de la Convention-cadre sur les changements climatiques et du Programme des Nations Unies pour l’Environnement, une nouvelle initiative sur le changement climatique, la sécurité et le développement en Afrique de l’Ouest.
Cette initiative encourage une approche intégrée et coordonnée de la sécurité climatique dans la région et accompagne la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, les gouvernements et organisations régionales dans leurs efforts de réduction des risques.
Nous devons également soutenir le travail du Coordonnateur spécial pour le développement au Sahel à travers le Plan de Soutien de l’ONU qui vise à renforcer la coopération afin de résoudre les problèmes structurels – comme la pauvreté, le sous-développement et les défis de gouvernance – qui rendent la région vulnérable aux conflits.
Enfin, lutter contre les conflits et le terrorisme, dans un contexte de dérèglement climatique, demande des investissements pérennes. Or, et nous le voyons notamment au Sahel ou en Somalie, les missions africaines d’imposition de la paix sont souvent limitées dans leurs marges de manœuvre et confrontées à de grandes incertitudes en matière de financement.
Plus que jamais, les opérations de soutien à la paix menées par l’Union africaine nécessitent un mandat de ce Conseil au titre du Chapitre VII et des financements prévisibles garantis par les contributions obligatoires, et je vous invite à reconsidérer cela dès que possible.
Le Conseil de sécurité et tous les États membres doivent œuvrer –de pair– pour la consolidation de la paix et contre les effets du changement climatique. L’Organisation des Nations Unies sera à vos côtés afin de bâtir, ensemble, un avenir plus sûr et plus durable pour tous.