En cours au Siège de l'ONU

SC/14247

Syrie: quelques heures après la date butoir, le Conseil de sécurité proroge pour un an le mécanisme d’acheminement de l’aide humanitaire transfrontalière

La cinquième tentative a été la bonne.  Le Conseil de sécurité a enfin pu proroger pour un an, jusqu’au 10 juillet 2021, le mécanisme d’acheminement de l’aide humanitaire transfrontalière vers la Syrie, créé par la résolution 2165 (2014).  

Par ce nouveau texte 2533 (2020), adopté par 12 voix pour et les abstentions de la Chine, de la Fédération de Russie et de la République dominicaine, le Conseil de sécurité autorise les agences humanitaires des Nations Unies et leurs partenaires à utiliser les routes franchissant les lignes de conflit ainsi que le poste frontière de Bab el-Haoua.  Celui de Bab el-Salam est désormais fermé comme l’étaient déjà les points de passage de Ramta et de Yaroubiyé.  

La date butoir, c’était hier, a rappelé l’Allemagne et Présidente du Conseil de sécurité pour le mois de juillet.  C’était hier, a-t-elle insisté, qu’il aurait fallu proroger le mécanisme.  Demain, des millions de personnes dans la région d’Edleb vont se réveiller « soulagées » parce que Bab-el-Haoua restera ouvert pendant une nouvelle période d’un an.  En revanche, les 1,3 million de personnes qui vivent dans le nord d’Alep, dont 500 000 enfants, vont se réveiller en réalisant que le « Conseil les a laissés tomber » puisque Bab-el-Salam est fermé. « Le Conseil a tourné le dos à la réalité et nous ne devrions pas être fiers », a commenté la République dominicaine, en espérant que le 15 États membres réussiront à surmonter leurs divergences. 

Présentée par l’Allemagne et la Belgique, cette résolution intervient après quatre tentatives infructueuses.  Hier, à la date butoir, la Fédération de Russie présentait un ultime texte avec les mêmes dispositions que celles d’aujourd’hui, mais en priant aussi le Secrétaire général de présenter, au plus tard le 31 aout 2020, un rapport sur les effets directs et indirects qu’ont les mesures coercitives unilatérales imposées à la Syrie sur sa situation socioéconomique et l’acheminement de l’aide humanitaire depuis l’extérieur, et sur la coopération entre le Gouvernement syrien et les États membres.  Le texte avait été rejeté par 7 voix contre (Allemagne, Belgique, Estonie, États-Unis, France, République dominicaine, Royaume-Uni), 4 voix pour (Afrique du Sud, Chine, Fédération de Russie, Viet Nam) et 4 abstentions (Indonésie, Niger, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Tunisie).   

Du fait de l’impossibilité de se réunir au Siège de l’ONU à cause de la pandémie de COVID-19, le Conseil a procédé au vote par correspondance électronique.  Les votes ont été envoyés au Directeur de la Division des affaires du Conseil de sécurité, qui les a transmis au Président du Conseil de sécurité.  Ce dernier a ensuite convoqué les membres du Conseil par visioconférence, pour annoncer le résultat du vote.  

Également au nom de l’Allemagne, la Belgique a expliqué que pendant ces derniers mois, elle a fait tout son possible pour trouver un accord sur le renouvellement du mécanisme.  Nous avons travaillé de bonne foi, en toute transparence et très sérieusement avec tous les membres du Conseil, avec pour seule directive l’impératif humanitaire.  Après plusieurs cycles de négociations et de votes, et compte tenu des divergences, le Conseil, a-t-elle reconnu, n’a eu d’autre choix que de prendre encore une fois une décision qui ne reflète pas les véritables besoins humanitaires sur le terrain.  C’est donc un jour triste pour ce Conseil et surtout pour les Syriens.  Mais pour l’intérêt des trois millions de personnes qui dépendent de Bab el-Haoua, le Conseil a dû se plier au compromis et « c’est la seule bonne nouvelle aujourd’hui ».   

Ne nous trompons pas, ont embrayé les États-Unis.  Cette résolution n’est pas ce que pour quoi nous nous battions.  Elle n’est pas ce que les Nations Unies, le Secrétaire général et des dizaines d’ONG qui travaillent en Syrie ont, à maintes reprises, demandé au Conseil de faire.  Nous sommes, ont avoué les États-Unis, « dégoûtés et horrifiés » par la fermeture de Bab el-Salam et Yaroubiyé, derrière lesquels vivent des millions de femmes, d’enfants et d’hommes qui ont cru que le monde les avait entendus.  

Mais le maintien de Bab el-Haoua pour une nouvelle période de 12 mois est « une victoire », compte tenu de l’acharnement de la Chine et de la Fédération de Russie d’utiliser leur droit de veto pour obtenir une réduction drastique de l’aide humanitaire.  Cette « victoire solennelle » ne doit pas mettre fin à notre lutte pour répondre aux besoins croissants en Syrie.  « La lutte continue », ont promis les États-Unis, en assurant que tant que le « régime Assad et ses soutiens » ne prendront pas les mesures « nécessaires et irréversibles » pour mettre en œuvre une solution politique propre à mettre fin au conflit, ils feront tout pour que l’aide humanitaire que le peuple syrien mérite lui parvienne.  

Nous sommes déçus, s’est défendue la Fédération de Russie, de la manière dont les porte-plumes de la résolution se sont comportés durant tout au long du processus.  Elle a fait état de maladresse, de manque de respect et même de mépris pour les règles et procédures du Conseil de sécurité.  Nous aurions pu, a-t-elle dit, parvenir au même résultat plus tôt, un résultat sur un seul point de passage vers Edleb que nous prônions depuis le début.  La Fédération de Russie a tenu à souligner que les propos tenus pendant cette visioconférence ne sont pas des explications de vote puisque celles-ci sont désormais présentées par écrit.  La décision de la Présidence d’autoriser ce « cycle de discours » est d’ailleurs contraire aux procédures agrées, a-t-elle fait observer.  

La Fédération de Russie a mis le doigt sur le niveau sans précédent « d’hypocrisie et de double standard » que ses « collègues occidentaux » ont atteint durant les négociations.  Elle leur a reprochés d’avoir renoncé aux dispositions sur les sanctions unilatérales et sur une utilisation plus systématique des lignes de conflit.  Elle a répété que le mécanisme ne reflète même pas les règles élémentaires du droit international humanitaire.  L’ONU, a-t-elle rappelé, n’est toujours pas présente dans la zone de désescalade d’Edleb, contrôlée par des terroristes et combattants étrangers qui rendent impossible toute surveillance de la manière dont l’aide humanitaire est fournie mais aussi l’identification des bénéficiaires finaux.  

Ce n’est un secret pour personne, a dit la Fédération de Russie, que les groupes terroristes inscrits sur la Liste des Nations Unies contrôlent des parties de la zone de désescalade et utilisent l’aide humanitaire pour faire pression sur la population et tirer des revenus de son acheminement.  Les preuves directes et indirectes de cette situation se multiplient, a affirmé la Fédération de Russie qui s’est dite en faveur d’un acheminement de l’aide humanitaire respectueux de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de la coordination avec le Gouvernement légitime.  La question ne doit pas être politisée.  Les discussions d’aujourd’hui, a-t-elle accusé, ne concernent pas l’acheminement de l’aide humanitaire.  Elles sont politiques, a tranché la Fédération de Russie, en se voulant « absolument claire ».  

À son tour, la Chine a rappelé qu’elle a toujours eu des réserves sur le mécanisme qui doit d’ailleurs être ajusté à l’évolution de la situation.  Elle a aussi insisté sur le respect de la souveraineté, de l’indépendance, de l’unité et de l’intégrité territoriale de la Syrie.  Elle a surtout rappelé que des années de sanctions illégales compromettent aujourd’hui la faculté de la Syrie à répondre à une crise comme la COVID-19.  La Chine a souligné que les appels du Secrétaire général et de l’Envoyé spécial à la levée des sanctions ont reçu un appui massif.  Une telle mesure est plus importante que jamais, a-t-elle insisté, en demandant au Conseil de traiter de cette question essentielle et d’analyser l’impact des sanctions sur l’acheminement de l’aide humanitaire. 

Ce sont la Chine et la Fédération de Russie qui ont bloqué les porte-plumes, a martelé le Royaume-Uni, déçu que le Conseil de sécurité ait dû approuver une résolution qui ne réponde pas aux besoins humanitaires sur le terrain.  Nous avons « perdu » Bab el-Salam, s’est expliqué le Royaume-Uni, malgré les informations relayées tous les mois par le Bureau de la coordination de l’aide humanitaire (OCHA).  Il a mis l’accent sur les responsabilités supplémentaires des autorités syriennes de veiller à un bon acheminement de l’aide et sur celles de la Chine et de la Fédération de Russie de les convaincre.  

Si vraiment la Fédération de Russie, a conclu le Royaume-Uni, veut accuser les autres d’« hypocrites », elle ne devrait pas tenir des propos comme « l’aide humanitaire ne devrait pas être politisée ».  Si la chine veut voir l’aide augmenter, elle devrait arrêter de militer pour la fermeture des points de passage.  Vouloir rouvrir Yaroubiyé et maintenir ouverts Bab el-Salam et Bab el-Haoua, est-ce cela la maladresse? s’est indignée l’Allemagne.  Vouloir une aide optimale pour les Syriens, est-ce cela la maladresse?  Présenter une résolution sur le maintien des deux portes, avec l’appui de 13 membres du Conseil, est-ce cela maladresse?  Négocier et revenir avec une petite prorogation de trois mois pour Bab el-Salam, est-cela la maladresse?  

Non, s’est énervée l’Allemagne, en répondant ainsi à la Fédération de Russie.  « C’est humanitaire, c’est humain et c’est ce que l’on a essayé de faire pour obtenir le plus possible pour les populations syriennes. »  Les gens qui vous donnent l’instruction de couper l’aide, sont-ils prêts à se regarder dans la glace? a-t-elle lancé.  C’est de la maladresse, a confirmé la Fédération de Russie, quand on organise un nombre « inutile » de votes et de vetos alors qu’on avait un texte agréé dès lundi et que « nous vous avions prévenue que nous n’aurions pas d’autre instruction » et que « c’était la seule solution pour aider tous les Syriens, dans le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de leur pays ».  

Mais, a accusé la Fédération de Russie, vous n’avez pas voulu suivre cette voie et vous avez préféré nous présenter, nous et la Chine, comme les « ennemis » de la communauté internationale contre « les combattants de la cause des Syriens ».  Alors oui, a estimé la Fédération de Russie, c’est de l’hypocrisie quand la Représentante permanente des États-Unis envoie un tweet sur la prétendue opposition russe à l’aide humanitaire en Syrie, alors que dans le projet de résolution que nous défendions, nous militions pour le maintien du poste frontière par lequel passe 85% de l’aide humanitaire et que nous vous expliquions pourquoi nous nous opposions à un second poste frontière.  

« Oui c’est de l’hypocrisie » et c’est aussi de l’hypocrisie, a ajouté la Fédération de Russie, quand vous parlez de Yaroubiyé.  On voit que vous n’avez cessé de tromper la communauté internationale, en disant qu’il n’y a pas d’autre voie pour aider la population de cette partie de la Syrie.  « Ce n’était qu’un jeu politique », a dénoncé la Fédération de Russie, car après la fermeture de Yaroubiyé, le Gouvernement syrien s’est dit prêt à coordonner l’acheminement de l’aide avec l’ONU à partir de Damas.  Après les longues hésitations des agences humanitaires, l’OMS a enfin emprunté une autre ligne de conflit vers la province d’Hassaké.  Depuis lors, une quantité bien plus importante d’aide a été acheminée vers le nord-est de la Syrie.  C’est ce que l’on appelle « hypocrisie ».   

L’hypocrisie, a ajouté la Chine, c’est aussi défendre l’aide humanitaire, d’une main, et maintenir les sanctions, de l’autre.  Pourquoi, s’est-elle étonnée, avez-vous peur d’un rapport du Secrétaire général sur l’impact des sanctions?  Vous le rejetez et le refusez parce que vous savez que les sanctions font du mal aux Syriens.  Renonçant à l’idée de répondre au «  cours magistral de désinformation » donné par la Fédération de Russie et la Chine, le Royaume-Uni a rappelé que ce sont 13 membres du Conseil qui ont travaillé sans relâche pour l’aide humanitaire en Syrie et les moyens de la faire parvenir aux Syriens.  « Je suis fier d’en faire partie », a-t-il souligné. 

Texte du projet de résolution (S/2020/684)

Le Conseil de sécurité,

Rappelant ses résolutions 2042 (2012), 2043 (2012), 2118 (2013), 2139 (2014), 2165 (2014), 2175 (2014), 2191 (2014), 2209 (2015), 2235 (2015), 2254 (2015), 2258 (2015), 2268 (2016), 2286 (2016), 2332 (2016), 2336 (2016), 2393 (2017), 2401 (2018), 2449 (2018) et 2504 (2020) et les déclarations de sa présidence des 3 août 2011 (S/PRST/2011/16), 21 mars 2012 (S/PRST/2012/6), 5 avril 2012 (S/PRST/2012/10), 2 octobre 2013 (S/PRST/2013/15), 24 avril 2015 (S/PRST/2015/10), 17 août 2015 (S/PRST/2015/15) et 8 octobre 2019 (S/PRST/2019/12),

Réaffirmant son ferme attachement à la souveraineté, à l’indépendance, à l’unité et à l’intégrité territoriale de la Syrie, ainsi qu’aux buts et principes énoncés dans la Charte des Nations Unies,

Considérant que la situation humanitaire catastrophique qui règne en Syrie continue de faire peser une menace sur la paix et la sécurité dans la région,

Soulignant que l’Article 25 de la Charte des Nations Unies fait obligation aux États Membres d’accepter et d’appliquer ses décisions,

1.    Exige que l’ensemble des dispositions de ses résolutions sur la question, notamment les résolutions 2139 (2014), 2165 (2014), 2191 (2014), 2258 (2015), 2332 (2016), 2393 (2017), 2401 (2018), 2449 (2018) et 2504 (2020), soient appliquées sans délai;

2.    Décide de reconduire les mesures visées aux paragraphes 2 et 3 de sa résolution 2165 (2014) pour une période de douze mois, à savoir jusqu’au 10 janvier 2021, à l’exclusion des points de passage de Ramta, de Yaaroubiyé et de Bab el-Salam;

3.    Prie le Secrétaire général de lui faire le point de la situation chaque mois et de lui soumettre régulièrement, et au moins tous les 60 jours, un rapport sur l’application des résolutions 2139 (2014), 2165 (2014), 2191 (2014), 2258 (2015), 2332 (2016), 2393 (2017), 2401 (2018), 2449 (2018), 2504 (2020) et de la présente résolution ainsi que sur le respect de leurs dispositions par toutes les parties concernées en Syrie, et le prie également de continuer de lui faire part, dans ses rapports, de l’évolution d’ensemble de l’accès des agents humanitaires des Nations Unies à travers les frontières et les lignes de front, et de lui communiquer des informations plus détaillées sur l’aide humanitaire fournie dans le cadre des opérations humanitaires transfrontières des entités des Nations Unies, y compris le nombre de bénéficiaires, les lieux de livraison de l’aide dans les districts et le volume et la nature des articles livrés ;

4.    Décide de rester activement saisi de la question.

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